- Beate Klarsfeld
-
Pour les articles homonymes, voir Klarsfeld.
Beate Klarsfeld (née Beate Auguste Künzel, le 13 février 1939 à Berlin) qui fut d'abord une militante anti-nazie, est une militante de la mémoire de la Shoah. Elle est mariée à Serge Klarsfeld, avec lequel elle a deux enfants : Arno (1965) et Lida (1973).
Elle se distingua par son activisme contre les anciens nazis qui voulaient rester au pouvoir en Allemagne. En particulier, au cours d'une réunion du parti CDU, elle gifla le chancelier d'Allemagne fédérale, Kurt Georg Kiesinger, en le traitant de nazi. Il fut éliminé de la vie politique allemande. Ensuite elle attaqua Ernst Achenbach, ancien adjoint d’Otto Abetz, qui avait transmis les ordres de Hitler directement au maréchal Pétain, et qui était candidat pour devenir commissaire européen : le gouvernement allemand dut renoncer à cette nomination. Ces actions furent surtout dues à son initiative personnelle, et eurent une incidence très forte sur la vie politique allemande au tournant des années 1960 et 1970.
Elle poursuivit son action, avec l'aide de Serge, en attaquant dans les médias et par des manifestations, des criminels nazis qui avaient été condamnés par contumace en France, notamment :
- Kurt Lischka, SS antisémite virulent, qui dirigea la grande rafle des Juifs à Paris en juillet 1942 (connue sous le nom de rafle du Vel' d'Hiv) ;
- Herbert Hagen, SS théoricien de l'antisémitisme, qui avait eu sous ses ordres Adolf Eichmann avant la guerre dans un service de propagande antisémite au sein de la SS, et qui organisa les déportations des Juifs de Bordeaux dès janvier 1942. Ensuite, chef de l'état-major de Oberg, il eut en charge la politique d'exécution d'otages ;
- Klaus Barbie, SS chef de la Gestapo à Lyon, connu pour avoir fait périr Jean Moulin sous la torture et pour avoir ordonné la déportation des enfants de la colonie d'Izieu.
Avec le soutien du Congrès juif mondial, elle créa la Beate Klarsfeld Foundation dont le siège était à New York et participa à de nombreuses actions, soutenues financièrement par les associations juives américaines, visant à entretenir la mémoire de l'Holocauste. Ensuite son action est plus liée à celle de Serge Klarsfeld, et parfois même inséparable.
Faite chevalier de la Légion d'honneur en octobre 1984, elle a été promue officier de la Légion d'honneur en avril 2007[1] par Jacques Chirac, sur proposition de son Premier ministre Dominique de Villepin, et a ensuite reçu cette décoration des mains du président de la République récemment élu, Nicolas Sarkozy.
Elle est nommée Commandeur dans l'Ordre National du Mérite, en mai 2011[2].
Sommaire
Biographie simplifiée
Née dans un milieu modeste comme fille d'un homme des SS, sans diplôme mais d'une détermination peu commune, elle décide de venir en France à l'âge de 21 ans pour échapper à ce qui lui paraît être son destin KKK (l'allitération allemande Kinder, Küche, Kirche, aussi appelée "les trois K", que l'on traduit en français par « Enfants, Cuisine et Eglise) si elle ne réagit pas. À Paris, elle connaît d'abord la vie tristounette de jeune fille au pair mais elle étudie le français avec ardeur à l'Alliance française et lit pour se cultiver. Elle fait la connaissance de Serge Klarsfeld, qu'elle épouse en novembre 1963. Elle entre alors dans un milieu cultivé et y prend conscience de l'histoire récente de l'Allemagne et du sort des Juifs pendant la dernière guerre mondiale.
Devenue secrétaire bilingue dans l'Office franco-allemand pour la jeunesse, elle publie un petit guide pour les jeunes filles allemandes au pair à Paris, ce qui lui vaut une petite célébrité et la vindicte de certains cadres de l'Office. Elle est tentée par le journalisme et précise sa position politique : elle s'inscrit au SPD, car elle se sent plus proche de Willy Brandt, qui a combattu le nazisme dès les années 1930, que des hommes politiques du parti CDU.
L'affaire Kiesinger
Quand, suite à la démission du chancelier Ludwig Erhard fin 1966, Kurt Georg Kiesinger est candidat à la Chancellerie, elle apprend le passé nazi du candidat en lisant les journaux français qui s'émeuvent de cette candidature. Une fois Kiesinger promu chef d'une coalition avec Willy Brandt (SPD), ministre des affaires Etrangères, les journaux se taisent, mais Beate Klarsfeld reprend le flambeau de la protestation dans un article qui paraît le 14 janvier 1967 dans Combat : Les deux visages de L'Allemagne. Elle récidive en mars suivant et est licenciée de l'Office franco-allemand fin août. La justice française refuse de statuer sur ce licenciement car l'Office est de droit international et Beate Klarsfeld, sur des conseils d'hommes politiques allemands, décide de porter l'affaire sur le plan politique.
