Fouché, le double jeu

Fouché, le double jeu
Fouché, le double jeu
Joseph Fouche.jpg
Auteur André Castelot
Genre Biographie
Pays d'origine Drapeau de France France
Éditeur Librairie Perrin
Collection Biographie historique
Date de parution 1990
ISBN 2-262-00861-2
Chronologie
Madame du Barry
La Reine Margot

Fouché, le double jeu est une biographie de Joseph Fouché par André Castelot membre de l'Institut de France.

Fouché a vécu à une période qu'André Castelot connaît bien puisqu'il lui a consacré de nombreux ouvrages, aussi bien sur la famille royale, sur les révolutionnaires que sur la famille impériale.

Sommaire

Présentation générale

Depuis les biographies de références sur Fouché, celles de Louis Madelin et de Stefan Sweig, celle d'André Castelot se base sur une analyse critique des Mémoires de Fouché et sur des documents inédits provenant des archives nationales et de celles des Affaires étrangères. Ces nouvelles pièces à verser au dossier permettent de mieux suivre sa démarche sinueuse à travers toutes les chausse-trappes de l'époque.

Cette biographie de Joseph Fouché écrite par l’historien André Castelot apporte des informations inédites dont on[Qui ?] a dit qu’il « avait renouvelé la connaissance de Joseph Fouché. »

  • Elle intègre les Mémoires du duc d’Otrante qu’on a pendant longtemps jugés apocryphes qui reposent pourtant sur des éléments probants[1].
  • Elle repose sur des « documents souvent inédits provenant des Archives nationales et des Affaires étrangères. »
  • Elle utilise la documentation rassemblée par Alain Decaux pour écrire une biographie de Fouché qu’il ne put écrire faute de temps et qu’il mit à la disposition de son ami André Castelot.

Portrait de l'homme

Évoquant Joseph Fouché, Napoléon eut ce jugement flatteur sur son ministre : « Le seul homme d’état que j’ai eu[2].  » Beau compliment d’un homme peu coutumier d’en faire. La plupart de ses contemporains le décrivent comme froid et calculateur, un homme insaisissable dont il faut se méfier[3], un homme qui sert les régimes avec toujours le même zèle[4]. Cette fâcheuse réputation lui jouera des tours plusieurs fois, se sera évincé du pouvoir et n’accèdera jamais au ministère des Affaires étrangères[5].

Pourtant, il a été un adolescent sage et malingre qui poursuivit sérieusement des études qui le mèneront à l'Oratoire où il enseignera la physique. Pour cette raison, ses adversaires à la Convention le traiteront de 'prêtre défroqué'. Pourtant, lors de son séjour à Arras, beaucoup des gens qui l’ont connu lui reconnaissent de l’entregent, il est à l’aise en société, se liant d’amitié avec Robespierre et sa sœur Charlotte que, si l’on en croit ses propos, il faillit épouser. Il est un père de famille exemplaire, fort amoureux de sa première femme Bonne-Jeanne, une rouquine passant pourtant pour être fort laide, aimant beaucoup ses enfants dont il s’occupait assidûment. C’est un portrait contrasté que donne André Castelot, assez différent du mythe de l’homme sans qualité, espèce de Machiavel dont il a laissé l’image.

La toilette de Fouché est « plus que sommaire » estime Barras. Ses seuls plaisirs, outre la vie de famille qu’il cultive avec application[6], tournent autour de l’équitation le matin et la musique en soirée. Quand ce bourreau de travail se sent surmené, il mande un joueur de flûte du Théâtre de Vaudeville et, « à mesure qu’il joue, il sent véritablement ses nerfs se détendre » note Castelot. Madame de Chastenay ajoutera : « Son impassibilité ne se dément jamais ».

Il a aussi beaucoup d’esprit, ce que Napoléon ne goûtera pas forcément. Un jour de 1809, que Napoléon lui reproche son passé régicide, Fouché lui répond : « Oui sire, c’est le premier service que j’ai eu le plaisir de rendre à votre majesté ». Madame de Chastenay, sa bonne amie le décrit ainsi dans ses Mémoires : « Fouché était assez grand, maigre, d’une pâleur qui venait surtout de ce que, dans sa jeunesse, ses cheveux avaient été d’un blond très fade. Les yeux, fort petits, fort rapprochés, très rouges, étaient cependant assez perçants et toute cette figure ne manquait ni de physionomie, ni à l’occasion d’une certaine jeunesse. »

