- Fumage
-
Le fumage est une technique de conservation et d'aromatisation des aliments, consistant à exposer les denrées à la fumée.
Sommaire
Description
L'opération consiste principalement à soumettre une denrée alimentaire à l'action des fumées qui se dégagent lors de la combustion de certains végétaux. À l'origine, le but recherché était d'agir sur la durée de conservation du produit traité : c'est ainsi qu'à côté de la salaison et du séchage, le fumage appartient au groupe des trois procédés les plus anciens de conservation des denrées alimentaires. Par la suite, la recherche principalement d'une qualité gustative, et accessoirement, celle d'un mode de présentation du produit ont prévalu.
Le fumage joue donc plusieurs rôles : aromatisation et coloration du produit, préservation du produit (effet anti-microbien), durcissement de la texture (par exemple la modification des constituants protéiques du boyau par les composants présents dans la fumée). Le fumage peut se faire à froid (12-25 °C), à chaud (50-85 °C : dénaturation des protéines et destruction des micro-organismes) ou à une température intermédiaire (25-50 °C : activation des enzymes endogènes améliorant la tendreté du produit).
Fumage de la viande
Le fumage, ajouté à la conservation par séchage, modifie les qualités organoleptiques de la viande : il change sa coloration et son arôme, et durcit sa texture.
La fumée produite par la combustion du bois contient des substances fongistatiques qui inhibent la croissance des moisissures et des levures à la surface du produit ; un léger fumage peut être utilisé durant la période de stockage de la viande séchée, en particulier dans des conditions climatiques humides. L’effet conservateur du fumage n’est toutefois pas très important lors du stockage du produit s’il n’existe pas de chaine de froid[1].
Si un fumage intense peut augmenter considérablement la durée de vie d’une viande, il a également un effet défavorable sur la saveur et donc sur la qualité, notamment dans le cas d’un stockage prolongé pendant lequel vont se développer des arômes de fumée goudronneuse de plus en plus désagréables.
Selon la FAO, le fumage, en tant qu’agent conservateur, doit être considéré comme une mesure d’urgence lorsqu’aucune autre méthode de conservation ne peut être effectuée. Cette méthode peut être utilisée par temps humide ou dans un climat humide, ou quand la préservation doit être effectuée aussi vite que possible pour pouvoir immédiatement transporter la denrée (par exemple après une chasse). Le fumage intensif combine :
- l’effet de séchage par réduction de la teneur en eau par l’air chaud ;
- la condensation des particules de fumée à la surface de la viande ;
- leur pénétration dans les couches internes du produit[1].
Des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) peuvent se trouver dans les viandes fumées (ou grillées) ; le jambon fumé peut contenir jusqu’à 3 µg de benzo(a)pyrène/kg mais la réglementation accorde une teneur maximale de 1 µg/kg de ce produit dont le pouvoir mutagène et cancérigène a été prouvé[2].
La pratique ancestrale du fumage s’est faite en Europe
- soit dans un local réservé à cet effet lorsque la production dépassait les besoins familiaux[3] ;
- soit tout simplement dans la cuisine ou dans la pièce où l’on vivait lorsqu’elle était pourvue d’une cheminée qui servait autant à chauffer la pièce qu’à cuisiner et à fumer ; le tuyé en est un exemple.
Les viandes étaient suspendues à des barres de fer ou de bois fixées dans le conduit et, une fois fumées, terminaient leur séchage suspendues à des crochets[4] ou à des couronnes d’office dans un autre coin de la pièce.
En 1776, un auteur proposa très sérieusement de faire mentir le proverbe inutile comme une cheminée en été en utilisant celle-ci lorsqu’on n’y faisait pas de feu par le placement de portes en canevas pour en fermer le devant, du manteau jusqu’à l’âtre ; le canevas était destiné à laisser passer l’air mais pas les mouches. Les viandes suspendues dans le conduit devaient être enveloppées de plusieurs couches de linges mouillés, arrosés chaque jour ; dans l’âtre, des baquets recueillaient l’eau qui pouvait goutter. Le principe était de rafraichir les viandes par l’utilisation des courants d’air ascendants et descendants qui se produisent dans le conduit au fil de la journée[5].
