Être et Temps

Être et Temps
Édition en français de 1964 chez Gallimard.

Être et Temps (en allemand : Sein und Zeit) est une œuvre du philosophe Martin Heidegger publié en 1927.

Cette œuvre est conçue comme une première partie d'un projet qui ne fut pas mené à terme[Lequel ?]. Elle marque un tournant important de la philosophie continentale[réfnécessaire]. Emmanuel Lévinasqui s'opposa pourtant à luiconsidéra à la lecture de cette œuvre que Heidegger était l'un des plus grands philosophes de l'histoire occidentale. C'est en partie sous son influence que se développèrent l'existentialisme et la déconstruction.

Cette œuvre pose la question du sens de l'être, question fondamentale de l'ontologie, définie par Aristote comme étant la question de l'être en tant qu'être[1].

Pour Heidegger, la question de l'être, qui est tombée dans l'oubli et la trivialité, doit être posée à nouveau à la lumière du Dasein, étant privilégié parmi les étants. La tradition philosophique, qu'il faudra détruire ou, suivant la traduction reprise par Derrida, déconstruire, a voilé la question de l'être sous la question de la détermination de l'étant.

Sommaire

Résumé de lœuvre

Généralités

Sein und Zeit tente de répondre à la question du sens de être pris comme tel. Mais cette entreprise reste inachevée, la troisième section, Temps et être, n'ayant jamais été publiée. On en trouve cependant une élaboration dans les dernières pages des Problèmes fondamentaux de la phénoménologie, cours professé par Heidegger à Marbourg durant le semestre d'été 1927. Ce livre, qui expose et explicite en toute rigueur des concepts aussi fondamentaux que l'existence, le monde, la réalité, la vérité, la mort, la conscience, l'histoire et bien sûr le temps, ne traite finalement que du sens de l'être du Dasein, l'étant fondamental, sans effectuer encore le tournant dans la question de l'être pris comme tel.

La question est donc celle du sens de l'être du Dasein. Heidegger écrit surtout sur la déchéance du Dasein et comment sortir de l'identification au pronom « on », la manière impropre d'exister, état initial, inévitable dans lequel se trouve le Dasein, de prime abord et le plus souvent, au quotidien.

Introduction de la problématique

Sein und Zeit débute par une citation du Sophiste de Platon.

« Car, manifestement, vous êtes bel et bien depuis longtemps familiers de ce que vous visez à proprement parler lorsque vous employez lexpression étant; mais pour nous, si nous croyions certes auparavant le comprendre, voici que nous sommes tombés dans lembarras ».

La question de l'être (sein), que sétaient posée Platon et Aristote il y a fort longtemps, est tombée en désuétude, maintenant balayée d'un simple revers de main soit parce qu'elle est trop évidente, soit parce quelle ne sert à rien ou parce que, comme le disait Pascal, tenter de définir être est impossible car la définition nécessiterait le verbe être. Cependant cet oubli est plus que regrettable, dixit Heidegger, et il est nécessaire de reposer cette question de l'être, répétition dont il souligne lintérêt au cours des premiers chapitres.

Dans les premières pages de cet ouvrage, Heidegger nous expose en profondeur la méthode qu'il va suivre pour construire correctement la réponse à cette question. Il délimite donc le sujet : l'étant (Seiende ; ce qui est) à questionner en priorité sera le Dasein, terme intraduisible qu'Heidegger choisit pour signifier « létant que je suis à chaque fois moi-même ». L'interrogé principal sera le Dasein car c'est un étant insigne, ayant la primauté ontique (ontische ; qui concerne létant) car je le suis à chaque fois moi-même, la primauté ontologique (ontologische) car le Dasein est un étant qui peut s'interroger sur lêtre. Mais aussi et surtout, le Dasein sinterrogera lui-même pour répondre à la question de l'être car il contient en lui-même une précompréhension de l'être, une « entente de être ». Seul le Dasein s'ouvre à de l'étant compris en tant que tel, comme étant et il ne le peut que parce qu'il comprend toujours déjà l'être. Comprendre, cependant, ne signifie pas encore concevoir et c'est à l'ontologie fondamentale heideggerienne d'élaborer explicitement cette compréhension préontologique.