Contenu et résumé

Fouché conventionnel

Son collègue Collot d'Herbois

De l’époque révolutionnaire, Joseph Fouché aimait peu parler, il le résumait par cette formule : « Il fallut plus ou moins hurler avec les loups. » Formule lapidaire qui cache un passé de régicide et de « mitrailleur » qui le poursuivra toujours[7], qui rejoint l’opinion de Jean Tulard : c’est d’abord un opportuniste, une bête politique qui analyse les événements et flaire les bonnes solutions pour se retrouver dans le camp des vainqueurs. Comme représentant en mission de la Convention, il va devenir redoutable : quand il quitte Nevers, il écrit à paris : « Dans 15 jours, il n’y aura ni or ni argent (à prendre) dans les départements de l’Allier et de la Nièvre. »[8]

A travers son action, il vise deux bus : la "déchristianisation" des départements où il est en mission[9], luter contre les riches, les 'accapareurs'[10]. Le 10 novembre 1793, Joseph Fouché est à Lyon avec Collot d’Herbois avec mission de venger la mort de Chalier[note 1] et de détruire la ville rebelle[11] . C’est le temps des mitraillages, « soyons terribles, écrit-il au Comité de salut public, pour ne pas craindre de devenir faibles et cruels[12]. » Également parfait adepte du double jeu comme le rappelle le titre de cette biographie, il tente de se dédouaner, se retourne contre la Convention[13]. Croyant à une évolution de la Convention, il réagit trop vite, dissout les Comités révolutionnaires et est rappelé à Paris.

Il décide de rencontrer Robespierre pour se disculper mais l’entrevue est un fiasco : entre eux, c’est désormais la guerre[14]. Fouché tremble désormais pour son avenir mais la tentative d’assassinat contre son confrère Collot d’Herbois le tire d’affaire. Robespierre réagit, le met en accusation et le fait exclure du Club des Jacobins. Fouché n’ose plus dormir chez lui[15]. Il n’en poursuit pas moins inlassablement son travail de sape sans se mettre en avant[16] et sera l’un des principaux artisans de la chute de Robespierre le 9 thermidor (28 juillet 1794)[17]. Toute cette activité sera vaine puisqu’il est rejeté par les nouveaux maîtres, les Thermidoriens. Première disgrâce qui finira quand Barras parviendra à le faire nommer ministre plénipotentiaire d’abord à Milan (république transalpine) puis en Hollande (république batave)[18].

Fouché sous le Directoire

En 1797, la situation est si confuse que le Directoire cherche un ministre de la police assez compétent pour rétablir l’ordre. D’après André Castelot, c’est Talleyrand qui a suggéré la solution Fouché[note 2]. Sitôt nommé, Fouché se met à la tâche, s’occupe de ce qu’il reste de royalistes et musèle La Montagne en fermant le club des Jacobins, « un parfait chef d’œuvre du double jeu » conclut André Castelot. Les caisses sont vides, il les remplit, en monnayant les services de police[19].

Mais il est évident que le Directoire est en sursis et Fouché va mettre ses dons d’organisation, son esprit de décision au service de Bonaparte qui rentre d’Égypte. Avec le préfet de police Réal[20], s’appuyant sur Barras et surtout sur Sieyès, les principaux directeurs, il va mettre sa science et sa police au service à la disposition de Bonaparte[21]. C’est lui qui rédige la note qui informe les citoyens des changements politiques[note 3].

Le 11 novembre 1799 (20 brumaire an VIII), Bonaparte, Sieyès et Roger Ducos se réunissent au palais du Luxembourg : le Consulat est né. Fouché –'la perdrix rouge' l’appelle-t-on parfois à cause du liseré rouge qui borde ses yeux- est bien sûr reconduit dans ses fonctions. Il définit sa doctrine[22] et commence à mettre en place un grand réseau d’informateurs, une toile d’araignée pour tout savoir sur tous[23].

Quand survient la fausse nouvelle de la défaite de Marengo, Fouché garde la tête froide, calme le jeu et Napoléon lui sera gré de sa conduite en cette occasion[24]. « Ma reconnaissance pour tous les services que vous avez rendus à la république, lui dit Napoléon, a encore été augmentée par la découverte des 'comités anglais'[25]. L’attentat manqué de la rue Saint-Nicaise lui donne l’occasion de confondre ses détracteurs et de résoudre le plus dangereux des complots royalistes[26].

Mais Fouché sort de son rôle, se mêle de politique et en 1802, il va marquer ses réticences en deux occasions importantes, s’opposant toujours à sa manière par des contacts discrets avec le Sénat, à la signature du Concordat puis essayant d’éviter que Bonaparte ne devienne Consul à vie[27]. Mais le 20 juillet 1802, un plébiscite ratifie cette nomination[28]. Bonaparte, toujours aussi vindicatif et poussé par ses frères Joseph et Lucien, trouve un subterfuge pour se débarrasser de Fouché : il supprime son ministère. En contrepartie, il est nommé sénateur et reçoit la sénatorerie d’Aix-en-Provence, qui rapporte au moins 20.000 francs par an.