Le fumage s’applique à :
- des viandes crues séchées (ex. : le Jambon de la Forêt-Noire, le Jambon de Njeguši, la Saucisse de Morteau) ;
- à d’autres « mi-cuites » lorsque la fumée est produite par du bois incandescent ;
- à d’autres préalablement salées (ex. : le Jambon d’Ardenne belge, protégé par le label IGP, le Jambon de Parme protégé par le label DOP, la Viande des Grisons, le brési) ;
- ou à des produits cuits comme le Gandeuillot.
Sont fumées d’autres viandes que celle du cochon dont le lard fumé caractérise la gastronomie traditionnelle de certaines régions (ex. : Cuisine lorraine). Par exemple : l’agneau qui intervient dans le Þorramatur viking, le canard (spécialité culinaire de la cuisine sichuanaise et de celle de l’Anhui), le cheval (qui, sous forme de Cico Cico, garnit les Tramezzini), etc.
Le choix du bois caractérise certains arômes ; dans le cas des fumés du Haut-Doubs, par exemple, il s'agit de bois de sapin.
À la Réunion, où l'on appelle « boucanage » la technique du fumage, on obtient le boucané.
Au Québec, le sandwich à la viande fumée est un mets traditionnel, hérité des immigrants juifs fondateurs de célèbres restaurants tels Ben's et Schwartz's.
Aspects historiques
Le fumage est utilisé aussi bien pour les viandes que les poissons depuis le IIe millénaire av. J.-C. en Europe. Il sèche et introduit le formaldéhyde, qui agit en tant que conservateur et change également le goût de la viande, augmentant sa saveur. Au Ier siècle, Columelle présente ses observations sur la saveur d'un fromage romain qui a été durci en saumure et puis fumé.
Langue française : fumage ou fumaison ?
Les auteurs ne s'accordent pas toujours sur le terme à utiliser. On ne trouve ces termes ni dans le Thesaurus linguae latinae de Estienne (1531), ni dans le Thresor de la langue françoyse de Nicot (1606) mais, par contre :
- Le Dictionnaire de l'Académie française, de 1762 à 1835, indique constamment que le fumage est l'opération par laquelle on donne une fausse couleur d'or à l'argent filé, en l'exposant à la fumée de certaines compositions. Il faut attendre la 8e édition de 1932[6] pour trouver un nouveau sens au terme (« Action d'exposer à la fumée. Le fumage des jambons, des harengs. Il se dit spécialement d'une Opération par laquelle on donne une fausse couleur d'or à l'argent filé, en l'exposant à la fumée de certaines compositions » et « Action de fumer une terre ou Résultat de cette action. Le fumage d'un champ. »). L'entrée « fumaison » n'est pas retenue par l'Académie.
- Le fumage, selon Émile Littré et son Dictionnaire de la Langue française par E. Littré de l’Académie française en 1873, possède un double sens : fumer les denrées alimentaires pour les conserver ou mettre du fumier dans une terre (pour la rendre plus fertile) ; la fumaison, selon lui, serait un terme rural, synonyme du fumage au deuxième sens.
- Pierre Larousse, dans le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, indique que le fumage consiste à exposer l'aliment à la fumée pour le conserver ; la fumaison serait l'exposition à la fumée d'aliments en général préalablement salés, et aussi l'ajout de fumier aux terres.
