- Bon sauvage
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Le mythe du bon sauvage est l'idéalisation des hommes vivant et plongeant au contact de la nature[A 1]. L’idée que « le bon sauvage » vit dans un paradis sur terre avant le péché originel s’est développée au XVIIIe siècle, ayant ses fondations chez les explorateurs et conquérants de la Renaissance[A 2]. À la suite de Christophe Colomb et d’Amerigo Vespucci, Jacques Cartier, explorant le Nord de l’Amérique, découvre ainsi une « jeune humanité »[A 3]. En français, comme en espagnol ou en latin, ces textes sont le certificat de naissance du « bon sauvage »[A 4].
Sommaire
Le mythe chez Cartier dans Voyages au Canada
L’image du bon sauvage se lit dans le récit par Jacques Cartier de ses rencontres avec les autochtones d’Hochelaga[A 5]. Selon Cartier, le sauvage n’est plus barbare, mais plutôt proche de la nature, « l’âme aussi pure que des enfants »[A 6]. Leur façon de s’habiller et leur mode de vie montre à Cartier qu’ils ne sont pas effrayants ni dangereux, mais qu’ils sont des êtres humains[A 7]. Innocents et purs, les « sauvages » qu’il rencontre pendant son voyage sont, selon Cartier, ouverts d’esprit à ce qu’il leur apporte d’Europe[A 8]. En remarquant leur nudité sans pudeur, Cartier donne aux fils de Donnacona des vêtements européens : ceux-ci jettent alors leurs peaux de bêtes car ces vêtements n’ont plus de signification dans la culture française : « Et acoustrasmes ses dits deux fils de deux chemises et en livrees et de bonnetz rouges et à chacun sa chainette de laton au col »[A 9]. En les traitant comme humains (même s’il les considère comme des enfants), Cartier établit un commerce avec eux et il apprend les rudiments de leur langage, dont il donne un lexique[A 10]. De sa perspective chrétienne, Cartier les considère comme des êtres innocents et sans religion, dans un état « sauvage » (au sens de « non cultivé »), susceptible d’une conversion au christianisme[A 11] ; au départ de son premier voyage, il plante une croix pour que les autochtones puissent faire « plusieurs admyradtions »[A 12] mais aussi pour promettre son retour : l’homme européen servirait alors la Révélation auprès de ses « jeunes frères ».
Le mythe chez Montaigne dans Des Cannibales
Le début du mythe du « bon sauvage » est souvent attribué à Michel de Montaigne[B 1], même si les fondations de ce mythe sont bien antérieures[B 2]. Montaigne aborde le sujet dans les chapitres Des Cannibales et Des Coches de ses Essais[B 3]. De nombreux critiques maintiennent que l’auteur prend position en faveur des peuples autochtones qui vivent tranquillement dans la nature et contre les Européens[B 4] qui ne s’intéressent qu’à s’enrichir et à corrompre des peuples innocents[B 5].
Montaigne souligne l’importance de choisir la raison par rapport à la voix commune[B 6] et introduit le principe de relativisme culturel[B 7] ainsi que l’idée de tolerance[B 8]. Il dit que la culture « civilisée » ne connait pas toujours la vérité[B 9] et, peut-être, que les Européens se trompent en appelant les Amérindiens anthropophages des « barbares[B 10]. » En comparant les Européens au peuple Tupinamba de Brésil dans Des Cannibales[B 11], Montaigne essaie de montrer la « barbarie » de l’action destructrice des Européens[B 12]. Ses descriptions des Tupinamba soulignent pour les lecteurs la perfection de leur harmonie avec la nature[B 13]. Leur mode de vie surpasse toutes les imaginations de « l’âge d’or[B 14] » et il compare ce peuple « naturel » et « pur » aux fruits sauvages qui sont menacés par le goût corrompu des Européens[B 15]. Selon Montaigne, l’innocence des Tupinamba est plus pure que l’état social[B 16].
Certains critiques questionnent la fiabilité des sources qu’emploie Montaigne[B 17] en partie à cause de son exagération[B 18]. Il est de fait indéniable que Montaigne commente l’Histoire d'un voyage fait en la terre du Brésil publié par Jean de Léry en 1578 : l’essai Des Cannibales semble alors une conversation avec le texte de Léry et une gageure pour penser hors de l’habitude de pensée[B 19]. Néanmoins, le chapitre Des Coches, qui continue ce premier plaidoyer en s’appuyant sur d’autres sources, montre que la position de Montaigne est celle de l’étonnement plus que de la leçon[B 20]. Montaigne questionne, ouvre des dialogues, souffle des réponses provocatrices[B 21]. Plusieurs soutiennent que sa représentation du « bon sauvage » dans les Essais contribue largement à la pensée humaniste en ce qu’elle redéfinit ce qu’est la culture et son rôle pour définir l’humanité[B 22].Le mythe chez Diderot dans Supplément au voyage de Bougainville
Au XIXe siècle, la figure du bon sauvage commença à se transformer[C 1]. Dans le texte Supplément au voyage de Bougainville, paru en 1772[C 2], Denis Diderot exprime une pensée qui s’oppose subtilement à la voix commune[C 3] et qui provoque la chute du mythe, avérée avec le siècle suivant[C 4] : pour lui, le « bon sauvage » n’exista pas[C 5]. Il faut juger chaque homme tel qu’il est[C 6]. Bien qu’il soit d’accord que les Tahitiens vivent d’une manière heureuse et libre[C 7] et même si leur bonheur lui donne l’occasion de confirmer sa théorie des trois codes[C 8], Diderot déclare que la nature et les « sauvages » ne sont ni bons, ni mauvais[C 9].
Diderot expose les Tahitiens comme des hommes logiques[C 10] avec certains buts – augmenter la population[C 11], enrichir la nation[C 12], se nourrir[C 13], la guerre[C 14], le sang-froid[C 15] – et avec des vertus sociales, actives et positives[C 16], qui nient l’image artificielle[C 17] et utopique[C 18] des « bons sauvages », manifestant une aptitude à la civilisation[C 19].
Diderot met en question l´état de nature[C 20] et réfute la divinité attribuée aux sauvages par le mythe[C 21]. Ce sont des individus réels[C 22] qui vivent dans une société différente[C 23], ayant leur propre culture[C 24] (ce qui contredit l’opposition supposée entre la nature et la culture)[C 25].
Diderot utilise ce mythe non pas pour proposer un modèle idéal[C 26], mais pour dénoncer les corruptions et les erreurs des colonisateurs[C 27] de la civilisation européenne[C 28] et de la religion chrétienne[C 29]. Diderot n’apporte point de solution définitive[C 30]; il encourage la réflexion sur le sens de la vie[C 31], sur l’organisation de la société[C 32], sur le caractère universel de la morale[C 33] et sur anthropologie comme une science[C 34].Notes et Références
A
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B
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Voir aussi
- Enfant sauvage : objet d'étude pour les savants naturalistes du XVIIIe-XIXe.
- comparaison avec civilisé / barbare : un chaînon manquant ?
- John Zerzan
- Victor de l'Aveyron
- Jean-Jacques Rousseau
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