- Découpage Électoral
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Découpage électoral
Dans le cadre d'un vote, le regroupement des électeurs représente un élément qui peut être décisif, et toujours très sensible. Cela est bien connu depuis l'Antiquité romaine avec le vote des comices tributes. Lorsque la base du regroupement est géographique (circonscriptions électorales), ce regroupement est le découpage électoral.
Sommaire
Introduction
Ce type de regroupement est le plus fréquent. Il se justifie
- lorsque la décision à prendre à un effet sur un espace géographique limité, de sorte que rien ne justifie de prendre en compte l'opinion de citoyens étrangers à ce secteur (exemple : scrutin municipaux)
- lorsqu'on souhaite, symboliquement, montrer que toutes les zones géographiques sont associées à la décision par un représentant (exemple : élections des députés pour les chambres basses).
En contrepartie, dans le second cas, en général tous les électeurs n'ont pas un poids équivalent, dans le sens où selon la circonscription il faut un nombre différent de voix pour être élu. Ceci parce que les circonscriptions les moins peuplées ont toujours au moins un représentant, même si elles ont peu d'habitants, et qu'il faudrait alors un nombre excessif de représentants pour les zones les plus peuplés si on considérait qu'il faut partout le même nombre de voix pour être élu. Cette caractéristique est considérée comme un défaut, mais un défaut d'importance limitée.
Pour que le système soit juste et traduise correctement la volonté du corps électoral dans son ensemble, on demande surtout deux choses :
- que chaque électeur ne vote que dans une seule circonscription, afin de n'avoir qu'une seule voix.
- que deux circonscriptions semblables aient un nombre semblable d'élus, croissant avec la quantité d'électeur, et autant que possible proportionnel
En outre, il est bon que le parti qui obtient le plus de voix obtienne aussi le plus de postes, mais ce n'est ni une règle juridique ni un impératif moral ; les deux règles précédentes et une relative homogénéité de la population suffisent généralement à rendre rare les cas où le parti arrivé en tête en voix ne le soit pas en élus. Cependant l'arrivée au pouvoir d'un parti qui aurait obtenu sensiblement moins de voix que son adversaire pourrait certainement provoquer une crise majeure ; ce serait probablement signe que le découpage électoral avait depuis longtemps besoin d'un redécoupage, que le gouvernement n'aurait pas fait, signe d'un système politique malsain.
Le premier élément est relativement facile à contrôler : par des systèmes de listes, de cartes électorales à présenter et de pièces d'identité ; par un marquage à l'encre de l'électeur ; etc.
Le second est également facile à mettre en place let à contrôler ors du découpage initial, mais il est toujours beaucoup plus difficile à corriger : la population évolue graduellement, et le système politique résiste aux ajustements rendus nécessaires. Ainsi, l'Angleterre du XIXe siècle mit-elle plusieurs décennies à régler le scandale des « bourgs pourris » (suite à la révolution industrielle, des régions rurales complètement dépeuplées par l'exode rural désignaient plusieurs députés alors que les nouveaux grands centres industriels comme Liverpool ou Manchester n'en avaient qu'un). En France, le dernier redécoupage date de 1986, le conseil constitutionnel en réclame un nouveau depuis 1998 pour tenir compte des évolutions démographiques ; tous les gouvernements repoussent l'échéance.
Le découpage électoral est donc un exercice délicat, mais qui, réalisé astucieusement, peut permettre aux politiciens au pouvoir d'améliorer leurs chances de succès : on parle alors de charcutage électoral ou encore de saucissonnage électoral.
Les électeurs peuvent être très sensibles à cet aspect, au point de sanctionner le gouvernement simplement à cause du découpage. Mais ce sont les élus qui sont les plus concernés : les élus actuels sont très attentifs à l'évolution de leur circonscription d'origine. Les gouvernements sont donc toujours très prudents, ce qui explique le délai parfois aberrant de prise en compte des évolutions démographiques. La solution est souvent d'augmenter le nombre d'élus, de façon à ne jamais réduire en apparence le poids d'une région et à ne pas mécontenter les élus actuels.
Que cela résulte d'un choix délibéré du responsable du découpage, ou simplement d'une évolution naturelle non corrigée, la notion la plus importante est celle de fief électoral : concentration d'électeurs d'un parti dans une zone, qui assure (presque) en toutes circonstances la réélection du sortant ou, à défaut, l'élection d'un successeur qu'il aura lui-même choisi (du même parti).
Fief électoral
L'effet d'un fief est complexe, il est composé de trois effets non concordants :
- l'assurance pour le parti d'obtenir au moins un élu,
- mais, inversement, une certaine réduction des chances pour le parti d'obtenir des élus dans le reste de la zone.