Son Excellence, monsieur le Sénateur

Pendant sa disgrâce, Fouché est un sénateur assidu, un homme toujours présent dans sa famille[29] dans le château de Ferrières-en-Brie[30] qu’il vient d’acquérir et dont il agrandira largement les dépendances. Il y reçoit ses amis, d’anciens conventionnels comme Daunou et Thibaudeau ou sa grande amie madame de Chastenay.

Mais il garde un œil sur les affaires, a des contacts avec son réseau d’informateurs et Bonaparte lui demande même d’aller jouer les médiateurs en Suisse. Il devient très influent au Sénat et sur les instances de Bonaparte, il va réussir à convaincre le général Moreau, impliqué dans un nouveau complot royaliste de Cadoudal[31], de s’exiler aux États-Unis. Sans fonction officielle, il joue un rôle capital dans le passage à l’Empire puis, comme membre de la « commission des dix », prépare le texte qui instaure le Premier Empire[32]. Le 10 juillet 1804 -21 messidor an XII- il assiste au triomphe de Napoléon chez Augereau au château de La Houssaye. Après une longue entrevue avec l’Empereur, il est réintégré dans ses fonctions.

Monsieur de duc d'Otrante

Joseph Fouché reprend ses fonctions de ministre de la police dont il disait : « Pour savoir ce qui se passe, il faut bien mettre un peu son nez partout ». Mais ses fonctions vont bien au-delà : il dirige la gendarmerie, les prisons, s’occupe de la censure, des émigrés, des correspondances avec l’étranger… une espèce de super ministère.

La grande affaire du moment, qui est taboue et qu’il ne faut surtout pas évoquer, c’est la stérilité de Joséphine[33] et l’avenir de la dynastie. Fouché qui craint le retour des Bourbons va pousser l’empereur à trouver une femme qui l’ancre dans les dynasties régnantes et lui donne un héritier[34]. En 1807, il s’adresse directement à Napoléon, « je lui représentais la nécessité de dissoudre son mariage », de se remarier pour « donner un héritier au trône ». A l’automne, il va encore plus loin, envoyant à Joséphine une lettre explicite où il l’incite à faire passer les intérêts de l’État avant les siens… Lettre que Joséphine fait lire à un Napoléon content sur le fond, mais irrité par le toupet de son ministre[35]. Excès de zèle qui sert bien Napoléon mais qui un jour lui sera fatal[36].

Pendant que l’Empereur est à Bayonne, préparant l’invasion de l’Espagne, Malet, un obscur général, concocte un projet de complot quelque peu fumeux et vite éventé mais le préfet de police veut en tirer tous les bénéfices et l’on assiste à un chassé-croisé entre Dubois et Fouché qui irrite Napoléon, même si Fouché en sort vainqueur. N’empêche : le complot reposait sur un empereur absent de Paris et sans héritier.

En 1808, Fouché va annihiler les dernières velléités royalistes : leurs groupes seront démantelés, leurs chefs La Haye Saint-Clair, Prégent, Armand de Chateaubriand (le neveu de l’écrivain)[37] exécutés. Napoléon est aux anges et félicite son ministre qui atteint son apogée.

Talleyrand[38] et Fouché se serrant la main, discutant sereinement : ce qu’à Paris on croyait impossible, s’accomplit. Ils sont tous deux inquiets et envisagent les possibles successeurs. Le 23 janvier 1809, Napoléon revient d’Espagne à toute vitesse pour tirer les oreilles aux deux galopins qui ont osé tant d’impudences. Crime de lèse-majesté : c’est Talleyrand qui fait les frais de la disgrâce. Le 12 avril 1809, la guerre reprend avec l’Autriche. Les Anglais profitent de la défaite d’Essling pour débarquer dans l’estuaire de l’Escaut. Fouché –ministre de l’intérieur pas intérim- réagit avec énergie, rameute les troupes qui, sous le commandement de Bernadotte[39], rejettent les Anglais. Napoléon salue son courage politique –dont ont tant manqué les autres ministres- et le nomme duc d’Otrante avec 60.000 livres de rentes annuelles[40].

La conjonction de la tentative d’assassinat de Staps à Vienne et l’annonce par Marie Walewska[41] de sa grossesse convainquent Napoléon d’assurer sa succession avec une princesse d’une maison royale. L’affaire sera promptement menée et très vite, l’Empereur va épouser Marie-Louise d'Autriche. Ceci ajouté à l’exécution du duc d’Enghien[42] tend à enraciner l’Empire et à écarter le retour des Bourbons. Fouché en est soulagé.