Ensuite Heidegger met en lumière la différence entre cette recherche du sens de être et dautres disciplines telles que lanthropologie, la psychologie et la biologie, disciplines des sciences positives qui neffectuent leurs recherches sur létant qu'à partir dune entente préalable qui est la leur sur lêtre, autrement dit leurs recherches sont construites en ayant pour base une axiomatique implicite loin dêtre bien explicitée. Pour lontologie fondamentale, il ne doit pas y avoir daxiomatique implicite.

Il exprime aussi le fait quil ne considèrera pas pour acquis ce que dautres ont fait avant lui, préférant tout reconstruire par lui-même, annonçant même la tâche de déconstruire (Destruktion) la métaphysique traditionnelle (la déconstruction de lhistoire de lontologie) afin de mener à bien la question de lêtre. En ce sens, Sein und Zeit est un livre qui se suffit à lui-même, c'est-à-dire sa lecture ne nécessite pas a priori la connaissance dautres œuvres littéraires ou philosophiques. Cependant, Martin Heidegger ne rédigera pas ces chapitres sur la déconstruction de la métaphysique, chapitres qui étaient pourtant annoncés au début de louvrage. Cependant, la déconstruction d'Aristote et de Kant a été élaborée dans ses cours à l'Université de Marbourg durant les années d'élaboration de Sein und Zeit.

Il présente ensuite la démarche choisie pour la recherche : la recherche sera menée par la méthode phénoménologique. Pour cela, il définit les deux termes composant le mot, à savoir phénomène et λόγος, revenant à leur racine grecque, puis le terme phénoménologie dans son entier. Un phénomène est ce qui se montre à même lui-même. Le phénomène montre donc létant tel qu'il est. Quant au λόγος, il sagit du discours qui fait voir quelque chose comme quelque chose, qui montre (lextraire de sa retraite et le faire voir comme sans retrait). Le λόγος a donc pour vocation de révéler létant tel quil est, révélation qui nest rien dautre que le concept grec présocratique d'άλήθεια (ouvert-sans-retrait, vérité). Ainsi nous dit Heidegger, l'αίσθησις (la sensation) est originellement bien plus proche de l'άλήθεια (la vérité) que le λόγος (le discours). Ceci est un point important dans Sein und Zeit ; nous verrons plus loin pourquoi. Et la phénoménologie alors ? La phénoménologie peut être définie par cette phrase : « Ce qui se montre, tel quil se montre de lui-même, le faire voir à partir de lui-même. » Et lontologie nest possible que comme phénoménologie, nous dit Heidegger.

La partie méthode de la recherche est dès lors terminée. La recherche à proprement parler va pouvoir enfin commencer.

Dasein et être-au-monde

Lanalyse existentiale

Le Dasein (étant qui permettra de répondre à la question du sens de être) existe et est le seul à exister. Le terme "exister" est ici à entendre en son sens technique. Ainsi, larbre, Dieu, le chat sont, mais nexistent pas. Lexistence (Existenz) est le rapport particulier quentretient le Dasein avec son être, car même si le Dasein a la même texture que tout autre étant quil est amené à rencontrer, pour lui, il est évident quil est un étant insigne. (À ce sujet, dans Sein und Zeit, il y a la fameuse phrase « lessence du Dasein tient dans son existence », phrase signifiant que le Dasein est un étant insigne pour qui, en son être, il y va de cet étant de cet être, que le Dasein est cet étant obligé à souvrir (le ex de existence), à soutenir son être. Cette phrase célèbre a été mal interprétée par des existentialistes, tel Sartre, qui semblait voir ici que lexistence précède lessence dans un sens totalement différent à ce quHeidegger a voulu signifier.

De lexistence, Heidegger définit deux autres termes : existential (Existenzial ; à rapprocher dontologie ; qui se rapporte à lêtre de létant qui existe, le Dasein) et « existentiel (Existenziell ; à rapprocher dontique ; qui se rapporte à létant qui existe). Les structures dêtre du Dasein sont appelées les existentiaux. Pour répondre à la question de lêtre, Heidegger va mener lanalyse existentiale du Dasein et ainsi déterminer quels sont les existentiaux. Avec cette signification pour le terme existence, Heidegger se détache de lexistentia scolastique qui ne traite que ce que Heidegger nomme lêtre--devant (Vorhandenheit), létant se présentant aux yeux de tous, qui correspond à l'ontologie traditionnelle de la substantialité. Lexistence soppose à lexistentia, au sens lexistence qui est ouverture du Dasein vers son «  », nest pas seulement de lordre de létant -devant.

