Découpage électoral

Découpage électoral

Le découpage électoral est un mécanisme couramment utilisé divisant le territoire en circonscriptions, chacune élisant leurs représentants. Souvent, ces représentants peuvent à leur tour élire des représentants à une échelle plus globale.

Sommaire

Principe

L'intérêt du découpage local est de permettre de décider localement les problèmes locaux. Consulter des citoyens sur un problème qui ne les touche pas risque en effet d'être inutile, voire néfaste si la population locale est la seule à souffrir de décisions prises à un niveau plus global.

Par exemple, organiser un référendum national sur la couleur des nouveaux réverbères de Trifouillis-les-Oies conduira probablement à un fort taux d'abstention. Par contre, organiser un référendum national sur le regroupement de tous les déchets du pays à Trifouillis-les-Oies conduira probablement à un score élevé du "oui" (le "oui" des communes trop contentes d'échapper à ce triste sort noyant le "non" des infortunés habitants de Trifouillis-les-Oies).

De nombreux modes de scrutin, dans divers pays, fonctionnent sur la base d'un découpage :

  • en France : élections législatives en France, élections sénatoriales, élections territoriales (2014), élections municipales des trois plus grandes villes (loi PLM) ;
  • aux États-Unis : les élections des assemblées ou des postes locaux, à tous les niveaux, le scrutin majoritaire étant généralisé.
  • au Royaume-Uni, en Australie : élections législatives (liste non-exhaustive)
  • au Japon : élections des deux chambres de la Diète

Évolutions

La population du pays variant dans le temps et l'espace, le découpage en circonscription doit évoluer afin d'essayer de maintenir un nombre de représentant par électeur identique dans toutes les circonscriptions. Cette tâche peut s'avérer délicate, d'autant plus que les divers partis en lice soupçonnent souvent tout nouveau découpage d'être un charcutage destiné à leur nuire (voir paragraphe suivant sur les limites du découpage).

Ainsi, l'Angleterre du XIXe siècle mit plusieurs décennies à régler le scandale des « bourgs pourris » (suite à la révolution industrielle, des régions rurales complètement dépeuplées par l'exode rural désignaient plusieurs députés alors que les nouveaux grands centres industriels comme Liverpool ou Manchester n'en avaient qu'un).

En France, le découpage en vigueur date de 1986 (il a été effectué par Charles Pasqua et n'est pas exempt de tous reproches), bien que le conseil constitutionnel en réclame un nouveau depuis 1998 pour tenir compte des évolutions démographiques. Il réitère cette réclamation depuis de nombreuses années, jugeant un nouveau découpage "impératif" lors de son dernier rappel en 2007. Entre temps, les loi d'Outre-mer de février 2007 ont permis la création de deux nouveaux sièges, à Saint-Martin et à Saint-Barthélémy. Enfin, la réforme constitutionnelle de 2008 a créé 12 sièges pour représenter les français de l'étranger. Après plusieurs reports, un nouveau découpage, controversé comme il se doit, a été présenté en juillet 2009 et devrait entrer en vigueur lors des élections législatives de 2012[1]. Il est nécessaire de savoir que, selon la loi du 11 décembre 1990, on ne peut modifier la carte avant électorale un avant une échéance électorale.

Limites

Les limites du découpage apparaissent lorsque les élus des circonscriptions du découpage sont appelés à prendre des décisions à un niveau supérieur à leur seule circonscription (par exemple, en France, lorsque les députés proposent des lois de portée nationale). Il faudrait en effet alors, idéalement, que ces élus locaux représentent la volonté du corps électoral dans son ensemble, du moins aussi bien que le ferait un système sans découpage (lequel a aussi ses limites, un référendum gagné à 51% faisant mécaniquement 49% de mécontents).