Beate Klarsfeld sollicite l'aide de personnalités politiques françaises et celle du milieu juif engagé dans les poursuites contre les criminels nazis. En particulier elle rencontre Simon Wiesenthal. Elle retrouve tous les documents qui prouvent l'implication au très haut niveau de Kiesinger dans la propagande radiophonique nazie. Son enquête lui permet de mettre en évidence l'existence d'une nébuleuse de réseaux d'entraide d'anciens nazis et même d'anciens SS. Elle découvre ainsi que l'Office franco-allemand pour la jeunesse en a abrité et que le chef de la commission de l'Office qui doit statuer sur son licenciement, Walter Hailer, est un ancien nazi. Elle publie fin 1967 le résultat de ses recherches dans une brochure intitulée La vérité sur Kurt Georg Kiesinger. Pour augmenter la pression sur le gouvernement Kiesinger, elle cherche des alliés et prend contact avec le leader étudiant de gauche Rudi Dutschke.
Elle organise des réunions politiques soutenues par des intellectuels allemands, où elle distribue sa brochure. C'est le 9 mai 1968, au cours de l'une de ces réunions où Günter Grass attaque Kiesinger, qu'elle promet, prise par l'excitation générale, de gifler en public le chancelier Kiesinger. Elle consacre l'été 1968 à une campagne médiatique contre Kiesinger ; elle apostrophe Kiesinger au Bundestag: "Kiesinger, nazi, démissionne!" ; le mercredi 7 novembre, jouant la journaliste, elle réussit à gifler Kiesinger en le traitant de nazi alors qu'il préside le Congrès du parti CDU. Elle est aussitôt arrêtée et condamnée à un an de prison ferme. Mais, comme elle le raconte à Karine Grunebaum pour le magazine Paris-Match, "Je rappelle au juge ma double nationalité et je lui conseille de ne pas me jeter en prison. Une heure plus tard, je suis libre... Une semaine après, je me rends à Bruxelles pour faire campagne contre Kiesinger qui doit parler devant les dirigeants de l’Otan. Quand il prend la parole, les insultes pleuvent, l’obligeant à se taire. Sa carrière politique est ébranlée. En 1969, c’est Willy Brandt, un ancien résistant, qui devient chancelier. Il m’amnistie aussitôt. Aujourd’hui, la photo de la gifle se trouve au musée de l’Histoire allemande.".
Beate la gifleuse devient une personnalité sulfureuse sur l'échiquier politique allemand. Elle décide de se présenter aux élections de septembre 1969 contre Kiesinger, mais le SPD lui refuse l'investiture et elle s'inscrit au nom d'un parti d'extrême gauche sans grande audience, l'ADF. Elle mène une campagne très active et violente contre Kiesinger, avec l'aide de partisans de l'extrême gauche et, si elle est largement battue, Kiesinger, qui était donné gagnant dans cette circonscription acquise au CDU, l'est aussi. Sur le plan national, le parti néo-nazi NPD n'obtient pas de siège au Bundestag. Une coalition SPD FDP nomme Willy Brandt chancelier.
In fine, elle obtient de Willy Brandt la signature d'une nouvelle convention franco-allemande, le 2 février 1971, qui permet à la justice allemande de juger les anciens nazis qui ont été condamnés par contumace en France après la guerre. Cette convention en remplace une autre du 29 octobre 1954 par laquelle la France se réservait le droit exclusif de les juger, alors que la France avait contresigné, en tant que nation occupante, la nouvelle constitution de la République Fédérale qui interdisait à l'Allemagne d'extrader des criminels pour qu'ils soient jugés à l'étranger. Cette convention de 1954, en liaison avec la constitution allemande, garantissait l'impunité des criminels nazis en Allemagne.
L'affaire Achenbach
Le 30 mars 1970, on apprend que Ernst Achenbach, du parti FDP, sera proposé, conformément aux accords SPD-FDP, comme délégué allemand à la Commission de la C.E.E. Or, nazi depuis 1933, il était premier délégué d'Abetz en 1940, et, après l'entrevue de Laval et Hitler, il a accompagné Laval à Vichy pour convaincre le Maréchal Pétain d'accepter une entrevue avec Hitler. Il a fait partie de l'escorte dans le long voyage de Vichy à Montoire où eut lieu cette entrevue le 24 octobre 1940. Achenbach fut également en charge de la propagande radio en France. À ce titre, il avait des contacts avec Kiesinger. Mais l'accusation la plus grave porte sur la conduite des opérations de représailles suite aux attentats contre des officiers allemands à Paris. Beate Klarsfeld démontre que, dans le but de préserver l'esprit de la collaboration d'État, Abetz et son adjoint Achenbach ont fait porter sur les Juifs la responsabilité des attentats, et a ainsi justifié les opérations de déportation vers Auschwitz, en particulier la déportation de 2 000 Juifs, du 26 février au 3 mars 1943. Il fut ensuite muté à Berlin où il travailla proche de Kiesinger, avec qui il conserva toujours des contacts après la guerre.
