- Christologie non chrétienne
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La christologie non chrétienne s'écarte de la christologie traditionnelle, c'est-à-dire issue des différentes confessions du christianisme. D'autres religions, comme l'islam ou l'hindouisme, étudient le personnage et les actes de Jésus de Nazareth selon leur propre foi. L'Afrique, pour sa part, repense la personne du Christ à la lumière de ses traditions.
Le terme de « christologie » renvoie à Jésus de Nazareth en tant que Christ et relève donc exclusivement du christianisme. Les théologiens l'emploient cependant plus souvent que des néologismes comme « jésuslogie », « jésulogie » ou « jésuologie », plus exacts quant au sens mais moins répandus parmi les spécialistes.
Le théologien Charles Nyamiti observe à ce sujet : « Premièrement, il y a une christologie non chrétienne. Cette appellation peut à première vue paraître contradictoire mais elle se réfère à une importante réalité qui désigne ce que l'on pourrait appeler «" le discours sur le Christ caché " dans les religions et la culture traditionnelles africaines[1]. »
Sur le fond, la christologie non chrétienne pose le débat entre « norme » et « pluralisme » parmi les théologiens, selon Angelo Amato[2].
Sommaire
Christologie musulmane
Le personnage du Christ jouit d'une grande considération dans l'islam qui partage certaines visions sur sa personne avec le christianisme[3].
Jésus le prophète
Différents auteurs parlent de « christologie musulmane », à l'instar de Youakim Moubarac[4], ou de « christologie coranique »[5]. André Gounelle parle plutôt de « christologie de type musulman »[6]. Ce dernier rappelle qu'on a pu se demander, du côté chrétien, si l'islam et le christianisme ne sont pas plutôt des versions opposées d'une même foi plutôt que deux religions séparées, tant les liens et la parenté entre les deux croyances sont étroits. Les docteurs musulmans insistent sur le fait que le Coran s’inscrit dans le prolongement et la confirmation du message des précédents prophètes, dont Jésus, expliquant que le Coran restaure les vraies paroles de ce dernier, altérées dans les écritures faussées par les juifs et les chrétiens[6].
Quelle que soit son importance, Jésus ne peut être séparé des autres prophètes. Il est présenté comme l'un des modèles du bon musulman, conforme - ou soumis - à Dieu, sans pourtant participer à la divinité. Néanmoins, sur ce point, les abords christologiques divergent entre sunnites et chiites : là où les premiers se montrent intransigeants par rapport à la transcendance divine, les seconds, sans aller jusqu'à l'incarnation, envisagent une certaine manifestation divine à travers la personne du Christ[3]. Outre ce rejet de la nature divine de Jésus, l'islam rejette le salut par le Christ, la trinité et la crucifixion de Jésus, bien que les commentateurs ne s'accordent pas tous sur ce point fondé sur un passage ambigu du Coran[7].
Dans le Coran
Article détaillé : Îsâ.Îsâ est cité vingt-cinq fois dans le Coran, souvent désigné sous le nom d’al-Masïh (traduction littérale du grec ancien christos, l'« oint »), un titre en usage dans la première communauté musulmane d'Arabie. Le Coran ne présente pas d'explication précise de la fonction de Messie[7].
Pour l'islam, Jésus (Îsâ) est né miraculeusement d'une vierge par la Volonté de Dieu (S3 v35-37 et 43). Il est le Verbe de Dieu (S3 v39 et v45, S4 v170). Il a reçu le Souffle divin (S4 v171) comme les autres humains (S15 v29, S32 v9 et S38 V72). Né pur (S19 v19), il a été renforcé par l'Esprit Saint (S2 v87 et v253, S5 v113).
Îsâ a accompli des miracles (S3 v49, S5 v113 et v115-118) avec la permission de Dieu.
Il n'a pas été crucifié mais a été élevé au Ciel par Dieu (S4 v157). Une autre personne lui a été substituée.
Îsâ a prédit la venue du dernier prophète, Mahomet (S61 v6, S7 v157). Son retour est attendu pour la fin des temps.
