Gratianopolis

Gratianopolis

45° 11′ 32″ N 5° 43′ 50″ E / 45.192245, 5.730636

L'empereur Gratien

Gratianopolis est le nom gallo-romain de la ville de Grenoble à partir de 381. Avant cette date, la petite cité s'appelait Cularo.

Sommaire

Historique

Pour remercier et honorer l'empereur romain Gratien d'avoir favorisé l'implantation du christianisme dans leur bourgade, les édiles locaux de Cularo décident de la renommer en Gratianopolis. Le nom provient de l'empereur Gratien (Flavius Gratianius) qui a doté la cité (polis en grec) d'un évêché en 381 au plus tard. Mais il n'existe aucun document attestant de son passage à Cularo lors de son déplacement dans la vallée du Rhône en 379.

Rempart romain de Cularo, puis de Gratianopolis

Le premier évêque de Gratianopolis est Domnin (Domninus), attesté par sa présence au concile d'Aquilée en septembre 381 et qui va décéder en novembre 386[1]. Son successeur est Diogéne. L'installation d'un évêché n'est pas sans conséquences urbanistiques pour la cité. Il s'agit en effet de construire un véritable quartier épiscopal avec des bâtiments de culte et de résidence pour le clergé. Un baptistère destiné à pratiquer le baptême chez les chrétiens est construit et sera utilisé jusque vers l'an 1000, puis inutilisé, il tombe dans l'oubli[2]. Comme dans les autres cités, ce groupement s'installe près d'une porte de l'enceinte romaine, près de la porte Viennoise, dans l'axe de l'actuelle rue Frédéric Taulier.

Gratianopolis compte alors environ 2 000 habitants sur ses 9 hectares et reste une ville fortifiée plus rurale que commerçante malgré la présence d'un port sur l'Isère, situé près de la place de Bérulle. Le commerce ne devait s'y ranimer qu'au bout de sept à huit siècles.

Dans la première partie du Ve siècle siècle, des monuments funéraires ou mausolées sont construits sur la rive droite de l'Isère, en zone non inondable, recevant les personnages importants de la cité comme les premiers évêques.

Crypte Saint Oyand, VIe siècle

Au VIe siècle, une première église cruciforme dédiée à Saint Laurent est bâtie. Accolée à l'un des mausolées existants de la rive droite de l'Isère et profitant de la déclivité du terrain, cette première église est construite en partie par-dessus une chapelle dédiée à Saint Oyand, lui conférant ainsi le statut de crypte Saint Oyand[3]. Un siècle plus tard, un voûtement est installé dans la crypte nécessitant l'installation de colonnes. Ce site religieux et funéraire ne cessera d'évoluer sur un plan architectural au cours des siècles suivants et le patronyme de Saint Laurent restera désormais attaché à toute la rive droite de l'Isère.

En 574, à l'époque de la Bourgogne mérovingienne, Gratianopolis est assiégée par les lombards qui se trouvent à une période agitée de leur histoire. L'offensive barbare est arrêtée par les troupes de Gontran.

En 660, l'évêque Ferjus de Gratianopolis est assassiné au cours d'un prêche par des opposants liés à la monarchie franque.

Vers l'an 1000, l'autorité de l'évêque remplace un pouvoir civil ou militaire défaillant, c'est la période de la seigneurie épiscopale. En effet, à partir du XIème siècle, la famille des comtes d'Albon, émergeant de l'aristocratie locale, prennent la direction de la province sous le titre de Dauphin, d'où l'appellation Dauphiné. L'évêque Isarn tente de repeupler son diocèse dévasté vers 950 par les guerres contres les Sarrasins, mais c'est son successeur Humbert d'Albon qui céde en 1012 l'église Saint-Laurent bien délabrée aux moines de Saint Chaffre en Velay. L'un de ses successeurs, l'évêque Hugues de Chateauneuf reprend en main le clergé et fait reconstruire le pont sur l'Isère reliant l'enceinte romaine de la cité au faubourg Saint Laurent sur la rive droite[4].