La fin de l'Empire

Une nouvelle fois, Fouché va être victime de lui-même, de cette fatuité dit André Castelot de se croire supérieur aux autres. Sans en informer l’Empereur, il va se mettre en tête de négocier une paix séparée avec l’Angleterre, prenant des contacts, se compromettant par des écrits. Quand l’Empereur l’apprendra –pare son frère Louis- ce sera l’explosion. Se déroule alors une espèce de vaudeville où Fouché ridiculise Savary son successeur en détruisant une partie des archives du ministère, en refusant de rendre à Napoléon des documents importants. L’Empereur va vraiment se fâcher et Fouché, effrayé de sa folle impudence, fuit en Italie, demande l’intercession d’Élisa Bonaparte[43] pour apaiser le courroux de son frère.

Finalement, Fouché restituera les documents en litige et pourra résider dans sa sénatorerie d’Aix-en-Provence. C’est au cours d’un voyage à Marseille qu’il rencontre celle qui deviendra sa seconde épouse Ernestine de Castellane-Majastre. En septembre 1811, il est autorisé à regagner son château de Ferrières-en-Brie. Il revoit Napoléon et le met en garde sur les dangers d’une guerre contre la Russie[44]. Le 8 octobre 1812, il perd sa chère Bonne-Jeanne, compagne des bons comme des mauvais jours, qu’il a vraiment aimée[45]. Il a dû bien rire quand il apprit que pendant le second complot du général Malet[46], son successeur Savary avait été arrêté et emprisonné pendant plusieurs heures[47]. Napoléon est à Dresde quand en mai 1813, il rappelle Fouché, ne voulant pas le laisser à Paris[48]. Il l’envoie en mission à Naples auprès de Murat qui s’éloigne de son beau-frère et a pris de contacts avec les Autrichiens et les Anglais.

Fouché est nommé gouverneur général de l'Illyrie[49], passe par Prague pour tenter une dernière démarche diplomatique auprès de Metternich et s’installe dans la capitale Laibach[50] où il arrive le 29 juillet 1813. Mais la guerre reprend et malgré tout son flegme devant l’avance de l’ennemi, il se replie sur l’Italie pour s’établir à Bologne. Il repart bientôt pour Naples tancer Murat, toujours aussi dubitatif sur la conduite à tenir, utilise une « manière très personnelle d’interpréter les ordres de l’Empereur pour empêcher la trahison de Murat », comme écrit André Castelot[51].

Il espère gagner Paris avant la défaite annoncée mais après un crochet par Toulouse pour éviter les armées ennemies, il n’y arrive que le 8 avril 1814… une semaine plus tard, Talleyrand est dans la place. Il assiste donc au rétablissement des Bourbons à travers un projet de constitution élaboré par le Sénat[note 4], intervient pour trouver un compromis entre les ultras et les tenants d’une monarchie constitutionnelle. Dans une lettre à Monsieur, comte d’Artois, futur Charles X, il a cette vision prémonitoire : « Napoléon sur ce rocher (l’île d’Elbe) serait pour l’Italie, pour la France, pour toute l’Europe ce que le Vésuve est à côté de Naples. Avec son sens politique aigu, Fouché donne au roi de forts bons conseils, écrit par exemple à madame de Custine : « Pourquoi au lieu d’espérance vague, ne pas donner sur-le-champ aux émigrés tout ce qu’on peut leur rendre, vous les satisferiez et vous n’inquiéteriez personne ». Il pense bien rentrer en grâce mais l’intervention de la duchesse d’Angoulême, fille de Louis XVI, ruine ses espoirs. Rentré à Ferrières-en-Brie, il ne tient pas en place, multiplie correspondance et entrevues.

La parenthèse des Cent-Jours

Joseph Fouché déclarait plusieurs mois avant que le 5 mars 1815, Napoléon ne débarque à Golfe-Juan, que le succès d’une telle action « dépendrait du premier régiment qui serait envoyé au-devant de lui ». Préscience d’un homme dont I. de Saint-Elme disait : « On ne pouvait le pénétrer, il vous pénétrait toujours ». Son entregent, son autorité impressionnent aussi le comte d’Artois qui lui accorde un entretien à l’hôtel de la princesse de Vaudémont.

