Guerre de Kitos

Guerre de Kitos

La guerre de Kitos ou révolte des exilés (hébreu : מרד הגלויות mered hagalouyot ou מרד התפוצות mered hatfoutzot) est une insurrection quasi-générale et simultanée des Juifs contre les Romains.

Elle a lieu de 115 à 117, au cours des campagnes menées par Trajan contre l’empire Parthe. Naissant dans les cités à forte composante juive de l’empire Parthe, l’Adiabène et l’Osroène, la révolte s’étend aux cités du pourtour de la Méditerranée, en particulier Cyrène, Alexandrie et Chypre. Elle ne touche toutefois presque pas la Judée et la Galilée.

Il s’agit de l’une des révoltes les plus amples dans l’histoire de l’Empire romain et il faudra plus que le seul général Lusius Quietus pour la réprimer. Elle n’a cependant pas eu le même impact pour l’historiographie que la Grande révolte (66-73 EC) ni que celle de Bar Kokhba (135). De nombreuses sources, y compris juives, l’ignorent totalement.

Sommaire

Les germes de la révolte

Cette révolte a très peu été étudiée, les causes et le processus qui y conduisent sont donc indéterminés. Ce que l'on peut dire c'est qu'elle se déclenche dans le contexte de la « guerre parthique » déclenchée par Trajan[1], à partir de 113.

L'empereur engage une campagne contre les Parthes à partir d'octobre 113. Il prend comme prétexte le viol des accords de Rhandeia (63), datant de Néron. Khosrô Ier de Parthie a en effet placé à la tête du royaume d'Arménie, Parthamasiris, sans avoir l'agrément des Romains. En réalité, Trajan se voit en nouvel Alexandre le Grand et veut s'emparer de la Perse (alors contrôlée par les Parthes), voire même poursuivre jusqu'en Bactriane ou en Inde.

En 114, l'Arménie est prise. Parthamasiris s'enfuit et la transformation de son royaume en province est prévue. Puis Trajan opère en Mésopotamie en 114/115. En 116, l'Adiabène et la Babylonie sont conquises. Avec deux armées, Trajan atteint le littoral du golfe Persique.

La révolte

La victoire est cependant de courte durée : le pays s'avère très difficile à tenir et les révoltes se multiplient dans les régions nouvellement conquises, notamment au sein des populations juives. Une grave insurrection judéo-parthe éclate un peu partout à travers le pays. Le général Lusius Quietus est alors chargé de la réprimer, ce qu'il fait en peu de temps avec une dureté qui marque singulièrement les esprits du temps, pourtant accoutumés à la violence guerrière. Lusius rend également un fier service aux Romains en s'emparant des importantes cités révoltées, à forte composante juive de l'Adiabène, comme Nisibe. Il conquiert aussi Édesse qu'il fait raser jusqu'aux fondations pour la punir de sa révolte et dont il fait mettre à mort le roi, Abgar VII, fils d'un roi Izatès d'Adiabène, qui s'est porté à la tête de cette révolte (116). Cela permettra par la suite aux légions de repasser l'Euphrate sans risque.

Est-ce à cause de la violence de la répression, ou à cause de l'exécution de ce roi judéo-nazôréen[2] ou bien pour d'autres raisons, toujours est-il qu'à partir de ce moment, la révolte des villes juives, ou à forte composante juive, devient générale. Elles sont animées par des hommes qui sont reconnus comme Messie et le gros des forces est composé par des hommes que les autorités romaines appellent des « Chrétiens », un nom nouveau pour désigner des messianistes.

En effet, les Juifs de la diaspora commencent alors une révolte en Cyrénaïque qui touche également l'Égypte et Chypre. À Cyrène, les rebelles (dirigés par une personne du nom de Lukuas ou Andreas, puis semble-t-il un Simeon de Cyrène, tous deux reconnus comme « Messie »[3]) détruisent de nombreux temples païens, parmi lesquels ceux dédiés à Hécate, Jupiter, Apollon, Artémis ou Isis, ainsi que des bâtiments civils symboliques de Rome tels que le caesareum, la basilique et les thermes. Les habitants grecs et romains sont massacrés.

En Égypte, un soulèvement des Juifs contre les Grecs éclate en juin-juillet 115 selon Eusèbe de Césarée[4] plus vraisemblablement en été 116, si l'on s'appuie sur les ostraca trouvés à Edfou[5]. Les désordres se multiplient à travers le pays pour devenir une véritable guerre, qui se terminera en août 117 par l'élimination physique de toute la communauté juive d'Égypte. Selon l'historien grec Appien d'Alexandrie (né vers 90, mort vers 160), « ... l'empereur Trajan [...] extermina les Juifs d'Égypte ... »[6]. La guerre ne concerne pas seulement Alexandrie mais toute l'Égypte. La Cyrénaïque qui fournit leur chef aux rebelles est frontalière de l'Égypte. Dans ces deux pays, c'est Quintus Marcius Turbo, envoyé de l'empereur muni de pouvoirs spéciaux, qui massacre les rebelles juifs. Il est aidé, à Alexandrie, par les Grecs ainsi que, semble-t-il, par des commandos d'esclaves qui "nettoient" le quartier ∆[7], et dans les campagnes, par les Grecs ainsi que par des villageois égyptiens.