C'est au cours du XIIIe siècle que se construit la collégiale Saint-André. Durant le XIVe siècle le dauphin Humbert II, dernier dauphin de Viennois, fonde une université, une cour de justice appelée Conseil delphinal, ainsi qu'une cour des comptes. Cependant, Humbert II, perd son fils unique en octobre 1335 dans des circonstances restées mal élucidées. Peu de temps après, il revient ruiné et veuf d'une croisade en Palestine le 8 septembre 1347 et doit faire face à une épidémie de peste dans sa ville[5]. Accablé, il est contraint financièrement de céder le Dauphiné au royaume de France le 30 mars 1349. Les diplomates donneront à cet acte le nom de Transport du Dauphiné. À cette époque, la ville ne compte pas plus de 4 500 habitants[6].

Les agrandissements du Moyen Âge

Rive droite de l'Isère

Porte Perrière (1533)

Au XIe siècle, le faubourg Saint Laurent est le premier bâti à l'extérieur de l'enceinte romaine de la fin du IIIe siècle. Son développement provient du complexe religieux et funéraire installé entre le IV siècle et le IX siècle. Serré entre les pentes de la colline de la Bastille et la rivière, il se compose d'une rue unique bordée de chaque côté de maisons. Au XIIIe siècle, afin de protéger du côté colline, une porte Chalemont est construite dans la montée du même nom, et sera complétée en 1403 par la porte de l'Oyette[7]. C'est par cette porte de Chalemont installée sur les hauteurs de la ville que les voyageurs provenant de Vienne ou d'ailleurs passaient obligatoirement jusqu'à la fin du XIVe siècle. La montée de Chalemont et sa porte vont être alors de moins en moins utilisées car à partir de 1385, le gouverneur de Grenoble, Enguerrand d'Eudin, fait creuser le rocher bordant l'Isère entre le port de la Roche et le site actuel de la porte de France, sur une distance d'environ 300 mètres[8].

Peu à peu, l'extension des maisons vers le port de la Roche et les carrières de pierre prolonge le faubourg à l'ouest[9]. En janvier 1514, une porte de la Perrière construite en bois est achevée. En 1533, cette porte Perrière est réédifiée en pierre, encadrée par deux tours, et ne sera démolie qu'en 1642. Côté est de la ville, une porte Saint Laurent[10] attestée depuis 1338, est construite en 1406, puis reprise par les consuls de la ville en 1573[11]. Ces deux portes assurent donc vers la fin du moyen âge, la sécurité du faubourg Saint-Laurent en verrouillant ses extrémités.

Rive gauche de l'Isère

Au cours du Moyen Âge, des agrandissements de la cité fortifiée se font à deux reprises par rapport aux 9,09 hectares de l'enceinte romaine.

Juste avant l'innondation catastrophique de la ville de septembre 1219, 4,33 hectares du faubourg de l'îsle[12] sont rajoutés en 1218 pour l'installation du couvent des Franciscains ou Cordeliers. Cet agrandissement impose de prolonger l'enceinte depuis la zone de la porte Viennoise jusqu'à l'Isère, à l'endroit où près de deux siècles plus tard s'élèvera la Tour de l'Isle. Une porte de l'isle est donc construite au début du XVe siècle afin de permettre le passage le long de l'Isère[13]. Dans l'opération, la porte Viennoise n'est pas détruite pour autant, elle va même être conservée jusqu'en 1804, mais l'extension oblige la construction, à une centaine de mètres de celle-ci, d'une nouvelle porte d'enceinte appelée porte Très-Cloître[14]. Au nord, à l'endroit où l'enceinte romaine passe tout près de l'Isère, il est percé une nouvelle porte, la porte de l'Aiguier, située sur l'actuelle rue Hector Berlioz, elle permet la perception des droits de batellerie[15] et devient la seconde sortie de la ville vers l'ouest avec la porte Traîne[16]. Entre les deux nouvelles portes, Très-Cloître et Aiguier, la portion d'enceinte devient alors inutile et sera détruite.

