Crise Du Marché Légumier Du Haut-Léon Et Du Trégor De 1957 À 1967

Crise Du Marché Légumier Du Haut-Léon Et Du Trégor De 1957 À 1967

Crise du marché légumier du Haut-Léon et du Trégor de 1957 à 1967

La crise du marché légumier du Haut-Léon et du Trégor de 1957 à 1967 est une série d'affrontements sérieux qui opposèrent les pouvoirs publics, les négociants en légumes et les producteurs de légumes au sujet de la réorganisation du marché des légumes dans la zone légumière du Haut-Léon et du Trégor de 1957 à 1967.

Sommaire

La situation antérieure

Le parcours des légumes arrivés à maturité et cueillis dans le champ par le producteur passait soit par la vente au marché soit la livraison directe dans le magasin ou un des dépôts appartenant à un expéditeur ou encore dans celui dune coopérative à laquelle le producteur était affilié. Dans tous les cas la charge de légumes devait ensuite être conditionnée par des emballeurs généralement aidés au déchargement par le vendeur lui-même. Le négociant ou la coopérative se chargeait ensuite de revendre la marchandise à des grossistes dans différents lieux de consommation en France ou à létranger.

Une partie relativement faible de la production (aux environs de 20%) était présentée au marché qui se tenait quotidiennement dans différentes communes, les principales étant St Pol de Léon et Plouescat. Les transactions sy faisaient librement, de gré à gré. Les principaux négociants de la place utilisaient les services dacheteurs chargés des négociations. Dautres se présentaient en personne. Ils étaient toujours munis dun carnet à souches. Lorsque la négociation aboutissait à un accord, lacheteur prenait dans son carnet un billet préalablement revêtu du tampon de lexpéditeur, y inscrivait le nom du vendeur et le prix dachat. Muni de ce billet le producteur pouvait conduire sa charge au magasin de lacheteur pour le conditionnement et lexpédition.

Lautre partie de la production, la plus importante, était livrée directement dans un magasin, sans négociation préalable. Les producteurs qui avaient adopté cette pratique faisaient implicitement confiance à lexpéditeur dans le magasin duquel ils livraient leur marchandise. Cette façon de procéder nécessitait une confiance mutuelle entre le producteur et lexpéditeur. Ainsi le producteur reconnaissait à lexpéditeur le privilège de fixer unilatéralement le prix dachat au bénéfice partagé des deux parties, en tenant compte à la fois des cours pratiqués au marché, de ceux fixés par les autres expéditeurs dans leurs propres magasins et des prix escomptés de la revente aux grossistes. Par ailleurs les cultivateurs devaient sen remettre à lexpéditeur auquel ils avaient fait confiance ou à ses employés pour assurer le tri de la marchandise et, éventuellement, la pesée.

Dans la relation commerciale entre les paysans producteurs de légumes et les négociants, ce sont ces derniers qui détenaient la position dominante. Une partie des producteurs qui se sentaient bafoués dans leur dignité le déploraient profondément. En réalité cette situation avait pour effet de renforcer le complexe dinfériorité déjà largement éprouvé par le milieu agricole. Lardent désir nourri par une partie des producteurs de légumes de rétablir leur dignité explique dans une certaine mesure les évènements qui se produisirent par la suite dans la zone légumière.

Les paysans léonards réputés patients, stoïques, peu revendicatifs avaient une autre bonne raison de se plaindre, celle constituée par les désastres climatiques qui affectaient périodiquement leurs cultures. Malgré cela ils ne se répandaient pas en manifestations bruyantes. Mais ils se plaignaient en privé, pas forcément tous avec autant de force car pendant que les choux-fleurs étaient abîmés par le gel à Plouénan ou à Mespaul ils étaient encore intacts à Santec et à Roscoff, communes situées dans la bande côtière. Par ailleurs létendue relative des dégâts était forcément moindre chez celui qui avait planté 50 000 choux arrivant à maturité de manière échelonnée tout au long de la saison que pour celui qui nen avait que 5 ou 10 000 arrivant à point dans une période plus concentrée dans le temps. Cet aspect de la situation et létat desprit dune partie des producteurs expliquent une autre partie des évènements qui se sont produits durant la période considérée.