Le problème est que le nombre de représentant par circonscription étant plus faible que le nombre de votants, il y a un phénomène de seuillage. Par exemple, s'il y a un seul siège par circonscription, celui-ci sera obtenu par le parti qui gagne, et ceci que sa victoire soit serrée (auquel cas les nombreux votes allant aux autres partis sont perdus pour eux) ou large (auquel cas les votes qui lui permettent une victoire large par rapport à une victoire serrée auraient été plus utiles dans d'autres circonscriptions). Cet effet de seuillage diminue naturellement avec le nombre de sièges par conscription : plus il y a de sièges, plus on se rapproche d'un scrutin proportionnel. Ce problème peut en outre être volontairement exploité pour biaiser les élections grâce à un découpage ad-hoc des circonscriptions : on parle de charcutage ou de gerrymandering.

Pour illustrer ceci, considérons un pays fictif constitué de 100 habitants devant être découpé en 10 circonscriptions de 10 habitants chacune. Supposons que deux partis, les Rouges et les Bleus, s'affrontent dans un scrutin majoritaire à un tour et que les intentions de vote des habitants soient connues à l'avance[2] : 40 sont pro-Bleu tandis que 60 sont pro-Rouge. Dans le cas idéal, 4 des 10 circonscriptions sont donc gagnées par les Bleus et 6 par les Rouges, de sorte à avoir parmi les représentants des circonscriptions le même rapport de force qu'au sein de tout l'électorat (voir dessin ci-dessous).

Découpage idéal (contours verts) : les circonscriptions sont gagnées (à droite) selon les mêmes proportions que dans l'électorat (à gauche), i.e., 4 Bleus pour 6 Rouges.

Mais il se peut que les circonscriptions soient découpées de sorte à ce que les Rouges, majoritaires au sein de l'électorat, gagnent toutes les circonscriptions . Le parti Rouge sera donc sur-représenté (voir dessin ci-dessous).

Découpage biaisé en faveur du parti Rouge, qui remporte toutes les circonscriptions.

Inversement, il se peut que les circonscriptions soient découpées de sorte à ce que les Rouges gagnent très largement 4 circonscriptions (on parle parfois de fief) mais perdent de peu les 6 autres. Le parti Rouge sera donc sous-représenté (voir dessin ci-dessous).

Découpage biaisé en faveur du parti Bleu, qui remporte plus de la moitié des circonscriptions bien qu'il soit minoritaire dans l'électorat.

Des élections réelles ont été ainsi biaisées, que ce soit involontairement ou non (ce qui fait rarement consensus). On peut, par exemple, citer les cas suivants :

  • l'élection du gouverneur du Massachusetts en 1811, Elbridge Gerry, qui fut accusé d’avoir « dessiné » une circonscription en forme de salamandre afin de favoriser son parti, ce qui fut désigné par le néologisme gerrymandering ;(du nom du gouverneur du Massachusetts qui, en 1812, avait découpé les circonscriptions de manière à ce qu'il soit certain d'avoir la majorité dans chacune d'entres elles; tant et si bien que les États avait la forme de salamandre, salamander en anglais)
  • les élections présidentielles américaines de 1876, 1888 et 2000, où les démocrates, bien que majoritaires dans l'électorat, furent battus à cause du découpage des états[3] ;
  • le dernier découpage français, qui devrait entrer en vigueur en 2012, est accusé par la gauche de favoriser la droite[4] ;

Cas particuliers

Aux États-Unis

Article détaillé : gerrymandering.

En Europe

Dans la plupart des pays européens, les élus sont désignés au scrutin proportionnel, ou selon un mécanisme de compensation. Il reste toutefois des moyens de disproportion tels que :

  • l'introduction d'un seuil électoral ;
  • le choix de la méthode de répartition ;
  • le faible nombre de sièges ;
  • le choix du nombre et de la taille des circonscriptions, ce qui crée des seuils électoraux de fait en certaines régions, sorte d'adaptation du découpage au scrutin proportionnel.