Étudions le Dasein dans sa quotidienneté (Alltäglichkeit), tel quil est à chaque fois lui-même, de prime abord et le plus souvent. Quotidiennement le Dasein se caractérise par son être-au-monde (In-der-Welt-sein). Comme nous lavons dit précédemment, le Dasein est un étant obligé à souvrir, obligé à être son . Le Dasein est au monde. Mais quest le monde ? Et quest ce que signifie pour le Dasein être son , lêtre-au ? Finalement que signifie lexpression être-au-monde dans sa globalité ? Cest ce sur quoi va porter la première partie de lanalyse existentiale.

Le monde

La mondanéité (Weltlichkeit) du monde est ce qui fait quontologiquement, le monde est monde. Après moult subtils raisonnements, Heidegger finit par nous dire que le monde, loin dêtre un ensemble détants, de choses incluses dans un machin dans lequel le Dasein ne serait quune chose parmi dautres (la vision classique et cartésienne du monde…), doit être compris comme ouverture en projet du Dasein, projet dexister (certains traducteurs proposent de traduire par ouverture). Le Dasein est toujours son et ce est le monde, louverture pour le projet dexister. Le Dasein est quoiquil advienne toujours au monde, il est toujours être-au-monde. Il nest pas quelque chose qui peut être ou ne pas être au monde, au choix selon son bon vouloir : le monde est l'horizon hérméneutique de la compréhension de l'étant, il est ce à partir de quoi l'étant est compris comme ce qu'il est. Un marteau, par exemple, n'est jamais ce qu'il est si on le prend abstraitement, tout seul. Le marteau renvoie au clou, le manche renvoie à la main... Le marteau est pour quelque chose, pour quelqu'un, avec lui, il retourne de faire quelque chose (marteler), autrement dit il est signifiant et ne l'est que pris dans ce contexte qu'est le monde ambiant.

De plus, le Dasein est en vue de soi. Le monde, qui est projet dexister, est donc toujours projet en vue de soi-même. Et je le comprends, ce monde, par ce projet en vue de moi-même. De provient lensemble des significations, des renvois, dans lequel se meut le Dasein, la mondanéité. La mondanéité est la significativité (Bedeutsamkeit), lensemble des significations toujours, déjà, ouvertes, lensemble des renvois. Et tout étant intramondain se donne au Dasein à partir de cet ensemble de significations. La mondanéité a donc des conséquences directes sur létant que sera amené à goûter le Dasein ; il conditionne louverture de son .

On pourrait reprocher à Heidegger le fait que ce monde, ce du Dasein, découle purement et subjectivement de lui puisqu'il est ouverture en tant que projet dexister. Heidegger réfute cette critique. Le monde nest rien détant (puisquil est ouverture), il est à la fois au-delà de létant et condition de possibilité. Le monde est transcendant et lêtre-au-monde est la structure même de la transcendance. En fait, le réel problème ici, nous dit Heidegger, est de saisir comment le Dasein sort de lui, saisir cette sortie originelle du , véritable mystère de lexistence que Heidegger tente de saisir dans les paragraphes traitant de lêtre-au. À noter quHeidegger sest toujours défendu davoir une pensée individualiste. Ceci séclairera peut-être dans la partie suivante, seront évoquées lipséité du Dasein (le fait dêtre lui-même), limpropriété (Dasein en tant que on) et la propriété du Dasein.

Être-au-monde et préoccupation

Revenons au Dasein en tant quêtre-au-monde. Au quotidien, létant se donne au Dasein dans la préoccupation (Besorge), et non dans la visée théorétique d'un objet de connaissance. L'intentionnalité husserlienne est réinterprétée comme un se-soucier-de l'étant, dont la visée d'un objet de connaissance dérive. Le Dasein utilise létant qui se donne à lui comme util (Zeug, ce qui signifie le machin, le truc dont je me sers pour faire ceci ou cela). Cette relation, plus originaire que la simple relation sujet-objet analysée par la tradition philosophique, est caractérisée ontologiquement par la préoccupation pour l'à-portée-de-la-main (Zuhandenheit ; à noter la différence avec lêtre--devant Vorhandenheit, la particule Zu au lieu de Vor), pour l'étant disponible.