Les manifestations

Au milieu des années 1950, un groupe de jeunes producteurs engagés dans le mouvement de la jeunesse agricole chrétienne (J.A.C.) se lança dans une réflexion approfondie sur les systèmes de commercialisation de légumes, réflexion nourrie par des discussions, des conférences données par divers experts et par des voyages détudes effectués aussi bien en France quà létranger. A la suite de quoi ils élaborèrent un schéma pour une nouvelle organisation des marchés destinée à pallier les défauts du système en vigueur dans le Haut-Léon. Des actions de contestation de lorganisation existante et de promotion dune réforme furent entreprises à partir de 1957 et se succédèrent au cours des dix années suivantes :

Le 19 mars 1957, leffondrement du cours du chou-fleur fut tel quun certain nombre de producteurs refusèrent de vendre leur production et installèrent à la gare de Saint-Pol-de-Léon un barrage levé le soir même qui était destiné à empêcher les négociants de procéder à leurs expéditions.

Le 18 juin 1958, lartichaut étant en pleine crise, la FDSEA décréta une grève des ventes pour une semaine, entre le 19 et le 25 juin. Les expéditeurs firent obstacle à ce mouvement en faisant des offres intéressantes auxquelles certains producteurs succombèrent. Cette action insidieuse très néfaste au mouvement de grève entraîna des réactions qui se traduisirent, notamment, par des échauffourées à Plouénan, linvasion de la gare de Kerlaudy pour interdire le chargement dun wagon, le barrage de la route de Plouénan à St-Pol-de-Léon par des planches cloutées, …

A la mi-mai 1959, à loccasion dune crise de lartichaut, les syndicalistes prirent successivement deux dispositions : incitation à ne présenter au marché ou dans les dépôts que des artichauts de diamètre inférieur à 13 cm ; mot dordre de grève du droit de place au marché de St Pol de Léon pour protester contre le retard, imputable à la municipalité, de la mise en service de deux bascules sur la place du marché. Les résultats de ces deux actions, décevants pour leurs initiateurs, contribuèrent à persuader les syndicalistes dune part de la nécessité de parvenir à faire appliquer par la totalité des producteurs les mesures destinées à assainir le marché dautre part linsuffisance de laction syndicale en labsence de toute intervention des pouvoirs publics et du législateur.

A la fin de lannée, débuta une série dactions ponctuelles menées par les syndicalistes pour faire pression sur les pouvoirs publics :

Deux groupements : la Sica et les indépendants

Au cours de chacune des manifestations les leaders syndicaux prononçaient des discours et dévoilaient progressivement lessentiel de leur projet :

  • suppression des livraisons directes des légumes dans les dépôts et passage obligatoire par le marché ;
  • paiement de la marchandise par un organisme agréé ;
  • obligation pour tous les producteurs dappliquer les règles (encore appelées disciplines) élaborées par les dirigeants et adoptées démocratiquement.

Mais ces propositions ne convenaient ni aux expéditeurs qui risquaient de perdre leur position dominante, ni même à un nombre croissant de petits producteurs qui commençaient à se regrouper pour exprimer leur opposition. Leur mouvement partit de Plougoulm et sétendit principalement dans les communes littorales. Ces producteurs avaient décidé de faire reconnaître leurs spécificités : petites surfaces de culture, précocité de leur production et moindre exposition aux rigueurs hivernales. Ils entendaient aussi combattre les risques de surproduction générée par les grandes fermes de lintérieur et par lextension de la surface de la zone légumière qui, daprès eux, ne manquerait pas de se produire si le plan syndical était appliqué. Le 18 novembre 1960 un syndicat indépendant des primeuristes (S.I.P.) fut créé. De leur côté les syndicalistes se constituèrent le 20 janvier 1961 en société d'intérêt collectif agricole (SICA).

Avec la création de ces deux groupements de producteurs bien structurés et résolument opposés sengageait une nouvelle phase de laction tendant à imposer lassainissement du marché des légumes dans le Léon et le Trégor.

Le 22 mars 1961 fut mise en œuvre une réforme très importante consistant à remplacer le marché classique de gré à gré par un marché aux enchères dégressives avec vente au cadran, ce dernier étant installé dans un local situé sur la place de lévêché à Saint Pol de Léon.

La mise en fonctionnement du marché au cadran déplut à lensemble des expéditeurs qui ne pouvaient y accéder que moyennant un engagement à lui réserver lexclusivité de leurs achats. Leurs dirigeants lancèrent immédiatement un ordre de boycott qui fut appliqué par la quasi totalité des négociants.

Les emballeurs qui se trouvaient de ce fait privés dune partie de leur travail poussèrent les deux parties à ouvrir une négociation qui aboutit à un accord éphémère.

