- Fantasy Dans La Littérature De Jeunesse En Français
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Fantasy dans la littérature de jeunesse en français
Contrairement à une idée répandue, la fantasy française existait avant les grandes influences anglo-saxonnes, J. R. R. Tolkien ou J. K. Rowling. La France est en effet réputée peu accueillante pour la création de mondes imaginaires, et l’esprit cartésien y tuerait toute velléité de magie. Cependant, sous le masque de l’insolite ou du merveilleux, une fantasy aux visages multiples a fleuri tout au long du XXe siècle. Largement occultée, elle permet pourtant de jouer le rôle d’alternative à des modèles limités, de remettre en cause la mainmise anglo-saxonne sur l’imaginaire, mais aussi de redécouvrir plusieurs œuvres sous un autre jour.
Sommaire
Les précurseurs
Les spécialistes français de la fantasy mettent souvent en avant la vogue du conte de fées littéraire née au XVIIe siècle, représentée entre autres par Madame d’Aulnoy (Les Fées à la mode, 1697) ou Mme Leprince de Beaumont (« La Belle et la Bête »). La comtesse de Ségur écrit des pastiches réussis de ces contes (Les Nouveaux Contes de fées : « Histoire de Blondine, Bonne biche et Beau Minon », « La Cabane enchantée », « Le Bon Petit Henri », 1856). Leur particularité réside dans l’importance accordée aux artifices du merveilleux, dont les détails participent pour une large part au plaisir de lecture. On peut y voir, déjà, l’émergence d’un trait essentiel de la fantasy.
Il faut attendre les récits allégoriques pour enfants d’André Maurois (Le Pays des trente-six mille volontés (1928), Patapoufs et Filifers) pour trouver des pays imaginaires plus ou moins imprégnés de magie. Les œuvres d’Henri Bosco, écrites d’abord pour les adultes, portent un mystère teinté de magie païenne : L’Âne Culotte (1937) est proposé à la jeunesse sous forme tronquée, et L’Enfant et la rivière (1945) connaît un succès qui ne se dément pas.
C’est Marcel Aymé qui reprend le topos merveilleux des animaux parlants pour l'adapter à un cadre contemporain. Les Contes du chat perché (1934-1946) créent un monde proche de la fantasy, avec parfois la plongée dans d’autres mondes (« Les Cygnes »). Les jouets vivants apparaissent également en littérature de jeunesse. Colette écrit L'Enfant et les sortilèges pour Ravel (1925), et à la suite de Winnie l'ourson d'A. A. Milne, Marie Colmont et Feodor Rojankovsky créent l'album Michka en 1947. Cet ours en peluche doué de vie inspire une longue série d'albums pour enfants, parmi lesquels on peut citer Mitch de Grégoire Solotareff et Nadja (1988).
Enfin, André Dhôtel, grand admirateur de Mervyn Peake, donne avec Le Pays où l’on n’arrive jamais (1955) un classique indémodable sur le pays mouvant et inaccessible qu'une profonde nostalgie cherche inlassablement, annonçant quelque part Le Parlement des fées de John Crowley ou les œuvres de Jonathan Carroll.
En reprenant la forme du conte pour la moderniser et lui donner un tour personnel, Pierre Gripari ouvre une voie royale à la fantasy. Les Contes de la rue Broca (1967) allient drôlerie et gravité, très loin des contes poétique d’Oscar Wilde. Il contribue aussi à discréditer une tendance parallèle, la floraison de féeries évanescentes, dont les œuvres de Catherine Kar sont un bon exemple. Marie-Aude Murail en moquera la mièvrerie dans son essai Continue la lecture, on n’aime pas la récré, avant de sacrifier à la fantasy à travers la légende médiévale de l’enfant enlevé par les fées (Le Changelin).
Les pionniers
A partir d’une intrigue de science-fiction, Jean-Pierre Andrevon crée en fait un véritable monde de fantasy avec Les Hommes-machines contre Gandahar (1969), devenant peut-être le premier livre de fantasy jeunesse issu de la tradition SF, comme aux Etats-Unis. Un langage riche décrit une société imaginaire proche de la nature et d’un grand charme. De même, L'Enchanteur (1984), ou la vie de Merlin revue et corrigée par René Barjavel, séduit les adolescents, tout en suivant le courant arthurien de la fantasy, après l’œuvre de Terence Hanbury White (Excalibur, l'Épée dans la pierre, 1938) et Marion Zimmer Bradley.
Précédemment, des livres écrits pour les adultes étaient ensuite reversés en littérature jeunesse. A la création de la collection « folio junior » chez Gallimard, Claude Roy donne un premier titre fantaisiste : La Maison qui s’envole (1977) imagine avec poésie le départ d’une maison qui s’ennuie. En France, c’est surtout de magie des mots qu’il s’agit. Les Enfants de l'été de Robert Sabatier (1977), en contant les vacances de deux enfants en Provence, propose une véritable synthèse de l'imaginaire : ils voyagent dans la féerie, la BD, la SF, etc. Marcelle Lerme-Walter emprunte quelques traits magiques (le pouvoir de voler, une sorcière malfaisante) pour emmener ses Voyageurs sans souci (1979) le long d’un récit plus traditionnel. C’est Rémi Laureillard qui crée tout un monde de nains et de géants, de fées et de monstres, excellemment illustré par Morgan, un monde original et tendre malheureusement méconnu : Fred le nain et Maho le géant (1978) ; Une fée sans baguette (1979) ; Les Terribles Zerlus (1986).