Le Dasein qui est au monde, se préoccupe des étants, utils, qui soffrent à lui, étants intramondains déjà inclus dans un monde. En se préoccupant de tel ou tel util, il le met en relief par rapport aux autres étants intramondains. Ainsi, dans lutilisation, le Dasein nest pas touché de la même façon par les étants se trouvant a priori dans sa sphère daction. Le Dasein en privilégie certains, en néglige dautres. La préoccupation ou la focalisation sur une partie de létant intramondain, la mise en relief de lutil dans lutilisation

Il convient de relier la préoccupation et la mondanéité. En effet, la mondanéité, lensemble des significations, des renvois qua le Dasein lui permet ou justement ne lui permet pas de se préoccuper de tel ou tel util, de privilégier tel ou tel étant à-portée-de-main. On peut donc dire que la mondanéité conditionne létant du Dasein en lui offrant ou non toute une palette dutilisable quil pourrait rencontrer dans sa sphère daction, dans son étant quotidien.

Lipséité : être soi-même ?

Passons maintenant à la question de lipséité du Dasein, réflexion qui va permettre de répondre du choix dHeidegger de nommer létant insigne Dasein et pas plus simplement moi ou je. On verra que cette réflexion est un des fils rouges de lœuvre, renvoyant à la tâche pour le Dasein de sortir du on, de létant impropre.

Être soi-même ? Le Dasein est il lui-même ? La réponse peut sembler aller de soi, a priori, puisquil est écrit que le Dasein est létant que je suis à chaque fois moi-même. De plus, on est plus que tenté de dire quà chaque instant que le Dasein est, il se donne comme moi, il est moi. Mais justement répondre ainsi à la question de lipséité du Dasein nous ferait passer au travers de la question.

Mais revenons à cette réponse qui nous est venue directement, cette évidence qui semble impossible à faire taire. Partons de lêtre-avec. Le Dasein est caractérisé par un être-avec (Mitsein) et, de ce fait, dans sa préoccupation quotidienne, il y a autrui (les autres font encontre à partir du monde), que Heidegger fixe sous le terme de Mitdasein. Pour le Dasein, étant que je suis à chaque fois moi-même, autrui est au quotidien vu comme ce quil fait, comme utile pourrait-on dire. Par exemple, je suis dans le train et le contrôleur arrive. Cet étant arrivant à ma rencontre n'est pas compris en son Dasein, mais comme contrôleur. Le Dasein ne perçoit d'abord autrui que dans le cadre de sa préoccupation.

Cette identification à ce quon fait nous fait tomber dans le travers de limpropriété de lipséité, le Dasein se donnant alors non comme soi mais comme son contraire, comme le on, même si le Dasein sera toujours tenté de réfuter cela et de crier sur tous les toits : « Non, non, je suis toujours Je », celui qui n'est pas lui-même ayant justement la tendance caractéristique consistant à répéter toujours « Moi je, moi je ». Absorbé dans sa préoccupation pour létant intramondain, noyé dans la mare de lidentification à ce qu'il fait, le Dasein ne peut être que comme on est. Les « autres » lui donnent la mesure de tout. Ainsi, le Dasein pense comme on pense, il critique comme on critique et même, il se sépare de la masse comme on sen sépare ; sindigne de ce dont on sindigne.

Le Dasein patauge dans un horizon de compréhension moyen, qui simpose à lui tout en restant insoupçonné de lui, dictature silencieuse mais pourtant ô combien effective du on. Le Dasein est, en un premier temps, improprement un être-public. Et cet être-public du on le décharge du poids de la singularité, de son authentique unicité. Il n'existe pas à partir de lui-même, en propre, mais à partir des autres, de manière non propre. Et aussi étrange que cela puisse paraître, cette décharge qui lempêche pourtant dêtre lui-même en propre, lui complaît, car elle le rassure constamment en le détournant de la vérité mortelle et angoissée de son existence. Ce mode du laisser-aller, mode initial du Dasein, semble tellement lui aller quil ne verrait vraiment pas pourquoi il devrait en sortir. Cette idée neffleure même pas son esprit, de sorte que le Dasein est aliéné de la manière la plus extrême, lui qui ne soupçonne pas ce laisser-aller, cette décharge, cette impropriété, car baignant dans les fanges, bercé par ses habitudes, par les habitudes du on.

La tâche du Dasein pour être lui-même en propre sera de sortir de cette fuite première et de rompre avec le on et sa dictature.

Dasein et être-au

Structure de lêtre-au

Le Dasein existe. Il est ouverture, il est son . Mais justement comment est-il ce  ? Cest ce que à quoi va tenter de répondre la partie qui suit, traitant de lêtre-au sur le mode de la neutralité, c'est-à-dire sans évoquer son caractère propre ou impropre. Heidegger répond à cette question en trois temps: le Dasein est son par la disposition, le comprendre et le discourir.

