- Hypothèse de la circumnavigation chinoise
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L'hypothèse de la circumnavigation chinoise est une thèse exposée en 2002 par l'auteur britannique Gavin Menzies. Ancien commandant de sous-marin dans la Royal Navy, il n'est pas historien de formation. Selon lui, en 1421 sous le règne de l'empereur chinois Ming Yongle, la flotte de l'amiral Zheng He, un eunuque musulman, aurait contourné le sud du continent africain pour remonter l'Atlantique jusqu'aux Antilles. Une autre partie de l'expédition aurait franchi le détroit de Magellan pour explorer la côte ouest de l'Amérique et une troisième aurait navigué dans les eaux froides de l'Antarctique. Les côtes de l'Australie auraient même été atteintes[1].
Cette hypothèse a été tellement médiatisée malgré les critiques des chercheurs et des universitaires qu'un groupe international de spécialistes a pris la peine de créer un site internet pour centraliser les arguments démontrant que cette hypothèse est mal étayée[2].
Sommaire
Méthodes et critiques
Cette thèse fut élaborée à partir de l'étude d'anciennes cartes maritimes italiennes et portugaises antérieures aux voyages de Christophe Colomb et montrant des îles et territoires inconnus des Européens à cette époque, interprétés généralement par les historiens comme des îles imaginaires. L'auteur affirme que ces territoires correspondent bel et bien à des terres réelles, contredisant l'explication généralement admise. Cette thèse est toutefois très controversée, en raison non de leur situation géographique mais de la différence d'orientation lors de leur copie sur les portulan, oubliant les erreurs commises par les moines copistes et le fait que bien que connaissant parfaitement l'usage de la boussole, les cartes de navigation chinoise du temps de Zheng He se déroulaient comme des rouleaux et n'indiquaient pas les changements de cap[5].
Menzies soutient ainsi que la sixième expédition de Zheng He se serait scindée en plusieurs escadres qui auraient dépassé le cap de Bonne-Espérance, navigué sur la côte occidentale de l'Afrique, fait le tour de l'Australie, dépassé le cap Horn, accosté sur la côte Atlantique de l'Amérique du Nord, certaines s'étant échouées sur les récifs des Caraïbes, notamment à Bimini lors d'une tempête tropicale ayant gravement endommagé sept des navires trésor et dont les rescapés bâtirent une rampe de lancement de 400 m de long, constituée des blocs de lest en béton hydraulique pour remettre le moins endommagé à flot avant de reprendre le cap vers le Groenland, abandonnant une partie de l'équipage surnuméraire à chaque escale, etc. Pour justifier l'absence de sources chinoises sur ces découvertes, Menzies s'appuie sur la destruction des archives de l'ensemble des expéditions à la fin du XVe siècle.
Nombre de récifs identifiés comme des lieux de naufrage à proximité des ethnies se prétendant descendantes de naufragés chinois, notamment en Afrique et dans les Caraïbes, portent le nom de Changa traduisible par récif. Étonnamment proches phonétiquement du cantonnais Shanghai, signifiant Sur l'eau.
La plupart des experts des différentes civilisations chinoises, d'Amérique précolombienne, des aborigènes d'Australie ou du Grand nord ont réfuté ces thèses[5] et plusieurs cartographes ont indiqué que les cartes sur lesquelles Gavin Menzies s'appuyait ne sont pas authentiques et quelques-unes étant même des faux grossiers[5]. Ainsi, selon Peter van der Krogt, géographe de l'université d'Utrecht, la carte dite « de Liu Gang » est « au mieux une carte dessinée en 1763 d'après une carte européenne moderne » ou « un faux fabriqué au XXIe siècle »[3]. D'autres hypothèses avancées par Menzies sont contredites par les travaux de chercheurs. Ainsi, il soutient que les anneaux de pierre trouvés près des côtes de Californie proviennent des ancres des jonques de Zheng He. Le fait qu'il s'agit bien d'ancres chinoises n’a pas été infirmé (de nombreuses jonques chinoises naviguaient dans la zone au XIXe siècle), en revanche il a été démontré que celles-ci étaient fabriquées à partir de rocs californiens et non d'origine chinoise[6].