Chemins divers
Jean-Pierre Andrevon retrouve une fantasy ambiguë en livrant La Fée et le géomètre (1982) illustrée par Bilal, qui est un peu une fantasy à rebours : c’est le monde réel qui envahit un monde merveilleux de lutins, fées et sirènes, apportant corruption et destruction. Le roman inaugure la catégorie jeunesse du Grand Prix de l'Imaginaire. Les Princes de l’exil (1984) de Nadèjda Garrel est aussi un exemple de fantasy ambitieuse : deux pays imaginaires y sont séparés par une frontière aux effets mystérieux, que va franchir un prince exilé. Le couple qui signe Michel Grimaud donne avec Le Jour du Gombo (1985) un nouveau récit à la symbolique forte et au contexte épuré. Souvent, la littérature française propose une fantasy minimaliste, qui ne développe pas vraiment les éléments magiques d’un monde par ailleurs peu décrit.
De son côté, Janine Chardonnet écrit Le Trolkis de Wawagoya (1982) puis Dans les brumes de Wawagoya (1984), présentant de petits êtres sympathiques (nanoukis, djinns, Séneçon), inspirés de Tove Jansson, effrayés par des mystères transparents. Les éléments déployés dans le récit (passé inconnu, écriture imaginaire) reviendront dans la nouvelle vague de fantasy. Plus récemment, Yak Rivais, maître de l’humour noir et des jeux sur les mots, crée des histoires farfelues à mi-chemin du fantastique et du merveilleux avec ses Nouveaux Contes de la rue Marcel Aymé (1986-1990) dont le surtitre rend hommage à l’un de ses prédécesseurs. A noter enfin les contes d'Emmanuelle et Benoît de Saint Chamas, notamment leurs "Contes de l'Alphabet" (Prix Saint Exupéry 2000), à la fois indépendants et reliés les uns aux autres par un fil conducteur qui créent un univers imaginaire cohérent, entre magie et réalité.
On ne saurait omettre le fabuleux travail d’iconographie de l’imaginaire fourni dans l’illustration, la bande dessinée et l’animation, mais un simple rappel prendrait trop de place.
Influence anglo-saxonne et renouvellement
C’est avec le succès de la fantasy anglo-saxonne que le merveilleux pour la jeunesse va prendre une cohérence nouvelle, autour des poncifs de la fantasy et de récits-phares. Le temps est toujours aux initiatives originales, comme Verte de Marie Desplechin, qui aborde le problème réaliste du divorce au sein d’une famille de sorcières. Il l’est aussi aux chefs-d’œuvre originaux, comme La rivière à l'envers (2000) de Jean-Claude Mourlevat, qui imagine des terres de magie et de poésie très inspirées. De son côté, Mathieu Gaborit compose ses Chroniques des Crépusculaires puis les Chroniques des Féals, tout à fait adaptées aux adolescents. Françoise Morvan imagine la vie des lutins et des sirènes, en s'inspirant des sources folkloriques. Édouard Brasey inventorie ce large patrimoine mythologique, légendaire et folklorique, inépuisable source d'inspiration des auteurs de fantasy, dans les trois tomes illustrés de son "Encyclopédie du merveilleux": "Des Peuples de la Lumière", primé en 2006 aux Imaginales d'Epinal par le Prix spécial du Jury et le Prix Claude Seignolle de l'Imagerie, "Du Bestiaire fantastique" et "Des Peuples de l'Ombre". Citons encore Le Grimoire d'Arkandias d'Éric Boisset, un classique faisant la part belle à l'humour.
Il faut aussi signaler l'oeuvre de Claude Ponti, inclassable mais qui emprunte énormément à la fantasy soft, comme on peut le voir dans des albums tels que Ma Vallée (1998).
Autour du succès fulgurant de Harry Potter, c’est à une véritable déferlante de séries de fantasy pour la jeunesse que l’on assiste : la recette de la réussite semble toute trouvée. Cela n’empêche pas l’ironie ou le recul critique. Erik L'Homme tente de renouveler la vision de la magie dans sa trilogie Le Livre des étoiles. Brigitte Aubert & Gisèle Cavali nourissent leur cycle Les Cavaliers des Lumières de mythologies ethniques en provenance de plusieurs continents, mais c’est la série Tara Duncan (à partir de 2003), de Sophie Audouin-Mamikonian, qui remet en cause le sacro-saint collège de magie. Des auteurs de science-fiction chevronnés se lancent dans la brèche, comme Serge Brussolo (Peggy Sue et les fantômes), Pierre Grimbert ou Laurent Genefort (série Alaet, à partir de 2000). Les révélations se succèdent : la série Tom Cox (2001) de Franck Krebs, Les Sortilèges d’Alinore (2002) de Madeleine Crubellier, La Quête d’Ewilan (2003) de Pierre Bottero. Malgré une naïveté persistante et l'usage quasi obligatoire de patronymes anglais, ces titres imposent une concurrence réelle aux séries traduites.
Rares sont les romans fantasy en un seul volume. "Le Secret de la Stèle Sacrée" (Emmanuelle et Benoît de Saint Chamas, éditions du Jasmin, 2007), compte parmi ces exceptions, en même temps qu'il renouvelle le genre du roman imaginaire pour la jeunesse, avec un univers inédit -sans magie- et une chute aussi spectaculaire qu'inattendue.
Liens externes
- « La Fantasy française » par Charlotte Albisser
- « A la Flamme de Kejik » blog édité par Kejik sur la Fantasy
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- Raymond Perrin, Littérature de jeunesse et presse des jeunes au début du XXIe siècle, L'Harmattan, 2007. Rééd. 2008
Catégories : Littérature d'enfance et de jeunesse | Fantasy
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