La disposition

La disposition (Befindlichkeit) est, sans aucun doute, une des clés de voûte de louverture du du Dasein. Distinguons dabord les différents aspects que peut revêtir la disposition.

Tout dabord, la disposition est prédisposition, disposition générale au projet dexister, au monde. Et cest cette tonalité, la prédisposition, cette impression densemble qui augmente ou, au contraire, rétrécit notre ouverture au monde, qui permet au Dasein dêtre disposé à létant intramondain qui fait encontre à lui. Disposé, le Dasein peut être concerné, il peut être abordé, affecté par létant intramondain. En fait, dans lexistence, le Dasein est toujours-déjà abordé par létant. Disposé à létant intramondain, il peut le saisir, luser dans lutilisation préoccupée. On voit bien ici la relation intime entre disposition et ouverture du  ; un Dasein indisposé nest tout bonnement pas vraiment , car glissant à côté de létant intramondain, de lêtre-à-portée-de-main.

Autre point important : lêtre-jeté. Disposé, le Dasein fait quotidiennement encontre avec lui-même, souvre à lui-même (Befindlichkeit, la disposition, pris au sens de sich befinden, se trouver, aller à la rencontre de soi-même). Par la disposition il fait lexpérience du fait de son existence. Cette expérience du fait de soi-même est sa facticité (Dass). Le Dasein existe facticement et, ce fait, il le constate par le sentiment (Stimmung), clameur inhérente au fait dexister. Car sentiment il y a toujours tant que le Dasein existe. Ceci est ce que Martin Heidegger appelle lexpérience sentimentale de lêtre-jeté (Geworfenheit) du Dasein. Je suis jeté au monde. Être mest à charger et ce devoir est un poids auquel je ne peux me soustraire. Et sur ce coup rien ne peut venir à mon aide, ni croyances ni « idéaux ». Le Dasein nest pas seulement jeté, nous dit Heidegger, il est toujours-déjà jeté.

Cependant, me direz-vous, les sentiments ne se limitent pas à cette seule expérience de lêtre-jeté, sentiment du fardeau de lexistence. La joie, lamour, à lopposé de langoisse, semblent bien loin de ce sentiment pénible nous écrasant sous son terrible poids. Mais justement ces sentiments sy rapportent, car limpression de délivrance quils nous procurent nest rien dautre que lexpérience de la facticité de louverture sous le mode de la refermeture : ces sentiments de délivrance nous faisant ainsi fuir le fardeau de lêtre-jeté.

La facticité du Dasein se déployant dans le sentimentsans aucun doute une charnière de létant du Dasein : le sentiment de lêtre-jeté, du fardeau de lexistence et le sentiment qui nous donne goût à cette existence, qui la supporte, qui supporte louverture du’…

Le comprendre

Passons maintenant au comprendre. Cest avec ce mode douverture du quest le comprendre quHeidegger tire toutes les conclusions pragmatiques des notions de monde et surtout de mondanéité élaborées précédemment (cf paragraphes précédents). Heidegger nous dit que le comprendre (verstehen) est ouverture en projet comme être-au-monde. Cest un mode dêtre du Dasein déterminé par le possible, le pouvoir-être.

Mais reprenons lanalyse à partir des notions de monde et de mondanéité. Le Dasein est en vue de soi. De ce fait, le monde (projet dexister) est toujours projet en vue de soi-même. Je comprends donc ce monde par ce projet en vue de moi-même. De sinscrit la notion de mondanéité, lensemble des significations, des renvois dans lequel se meut le Dasein. Le comprendre, lui, est ce mode dêtre qui oriente le champ des possibles du Dasein. Absorbé dans la préoccupation par le commerce avec létant intramondain, je suis aspiré dans un pouvoir-être lié à cette préoccupation ; ainsi un étant se présentant à moi ne fait pas sens à mes yeux s'il ne sinscrit pas dans lorientation du pouvoir-être dans lequel je me meus. On voit bien ici le lien entre comprendre et ouverture du ainsi quavec la mondanéité.