Malgré la répression, la révolte s'étend et se généralise encore. En 117, l'Orient est en feu. Trajan nomme Lusius Quietus gouverneur de Judée avec le rang de légat consulaire. À charge pour lui de mater l'agitation des Juifs révoltés. Le nouveau légat finit par s'emparer de Lydda (Lod) où s'étaient enfermés les derniers rebelles juifs, qu'il fait tous exécuter jusqu'au dernier. Puis il s'occupe des bandes de pillards (ou de Zélotes) qui hantent encore le pays avant de marquer son triomphe en plaçant une statue de l'empereur dans les ruines du temple de Jérusalem. À Chypre, la répression est terrible aussi et frise l'extermination. Les auteurs antiques racontent qu'après la répression, il n'y a plus un seul juif sur l'île et que désormais les Juifs y seront interdits. Certains ajoutent même que si un juif abordait sur l'île à la suite d'un naufrage, il était immédiatement exécuté par application de la loi.

L'armée et l'empereur doivent finalement se retirer de Mésopotamie. L'ensemble de ces révoltes juives de 115 - 117 est connu dans l'histoire sous le nom de Guerre de Quietus (ou de Kitos), du nom du général romain qui les réprima.

Trajan meurt peu après le retrait de Mésopotamie (18 août 117) à Selinus en Cilicie (Turquie actuelle), et ses conquêtes et ses projets sont abandonnés par son successeur Hadrien.

Lusius Quietus reste au poste de gouverneur de Judée jusqu’à ce qu'il soit démis de ses fonctions[8] et rappelé en Italie par Hadrien sous un prétexte quelconque, car celui-ci le voyait comme un rival potentiel. Il est ensuite exécuté avec trois autres importants sénateurs lors de ce qu'on appela plus tard « l'affaire des quatre consuls » (été 118).

Conséquences

Les conséquences sur la population sont évoquées dans l'article, elles se chiffrent en centaine de milliers de morts, et probablement plus d'un million. Du côté juif, ce bilan s'accompagne de destructions massives (plusieurs villes), de déportation massive de population souvent envoyée en esclavage et de centaines de milliers de mutilés.

Une autre conséquence est bien-sûr l'échec de l'invasion de l'Arménie, de l'Adiabène et de l'Empire parthe, par Trajan.

Pour François Blanchetière, « on ne saurait fixer avec exactitude l'époque et les raisons de la fin de la production littéraire judéo-hellénistique ancienne, alors que le judaïsme alexandrin s'éteint pratiquement avec la révolte sous Trajan[9]. »

Conséquence de la répression sur le mouvement chrétien

La répression de ces mouvements juifs à forte composante messianique, pourrait être la principale explication de l'ascendant que prend l'Eglise de Rome sur l'ensemble du mouvement chrétien peu après. En effet, il n'y a plus eu de répression à Rome depuis l'année 64, où Néron a accusé les juifs de Rome (que vers 115, Tacite appelera des chrétiens), d'avoir incendié la ville. Depuis lors, l'Eglise de Rome a strictement évité de se joindre aux nombreuses révoltes, qui ont eu lieu dans la période 66-135. La répression de cette révolte raye de la carte les populations juives de diverses contrées et en particulier les juifs messianistes d'Égypte et de Chypre. Elle supprime en même temps, leurs centres religieux, leur mémoire et leurs textes.

La répression et les destructions massives qui ont accompagné les trois grandes révoltes juives (grande révolte (66-73), révolte des exilés (115117), révolte de Bar Kokhba (132-135)), pourraient aussi expliquer partiellement la perte d'archives et de mémoire, dont le mouvement chrétien a été atteint.

La répression en Adiabène et la destruction totale de sa capitale Édesse, et donc de ses archives, a probablement joué un rôle dans cette perte de mémoire pour ce qui concerne les mouvements pré-chrétiens ou Nazôréens de cette région.

L'église de Rome reste quasiment seule intacte, alors que c'était la plus éloignée, tant géographiquement que linguistiquement ou culturellement, des centres où est né le mouvement qui donnera naissance au christianisme: la Galilée (région), Édesse, la Samarie et la Judée.

Notes et références

  1. Empereur Trajan, né en 53, mort en 117.
  2. L'appellation reçue est judéo-chrétien, toutefois les spécialistes comme François Blanchetière ou Simon Claude Mimouni, font remarquer que bien que reçue, cette appellation est impropre, car les nazaréens ne sont pas des chrétiens et se conçoivent clairement comme des juifs. Ils lui préfèrent donc, avec d'autres spécialistes, le nom qu'ils se donnaient eux-mêmes: nazaréens.
  3. Voir aussi à ce sujet Eusèbe de Césarée.
  4. Eusèbe de Césarée,Histoire ecclésiatique, IV, 2, 1-5
  5. Hadas-Lebel 2009, p. 164
  6. Appien, Guerres civiles 2, 90, 320, voir Les Juifs d'Égypte..., p. 172.
  7. La grande synagogue, dans le quartier ∆, est détruite.
  8. Histoire Auguste, Vie d'Hadrien, 5
  9. François Blanchetière, Enquête sur les racines juives du mouvement chrétien, Cerf, 2001, p. 62., ISBN 2-204-06215-4.

Articles connexes

Bibliographie


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