Positionnement des enceintes de la ville

C'est à cette époque que de nouvelles rues apparaissent dans cette extension, comme la rue Chaunaise ou Chenoise du nom de la famille Chaunais qui y possède une maison flanquée de tours. On va pratiquer aussi pour la commodité des habitants une ouverture dans le sud de l'enceinte romaine. Cette nouvelle porte est appelée porte Pertuisière, la rue qui y aboutie en a longtemps conservé le nom (actuelle rue Alphand).

Période d'expansion oblige, la deuxième extension de la ville se produit en 1288, sur 1,35 hectare à l'ouest de la ville, près de la porte Traîne, afin d'accueillir le nouveau couvent des Dominicains ou Jacobins sur un champ appelé Breuil, qui va devenir place du Breuil, puis place de la Granaterie et enfin place de la Grenette. Ce n'est qu'à la fin du XIVe siècle, en 1384, que les Dominicains sont autorisés par le roi Charles VI à construire une enceinte autour de leur couvent et des quelques bâtisses voisines, et à la raccorder à l'enceinte existante, totalisant ainsi 14,77 hectares de ville fortifiés.

« Le vray portraict de la ville de Grenoble » (1575)

D'autres projets d'agrandissements de l'enceinte ne se réaliseront jamais, notamment sous François Ier. Mais par suite de difficultés financières, seul un fortin militaire est construit en 1537 au sommet de la colline dominant la ville ainsi qu'une redoute sur le coteau de La Tronche[17]. Le projet est cependant resté dans les mémoires grâce au plan dit de Belleforest en 1575 représentant en vue cavalière la ville de Grenoble entourée de ce projet de nouvelle enceinte aux formes rectilignes. Le plan est intitulé "le vray portraict de la ville de Grenoble"[18].

Après avoir connu une période d'expansion jusqu'au milieu du XIVe siècle, la ville connaît une période de récession avec guerre, peste et famine[19]. Mais une ère nouvelle s'annonce avec l'agrandissement suivant effectué entre 1591 et décembre 1606 par le duc de Lesdiguières sur une superficie de 21,5 hectares, rendant ainsi inutile l'enceinte romaine vieille de treize siècles.

Évolution du vocable de Gratianopolis vers Grenoble

Le vocable Gratianopolis, dont la déformation en français donnera Grenoble vers la fin du Moyen Âge, va lentement évoluer entre le IXe siècle et le XVIe siècle. On trouve trace des déclinaisons suivantes selon les siècles[20] :

  • du IXe au XIe siècle : Gratianopolitana et Gratiopolitane
  • au XIIIe siècle : Gracianopolis, Grainovol et Graynovol
  • au XIVe siècle : Graignoble, Gregnoble, Graygnovol, Greynovol et Grenovo
  • au XVe siècle : Gronopolis

Plusieurs faits expliquent cette évolution comme l'abandon du latin comme langue officielle au cours du XIIIe siècle, l'utilisation du francoprovençal comme langue vernaculaire, puis l'utilisation de la langue d'oïl véhiculaire[21].

En 1892, une thèse présentée à la faculté des lettres de Grenoble par l'abbé André Devaux et concernant la langue vulgaire du Dauphiné, précise que la première mention du suffixe noble remonte à 1339. Ainsi, au cours de cette année, les comptes des consuls de la ville rédigés en français mentionnent le vocable de Greynovol, et les archives de la chambres des comptes du Conseil delphinal mentionnent celui de Gregnoble[22], formé sous l'influence de nobilem[23].

Le nom latin de Gratianopolis devient définitivement Grenoble avec l'ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539 qui met un terme définitif à cette évolution linguistique, en instaurant l'utilisation de la langue française dans tous les actes administratifs.