Laction menée par les producteurs de la SICA pour réformer le marché des légumes se heurtait non seulement à lopposition ouverte des négociants mais aussi à linertie des pouvoirs publics qui, selon eux, ne mettaient pas suffisamment dénergie à faire appliquer leurs propres décisions, particulièrement larrêté dinterdiction des ventes directes de légumes à la production et dans les dépôts. Aussi, le 8 juin 1961, les producteurs littéralement excédés se décidèrent à réaliser un coup spectaculaire, médiatiquement bien orchestré : lattaque de la sous-préfecture de Morlaix, symbole du pouvoir. Le plouénanais Jean-Marie Saillour fut une des principales chevilles ouvrières de cette action qui fut suivie par larrestation des deux responsables syndicaux Alexis Gourvennec et Marcel Leon. Ces deux syndicalistes considérés comme des meneurs passèrent en jugement le 22 juin et furent purement et simplement relaxés.

À la suite de ce coup de force les producteurs de la SICA et les expéditeurs reprirent la négociation pour rechercher un nouvel accord. Les pourparlers débouchèrent le 22 novembre sur la signature dun compromis qui confirmait lexclusivité dachat des légumes au cadran, créait un organisme de paiement des producteurs et établissait des règles pour le tri, le calibrage et la pesée des produits.

La signature de laccord du 22 novembre plaçait les producteurs indépendants dans une situation délicate puisque son application leur ôtait la possibilité de vendre leurs marchandises aux négociants signataires. Après diverses tractations infructueuses, les producteurs indépendants excédés envahirent en masse, le 13 décembre 1961, le local de la SICA et saccagèrent le cadran.

Juin 1962 : la « bataille de Saint-Pol »

En juin 1962 cest encore une fois une crise du marché de lartichaut provoquée par un fort radoucissement du temps qui provoqua des affrontements entre producteurs. Le mardi 19 les dirigeants de la SICA mobilisèrent toutes les ressources dont ils disposaient pour tenter de porter remède à la crise et déviter leffondrement du marché. En plus du traitement habituel (application dun prix plancher, péréquation journalière, dégagement vers les conserveries et destruction du surplus des invendus) qui se révélait cette fois insuffisant face à la gravité exceptionnelle de la crise, les producteurs SICA décidèrent de sadresser solennellement aux pouvoirs publics pour les forcer à prendre enfin les mesures depuis longtemps attendues :

Attribution des aides du FORMA (Fonds dorientation et de régulation des marchés agricoles) exclusivement aux groupements reconnus de producteurs;

Mise en œuvre immédiate dans la zone de Saint Pol de Léon de lextension obligatoire des disciplines de commercialisation à tous les producteurs appartenant à cette zone.


Le mardi 19 juin, une masse considérable de légumes demeura invendue et les dirigeants de la SICA décidèrent de passer à laction. A leur appel tous les tracteurs remplis dinvendus descendirent sur deux colonnes de la place du marché et se dirigèrent vers la gare de St Pol. Lorsque les premiers furent arrivés à destination la double colonne simmobilisa et les remorques furent déchargées en pleine rue. Après le départ des véhicules apparut une voie complètement obstruée par des artichauts sur près dun kilomètre. La même action de déchargement fut pratiquée à Plouescat, Cléder et Taulé. Les rues furent dégagées dans la soirée par les employés des services publics et la journée se termina sans incident grave, mise à part une vive altercation entre le directeur du groupement des indépendants Jean Yves Guivarch et des adhérents de la SICA. Au cours de la nuit une trentaine de poteaux téléphoniques furent sciés dans larrondissement de Morlaix, entre Morlaix et Plouvorn, près de Plougoulm et aux environs de Tréflez.

La journée du 20 juin débuta normalement par lapport au marché au cadran de St Pol de Léon des artichauts produits par les adhérents de la SICA et dont une cinquantaine de tonnes restèrent finalement invendues. Dans la matinée les dirigeants de la SICA ordonnèrent à leurs adhérents de se rendre à la gare pour empêcher les expéditeurs non signataires de laccord du 22 novembre dexpédier par les chemins de fer les artichauts livrés par les indépendants. Les gendarmes les attendaient devant la gare et tentèrent de les empêcher dy pénétrer. Vaine tentative contre la force et le nombre des producteurs, un millier environ, qui parvinrent sans délai à envahir les quais puis à pénétrer dans des wagons en cours de chargement quils se mirent à vider. Quelques coups furent échangés avec les ouvriers emballeurs présents. Mais les gendarmes y mirent rapidement fin. Le théâtre des hostilités se déplaça alors vers un magasin dexpéditeur situé à proximité immédiate de la gare. encore des cageots dartichauts furent renversés et des coups échangés. Encore une fois les gendarmes intervinrent pour rétablir lordre.