Des considérations physiques, culturelles, économiques et politiques peuvent également expliquer ce fait. L'océan Pacifique est beaucoup plus large que l'Atlantique. La science chinoise connaissait la rotondité de la Terre, mais elle avait du mal à l'intégrer : certaines écoles de pensée, en pleine époque moderne, se fondaient encore sur le modèle de la Terre plate[7]. Un « Colomb » chinois n'aurait pas rencontré un consensus comme celui des Sages de Salamanque pour chercher des terres au-delà de la « mer de l'Est ».
L'Europe était divisée en plusieurs États rivaux, à la fois entre eux et avec le monde musulman, et cette rivalité s'exprimait de plus en plus dans le domaine maritime. Les explorations des Portugais visaient à contrer le monopole commercial des Mamelouks d'Égypte et de leurs partenaires vénitiens. Celles des Espagnols, puis des autres États européens, exprimaient une rivalité à la fois politique et économique.
Au contraire, l'Empire chinois constituait une unité politique absolue. Les voyages d'exploration chinois du XVe siècle manifestaient la volonté de prestige d'un empereur Ming, mais après sa mort, l'Empire du Milieu n'a pas rencontré de rival sur mer qui l'incite à persévérer. Le prestige remporté par les amiraux et le nombre d'hommes mis à leur disposition entrainant la jalousie et la méfiance de leurs rivaux restés "sagement" à terre, tout près des oreilles de l'empereur.
Les explorateurs chinois n'ont pas eu la possibilité d'aller à la rencontre de divers souverains pour financer leur expédition, l'unité de l'Empire l'empêchant. Colomb a pu faire des démarches auprès de plusieurs souverains avant de voir son projet accepté et financé.
La fin des expéditions chinoises
À l'époque de Zheng He, la marine chinoise était la plus puissante du monde, de par le nombre et la taille de ses navires, le nombre de ses marins et la modernité des technologies employées[8]. Mais toutes les explorations entreprises n'aboutirent à aucune colonisation, la Chine se repliant sur elle-même pour vivre en autarcie dès 1433. L'interdiction de construire de grands navires, la destruction des grandes jonques et de leurs plans, réduisirent à néant l'immense potentiel chinois en matière d'exploration et toute capacité de tenir en respect les Européens qui allaient bientôt sillonner les mers d'Asie.
Les historiens ne contestent pas les expéditions maritimes chinoises dirigées au début du XVe siècle par l'amiral Zheng He qui ont conduit la Chine à établir des relations commerciales et quelquefois diplomatiques en Indonésie, en Inde, en Arabie et sur la côte orientale de l'Afrique[5].
Pour expliquer le peu de suites de ces expéditions dans l'océan Indien, on met généralement en avant le fait que la Chine impériale se considérait comme le centre du monde (« l'Empire du Milieu »). Les voyages de Zheng He étaient avant tout des opérations de prestige destinées à affirmer la puissance de l'Empire des Ming et à gagner la reconnaissance de royaumes lointains - d'où les échanges de produits de luxe, qui relevaient plus de la pratique du tribut que de vraies opérations commerciales. La différence est donc grande avec les expéditions qui partirent d'Europe quelques années plus tard.
Dans les faits, plusieurs facteurs contribuent à expliquer la fin de ces expéditions.
Tout d'abord, le développement de la marine chinoise des premiers empereurs Ming avait eu pour motif avoué la protection contre les envahisseurs[9].
Si les expéditions de Zheng He augmentèrent grandement le prestige de l'Empire dans toute l'Asie, elle n'étaient pas rentables économiquement et ne constituaient pas un enjeu politique primordial - ce qui explique sans doute que la Chine ait sabordé ce qui était alors la marine la plus formidable de l'Histoire. Ainsi, dès 1433, des conseillers confucéens s'opposent au commerce avec l'étranger [10]. La disparition subite de Xuande et l'arrivée sur le trône en 1435 du jeune empereur Zhu Qizhen âgé de huit ans va accélérer les choses.
Corruption, désertion et manque d'innovation sont alors les traits principaux de la marine chinoise[11].