Beate Klarsfeld fait publier dans la presse française et la presse allemande un dossier qui présente la carrière nazie d'Achenbach, et elle intervient auprès des hautes instances politiques françaises, allemandes et communautaires. Fin mai, le gouvernement allemand renonce à cette nomination.
Les nazis qui martyrisèrent la France et les Juifs
Ses recherches au Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) lui permettent d'étudier les documents concernant deux SS qui furent des plus impliqués dans l'extermination des Juifs vivant en France : Kurt Lischka et Herbert Hagen.
Ils avaient bénéficié, après la guerre, de l'indulgence de la IVe République à cause des changements incessants de gouvernements et de la convention franco-allemande de 1954.
Avec l'appui de Serge Klarsfeld et de militants de la L.I.C.R.A., elle entreprend des actions de harcèlement, dont des tentatives rocambolesques d'enlèvement, qui ont pour objectif d'attirer l'attention des médias sur le sujet de l'impunité des criminels SS.
In fine, ils furent jugés et condamnés à Cologne en 1980.
Klaus Barbie
Klaus Barbie avait été condamné en France par contumace après la guerre. Beate et Serge Klarsfeld connaissent bien son passé par l'étude des dossiers présents au CDJC, et ils savent pertinemment que Altmann, qui vit en Bolivie, n'est autre que Barbie. Les dates de naissance des enfants Altmann sont celles des enfants Barbie. Elle apprend au CDJC en juillet 1971 que le procureur de Munich a classé une instruction ouverte contre Barbie sur la demande d'une association allemande de victimes du nazisme, alors que la justice allemande sait qui est Altmann. Beate et Serge Klarsfeld entreprennent une série d'actions auprès des autorités françaises, allemandes et européennes, actions soutenues par le milieu juif, pour obtenir l'extradition en France de Klaus Barbie. Mais cela sera un long et très dur combat.
Ils finirent par obtenir satisfaction, et Klaus Barbie fut finalement jugé à Lyon en 1987. Mais tous ces combats contre les anciens SS attirèrent des haines, et la famille Klarsfeld eut à subir de nombreuses menaces et échappa de peu à un attentat par colis piégé en mai 1972.
La Beate Klarsfeld Foundation
L'action de Beate Klarsfeld était très suivie dans les milieux juifs américains, et elle y acquit la réputation de chasseur de nazis. Ces milieux lui proposèrent de faire des conférences sur la chasse aux nazis et sur le génocide. Elle créa en 1979 une fondation qui porte son nom, qui, à ses débuts, était domiciliée 315 Madison Avenue - N.Y.- Room 3303. Cela lui permettait de récolter des fonds aux États-Unis, en particulier de l'Anti-Defamation League (A.D.L.) et du B'nai B'rith Office de New York.
Partage des tâches entre Beate et Serge Klarsfeld
Il est certain qu'au début de leur combat contre les anciens nazis, c'est Beate qui eut le premier rôle du simple fait que Serge ne parlait pas l'allemand et ne pouvait pas faire certaines recherches. C'est Beate qui au début des années 1970 entreprit aussi des actions dans les pays de l'Est où l'antisémitisme reprenait, et qui connut les arrivées en pays inhospitaliers, et les prisons est-allemandes, polonaises et tchèques.
Par la suite, quand leur action se porta sur la France, c'est Serge qui occupa le devant de la scène. Ainsi, pendant les procès de Paul Touvier et Maurice Papon, Beate se tint en retrait. La ligne de partage fut celle de la nationalité : ce fut Beate qui avait les contacts en Allemagne, en particulier avec Willy Brandt, et Serge qui avait les contacts avec les ministres de la Justice français et les présidents François Mitterrand et Jacques Chirac.
Passé le tournant du siècle, ils présentent leurs actions sur le site de la "Beate Klarsfeld Foundation" comme étant totalement communes.
Sources
Les renseignements portés par cet article proviennent principalement du livre de Beate Klarsfeld, Partout où ils seront, édition spéciale 1973 (première édition 1972).
- (en) Chronologie sur le site de la Fondation Klarsfeld
- Famille Klarsfeld, le père, Le Monde du 9 novembre 2001, Marion Van Renterghem
Notes et références
- Journal officiel nº 84 du 8 avril 2007, page 6583
- Decret du 13 mai 2011. J.O. du 15 mai 2011.
Catégories :- Naissance à Berlin
- Activiste politique allemand
- Mémoire de la Shoah
- Histoire des Juifs en France
- Officier de la Légion d'honneur
- Naissance en 1939
Wikimedia Foundation. 2010.