- Le dernier message de Samy Klein
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Le dernier message de Samy Klein, rabbin, aumônier de la jeunesse et des Éclaireurs israélites de France (EIF) (devenu EEIF), Résistant fusillé le 7 juillet 1944, à l'âge de 29 ans, est devenu un texte classique du judaïsme, et du judaïsme français, en particulier.
On le trouve aussi bien dans L'Anthologie juive d'Edmond Fleg (1951)[1],[2],[3] que dans l'ouvrage "Souviens-toi d'Amalec[4]" (1974)[5],[6] de Frédéric-Shimon Hammel, mais aussi sur un site internet contemporain des Hassidim de Bratslav (Dynastie hassidique de Bratslav)[7].
Des extraits du message de Samy Klein suivent :
"Ceci n'est pas un testament. Ne possédant rien, je n'ai rien à léguer à qui que ce soit[8]. Mais la vie, en cette saison, ne tient qu'à un fil, et plus l'on est jeune, et plus vite l'on risque de disparaître, au hasard d'une balle[9], au gré d'un occupant ou de l'un de ses complices. C'est pourquoi, à 29 ans - l'âge où mourut mon père (que son souvenir soit bénédiction[10]), des suites de Holzminden[11] - j'essaie de fixer par écrit quelques désirs dont on voudra bien tenir compte - dans la mesure du possible - au cas où je serais emmené au loin, voire si je disparaissais pour l'éternité."
"Quoi qu'il advienne, ma dernière pensée sera pour vous, mes chéries, que j'ai passionnement aimées, de façon fort différente, comme mère, comme sœurs, comme femme, comme filles. Ne récriminez pas contre l'incompréhensible justice de Dieu. Essayez plutôt par vos pensées, vos paroles et vos actes, de faire cesser l'incompréhensible bêtise des hommes. Pendant toute la durée de mon absence, c'est toi, Marguerite[12] chérie, qui sera chef de famille. A toi d'être forte pour cinq. Je sais que je puis entièrement compter sur toi pour cela : Pendant ces trois années de vie commune[13], qui furent un inappréciable bonheur, tu as montré tant de courage et de compréhension pour ma vie dangereuse que je te confie maman[14] qui, elle-même, au cours de sa vie, a constamment fait preuve d'une vaillance exceptionnelle, qui me fut un exemple constant et me guidera, si Dieu m'inflige la souffrance. Veille aussi sur Jeanne, affectueuse et bonne à l'extrême."
"Quant aux enfants[15], je désire qu'elles deviennent des filles courageuses et loyales. Que leurs regards, dont les premiers rayons me furent une joie exquise soient tournés non vers le triste passé, mais vers le joyeux avenir. Je ne veux pas que mon absence ou ma disparition grève, durant un temps plus ou moins long, le bonheur de nos enfants. Nous avons été trop heureux ensemble tous les quatre, tous les six, pendant ces années terribles pour nous plaindre maintenant. Et puis quand Israël[16] et la France souffrent ensemble le plus terrible martyr de l'Histoire, n'est-il pas normal qu'un Rabbin Français paye son tribut? Sachez que la mort et la souffrance ne me seront rien parce que j'aurai accompli mon devoir d'homme, parce que, en partant, je laisse une femme qui saura affronter la vie, une fille devouée, une mère extraordinairement bonne, tout cela en une personne. Ne me déçois pas, chérie. Je désire donc que pour leur bien, tu sois sévère avec les enfants afin qu'elles deviennent, non pas de ces filles insouciantes et superficielles, mais des femmes cultivées et intelligentes, fortes et travailleuses et pour qui le sentiment de l'honneur - si bafoué aujourd'hui - ne soit pas un vain mot. Tu ne négligeras rien pour leur formation juive: je désire qu'elles soient instruites en hébreu, en Bible, en prières et en prescriptions et de bonne manière. Enseigne toi-même les rudiments et prends pour elles par la suite, un Maître compétent; je serais heureux qu'elles sachent lire l'hébreu à l'âge de cinq ans[17], comprendre les prières essentielles à l'âge de huit ans et traduire la Bible à douze ans[18]. Si le Mouvement des E.I.F.[19] évolue dans le sens où il semble s'orienter, alors qu'elles y entrent. Mais qu'elles soient Éclaireuses d'esprit en tout cas. Au point de vue de la culture générale, quelles que soient leurs aspirations, veille surtout à la formation littéraire, à la correction de leur langage, à la beauté de leur style. Ne néglige pas de surveiller leur caractère, que je voudrais ferme sans excès et affectueux et sociable. Ne néglige rien pour éliminer sans retard tout défaut grave, quoi qu'il t'en coute. Et qu'elles deviennent des juives françaises, imbues de l'honneur, d'Israël et de la double richesse que confèrent Israël et la France. Qu'elles fassent honneur à leur famille. Qu'elles soient des Klein[20], non dans leurs paroles, mais en leur âme. Quant à toi, mon amour, que Dieu te guide et t'accorde sa bénédiction pendant tout le temps que nous serons séparés. Maman et Jeanne chéries, ne vous laissez pas aller et serrez-vous les coudes. Papa[21], si courageux, héroïque même dans sa pure conception du devoir, vous y aidera, j'en suis sûr. "Ainsi, unies, fortes et confiantes, ayant cher Papa d'un côté, chère Liliane et Théo de l'autre pour vous soutenir, vous vous direz que j'ai accepté avec résignation la décision du Très-Haut et je vous demande de l'accepter de même."