Les mêmes scènes se reproduisirent dans laprès midi mais avec beaucoup plus de violence. En effet, échaudés par les affrontements du matin, les emballeurs avaient apporté des gourdins. Les gendarmes firent usage de grenades lacrymogènes. Les producteurs ripostèrent par des jets de pierres. Un peu plus tard dautres affrontements se produisirent sur la place de lévêché entre les producteurs SICA revenus de la gare et des producteurs indépendants en provenance du Croissant de Plougoulm ils avaient attendu en vain le retour de leurs adversaires venus le matin à la gare de St Pol. Mais les gendarmes empêchèrent à nouveau les oppositions de tourner au tragique.

Lattaque des producteurs de la Sica

Durant la nuit qui suivit la journée mouvementée du 20 juin 1961 à St Pol de Léon des déprédations furent à nouveau commises : poteaux téléphoniques coupés et 4000 plants de choux fleurs en pépinière appartenant à un adhérent de la SICA dévastés à Plougoulm. La préoccupation principale des dirigeants de la SICA restait la même que la veille : faire obstacle à lexpédition des légumes livrés par les producteurs indépendants. Pour cela il était nécessaire de surveiller les gares de départ et particulièrement celle de Saint Pol de Léon.

Job Moal était, en 1962, un expéditeur âgé de 57 ans installé au bourg de Plouénan depuis une quinzaine dannées. Il dirigeait une entreprise moyenne dans la spécialité du négoce de légumes dans le Léon. Son envergure était bien sûr loin datteindre celle des principaux expéditeurs installés à St Pol de Léon. Néanmoins, en plus de son magasin de Plouénan, il disposait dune dizaine de dépôts dans les parties ouest et centre de la zone légumière. Pour ce qui concerne le négoce de choux fleurs il sétait spécialisée dans le commerce des têtes de petit calibre appelées moudets qui se vendent principalement en Grande Bretagne. Il expédiait aussi, mais en quantité beaucoup plus modeste, vers Paris, Lyon et St Etienne et vers des pays voisins (Allemagne, Hollande et Belgique).

Job MOAL fut lun des rares négociants à avoir refusé laccord du 22 novembre 1961 entre les producteurs SICA, les expéditeurs et les coopératives. De ce fait il était interdit dachat au cadran. Mais depuis la signature de laccord du 22 novembre 1961 les apports des producteurs indépendants lui suffisaient pour faire marcher normalement son entreprise. En effet, ses fournisseurs provenaient de longue date des rangs des petits producteurs qui disposaient de faibles surfaces de culture. Ces derniers avaient dans leur quasi totalité, dès la formation du groupe des indépendants, adhéré à ses thèses et sy étaient affiliés, persuadés quainsi ils contribuaient efficacement à défendre leurs faibles revenus et même leur existence en tant quagriculteurs. Cest pourquoi la création du marché au cadran navait que très faiblement fait varier le volume de marchandises livrées chaque jour dans les magasins de lentreprise.

Le jeudi 21 juin Job MOAL avait prévu dexpédier des artichauts à partir de la gare de Saint Pol de Léon. Dans la matinée il fit charger ses deux camions, puis les fit partir vers la gare. Lui-même, son contremaître et les emballeurs sy rendirent également. Ainsi le travail de chargement serait réalisé rapidement. En effet, compte tenu de la situation il était prudent de ne pas traîner dans la gare. Malheureusement pour eux, leur présence fut signalée et, naturellement, ordre fut donné aux producteurs de la SICA rassemblés dans la salle de vente de se diriger vers la gare Job Moal et ses employés étaient occupés à transborder la marchandise. Le contremaître réceptionnait et rangeait les cageots dans le wagon. Le patron et les autres employés se trouvaient au déchargement des camions. Soudain surgirent environ un millier de producteurs SICA prêts à en découdre pour châtier les auteurs de ce quils considéraient comme une provocation. Cest alors que léchauffourée(voir) se produisit et se termina par lintervention des gendarmes et lévacuation des blessés dont le plus gravement atteint était Job Moal.