- Pour l'Atilf et sa base historique du vocabulaire français, le fumage est l'action d'exposer une denrée à la fumée pour en assurer la conservation tandis que la fumaison est le procédé de conservation par fumage…
- Le Dictionnaire d’agriculture du Cilf, qui a pour tâche d'enrichir la langue française et de favoriser son rayonnement en gérant les ressources de la langue française et de la francophonie signale que le fumage est l'« opération qui consiste à exposer dans un fumoir une substance alimentaire à l'action prolongée de la fumée pour assurer sa conservation. Fumaison s'applique plutôt à la viande et fumage au poisson. »
- Le Dictionnaire de l’Océan du même Cilf écrit que le fumage est une technique de conservation du poisson par un traitement à la fumée de feu de bois, et que son synonyme est saurissage.
- Le Dictionnaire des industries du Cilf affirme que le fumage est le procédé de conservation de produits alimentaires traités à la saumure par la fumée tandis que la fumaison est le traitement de la viande et du poisson par la fumée de bois en vue de la conservation.
- Le Dictionnaire d’histoire et de géographie agraires de Paul Fénelon, dépendant du Cilf encore, ajoute aux deux sens de fumage (conservation des denrées et action de fumer les terres), le sens de « période où l'on fume les terres » et affirme que la fumaison est l'« incorporation de fumier à une terre à labourer, ou à une prairie que l'on veut améliorer ».
- Selon le Dictionnaire culturel en langue française, le fumage est l'« action d'exposer à la fumée (des aliments, pour les conserver) » et la fumaison l'« ensemble des procédés de conserve par fumage » ou la « durée de l'opération de fumage ». Ces deux termes qualifient également d'ajouter du fumier à une terre.
Les spécialistes en gastronomie eux-mêmes utilisent fumage et/ou fumaison :
- Pour Jules Favre (Dictionnaire universel de Cuisine, circa 1891), il n'est question que de fumage pour la conservation des aliments.
- Idem pour Jules Trousset dans sa Grande encyclopédie d'économie domestique et rurale.
- Par contre, le Dictionnaire de l'Académie des Gastronomes de 1972 indique fumage et fumaison dans un même sens (conservation des aliments).
Autres utilisation du terme « fumage »
Le Grand dictionnaire terminologique indique que fumage s'emploie également dans d'autres sens :
- comme synonyme de fumigation : « Traitement des semences ou de jeunes plantes dans le but d'éliminer divers parasites. On y introduit de la vapeur contenant un désinfectant. Traitement de stérilisation chimique des couches de semis de tabac avant ensemencement. »
- « Action d'aspirer la fumée d'un produit du tabac. »
- « Combustion d'un produit à fumer. »
Art
Le fumage est aussi une technique artistique surréaliste, proposée par Wolfgang Paalen (voir fumage).
Notes et références
- ISBN 92-5-102744-7), p. 48. Manual on simple methods of meat preservation, FAO, 1990 (
- ISBN 2-8041-4626-X), p. 56, 158, 120, 212, 214. Franz-Xaver Reichl, trad. Robert Perraud et Eduard Krahé, Guide pratique de toxicologie,2e éd., De Boeck, Bruxelles, 2004, 368 p., (
- ISBN 978-2-84867-187-1), p. 139 à 143. Sabine Deschler-Erb, Viandes salées et fumées chez les Celtes et les Romains de l’Arc jurassien, dans Cécile Bélet-Gonda, Jean-Pierre Mazimann, Annick Richard et François Schifferdecker, Premières Journées archéologiques frontalières de l’Arc jurassien. Mandeure, sa campagne et ses relations d’Avenches à Luxueil et d’Augst à Besançon, Actualités archéologiques régionales, Presses universitaires de Franche-Comté, 2007, 320 p. (
- ISBN 2-8021-0074-2), p. 158. Architecture rurale de Wallonie. Ardenne centrale, Mardaga, Liège, 1987, 247 p. (
- M. Franklin, Usage des cheminées en été, dans L’esprit des journaux, Bruxelles, Liège, octobre 1776, 432 p., p. 337.
- Nous n'avons pu consulter la 7e édition.
Voir aussi
Liens internes
Liens externes
- Portail de l’alimentation et de la gastronomie
Wikimedia Foundation. 2010.