"Mon avant-dernière pensée aura été pour ma carrière...si je suis devenu rabbin, c'est que depuis longtemps j'ai le sentiment qu'un corps rabbinique honorable peut modifier la misérable allure de notre judaïsme et d'autre part, que le judaïsme français a besoin d'un rude coup d'épaule. Certes, j'avais quelque chose à dire et à faire dans ce domaine. Mais d'autres l'accompliront aussi bien si vous savez les former. Après la tourmente, comptez-vous, unissez-vous et mettez-vous au travail, vous les jeunes mes frères à qui mes convictions puis ma fonction m'attachèrent par des liens indissolubles. Soyez catégoriques : refusez donc carrément de vous laisser entraîner dans des considérations politiques et marchez droit au but. Si les circonstances le permettent et si vous désirez encore m'associer à vos débats, invitez Marguerite à vos délibérations[22]: sa timidité de femme ne l'empêchera pas de refléter avec exactitude ma pensée et l'essentiel de mes projets. C'est le judaïsme traditionnel[23] qui devrait demain inspirer les chefs du judaïsme français. Aussi serait-il souhaitable que les E.I.F. resserent leurs liens avec Yechouroun[24] et Mizrahi[25]. Quelle force, spirituelle et matérielle représenterez-vous ensemble si, au lieu de vous jalouser mesquinement, vous ne formez plus qu'un bloc. C'était mon idée en créant la commission de jeunesse, en travaillant pour le C.C.J.J.[26]"
(...)
"J'ai mis par écrit, en différents rapports, l'essentiel de mes projets concernant l'école Rabbinique[27], pièce angulaire de tout le travail juif en France, la réforme de l'Instruction Religieuse et la réorganisation des Services de la jeunesse. Je désire que les fonctions de l'Aumônier de la Jeunesse[28] ne tombent pas en désuétude et que, le cas écheant, elles ne soient pas liées à l'égocentrique Paris[29] - (cela dépendra d'ailleurs surtout du titulaire de ce poste, et de la manière dont il concevra et organisera sa tâche). Il appartient aux Mouvements de Jeunes, plus dynamiques que les adultes, de déceler le candidat le plus indiqué, de le soutenir et, si c'est nécessaire de le guider. Durant ces quatre années, j'ai toujours trouvé cet appui et ces critiques auprès des Jeunes, en particulier, à l'équipe Nationale[30] et à Yechouroun : c'est cela qui m'a mûri, m'a amélioré un peu et m'a permis de faire calmement mon métier. Maintenant que ce pauvre Aron[31] (que la paix soit sur lui), n'est plus là (...) veillez sur Blima[32] et son enfant[33] : C'est un voeu que je me suis fait. Quid ibi dicam? Il est pénible de ramasser en quelques instants ce que l'on aurait voulu dire pendant une vie. Je serais heureux que vous reveniez à une conception de la vie plus XVIIIe siècle, où l'esprit et l'honneur et le charme - le fameux "hène"[34] - avaient une place prépondérante, d'autre part, je vous supplie de rééduquer les jeunes et de vous rééduquer vous-même (...), après le terrible bain de fausseté et de lâcheté dans lequel nous avons trempé. Soyez durs avec les jeunes : Ne tolérez aucun mensonge, aucune compromission."
(...)
"Le Centre de Documentation et les Cours par correspondance doivent être confiés à Yechouroun. (...). N'oubliez pas les prisonniers (...) qui doivent être "incorporés" à leur retour. "Battez-vous pour le Consistoire[35]: si nous le voulons, celui de demain ne rappellera que par le nom celui d'hier. Je me flatte - peut-être suis-je immodeste - d'avoir contribué à le changer un peu, à le rajeunir, à le judaïser. Il faut intensifier ce mouvement. Les jeunes sont assez forts et assez... vieux aujourd'hui pour le faire. Le public et le Consistoire lui-même n'attendent que cela."
(...)
"Au fur et à mesure que j'écris je m'aperçois que la tâche est grandiose. Et j'ai comme un regret de de ne pouvoir y participer dès maintenant ou jamais. Mais, quoi? Vous le ferez bien tous seuls si, après vous être négligés vous-mêmes au profit d'autrui pendant des années, vous rattrapez le temps perdu. Et rappelez-vous que rien ne vaut l'étude: La Thora importe plus que tout[36]. Enfin, à tous, aux miens et à mes amis, à ceux que j'aime et qui me le rendent, à mes enfants surtout, je lègue cette ultime pensée: Accomplir son devoir et l'accomplir entièrement, sans défaillance, ni lâcheté, tel est le but suprême de la vie. Que Dieu vous bénisse. Au revoir. Je vous embrasse.