Notes et références

  1. Selon Histoire de Grenoble et de ses environs, Pilot, 1829, page 12
  2. Selon le Musée de l'Ancien évêché
  3. Selon le Musée archéologique de Grenoble.
  4. Selon Anne Cayol-Gerin et Marie-Thérèse Chappert dans leur livre, Grenoble, richesses historiques du XVIe au XVIIIe siècle.
  5. Selon le livre de Gilbert Bouchard, L'histoire de l'Isère en BD, tome 2, page 39.
  6. Selon René Ripoll dans son livre Mémoires de Grenoble.
  7. Maurice Mercier dans son livre parle également d'une porte de l'Orme dans cette zone sans donner plus de précisions. Ces portes côté montagne probablement petites et discrètes n'ont pas dû avoir un rôle important.
  8. Selon le site Géologie Alpes.
  9. La carrière de pierre développée grâce au port de la Roche, va donner son nom à l'actuel quai Perrière.
  10. Ne pas confondre ces portes avec celles construites en 1615 et 1620 par Lesdiguières.
  11. Selon Anne Cayol-Gerin et Marie-Thérèse Chappert dans leur livre Grenoble, richesses historiques du XVIe au XVIIIe siècle.
  12. Une zone triangulaire dont les 3 sommets sont la place de Bérulle devant la passerelle Saint Laurent, le Musée de l'Ancien Évêché et la Tour de l'Isle.
  13. Conservé à la bibliothèque municipale, un plan de la ville de 1548 mentionne cette porte qui reste discrète dans l'histoire de Grenoble.
  14. On peut préciser porte Très-Cloître (version XIIIe siècle). En effet, 475 ans plus tard, en 1593, l'agrandissement Lesdiguières va aussi créer une porte Très-Cloître (version Lesdiguières cette fois) à l'autre extrémité de la rue Très-Cloître, et qui sera démolie en 1834. À la même époque, le général Haxo construit une porte appelée également Très-Cloître dans l'actuelle rue Malakoff. Cette dernière porte est encore visible de nos jours.
  15. Selon Édouard Brichet et Henry Rousset, Histoire illustrée des rues de Grenoble.
  16. Appelée porte Jovia durant tout l'empire Romain. Voir l'article Cularo.
  17. Selon Maurice Mercier dans Histoire des fortifications de Grenoble, p.44
  18. Conservé à la Bibliothèque municipale de Grenoble.
  19. Selon Gilbert Bouchard dans histoire de l'Isère en BD, tome 2.
  20. Selon Eric Tasset, Châteaux forts de l'Isère, page 302.
  21. Le suffixe noble apparaît au cours du siècle où le Dauphiné est rattaché au royaume de France (1349).
  22. Archive de la thèse de l'abbé Devaux., page 217, qui s'appuie sur le linguiste Paul Meyer dans sa revue Romania.
  23. Wiktionnaire

Voir aussi

Bibliographie

  • Édouard Brichet et Henry Rousset, Histoire illustrée des rues de Grenoble, Éditeur J. Baratier, 1893
  • Maurice Fournier, Histoire des fortifications de Grenoble, Grenoble, Imprimerie Guirimand, 1976
  • Vital Chomel, Histoire de Grenoble, Toulouse, Éditions Privat, 1976
  • René Ripoll, Mémoires de Grenoble, Éditions l'Atelier, Gières, 1999
  • Renée Colardelle, Grenoble aux premiers temps chrétiens, L'Archéologue, Archéologie nouvelle, n°57, 2001-2002, p. 13-16 (ISSN 1255-5932)
  • Renée Colardelle, La ville et la mort, Saint-Laurent de Grenoble, 2000 ans de tradition funéraire, Bibliothèque de l'Antiquité tardive N° 11, Brepols Publisher, 2008, 413p. +DVD
  • Anne Cayol-Gerin et Marie-Thérèse Chappert, Grenoble, richesses historiques du XVIe au XVIIIe siècle, Éditions Didier Richard, Grenoble, 1991, ISBN 2-7038-0075-4
  • Gilbert Bouchard, L'histoire de l'Isère en BD, tome 2, Éditions Glénat, Grenoble, 2001, ISBN 978-2-7234-3338-9
  • Eric Tasset, Châteaux forts de l'Isère, Éditions de Belledonne, Grenoble, 2005, (ISBN 2-911148-66-5)

Articles connexes

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