- un poids politique du détenteur du fief : assuré d'être toujours élu, il s'impose plus facilement contre les concurrents du même parti mais qui n'ont pas la chance de tenir un fief et qui se retrouvent battus aux élections lorsqu'un parti adverse à l'avantage. Cela compte dans la progression au sein du parti, cela compte aussi lorsque c'est l'adversaire qui est au pouvoir, et cela compte beaucoup dans le prochain découpage : l'élu est en position de hurler au charcutage et à la magouille si on touche à sa circonscription d'une façon qui ne lui convient pas.
Ainsi,
- dans les zones où l'adversaire est de toute façon majoritaire, il est intéressant d'avoir des fiefs électoraux, qui équilibrent les résultats et annulent l'avantage adverse.
- au contraire, dans les zones où on est majoritaire, il est intéressant d'homogénéiser les résultats et donc de ne pas constituer de fiefs. Cependant, il faut compter avec l'influence des élus du parti, qui, eux, auront intérêt à assurer leur future élection en disposant d'un fief.
- en outre, il faut tenir compte des instabilités du corps électoral : si, en moyenne, une zone est favorable à un parti, il existe toujours des petites évolutions autour de cette moyenne à chaque élection. Les fiefs sont toujours beaucoup moins sensibles à ces évolution que les zones peu marquées.
Globalement, les gouvernements ont donc tendance à constituer des fiefs : c'est leur intérêt pour les zones défavorables, et c'est un résultat de l'influence des élus qui les soutiennent.
Par exemple dans une zone qui doit élire deux députés et qui compte 94 électeurs « ronds » et 106 électeurs « carrés »
- le parti « carré » a intérêt à l'existence de deux circonscriptions semblables, comptant 47 électeurs « ronds » et 53 électeurs « carrés », ce qui lui assure deux élus. Le parti carré ne gagne rien à une petite évolution en sa faveur (il a déjà le maximum), alors que le parti rond conserve la possibilité de renverser la situation.
- le parti « rond » a intérêt à l'existence de deux circonscriptions dissemblables, deux fiefs, par exemple le premier comptant 54 électeurs « ronds » et 46 électeurs « carrés », ce qui lui assure un élu, et le second comptant 40 électeurs « ronds » et 60 électeurs « carrés », ce qui laisse une circonscription perdue inévitablement acquise au parti carré. Dans ce cas, il faut un mouvement de très grande ampleur pour faire basculer l'un des deux fiefs.
Manipulations de la carte électorale
Le charcutage électoral est possible dans tous les systèmes électoraux basés sur une élection dans des circonscriptions, qu'il soit majoritaire ou proportionnel (quand il y a peu de sièges à pourvoir par circonscription). Cependant, son efficacité est renforcée, comme nous le verrons dans notre exemple, dans les élections au scrutin majoritaire, scrutin majoritaire uninominal à deux tours français mais surtout first past the post anglo-saxon. On peut dire qu'un scrutin proportionnel avec plus de 5 sièges à pourvoir élimine tous les risques de charcutage électoral.
Il y a deux techniques (en supposant qu'on ne profite pas des écarts de populations entre circonscriptions, soit en raison d'impossibilités légales, soit en raison des risques politiques):
- dans les zones favorables, on homogénéise par la technique du « camembert », qui fait ressembler toutes les circonscriptions à un modèle réduit de la zone (par exemple un morceau de centre-ville, un morceau de banlieue, un morceau de campagne). Ainsi, on maximise les chances d'un « carton plein » : obtenir tous les députés de la zone,
- au contraire, dans les zones défavorables, on met en place un découpage très typé (par exemple une circonscription pleine de HLM et de cités ouvrières, et une circonscription rurale avec les faubourgs aisés).
Le charcutage électoral est souvent désigné par le mot américain gerrymandering, mot valise formé du nom de Elbridge Gerry, gouverneur du Massachusetts qui a utilisé cette technique en 1812 dans l'objectif de favoriser le parti démocrate-républicain, et du mot anglais salamander (salamandre), le découpage effectué par ledit gouverneur ressemblant à une salamandre sur une carte.