Mais Bourrienne, nouveau préfet de police, s’avise de le faire arrêter. Se déroule alors un nouveau vaudeville, mystifie les policiers venus l’arrêter, tombe littéralement dans les bras de sa voisine Hortense de Beauharnais qui l’aide à s’enfuir. Napoléon, de retour à Paris et apprenant 'l’évasion' de Fouché, s’exclamera : « Il est décidément plus malin qu’eux tous »… et pour la quatrième fois va le nommer préfet de police.

Fouché a bien senti la situation délicate dans laquelle se trouve l’Empereur[52], joue plus que jamais double jeu, prend des assurances auprès des Bourbons mais Napoléon n’est pas dupe et le fait surveiller[53]. Napoléon s’en trouvera bien car c’est ainsi, par des négociations avec ses contacts chouans, que Fouché évitera qu’une révolte sanglante ne renaisse en Vendée[54]. Dès l’annonce de la défaite de Waterloo, Fouché sait que l’Empire a vécu et qu’il faut agir pour l’avenir. Au Sénat, il va utiliser la même méthode qu’au 9 thermidor pour abattre Robespierre : aux Bonapartistes, il susurra d’accorder les pleins pouvoirs à Napoléon et devant les autres, il agite le spectre de la dictature.

Il tranquillise le chancelier Pasquier qui représente Louis XVIII, manœuvre les assemblées –le Sénat et la Chambre des pairs- et le 23 juin 1815, contre Carnot, il est élu président de la commission du gouvernement, autrement dit chef de l’exécutif. Les Assemblées se rallient à une solution Napoléon II mais Fouché sait à quoi s’en tenir sur les sentiments des Alliés[55].

Il peut être satisfait, son étoile est au zénith aussi bien auprès des royalistes[56] que des princes eux-mêmes[57]. Tandis que les Alliés encerclent Paris, Fouché tire les ficelles pour ménager l’armée et que la royauté soit restaurée en douceur. Avec une pointe d’ironie, il dira : « Me voilà encore sur les flots et au milieu des tempêtes ». Tout se passa selon ses vœux et Louis XVIII fut obligé d’avaler quelques couleuvres où le duc d’Otrante n’était pas étranger :

- L’ordonnance de nomination de Fouché au ministère de la police[58]. « Hors de Fouché, point de salut » constate monsieur de Vitrolles. - La nuit de Saint-Denis au cours de laquelle Fouché prêta serment introduit par Talleyrand, "cette vision d’enfer", « le vice appuyé sur le bras du crime, monsieur de Talleyrand soutenu par monsieur Fouché » écrira Chateaubriand dans Les mémoires d’outre-tombe[note 5].

Dernière disgrâce et exil

Fouché semble être à sa place dans le nouveau régime. Si l’on regarde le chemin parcouru, l’itinéraire est extraordinaire[note 6]. Le baron de Vitrolles est tout étonné de deviser paisiblement chez Fouché dans un grand salon plein d’un monde bigarré venant de tous les régimes qui en 20 ans ont traversé la France[59]. Mieux même, il fait avaler à Louis XVIII une nouvelle couleuvre en lui faisant signer son acte de mariage avec Gabrielle-Ernestine de Castellane, vieille famille française désargentée[60].

Il pensait avoir fait l’essentiel, le plus difficile. Erreur, lui qui savait si bien anticiper, prendre le pouls de l’opinion, ne pressent pas la fragilité de sa situation et le rôle des Ultras qui s’agitent après leur victoire aux élections. C’est finalement son vieil ennemi Talleyrand qui prend les devants pour sauver son ministère[61]. Vain effort, puisqu’il sera rapidement remplacé par le duc de Richelieu[62].

Fouché est éloigné, nommé ambassadeur en Saxe où il retrouve Dresde. Mais les Ultras[63] vont se déchaîner et l’exclure de la loi d’amnistie, pis même, lui interdire le sol français. Il tente de sauver les apparences, espérant encore des jours meilleurs, même s’il accuse le coup[64]. Son exil prend un tour d’errance quand il quitte Dresde pour Prague où il se brouille avec son ami le comte Thibaudeau dont le fils a noué une intrigue amoureuse avec la duchesse d’Otrante[65]. Puis il passe par Carlsbad et s’établit à Linz, petite ville d’Autriche où il ne se plaît pas.

Metternich l’autorise à séjourner à Trieste au bord de l’Adriatique où il retrouve d’autres exilés, Jérôme Bonaparte le frère cadet de Napoléon, et sa sœur Élisa Bonaparte. Il semble qu’il accepte mieux son sort[66], commence volontiers les événements[67] mais sa santé s’est beaucoup détériorée.

Le 20 décembre 1820, il prend froid, contracte une pleurésie et mourra 5 jours plus tard. « Le sort d’un exilé, a-t-il dit en soupirant, est d’être un objet de contagion pour tous qui l’approchent ».