Lattaque décrite par la presse

La presse régionale, le « Télégramme » et « Ouest-France » rendirent compte au jour le jour des trois journées de la bataille de St Pol quon pourrait encore appeler « les trois glorieuses du Léon » en plagiant lappellation donnée par les historiens aux trois jours de révolte qui se déroulèrent à Paris en 1830. De grands titres en première page renvoyaient à des récits détaillés en pages régionales, illustrées par des pages entières de photographies. Certains magazines de la presse hebdomadaire nationale, tel « Paris-Match », semparèrent du sujet pour le développer par le commentaire et les images.

Sur quatre colonnes en première page « le Télégramme » annonçait le 22 juin « de nouvelles violences à St Pol » et publiait la photographie en gros plan du visage boursouflé et tuméfié de Job Moal. « Ouest-France » se contentait dévoquer « de regrettables scènes de violence ». Les deux quotidiens saccordaient sur le récit des évènements qui sétaient déroulés la veille à St Pol :

Les adhérents de la SICA réunis dans la salle de vente de la place de lEvêché en fin de matinée dans une atmosphère tendue ; le signal de départ pour la gare donné aux environs de midi par un dirigeant décidé à imposer une discipline totale ; le trajet effectué sur les tracteurs, dans les remorques ou les camionnettes ;

Une fois le trajet effectué, la descente précipitée des véhicules et, vers 13 heures, la ruée en direction du camion de Job Moal garé le long dun convoi ferroviaire ;

La bataille à coups de têtes dartichauts puis lassaut du camion, la défense à coups de chaîne de la part dun des ouvriers, la blessure à la tête dun des assaillants et, finalement, la victoire des attaquants parmi lesquels les plus excités réussirent à grimper sur le camion et sacharnèrent sur Job Moal, le patron et lopposant irréductible ; les premiers soins prodigués sur place à la principale victime, son évacuation vers lhôpital de Morlaix puis son retour à domicile le jour même ;

Lintervention musclée des gendarmes ; les négociations entre les forces de lordre et les dirigeants agricoles dont le représentant Alexis Gourvennec se trouvait le jour même à Paris en discussion avec le chef de cabinet du ministre de lagriculture ;

Les accrochages collatéraux : des emballeurs prenant à partie trois dirigeants syndicalistes agricoles qui se trouvaient dans une voiture près de la gare et qui furent « sauvés » par les gendarmes ; les pneus de nombreux véhicules appartenant à des agriculteurs, crevés ou dégonflés ; larrestation de deux cultivateurs, leur interrogatoire dans les locaux de la gendarmerie et leur libération le jour même ;

Enfin, à la suite des bonnes nouvelles transmises de Paris par Alexis Gourvennec, lordre donné aux producteurs de reprendre leurs véhicules et de retourner à la place de lEvêché puis de rentrer chez eux dans le calme.

Le bras de fer entre la Sica et la SoCo

Pour se conformer aux prescriptions légales définissant les groupements de producteurs les indépendants se constituèrent le 8 juillet 1962 en Société de Commercialisation des Primeuristes (So.Co.Prim.) de même type que la SICA. A partir de cette date, compte tenu de la mise en application de laccord du 22 novembre 1961, les deux groupements S.I.C.A. et So.Co.Prim. se retrouvaient face à face. On pouvait dès lors craindre que les hostilités ne soient à nouveau déclarées car lanimosité entre les deux camps était à son comble. De fait, après le terrible hiver de 1963 et la reprise consécutive de la végétation en 1964, la vente en 1965 par des producteurs indépendants de drageons à des acheteurs étrangers à la zone légumière en donna loccasion. Des polémiques se développèrent par lettres, communiqués et tracts interposés. La saison des artichauts fut très mouvementée aussi bien du fait des oppositions physiques musclées que des intimidations réciproques, des courses poursuites et des manifestations publiques. Le calme revint tout naturellement avec la fin de la production des drageons.

Mais lopposition entre les deux groupements de producteurs nallait pas tarder à se repositionner sur le problème de fonds qui les séparait depuis le début, celui de la solidarité obligatoire entre producteurs dans lapplication de certaines règles, faute de quoi aucune organisation du marché nétait possible. Maints exemples, dans le passé récent, avaient démontré quil suffisait dun petit nombre de francs tireurs pour faire échouer toute mesure destinée à soutenir le marché. Ces obligations, baptisées règles de discipline, avaient été édictées par le comité économique agricole des fruits et légumes de Bretagne. Elles étaient au nombre de sept :

  1. fourniture annuelle dun état des superficies plantées par produit et par variété ;
  2. respect des disciplines de triage, calibrage, poids et présentation des marchandises ;
  3. obligation de présenter la totalité de la production à la vente publique sur un marché agréé ;
  4. paiement des producteurs par un organisme agréé ;
  5. extension du principe du prix de retrait en cas de forte baisse du marché ;
  6. en cas de retrait, obligation de paiement dune cotisation à la caisse destinée à soutenir le marché et à payer les invendus ;
  7. participation à un fonds destiné à financer la publicité en faveur des choux fleurs et des artichauts bretons.