Deux pays laissent au gouvernement le soin de découper les circonscriptions :

En France

Scrutin législatif

La Ve république ré-institue le scrutin majoritaire à deux tours en 1958. Des circonscriptions sont alors créées, puis à chacune des évolutions de l'organisation territoriale des années suivantes.

Ensuite, les circonscriptions ont été redessinées deux fois par le gouvernement : en 1987 (dirigé par Charles Pasqua), en 2009 (par Alain Marleix). La modification de la loi électorale n'étant pas conditionnée à une majorité qualifiée, le « charcutage » n'est limité en droit que par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Celle-ci a précisé plusieurs points :

  • 86-208 DC : outre que le gouvernement peut légiférer par ordonnance et sans loi organique préalable, le Conseil impose une Assemblée élue sur des « bases essentiellement démographiques », principe dont les exceptions, d'intérêt général, doivent être limitées
    • réserve de ne pas découper à l'intérieur des cantons de moins quarante mille habitants[5]
    • la représentation de deux députés peut être motivée par un « lien étroit entre l'élu et les électeurs », d'autant plus que peu de départements sont concernés ; à la condition que le législateur n'accroisse pas les inégalités de représentation.
  • 86-208 DC : le Conseil constitutionnel ne se juge pas apte à apprécier et à décider autant que le Parlement, et donc à juger de l'équité du découpage ;
  • 2003-475 DC : la nouvelle répartition des sièges au Sénat, selon un système par tranches, est justifiée, d'autant plus que globalement, le nouveau découpage est un progrès, « pour regrettable » que la réforme ait omis de redécouper la Creuse et Paris
  • 2008-573 DC : contrôle de la loi qui met en place la Commission de délimitation, dont la convocation est nécessitée par la révision constitutionnelle de 2008
    • le plancher du nombre d'élus par département, fixé à nouveau à deux, devient contraire à la Constitution : avec les résultats du nouveau recensement et le plafonnement du nombre de députés à 577, le plancher n'est plus justifié par un impératif d'intérêt général.
    • les collectivités d'outre-mer peu peuplées ne sont pas destinées à avoir leur propre circonscription, sauf « particulier éloignement »
  • 2010-602 DC : nouvelle loi parue
    • la situation géographique et statutaire d'une collectivité est justifié dans le cas de Saint-Barthélémy et de Saint-Martin, que la nouvelle loi détache des circonscriptions de la Guadeloupe ;
    • le Conseil n'est pas plus compétent qu'en 1986 pour évaluer la qualité du découpage.

Scrutins locaux

Les circonscriptions sont parfois appelées cantons ou arrondissements.

Déjà, le décret du 10 septembre 1926, réduisait le nombre d'arrondissements et les redécoupait non sans calcul politique.

Les scrutins locaux sont réformés en 2010, en vue de diviser par deux le nombre d'élus des départements et des régions. À compter de 2014, les conseillers généraux et régionaux sont élus territoriaux, certains siégeant aux deux assemblées ; les cantons doivent alors être redécoupés.

Chambre des communes britannique

Voir aussi

Bibliographie

  • Cet article est partiellement ou en totalité issu de l'article intitulé « Gerrymandering » (voir la liste des auteurs).
  • M. Balinski et M. Baïou, Découpage électoral, Pour la science, 294 (2002) pp. 60-64.

Références

  1. Découpage électoral : un projet toujours controversé
  2. Ce qui est assez souvent le cas par exemple à l'échelle d'un quartier, selon sa composition socio-professionnelle ou les résultats des dernières élections.
  3. Voir Liste des résultats des élections présidentielles américaines#1864-1880, 1884-1892 et 2000-2004
  4. Un redécoupage électoral vraiment sur mesure ?, L'Express, 14 décembre 2009.
  5. [www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1986/86208dc.htm Décision no 86-208 du 2 juillet 1986 à propos de la loi relative à l'élection des députés et autorisant le Gouvernement à délimiter par ordonnance les circonscriptions électorales]

Wikimedia Foundation. 2010.

Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Découpage électoral de Wikipédia en français (auteurs)

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