Bibliographie

principales biographies d'André Castelot
  • Philippe égalité, le prince rouge, Librairie Perrin, 1951, ouvrage couronné par l'Académie française
  • Marie-Antoinette, Librairie Perrin, 1953, ouvrage couronné par l'Académie française
  • Joséphine, Librairie Perrin, 1965, prix du Plaisir de lire
  • L'aiglon, Napoléon II, Librairie Perrin, prix Richelieu en 1959 et prix des Mille lecteurs en 1967
  • Bonaparte et Napoléon, Librairie Perrin, 1968
  • Napoléon III (2 volumes), Librairie Perrin, 1974, prix des Ambassadeurs
  • Maximilien et Charlotte, Librairie Perrin, 1978, prix du Cercle de l'Union
  • Talleyrand ou le cynisme, Librairie Perrin, 1980
  • Henri IV le passionné, Librairie Perrin, 1980
  • Madame Du Barry, Librairie Perrin, 1989
  • Fouché, le double jeu, Librairie Perrin, 1990

Autres biographies

  • Stefan Zweig Fouché, biographie, traduit de l'Allemand par Alzir Hella et Olivier Bournac, Édition française Bernard Grasset, Le Livre de Poche historique n°525-526, 1973
Article détaillé : Joseph Fouché (biographie).
Article détaillé : Joseph Fouché (Tulard).

Mémoires et souvenirs

Données connexes

  • Joseph Valynseele, La descendance de Fouché : Princes et ducs du Premier Empire non maréchaux, leur famille et leur descendance, 1959
  • Ernest d'Hauterive, Bulletin de la police secrète
  • Aulard Le culte de la raison; recueil des actes du Comité de salut public
  • Despatys, (d'après les Mémoires de Gaillard), Un ami de Fouché
  • Albert Vandal, L'avènement de Bonaparte
  • Louis Madelin et Lumbroso, Le Portefeuille de Fouché

Notes et références

Notes
  1. Discours de Fouché : « Chalier, tu n’es plus ! Martyr de la liberté, les scélérats t’ont immolé. Chalier, Chalier, nous jurons sur ton image sacrée de venger ton supplice. Oui, le sang des aristos te servira d’encens !
  2. Selon Jean Tulard, ce serait plutôt Paul Barras qui aurait proposé la solution Fouché à ses collègues. [NDRL)
  3. «  Citoyens, la République était menacée d'une dissolution prochaine.[...] Que les faibles se réssurent, ils sont avec les forts : que chacun suive avec sécurité le cours de ses affaires [...] Tous ceux qui pourront attenter à la sûreté publique ou particulière seront saisis et livrés à la justice. »
  4. Article 1er : «  Le gouvernement français est monarchique et héréditaire de mâle en mâle par ordre de primogéniture.  » et Article 2 : «  Le peuple français appelle librement au trône de France Louis-Stanislas-Xavier de France, frère du dernier roi, et après lui les autres membres de la maison du roi dans l'ordre ancien.  »
  5. C’était aussi oublier qu’il était allé humblement solliciter le soutien de Fouché pour tenter de sauver son cousin Armand, impliqué dans un complot royaliste. (NDLR)
  6. Louis Madelin : « On pense dans quels sentiments d’ivresse, ou tout au moins d'orgueilleuse satisfaction, cet homme sorti des Tuileries pour gagner l'hôtel de la Police, ces mêmes Tuileries où il était venu en 1794 défendre sa tête devant le Comité de salut public, où tant d'années il avait conféré avec Bonaparte, Premier consul et Empereur, où le 20 mars, il avait reparu et d'où il sortait ce soit-là, ministre de Louis XVIII... »