Les producteurs de la So.Co.Prim. sopposèrent de toutes leurs forces à lexigence formulée par leurs adversaires du respect de ces règles dites de discipline. Ils invoquaient pour cela le principe de la liberté et se proclamaient en désaccord sur tout. Ils précisèrent à diverses reprises leur point de vue, en particulier en novembre 1965 dans une lettre adressée aux maires de la zone légumière pour sopposer à la procédure de lenquête publique préférée au vote à bulletins secrets pour consulter les producteurs sur la mise en application de lextension des règles de discipline. Malgré ces protestations véhémentes lenquête publique fut réalisée et lextension des règles de discipline mise en place par un décret publié au journal officiel le 29 juillet 1966.

Le dénouement

Les derniers sursauts des producteurs indépendants se produisirent après la signature le 9 mai 1967 du décret fixant les sanctions à lencontre des contrevenants aux disciplines de commercialisation (réunion de protestation à Morlaix le 12 mai) et après la publication le 19 mai 1967 au journal officiel de larrêté dapplication des règles de commercialisation (manifestation à St Pol de Léon le 24 mai). Finalement, après négociation, un texte daccord fut mis au point par le comité économique agricole « fruits et légumes » de Bretagne et la So.Co.Prim. qui sengageait à respecter les disciplines imposées par les critères de reconnaissance des groupements de producteurs et à qui était octroyée une représentation au comité et un droit de participation aux opérations de lorganisme payeur concernant ses propres adhérents

Les indépendants, à leur corps défendant, avaient cédé à la pression combinée des producteurs de la S.I.C.A. et des pouvoirs publics. Trente neuf ans plus tard le groupement So.Co.Prim. existe encore mais son rôle se réduit à établir les bordereaux de paiement de ses adhérents et à les transmettre à lorganisme payeur. Nombre de ses adhérents sont amers et désabusés

De leur côté les dirigeants de la S.I.C.A. expliquaient la vigueur des attaques menées par leurs « troupes » au cours de la bataille de St Pol par le caractère crucial du problème posé par les expéditeurs restés en dehors de lorganisation. Ceux-ci étaient livrés en marchandises à des prix qui leur permettaient denlever des marchés à leurs concurrents agréés S.I.C.A. qui sen plaignaient amèrement. La S.I.C.A. en concluait « quil suffit dune poignée de négociants indépendants, disposant de marchandises à bas prix, pour rendre inefficace un dispositif pourtant coûteux pour les producteurs qui acceptent les disciplines de la mise en marché. Cela explique la violence de ce mois de juin : les uns sont en train de ruiner les efforts coûteux des autres ». D lacharnement mis au cours des mois et des années qui suivirent à obtenir lextension des règles de discipline pour les imposer à la totalité des producteurs et donc aussi aux indépendants.

En conclusion et pour faire le bilan des actions menées durant ces dix années dans la zone légumière, on peut saccorder à reconnaître que le but premier qui était visé par les producteurs de la SICA, celui dune réforme du marché, a bien été atteint. Mais il semble que les effets bénéfiques attendus de ce changement nont pas été obtenus : après la création du marché au cadran les entreprises de négoce nont cessé de décliner et la plupart ont finalement été contraintes à la cessation dactivité ; les producteurs indépendants, convaincus davoir été floués, sont aujourdhui encore pleins damertume ; la situation du marché nest pas satisfaisante dans la durée et les manifestations reprennent à chaque fois que les cours chutent durablement. Alors, devant une telle situation une question simpose : est-ce que dans cette affaire toutes les parties ne sont pas finalement perdantes ?

Voir aussi

Bibliographie

  • Fanch Elegoët, Révoltes paysannes en Bretagne. À lorigine de lorganisation des marchés, Éditions du Léon, 1984
  • Bernard Bruneteau, « De la violence paysanne à lorganisation agricole. Les manifestations de juin 1961 en pays bigouden », Annales de Bretagne et des pays de lOuest, tome 100 2, 1993

Lien externe

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