Nous avons dit que le comprendre était ouverture en projet comme être-au-monde. Dans cette expression, le projet (pro-jet, jeté) est à saisir comme un tendre vers, aspiration vers, une perspective qui nous tend à elle. Le comprendre, en tant quorientation du champ des possibles, nest autre que la capacité de sorienter, de se diriger, de faire des choix, pourrait-on dire, en un sens lidée classique du comprendre. Le comprendre heideggérien nest donc pas du seul domaine théorétique, bien que le comprendre théorétique dérive de lui, il est d'abord une compréhension existentielle du Dasein par lui-même.

Le comprendre heideggérien est, somme toute, deux choses : le possible en tant que capacité, connaissance dêtre-au-monde (le savoir-faire du Dasein en tant quêtre-au-monde, tour de main rendant utilisable létant quon manie, étant qui se dévoile alors tel quil est, dans lutilisation) ; et le possible en tant que perspectives détant (le savoir-quoi-faire, horizon dans lequel sinscrit la recherche détants possibles pour le Dasein). Heidegger formalise donc le comprendre, qui est orientation, savoir-faire et savoir-quoi-faire, comme la vue du Dasein (Sicht), sa lucidité (Durchsichtigkeit) concernant sa propre existence, sa propre situation. Grâce au comprendre, le Dasein sait il en est, saisit ce quil fait et même perce jusquà lêtre : le Dasein a une compréhension implicite (préontologique) de ce quêtre veut dire, un des points de départ quavait pris Heidegger pour qualifier le Dasein détant insigne.

Nous avons vu que le projet en vue de soi fait voir au Dasein son étant comme possible. Mais évidemment cette possibilité est limitée, le Dasein étant toujours-déjà engagé dans un monde et dans un ensemble de significations (mondanéité). De plus, cette notion de pouvoir-être est limitée par un autre facteur : la possibilité, une fois choisie, tranche sur les autres possibilités présentes initialement. Ainsi, le Dasein est toujours sa possibilité et rien quelle (sa possibilité est donc sa plus propre réalité), et une fois engagé, une fois jeté dans cette possibilité, il ne peut sy soustraire.

Le Dasein étant initialement improprement lui-même, il se trouve jeté dans un comprendre moyen, anonyme, impropre. Son pouvoir-être (orientation, savoir-faire, savoir-quoi-faire) est donc on ne peut plus limité. Il va donc falloir quil sarrache de sa compréhension impropre sil veut pouvoir jouir dun pouvoir-être propre, ouverture véritable, thème quon na pas du tout évoqué pour linstant.

Le discourir

Bientôt à venir

Le On ou la déchéance du Dasein

Le Dasein face à sa liberté d'action développe une crainte de faire les mauvais choix et vient à s'appuyer sur le sens commun.

Il perd alors sa subjectivité au profit de la morale propre à son entourage.

On fait ci, on fait ça, on ne dis pas cela, mais on ne désigne personne. On devient l'image de la perfection projetée par l'environnement du sujet. Le Dasein perd sa liberté et se retrouve face à lui-même, ou l'être-devant-soi.

Langoisse et le souci

Réalité et vérité

Être-pour-la-mort

Si l'être (Dasein) est essentiellement pouvoir être, nous ne pouvons jamais le rencontrer en tant qu'un tout. Le fait d'être une possibilité est constitutif de l'être , l'être n'est jamais fermé car il est sur le mode d'être de la possibilité. Mais l'être meurt, or la mort est possibilité de l'impossibilité de toute autre possibilité. C'est-à-dire que la mort est une possibilité qui est insurmontable pour le Dasein, et qui clos ses futurs possibilités. La mort est la possibilité la plus propre (la plus authentique) de l'être en tant qu'elle le touche dans son lui même, dans son essence de projet. L'être a pour manière d'assumer authentiquement la mort grâce à l'anticipation de la mort.

Être en totalité, être en propre

Temporalité

Commentaires sur Sein und Zeit

Citations à propos d'Être et temps

« Quand vous êtes venu à Fribourg pour suivre l'enseignement de Husserl, vous avez découvert un philosophe que vous ne connaissiez pas auparavant, mais qui aura une importance capitale dans l'élaboration de votre pensée » Martin Heidegger.
« J'ai découvert en effet Sein und Zeit, qu'on lisait autour de moi. J'ai eu très tôt pour ce livre une très grande admiration. C'est un des plus beaux livres de l'histoire de la philosophie - je le dis après plusieurs années de réflexion. Un des plus beaux parmi quatre ou cinq autres... »

Philippe Nemo : Lesquels ?

