Massacre de Thiaroye

Massacre de Thiaroye
Fresque murale à Dakar commémorant le massacre de Thiaroye en 1944

Le massacre de Thiaroye ou tragédie de Thiaroye (prononcer tia-roi ou tia roïe) s'est déroulé dans le village du même nom au Sénégal le 1er décembre 1944 quand des gendarmes français renforcés de troupes coloniales ont tiré sur des tirailleurs sénégalais, récemment démobilisés et pour la plupart anciens prisonniers de guerre et qui manifestaient pour le paiement de ce qui leur était dû. 35 tirailleurs sont tués et 34 sont condamnés à de la prison.

Sommaire

Contexte

Fin novembre 1944, 1 280 soldats africains originaires de différents pays de l'Afrique occidentale française — communément appelés tirailleurs sénégalais — sont regroupés dans un camp de transit à une quinzaine de kilomètres du centre de Dakar. Ils ont affronté l'offensive allemande de mai-juin 1940 en première ligne avec un taux de perte voisin de 10 %[réf. nécessaire]. Certains tirailleurs, faits prisonniers et même blessés, ont été massacrés par les troupes d'élite du Reich (le tata sénégalais de Chasselay dans le Rhône rappelle un de ces massacres). Ils sont alors maintenus en captivité en France, contrairement aux autres prisonniers de guerre français envoyés en Allemagne, car le régime nazi refuse de les voir sur le territoire du Reich. Ils sont utilisés comme main d'œuvre forcée au mépris des conventions de Genève.

La plupart d'entre eux, concentrés en Frontstalag (ou « camp de prisonniers du front »)[1], dans le cas présent en France, ont été employés dans des fermes. Certains, à Morlaix notamment, ont été employés dans des usines d’armement. Quelques uns enfin ont intégrés des maquis de résistants[2]. Alors que la Seconde Guerre mondiale n'est pas encore terminée, ils sont parmi les premiers prisonniers libérés et il est décidé de les démobiliser. Ils attendent le versement d'un pécule constitué de leurs arriérés de solde (qui aurait dû être versée avant l’embarquement[3], de la prime de démobilisation, et souhaitent pouvoir retirer l’argent économisé pendant la guerre, sur des livrets d’épargne du Frontstalag[3],[4]. Au lieu de le faire en France, le ministre des Colonies leur promet d'être démobilisés à Dakar où ils arrivent le 21 novembre 1944. En chemin, quatre cent d’entre eux ont à nouveau refusé d’embarquer, après une escale à Casablanca[5]. Trois cent tirailleurs (sur 2000) ont d’ailleurs refusé d’embarquer avant que leur situation soit réglée[3]. Les paiements relatifs à la démobilisation n’ont pas lieu : seule une avance sur prime leur est versée en octobre, avant le départ de la métropole[6]. Le commandement ne donne satisfaction aux démobilisés que sur les demandes de conservation de divers effets personnels. De ce fait, un groupe qui devait être acheminé sur Bamako refuse de partir, ce qui provoque la visite du général Dagnan, le 28 novembre. Les tirailleurs se font exigeants sur les réponses qu’ils attendent ; sa voiture est bousculée, son autorité s’évanouit, il ne répond à aucune des questions concernant le règlement administratif de la situation. Choqué, il considère même avoir été à deux doigts d’être séquestré[1].

Démonstration de force et ouverture du feu

Dagnan prend la décision de faire une démonstration de force, en accord avec son supérieur, le général de Boisboissel[7],[1]. Des gendarmes, renforcés de détachements de soldats indigènes issus des 1er et 7e régiment de tirailleurs sénégalais et du 6e régiment d’artillerie coloniale[8], renforcés de quelques blindés. Après deux heures et demi de discussion, l’ordre d’ouvrir le feu est donné, ce qui fait trente-cinq tués et autant de blessés graves, plus des centaines de blessés légers[9]. Immédiatement, trois cent ex-tirailleurs sont extraits du camp pour être envoyés à Bamako[10]. Trente-quatre survivants, considérés comme meneurs sont condamnés à des peines de un à dix ans de prison. Ils ont une amende de 100 francs de l'époque et perdent leurs droits à l'indemnité de démobilisation. Ils sont grâciés en juin 1947, lors de la venue à Dakar de Vincent Auriol, président de la République, mais sans recouvrer leurs droits à leur retraite militaire[10].

Les suites

Ce massacre provoque une prise de conscience de l’état d'inégalité profonde dans lequel la colonisation maintient les indigènes. Son souvenir reste vivace dans les années qui suivent et jusqu’à nos jours[11]. En août 2004, la journée du 23 août est déclarée Journée du tirailleur sénégalais par le Sénégal, qui invite les autres États d’Afrique d’où étaient originaires les tirailleurs. Le massacre de Thiaroye y est commémoré[12].

Le cinéaste sénégalais Ousmane Sembène (1923-2007) a réalisé un film, Camp de Thiaroye, en 1988 consacré au massacre[13]. En 2004, Rachid Bouchareb a réalisé un court-métrage animé, L'ami y'a bon – référence au personnage publicitaire de la marque de chocolat en poudre Banania –, qui retrace l'histoire d'un tirailleur de sa mobilisation à sa mort à Thiaroye[14].

Un monument a été dressé à Bamako aux « martyrs de Thiaroye »[13].

Notes et références

  1. a, b et c Julien Fargettas « La révolte des tirailleurs sénégalais de Tiaroye », Vingtième Siècle. Revue d'histoire 4/2006 (no 92), p. 118
  2. Armelle Mabon, « La tragédie de Thiaroye, symbole du déni d’égalité », Hommes et migrations, no 1235, janvier-février 2004, p. 86
  3. a, b et c Armelle Mabon, op. cit., p. 88
  4. Julien Fargettas, op. cit., p. 121
  5. Armelle Mabon, op. cit., p. 89
  6. Armelle Mabon, op. cit., p. 87
  7. Armelle Mabon, op. cit., p. 90
  8. Julien Fargettas, op. cit., p. 124
  9. Julien Fargettas, op. cit., p. 118-119
  10. a et b Julien Fargettas, op. cit., p. 119
  11. Armelle Mabon, op. cit., p. 94-95
  12. Julien Fargettas, op. cit., p. 127
  13. a et b "La douloureuse mémoire de Thiaroye", article de RFI, 30 mars 2010.
  14. L'Ami y'a bon sur Evene.fr

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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Massacre de Thiaroye de Wikipédia en français (auteurs)

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