Références
  1. Louis Madelin lui-même, premier grand biographe de Fouché, est revenu sur son jugement de contester la véracité des Mémoires
  2. Confidence rapportée par Cambacérès
  3. Barras écrivit dans ses Mémoires : « Il réunissait la défiance unanime du Directoire. » Napoléon, à la fin de l’Empire en 1813-1814, voulant l’éloigner de Paris, l’enverra en mission dans les Provinces Illyriennes puis auprès de Murat à Naples
  4. Joseph Fouché a successivement servi six régimes de 1793 à 1815
  5. Par exemple, son éviction au début du Directoire ou ses deux disgrâces sous l’Empire
  6. Il dit de sa femme Bonne-Jeanne qu’elle est « le modèle et l’exemple de son sexe »
  7. Un passé qui lui voudra son ultime disgrâce sous la Restauration
  8. Voir lettres de Joseph Fouché : archives de la maison Charavay
  9. Voir le décret Fouché du 9 octobre 1793
  10. Voir sa lettre aux électeurs nantais dans laquelle, il écrit : « On voit autour de nous celui qui a du superflu… »
  11. « Nous devons vous le dire, citoyens collègues, l’indulgence est une faiblesse dangereuse. » (Lettre de Fouché à la Convention)
  12. Il conclura de cette façon : « Oui, nous osons l’avouer, nous faisons répandre beaucoup de sang impur, mais c’est par humanité et par devoir ».
  13. Il répond à son ancien confrère de l’Oratoire le père Nollet : «Les agents de la révolution sont des fous ou des misérables. Je suis leur esclave plus que leur maître. »
  14. « A dater de ce jour Fouché fut l’ennemi le plus irréconciliable de mon frère et se réunit à la faction qui conspirait sa perte » écrira Charlotte Robespierre qui assista à l’entrevue
  15. « J’appelle ici Fouché en jugement » s’écrit Robespierre devant les membres du Club des Jacobins
  16. « Fouché, écrit Barras dans ses Mémoires, tripotait, intriguait, machinait en-dessous de fort bon cœur et avec activité. »
  17. Gérard Walter, ‘’La conspiration de 9 thermidor’’
  18. « Sus le gouvernement de la république, écrit Fouché, je fus sinon proscrit, du moins en disgrâce complète… partageant cette inconcevable défaveur pendant près de 3 ans avec un grand nombre de mes anciens collègues »
  19. Fouché écrit : « J’ai mis bientôt de l’argent dans ma caisse en rendant le vice, inhérent à cette grande ville, tributaires de la sûreté de l’État ».
  20. Voir Louis Bigard, Le comte Réal
  21. « Je viens de faire fermer les barrières et j’ai arrêté les départs des courriers et des diligences » annonce-t-il à Bonaparte le 18 brumaire »
  22. « Il faut abandonner les errements de cette police d’attaque qui, sans cesse inquiète et turbulente, menace sans garantir et tourmente sans protéger »
  23. Sur les méthodes de Fouché, voir Lenôtre, « L’affaire Perlet »
  24. Il faut noter les différences d’interprétation avec la biographie de Jean Tulard qui pense que c’est à partir de cet événement que Napoléon s’est méfié de Fouché (NDLR)
  25. Comités anglais : groupes dirigés par Cadoudal et Hyde de Neuville responsables de plusieurs complots royaliste. Fouché règlera aussi rapidement l’enlèvement du sénateur Clément de Ris par les royalistes
  26. Même Napoléon croira à un complot de la gauche et s’exclamera devant Fouché : « Voilà l’œuvre des Jacobins ! »
  27. « Je dis au Premier consul lui-même, précise Fouché, qu’il venait de se déclarer le chef d’une monarchie viagère qui, selon moi, n’avait d’autres bases que son épée et ses victoires »
  28. Victoire éclatante de Bonaparte : sur 3.577.259 votants, il n’y eut que 8.374 ‘non’. Même en Vendée, on comte 17.019 oui contre 6 non.
  29. Joséphine sa dernière fille, naît un peu plus de neuf mois après sa disgrâce
  30. Le château de Fouché a été détruit par la suite et remplacé par un autre château construit en 1860
  31. Voir Jean-François Chiappe, Georges Cadoudal
  32. Article 1er : Le gouvernement est confié à un empereur. Article 2 : Napoléon Bonaparte, Premier consul actuel de la république, est empereur des Français. Article 3 : La dignité impériale est héréditaire.
  33. Voir André Castelot, Joséphine, Editions Perrin, 1965
  34. « Tôt ou tard, déclare-t-il à Bourienne, il faudra bien que l’Empereur prenne une femme qui fasse des enfants car, tant qu’il n’aura pas d’héritier direct, il y aura à craindre que sa mort ne soit le signal de dissolution ».
  35. Metternich dira à ce propos : « Aucun ministre n’ose faire ici ce que ne lui ordonne pas l’Empereur ; aucun d’eux surtout ne risquerait la récidive ».
  36. « Il ne faut pas se le dissimuler madame, l’avenir de la France est compromis par la privation d’un héritier de l’empereur » écrit-il.