Emmanuel Levinas : Par exemple le Phèdre de Platon, la Critique de la Raison pure de Kant, la Phénoménologie de l'Esprit de Hegel ; aussi l'Essai sur les données immédiates de la conscience de Bergson.

Février 1981

  • Emmanuel Levinas :
« Heidegger est pour moi le plus grand philosophe du siècle, peut-être lun des très grands du millénaire ; mais je suis très peiné de cela, parce que je ne peux jamais oublier ce quil était en 1933, même sil ne létait que pendant une courte période. Ce que jadmire dans son œuvre cest Sein und Zeit. Cest un sommet de la phénoménologie. Les analyses sont géniales(…). Rassurez-vous : je ne suis pas ridicule, je ne saurais méconnaître la grandeur spéculative de Heidegger. »

Propos recueillis par R. Fornet et A. Gomez les 3 et 8 octobre 1982.

  • Emmanuel Levinas :
« La grande chose que j'ai trouvée fut la manière dont la voie de Husserl était prolongée et transfigurée par Heidegger. Pour parler un langage de touriste, j'ai eu l'impression que je suis allé chez Husserl et que j'ai trouvé Heidegger. Je n'oublierai certes jamais Heidegger dans ses rapports à Hitler. Mêmes si ces rapports sont de brève durée, ils sont à jamais... Mais les œuvres de Heidegger, la manière dont il pratiquait la phénoménologie dans Sein und Zeit - j'ai su aussitôt que c'est l'un des plus grands philosophes de l'histoire. Comme Platon, comme Kant, comme Hegel, comme Bergson. J'en ai nommé cinq, peut-être cinq carrefours de la philosophie : l'onto-théologie, la philosophie transcendantale, la raison comme histoire, la durée pure, la phénoménologie de l'être distingué de l'étant. Je ne prends pas au sérieux cette façon de se reconnaître dans l'espace de la pensée, mais quelle qu'elle puisse être, Heidegger n'en sera jamais absent. (...) chez Heidegger, surtout dans Sein und Zeit qui est encore de la phénoménologie, chaque page était nouveauté. (...) tout semblait nouveauté chez Heidegger, les merveilles de son analyse sur l'affectivité, les nouveaux accès au quotidien, la différence entre l'être et l'étant, la fameuse différence ontologique. La rigueur avec laquelle cela était pensé dans l'éclat des formulations, absolument impressionnantes. (...) je ne peux pas renier une partie de ma vie, ni mon étonnement qui aujourd'hui encore me saisit chaque fois que je lis un texte heideggerien, et surtout, que je relis Sein und Zeit je suis pris par la puissance d'analyse dont je vous ai parlé. »

Avril 1986

  • Emmanuel Levinas :
« Mais je ne saurais oublier lannée , il y a près dun demi-siècle, jétais étudiant à Fribourg et au dernier semestre du professorat de Husserl succédait lenseignement heideggerien, 1933 nétait pas encore pensable et je vécus sous limpression dassister au Jugement dernier de lHistoire de la philosophie en présence de Husserl et de Heidegger (…). Malgré toute lhorreur qui vient un jour sassocier au nom de Heideggeret que rien narrivera à dissiperrien na pu défaire dans mon esprit la conviction que Sein und Zeit de 1927 est imprescriptible, au même titre que quelques autres livres éternels de lhistoire de la philosophiefussent-ils en désaccord entre eux. Rien na pu faire oublier que ses pages auront notamment cherchésous les sentiers brouillés au cours des âges par les marches et les démarches, les allées et venues des professeurs et des étudiantsles originelles voies et intentions de la philosophie et des philosophes, pensée de lOccident ouverte à tous les hommes. »

Mars 1987

  • Emmanuel Levinas :
« Sein und Zeit reste un des plus grands livres de lHistoire de la philosophie, même pour ceux qui le refusent ou le contestent. »

Novembre 1988

« Grâce à Emmanuel Levinas, sans qui, dès 1927 ou 1928, je n'aurais pu commencer à entendre Sein und Zeit, c'est un véritable choc intellectuel que ce livre provoqua en moi. Un événement de première grandeur venait de se produire : impossible de l'atténuer, même aujourd'hui, même dans mon souvenir » (cité par Christophe Bident, in Maurice Blanchot partenaire invisible, Champ Vallon, Seyssel, 1998, p. 44)

Notes et références

  1. Métaphysique, Γ, 1.

Voir aussi

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