Christologie et hindouisme
Plusieurs auteurs ont analysé d'éventuels liens entre Jésus-Christ et l'hindouisme, sans que l'on puisse toutefois parler de christologie proprement dite. On citera notamment Raimon Panikkar[8] et le jésuite Jacques Dupuis[8]. Jésus-Christ est parfois été considéré comme un avatar de Vishnou, à l'instar de Bouddha ou Mahomet[9]
À partir du début du XIXe siècle, certains penseurs hindous se sont intéressés à Jésus à travers les évangiles pour nourrir une conception spécifique de ce dernier qu'ils intègrent dans leur propre religion ou spiritualité propre tout en restant fondamentalement attachés à cette dernière[10]. Leur vision christologique détache Jésus des définitions dogmatiques occidentales traditionnellement liées aux grands conciles, proposant un « Christ sans attache » différent de l’enseignement des Églises. Ils considèrent que la vision traditionnelle de Jésus est engoncée par la doctrine et les rites, figée dans une image superficielle souffrant d'un « déficit d'intériorité »[10].
Ces penseurs font du Jésus des Évangiles un « homme archétypal » qui éveille de l'assoupissement spirituel en suivant les trois « voies » que distingue la religion hindouiste : celle de la connaissance, celle de la piété et celle de l'éthique de soi. Jésus constitue d'abord un des modèles d'inspiration par sa recherche de la vérité et par son attitude non-violente — rapprochée de celle de Gandhi — qui le pousse à accepter la mort pour ses idéaux. Considéré comme un avatar qui a reçu en lui la divinité[11], Jésus est ensuite porteur d'une piété mystique qui propose, suivant Sarvepalli Radhakrishnan, de s'abandonner au divin pour ainsi devenir un christ. Enfin, le dévouement et l'oubli de soi dont fait preuve Jésus en fait un guru au service des autres, dénué d'égoïsme et de dessein personnel dont l'idéal est à suivre. Bai Manilal Parekh, auteur d'un Portrait hindou de Jésus-Christ[12], voit en Jésus un ascète rigoureux qui génère l'harmonie, à l'instar des yogis[10].
Christologie et bouddhisme
Le bouddhisme parle très peu de Jésus[13]. Le Dalaï-Lama Tenzin Gyatso a commenté les textes des évangiles au cours d'un séminaire, commentaires compilés en 1996 dans un ouvrage intitulé Le Dalaï-Lama parle de Jésus. Une perspective bouddhiste sur les enseignements de Jésus[14].
Le « Christ-Ancêtre » de l'Afrique
L'Afrique a donné naissance à une « théologie du Christ-Ancêtre » dont Bede Ukwuje présente ainsi les prémisses : « La christologie du Christ-Ancêtre proposée par Charles Nyamiti et Bénézet Bujo ose penser l’incarnation de Dieu en Jésus-Christ, en s’inscrivant dans la ligne des "christologies d’en bas" des théologiens allemands, Karl Rahner, Hans Küng et Jean-Baptiste Metz. Elle reconduit, néanmoins, les données ethnologiques et anthropologiques déjà exploitées par l’apologétique du monothéisme primitif. Cette christologie en vient donc à penser l’incarnation de Dieu en Jésus-Christ tout en laissant intacte l’idée de Dieu comme l’Être suprême[15]. »
Notes et références
- Charles Nyamiti, « Contemporary African Christologies: Assessment and Practical Suggestions », in Rosino Gibellini (éd.), Paths of African Theology, Londres, éd. SCM Press, 1994, pp. 62-77.
- Angelo Amato« Gesù e le religioni non cristiane. Una sfida all’assolutezza salvifica del cristianesimo », in Farina M.-Mazzarella M.L. (éd.), Gesù é il Signore. La specificità di Gesù Cristo in un tempo di pluralismo religioso, éd. LAS, Rome, 1992, pp. 46-79, http://cat.inist.fr/?aModele=afficheN&cpsidt=2885201 présentation en ligne] cf.