  37. Emile Gabriel Daudet, La police et les chouans sous le Consulat et l’Empire
  38. Voir Emile Dard, Napoléon et Talleyrand
  39. Voir Girod de l’Ain, Bernadotte
  40. Commentaire de Napoléon : « Je ne vois que monsieur Fouché qui ait fait ce qu’il a pu et qui ait senti l’inconvénient de rester dans une inaction dangereuse et déshonorante. »
  41. Le comte Walewski, son fils naturel, fut ministre de Napoléon III et présida le Congrès de Paris en 1856
  42. C’est Fouché qui en cette occasion a prononcé la célèbre phrase : « C’est plus qu’un crime, c’est une faute ! » imputée à d’autres dont Talleyrand
  43. Élisa Bonaparte (Maria Anna) princesse de Lucques et de Piombino (1777-1820) Voir aussi Paul Marmottan, Fouché et la Grande duchesse Élisa
  44. « Sire, lui fait-il remarquer, je ne pense pas que celle-ci (l’armée) soit tellement heureuse qu’on puisse se battre à la fois sans danger au-delà des Pyrénées et au-delà du Niemen. »
  45. « Je suis bien à plaindre, écrit-il à son ami Thibaudeau, depuis que j’ai eu le malheur de perdre celle qui partageait toute ma vie : mon travail, mes lectures, mes promenades, mon repos, mon sommeil ; tout était en commun »
  46. Le général Malet, qui avait de la suite dans les idées, à défaut de jugeote, a fomenté trois complots de même nature contre Napoléon, dont le dernier en octobre 1812, a été le plus dangereux
  47. Voir Alain Decaux, La conspiration du général Malet
  48. « Ma mission n’était qu’un leurre, reconnaît Fouché, et envers moi qu’un prétexte pour m’éloigner » commentera Fouché
  49. Province aujourd’hui partagée entre l’Italie, l’Autriche et le nord de l’ex Yougoslavie
  50. Laibach, aujourd’hui Ljubljana capitale de la Slovénie
  51. Sur cette période, voir Robert Marguerit, Waterloo
  52. « Si les puissances s’obstinaient à ne pas faire la paix avec l’Empereur, si nous ne pouvions pas continuer la guerre, il faut tout prévoir, il y aurait de la folie à ne pas changer de manœuvre. »
  53. « Vous me trahissez, monsieur le duc d’Otrante, j’en ai la preuve » crie Napoléon en plein conseil
  54. « Que les chefs vendéens licencient leurs paysans et rentrent tranquillement chez eux » demande-t-il à leur chef le comte Malartic. « Je leur garantis toutes les sûretés ».
  55. Wellington lui avait dit « qu’il avait ordre de traiter sur l’unique base du rétablissement des Bourbons ». Et Metternich était du même avis.
  56. « N’étaient royalistes que ceux qui juraient pas Fouché ! » s’exclame madame de Chateaubriand dans ses Mémoires
  57. Dans une lettre adressée à Fouché, le comte d’Artois déclarait conserver une reconnaissance éternelle à celui qui avait sauvé monsieur de Vitrolles
  58. « Ah ! Mon malheureux frère, si vous me voyez, vous m’aurez pardonné ! » se lamentait Louis XVIII
  59. « Fouché en jouissait comme d’un triomphe, et moi j’étais un peu embarrassé », baron de Vitrolles, Mémoires
  60. Le 1er août 1815, L’Indépendant publie cet encart : « Le roi a signé le contrat de mariage de monsieur le duc d’Otrante et de mademoiselle de Castellane, l’une des plus anciennes familles de Provence ».
  61. « Savez-vous monsieur de Vitrolles, que si le roi le veut, il peut très bien renvoyer le duc d’Otrante ? »
  62. Voir Emmanuel de Waresquiel, Le duc de Richelieu
  63. C’est Fouché lui-même qui leur donnera ce nom
  64. « Je suis habitué aux disgrâces, aux injustices, aux exils. Après avoir attaqué les passions, qui dominent aujourd’hui, je m’attendais à leurs vengeances. (Lettre au duc de Richelieu) Il écrira aussi à Metternich : « Je ne me plains ni ne m’étonne d’avoir été banni de France par ceux à qui j’ai tendu la main pour les y ramener ; je connais la faiblesse du cœur humain et je suis accoutumé aux caprices de la fortune ».
  65. Voir Antoine Thibaudeau, Lettres inédites
  66. « Je dois au moins vous informer que je suis aussi heureux qu’on peut l’être hors de sa patrie ». (Lettre à son amie la duchesse Delphine de Custine)
  67. « Il semble que ce soit la passion qui fasse marcher les hommes. Je vous l’ai dit et je vous le répète, les peuples n’obéissent qu’à ceux qui savent les subjuguer ». (Lettre de février 1820 à son amie la duchesse Delphine de Custine)

Sources externes

Joséphine 1965, prix du Plaisir de Lire Bonaparte 1968 Napoléon 1968 Madame Royale 2008 Talleyrand ou le cynisme 1980

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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Fouché, le double jeu de Wikipédia en français (auteurs)

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