SAMY "A Lyon, le 24 mai 1944".
Hammel note:"La date de ce testament [sic] prouve à quel point Samy a été bouleversé par la catastrophe de la ferme de Saint-Germain. Quatre de nos défricheurs y sont fusillés le 19 mai (1944), et avec eux Aron Wolf, élève de l'école Rabbinique, ami de Samy[37]. ."
Il note également : "Samy établit un rapport entre l'âge de son père au moment de sa mort et la sienne. C'est pour le moins troublant: il aura 29 ans et demi lorsqu'il sera fusillé, six semaines après avoir rédigé son message."
Notes et références
- Voir, Lazare, 1987, p. 389, note 17.
- Edmond Fleg, le "Testament" [sic] est publié à la page 586. Dans l'ouvrage de
- préambule que ce n'est pas un testament ! Samy Klein insiste bien dans le
- Amalek. Voir,
- Publié aux Éditions C.L.K.H.
- Voir, Message de Samy (Extraits). Extrait de "Souviens-toi d'Amalec", par Shimon Hammel (Chameau).
- Les dernières volontés du rabbin Klein. Voir,
- Impliqué tout de suite après ses études rabbiniques et son service militaire, par la guerre et la résistance, tout en étant un éducateur, et constamment en déplacement, Samy Klein n'a pas de possessions physiques. Le seul héritage qu'il laisse est spirituel.
- Notons que Samy Klein sera fusillé!
- Formule traditionnelle dans le judaïsme pour rappeler la mémoire d'un disparu. Il est évident que dans le cas de Samy Klein, c'est plus qu'une formule mais l'expression d'un sentiment profond.
- Première Guerre mondiale, Raphaël Klein, comme français, est interné au camp de prisonniers civils de Holzminden. Il meurt, en 1918, à l'âge de 29 ans, des suites de l'épidémie de grippe espagnole et des mauvais traitements subis au camp. Au début de la
- Marguerite Klein, l'épouse de Samy Klein.
- Vichy, le 29 juin 1941. Samy écrit ce texte le 24 mai 1944 et sera fusillé le 7 juillet 1944. Donc, pratiquement, exactement, trois années de mariage. Samy et Marguerite Klein se sont mariés durant la guerre à
- Selma Klein, née Kottek.
- Zone Libre (Zone Sud), en novembre 1942. Elle a donc un an et demi. La seconde fille, Elsie, est née en février 1944. Elle a à peine trois mois. Annie Rose, l'aînée est née peu de jours après l'invasion de la
- Le sens à donner à Israël ici est le peuple juif ou les juifs
- Pirke Avot) 5:25. Il suit en cela le Traité des Pères (
- Bat Mitsva, de la majorité religieuse. C'est l'âge de la
- Éclaireurs Israélites de France.
- C'est-à-dire des membres actifs de la communauté. Voir l'histoire de sa famille.
- Raphaël Klein. Samy Klein avait trois ans au moment du décès de son père. Il a du en entendre beaucoup parler par sa mère, restée veuve, et sa famille.
- docteur en médecine. Elle continuera de participer au Mouvement des Éclaireurs Israélites de France. Pendant des années, elle sera Commissaire de la Branche Féminine, puis Présidente du Mouvement. A la Fédération Française des Éclaireuses (Voir, Éclaireuses éclaireurs de France ou EEDF), elle représente les Éclaireuses Israélites. Marguerite Klein est
- C'est-à-dire le judaïsme orthodoxe.
- Le mouvement de jeunesse juive orthodoxe que Samy Klein avait contribué à fonder.
- sioniste. Parti et mouvement juif orthodoxe
- Le Comité de coordination de la Jeunesse Juive de France.
- 9, rue Vauquelin à Paris. L'École rabbinique de France (Séminaire Israélite de France ou SIF),
- La position d'Aumônier de la jeunesse juive avait été créé en France pour la première fois et spécifiquement pour Samy Klein.
- Consistoire central est localisé à Paris. Le
- L'équipe Nationale des Éclaireurs Israélites de France.
- Aron Wolf Il s'agit de
- Aron Wolf qui survivra à la guerre. L'épouse de
- La fille de Aron et de Blima Wolf.
- hébreu (en translitération). C'est le mot "charme" en
- Consistoire central. Le
- Talmud Chabbat 127A où il est mentionné que l'étude de la Torah est équivalente à toutes les autres bonnes activités combinées. Ce passage fait partie du début de la prière du matin. Voir, le
- Gestapo l'arrête et le fusille immédiatement dans la cour de la ferme. Les corps des cinq fusillés du 19 mai 1944 de la ferme de Saint-Germain et des trois fusillés du 7 juillet 1944 - Samy Klein, Henri Klein et André Elbogen - sont transférés en même temps, après la guerre, au cimetière israélite de Lyon, rue du rabbin Abraham Bloch. Une fois par semaine, Aron Wolf donne des cours de religion à des jeunes, pour la plupart des anciens éclaireurs, dans la ferme-école de Saint-Germain près de Villemotier, dans l'Ain. Lors d'un de ces cours, la
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