Le découpage d'un pays en circonscriptions soulève, mise à part le poids important de la représentativité, le probèlme inhérent à tout découpage territoriale d'un État; la notion d'identité qui est elle meme liée à la notion de solidarité. Effectivement, il est important de préserver la diversité culturelle au sein d'un pays: de nombreuses coutumes ne concernent, en réalité, que certaines parties du territoire et le découpage territorial peut parfois être assimilé à une sorte de rempart contre la disparition de ces coutumes. De plus notons que cette notion identitaire - qui n'est en principe pas juridique- peut jouer un rôle crucial: elle peut servir à légitimer un redécoupage territorial alors qu'en réalité, il ne s'agit que de gerrymandering...C'est d'ailleurs tout le débat qu'a soulevé le projet du président de la République Nicolas Sarkozy de supprimer ce qui peut être considéré comme l'échelon le plus pertinent pour répondre aux enjeux de solidarité: le département. D'un point de vue juridique, notons aussi que chaque échelon du découpage territorial représente pour les citoyens un moyen de plus de manifester leurs opinions politiques par le biais d'une élection; ainsi, il leur est possible de légitimer encore plus un gouvernement en place ou de le nuancer en élisant des représentants locaux qui appartiennent à l'opposition. Il ne faudrait pas non plus croire que plus il y a d'échelons, mieux c'est, mais plutôt de mettre en valeur que les échelons sont nécessaires, qu'ils s'inscrivent dans un courant majeur de décentralisation notamment depuis la les lois de 1982 et 2003, mais que le plus dur est de réussir à trouver une juste mesure.
Le découpage le plus équitable
Ces deux systèmes permettent de représenter les majorités le plus équitablement possible :
- Le système où toutes les circonscriptions sont composées de la même façon (découpage homogène des circonscriptions). Ainsi un parti qui obtiendrait 51% aurait 51% des voix dans 100% des circonscriptions (et remporterait tous les sièges) et l'élection ressemblerait à un scrutin de liste majoritaire national.
- Le système où on représente toutes les tendances en regroupant une certaine catégorie dans un certain nombre de circonscriptions qui correspondent à son effectif (découpage de circonscriptions homogènes). Ainsi un parti qui obtiendrait 51% aurait 100% des voix dans 51% des circonscriptions (et aurait ainsi une courte majorité) et l'élection ressemblerait à un scrutin de liste proportionnel national.
Ces deux systèmes sont tous deux utopiques, et souvent le découpage est un mélange de ceux-ci. En effet la plupart du temps le parti gagnant a beaucoup plus de sièges que de voix, mais il possède cependant rarement plus que 75% des sièges.
Dans tous les cas, on peut constater que la manipulation consiste à mélanger ces deux systèmes en appliquant pour son propre parti le système 1 (ainsi on augmente le plus possible le nombre de circonscriptions susceptibles d'être remportées de justesse) et pour le parti adverse le système 2 (en lui assurant une écrasante majorité dans peu de circonscriptions)
Exemples fictifs
Ces exemples détaillent tous les problèmes du scrutin par circonscriptions , et les paradoxes qui en résultent. Dans tous les exemples, le découpage respecte la population.
Majorité des sièges opposée à la majorité des voix
Ces exemples démontrent qu'avec un découpage particulier, le parti majoritaire en voix peut obtenir moins de circonscriptions, et qu'un parti nettement minoritaire peut malgré tout en posséder une majorité.
Exemple 1 : Scrutin majoritaire
Nous imaginons le territoire de Gerryland :
Résultats des élections District Parti Bleu Parti Rouge 1 90 % 10% 2 40% 60% 3 90% 10% 4 40% 60% 5 40% 60% Le pays se prépare à une élection durant laquelle il doit élire 5 députés. Il compte 500 000 électeurs, dont 60% préfèrent l'opposition (en bleu) et 40% le pouvoir (en rouge). Il y a donc 3 partisans de l'opposition pour 2 de la majorité. De plus, la constitution oblige le législateur à respecter une parfaite équité entre les circonscriptions, qui ont toutes 100 000 électeurs. Le pouvoir dessine donc 2 circonscriptions fief pour l'opposition, où elle rassemble une grande partie de ses partisans, et dessine avec le reste du territoire 3 circonscriptions qui lui sont acquises.
Exemple 2 : Scrutin proportionnel
Résultats des élections District Parti Bleu Parti Rouge 1 70% (2) 30% (1) 2 45% (1) 55% (2) 3 70% (2) 30% (1) 4 45% (1) 55% (2) 5 45% (1) 55% (2) La constitution du pays dispose que le pays est divisé en cinq circonscriptions, qui envoient chacune 3 députés, les circonscriptions devant être de taille égale. Les partisans du pouvoir (rouges) sont 45%. Ils sont donc distancés de 10 points par l'opposition, qui contrôle 55% des votes. Encore une fois, le découpage des circonscriptions fait apparaître une autre majorité, avec 8 députés du parti rouge et 7 du parti bleu.