L'ouverture du grand canal entre Hangzhou et Tianjin en 1415 a également donné un coup d'arrêt à la navigation de transport sur mer. Le gouvernement central basé au nord voyait d'un mauvais œil le développement commercial des villes côtières du sud du pays.
Les Ming se tournent désormais vers le nord d'où vient le danger. Quelques années plus tard, la reconstruction de la Grande Muraille commence.
Notes et références
- MENZIES Gavin, 1421, l'année où la Chine a découvert l'Amérique, Intervalles, 2007
- 1421exposed.com.
- Interview de Peter van der Krogt citée sur le site de L'Amiral de la Mer Océane.
- « I remain convinced that this “1763/1418” map is a 21st-century fake. » Dr. Geoff Wade :
- L'Histoire, janvier-mars 2008 "L'hypothèse américaine", 2000 ans de mondialisation, Les collections de
- Voir The Palos Verdes Chinese anchor mystery, F. Frost, in Archaeology (35) janvier-février 1982, pages 22-27
- J.C. Martzloff, « Chine-Sciences et techniques en Chine », Encyclopedia Universalis
- Levathes, Louise, When China Ruled the Seas: The Treasure Fleet of the Dragon Throne 1405 – 1433, Oxford University Press, 1997
- Hongwu, Liao Yongzhong (en) écrivait: « The construction of seagoing ships to halt invaders and protect our people is a great vertue » extrait de When China Ruled the Seas: The Treasure Fleet of the Dragon Throne, 1405-1433, Louise Levathes, Oxford University US, 1996 En 1373, un des conseillers de l'empereur
- (en) (vice-ministre de la Guerre): « The expeditions of Zheng He to the West Ocean wasted tens of myriads of money and grain, cost many lives, and brought no benefit to the state. » extraits de The Era Of Expanding Global Connections - 1000-1500, Kathy Sammis, Walch, 2002 et de When China Ruled the Seas: The Treasure Fleet of the Dragon Throne, 1405-1433, Louise Levathes, Oxford University US, 1996 Fan Ji: « Let the people of the Middle Kingdom devote themselves to farming and schooling »; Liu Daxia
- Voir le chapitre Déclin maritime des Ming, pages 355-394 in Le dragon de lumière - Les grandes expéditions des Ming au début du XVe siècle, Dominique Lelièvre, France-Empire, 1996
Liens externes
- (fr) « Pourquoi les Chinois n'ont pas colonisé le monde plus tôt ? », sur le site Novaplanet.com
- (fr) « La "flotte des Trésors" largue les amarres », sur le site Herodote.net
- (fr) « La longue léthargie de la Chine », sur le site du Monde
- (fr) « Christophe Colomb, bon second », sur le site de Radio-Canada
- (fr) « Un nouveau Colongate ? » sur Cristobal Colon
- (en) « 1421 The year China discovered the world », sur le site du livre de Gavin Menzies
- (en) « The Mystery of Zheng He and America »
- (en) « The '1421' myth exposed », une critique de la théorie de Gavin Menzies
Bibliographie
- (fr) Dominique Lelièvre, Le dragon de lumière - Les grandes expéditions des Ming au début du XVe siècle, France-Empire, 1996
- (fr) Gavin Menzies, 1421, l'année où la Chine a découvert l'Amérique, Intervalles, 2007
- (fr) Jacques Gernet, Le Monde chinois. 2. L'époque moderne Xe siècle - XIXe siècle, Armand Colin, Paris, 2005, p. 137-145. ISBN 2-266-16133-4
- (fr) Jérôme Kerlouégan, « Si la Chine avait découvert l'Amérique... », Les Collections de l'Histoire, n° 38 (janvier-mars 2008), pp. 58–62.
- (en) Levathes, Louise, When China Ruled the Seas: The Treasure Fleet of the Dragon Throne, 1405-1433, Oxford University Press, 1997, trade paperback, ISBN 0-19-511207-5
- (en) Ma Huan,Ying-yai Sheng-lan, The Overall Survey of the Ocean's Shores (1433), translated from the Chinese text edited by Feng Ch'eng Chun with introduction, notes and appendices by J.V.G.Mills. White Lotus Press, reprint. 1970, 1997.
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