- extrait en ligne Antoine Fleyfel, La Théologie Contextuelle Arabe, Paris, éd. L'harmattan, 2011, p. 246,
- extrait en ligne Youakim Moubarac, L’Islam et le dialogue islamo-chrétien, éd.Cénacle Libanais, Beyrouth, 1972, cité par Jean Stassinet, Youakim Moubarac, Lausanne, éd. L'Âge d'Homme, 2005, p. 212,
- (en) Kevin J. Vanhoozer, The Trinity in a pluralistic age: theological essays on culture and religion, éd. Wm. B. Eerdmans Publishing, 1997, p. , 76, extrait en ligne
- passage en ligne André Gounelle, Parler du Christ, Paris, éd. Van Dieren, 2003, p. 78,
- Michael Marx, Quel discours coranique sur Jésus, in Le Monde de la Bible, no 195, décembre 2010, pp. 33-35
- cf. bibliographie
- Odon Valet, « L'esprit du polythéisme » in « La naissance des dieux », in Le Monde des religions n° 28, mars 2008, article en ligne
- passage en ligne André Gounelle, Parler du Christ, Paris, éd. Van Dieren, 2003, pp. 86 et suiv.,
- Keshub Chunder Sen évoque un « réservoir de cristal rempli de vie divine » ; cité par André Gounelle, op. cit. 2003
- (en) A Hindu Portrait of Jesus-Christ, éd. Harmony Home, Rajkot, 1953 ; en 1969, cet ouvrage était, selon Balwant A. M. Paradkar, l'essai hindou le plus complet et plus systématique d'envisager le vie de Jésus et sa signification ; cf. Balwant A.M. Paradar, « Hindu Interpretation of Christ from Vivekananda to Radhakrishnan », in Indian Journal of Theology, no 18.1, janvier 1969, pp. , 65-80, article en ligne
- cf. « Jésus vu par les bouddhistes », in Gérard Cholvy, Figures de Jésus-Christ dans l'histoire, Montpellier, éd. Centre régional d'Histoire des Mentalités, Université de Montpellier, 2001pp. 101-109
- Paris, éd. Brepols, 1996
- Trinité et inculturation, par Bede Ukwuje
Bibliographie
Ouvrages francophones
- Roger Arnaldez, Jésus dans la pensée musulmane, vol. 32 de la col. Jésus et Jésus Christ, éd. Desclée, 1988, (ISBN 2718903651 et 978271890365)
- Jacques Dupuis, sj, Jésus-Christ à la rencontre des religions, Desclée, Paris, 1994 (2e édition). L’auteur décrit notamment « les différentes façons dont le néo-hindouisme tend à interpréter Jésus-Christ […] : le Jésus des Béatitudes [Gandhi]; le Christ de la bhakti [K.C. Sen] ; le Christ de la philosophie néo-vedantine [S. Radhakrishnan] ; le Christ-avatara [Swami Akhilananda]; le christ yogi [M.C. Parekh] ; le Christ de la mystique d’advaita [Brahmabandhab Upadhyaya]. »
- Michel Fédou, Regards asiatiques sur le Christ, coll. « Jésus et Jésus-Christ », n°77, Paris, éd. Desclée, 1998
- Dennis Gira et Fabrice Midal, Bouddha, Jésus : quelle rencontre possible ?, éd. Bayard, 2006
- André Gounelle, Parler du Christ, Paris, éd. Van Dieren, 2003, extraits en ligne
- Pierre Jay, Théologie africaine au XXIe siècle : Quelques figures, Cerf, 2002 Présentation en ligne
- Tarif Khalidi (en), Un musulman nommé Jésus, dits et récits dans la littérature islamique, traduit de l'anglais par Jean-Louis Bourcol, coll. L'islam des Lumières, éd. Albin Michel, 2003, (ISBN 2226142657 et 9782226142658)
- Raimon Panikkar, Le Christ et l’hindouisme, une présence cachée, Paris, éd. Centurion, 1972
Autres langues
- (en) Akhilananda, The Hindu View of Christ, Philosophical Library, New-York, 1949.[Swami Akhilananda (1894-1962) diffusa aux États-Unis le message de Sri Ramakrishna
- (en) Oddbjorn Leirvik, Images of Jesus Christ in Islam, éd. Continuum International, 2010, extraits en ligne
- (en) Parekh (M.C.), A Hindu’s Portrait of Jesus, Rajkot, 1953. [M.C. Parekh vécut de 1885 à 1967.]
- (en) Samartha (S.J.), The Hindu Response to the Unbound Christ, Christian Literature Society, Madras, 1974, sur lequel s’appuie fortement Jacques Dupuis.
- (en) Scott (D.C.), Keshub Chunder Sen, Christian Literature Society, Madras, 1979.
- (en) Sen (K.C.), Lectures in India, 2 vols., Cassel, London, 1901-1904. Keshub Chunder Sen (1838-1884), membre éminent du Brahmo Samaj, fonda l’Église de la « Nouvelle Dispensation ».
- (en) Staffner (H.), The Significance of Jesus Christ in Asia, Gujarat Sahitya Prakash, Anand, 1985.
- (en) Thomas (W.M.), The Aknowledged Christ of the Indian Renaissance, SCM Press, Londres, 1969, sur lequel s’appuie Jacques Dupuis
- (en) Oddbjorn Leirvik, Images of Jesus Christ in Islam, éd. Continuum International, 2010, extraits en ligne
Articles connexes
- Dialogue interreligieux
- Tertio Millennio Adveniente
- Portail des religions et croyances
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