Exemple 3 : Scrutin majoritaire combiné à l'abstention
Le scrutin majoritaire est néanmoins beaucoup plus dangereux, comme le montre cette simulation :
Un pays fictif de 1 000 000 habitants est divisé en 100 circonscriptions de 10 000 habitants chacune. Il est dirigé par un gouvernement qui privilégie une minorité de 127 551 habitants, et défavorise l'écrasante majorité. Le gouvernement, très impopulaire, réalise le découpage le plus avantageux possible.
Lors des élections, 499 900 habitants (~50%) ont perdu toute confiance en la politique et s'abstiennent (l'abstention est égale dans chaque circonscription). Etant donné que la majorité de la population (500 100 hab.) a voté, l'élection n'est pas invalidée. Donc, à l'élection, 372 549 (74,5%) habitants (votent pour la coalition de l'opposition, et 127 551 (25,5%) pour le parti de gouvernement.
Mais, grâce au découpage des circonscriptions, le parti de gouvernement obtient 2501 voix (sur 5001, donc la majorité) dans 51 circonscriptions ( 2501 x 51 = 127 551 ), et aucune dans les 49 autres. La coalition de l'opposition, elle, obtient toutes les voix dans 49 circonscriptions, et 2500 voix (battue de justesse) dans le 51 autres ( 5001 x 49 + 2500 x 51 = 372 549 ).Ainsi, un parti qui n'est pas majoritaire mais possède plus de 12,5% des électeurs inscrits ou 25% des suffrages exprimés peut, grâce à un découpage habile, obtenir plus que 50% des sièges et ainsi garder la majorité. Sans besoin de recourir à la fraude électorale ou à un système de "bourg pourri". L'injustice est encore plus flagrante si l'opposition est divisée comme c'est très souvent le cas (avec un système de first past the post le parti peut n'avoir qu'une majorité relative et battre l'opposition, forte mais divisée).
Cela démontre que le système majoritaire est dangereux car il peut favoriser 1/4 des électeurs au détriment de l'écrasante majorité (3/4). Il faut donc qu'un parti obtienne plus que 75% des voix (ce qui est quasiment impossible) pour être sûr d'avoir la majorité. Ce cas est évidemment extrême et a très peu de chances de se réaliser, mais le risque potentiel existe.Cet exemple est tiré de cas concrets : aux États-Unis, aux élections présidentielles de 1876, 1888 et 2000, les démocrates, bien que majoritaires en voix, furent battus aux grands électeurs à cause du découpage des états.[1]
La favorisation des partis régionaux
Le vote par circonscriptions favorise, à égalité de suffrages, un parti implanté dans une région précise :
Un pays fictif de 1 000 000 votants est divisé en 100 circonscriptions de 10 000 habitants chacune. Ce pays à une forte tradition régionale : notamment la région X (qui compte 34 circonscriptions) est très attachée à son identité. Aux élections législatives se présentent notamment le parti A (non-régionaliste) et le parti régionaliste X.
Donc, à ces élections, le parti A et le parti X obtiennent tous deux 195 000 voix (soit 19,5%). Mais, alors que le parti A a ses voix réparties dans le pays entier et a donc beaucoup de mal à obtenir des circonscriptions, le parti X n'a eu de voix que dans sa région, où il a donc une moyenne de 57,4%.
Ainsi, le parti A obtint avec beaucoup de difficulté 2 sièges, alors que le parti X obtint dans sa région 30 sièges sur 34.Le problème de l'abstention
Même avec un découpage où chaque circonscription a le même nombre d'habitants, le principe "un homme, une voix" peut être faussé par le phénomène de l'abstention :
Un pays fictif de 1 000 000 habitants est divisé en 100 circonscriptions de 10 000 habitants chacune. Lors des élections législatives, 9000 habitants de la circonscription 1 s'abstiennent alors que dans la circonscription 2, tous les habitants votent.
Le résultat est que dans la circonscription 1, 1000 voix valent un député alors que dans la circonscription 2, 10 000 voix valent un député.
Ainsi, une voix d'un habitant de la circonscription 1 vaut 10 voix de la circonscription 2 étant donné que si 1000 voix servent à élire un député alors que dans la circonscription 2 il en faut 10 000, la portée d'un électeur ayant voté dans la circonscription 1 est égale à la portée de 10 électeurs ayant voté dans la circonscription 2.Cet exemple montre qu'avec un découpage équitable, les régions abstentionnistes sont favorisées.
Voir aussi
- Circonscription électorale
- Circonscriptions électorales (France)
- Vote par circonscriptions
- Fraude électorale
Références
Catégorie : Élection
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