- Érétrie
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Érétrie
(el) ΕρέτριαVue aérienne d'ErétrieAdministration Pays Grèce Périphérie Grèce-Centrale Nome Eubée Géographie Coordonnées Démographie Population 3 156 hab. (2001[1]) Localisation Érétrie est une cité de la Grèce antique, située sur la côte occidentale de l'île d'Eubée, et qui a largement contribué au développement et au rayonnement de la civilisation grecque. Les premières fouilles archéologiques ont eu lieu en 1885 par la société archéologique d'Athènes et l'école américaine. Depuis 1964, elle fait l'objet de recherches archéologiques conduites par l'École suisse d'archéologie en Grèce (ESAG) et de publications dans le cadre de la collection Eretria, Fouilles et Recherches.
Les premières occupations humaines : la Préhistoire
Néolithique Récent (~ 3500-3000 av. J.‑C.)
La fréquentation du site à la fin du Néolithique est attestée par quelques tessons de céramique et par du mobilier lithique recueillis sur le sommet de l’acropole, ainsi qu’en plaine, tout près du littoral. S’agissait-il déjà d’habitats permanents ou simplement de refuges temporaires ? Nous l’ignorons, faute de structures découvertes à ce jour, mais le lieu paraît propice à l’établissement : l’acropole, point de repère dans le paysage et poste d’observation privilégié sur toute la plaine et les alentours, offre, en effet, un abri sûr à proximité d’une anse naturelle. Les vestiges d’un habitat néolithique dorment peut-être encore sous la ville moderne, protégés par la nappe phréatique et d’épaisses couches d’argile.
Helladique Ancien (~ 3000–2000 av. J.‑C.)
La période qui suit, l’Helladique Ancien, est mieux connue. L’occupation du site se densifie, particulièrement dans la plaine. Un important établissement succède à l’installation néolithique côtière; il perdure près d’un millénaire, jusqu’à l’aube de l’Helladique Moyen, vers 2000 av. J.-C. Divers bâtiments ont été mis au jour, dont l’un a été interprété comme un grenier, tandis qu’un important outillage lithique, accompagné de déchets de taille, pourrait témoigner de l’existence d’un atelier de débitage. La céramique recueillie annonce la céramique dite minyenne, qui caractérise l’Helladique Moyen. Un four de potier, exceptionnellement bien préservé et aujourd’hui exposé au Musée d’Érétrie[2], appartient peut-être à cette phase: quelques tessons de l’Helladique Ancien ont, en effet, été découverts dans le canal de chauffe, mais seule une datation au carbone 14 permettrait d’écarter les incertitudes qui subsistent quant à sa chronologie. L’établissement devait être étendu, si l’on en juge par de récentes découvertes faites dans le sanctuaire d’Apollon Daphnéphoros, distant d’environ 150 m, où un sondage en profondeur a mis au jour des niveaux d’occupation contemporains. La fréquentation du site a dû diminuer vers 2000 av. J.‑C., ce que corroborent les analyses de sédiments : la zone côtière se transforme alors en lagune et il faudra attendre quelque mille ans avant qu’elle ne redevienne propice à l’occupation humaine.
Helladique Moyen (~ 2000–1600 av. J.‑C.)
Alors que l’habitat de plaine disparaît, envahi par les eaux de la lagune, un établissement de hauteur se développe sur l’acropole, à l’abri des vicissitudes marines. Le plateau sommital est nivelé et un imposant mur de soutènement est érigé au sud de cette terrasse. Un habitat de type villageois y prospère, avec ses maisons et ses ruelles ; des tombes sont implantées dans les cuvettes naturelles de la roche. La céramique récoltée se compose essentiellement de vaisselle à usage domestique et de quelques vases plus fins en argile grise lissée, la céramique minyenne que l’on retrouve dans toute la Grèce à cette époque. La présence de fusaïoles et de pesons de tisserands témoigne indirectement d’activités pastorales.
Helladique Récent ou Mycénien (~ 1600–1100 av. J.‑C.)
L’occupation de l’acropole perdure à l’époque mycénienne. Elle est toutefois plus sporadique: seuls quelques tessons de céramique et ce que l’on interprète comme un poste d’observation érigé sur des soubassements plus anciens ont été mis au jour. Bien peu de chose, somme toute, en regard des vestiges des périodes précédentes et de celles qui suivront. La tradition homérique fait pourtant remonter l’origine d’Érétrie aux temps héroïques : Eiretria figure, en effet, dans le Catalogue des Vaisseaux (Iliade II, 537), au nombre des sept cités d’Eubée fournissant navires et troupes à Agamemnon en vue de l’expédition contre Troie. Mais entre ce récit, plus tardif de quelques siècles, et les vestiges archéologiques, l’écart est grand. Le passé proprement mycénien d’Érétrie reste encore à découvrir, à moins qu’il ne faille le chercher sur les sites protohistoriques voisins de Lefkandi et de Paléoekklisies[3].
La fondation de la cité: l’époque géométrique
Pour les siècles dits «obscurs» (XIe ‑ Xe siècles av. J.‑C.), qui font suite à l’époque mycénienne, l’absence de vestiges dans les environs d’Erétrie donne l’impression d’un abandon du site, dont il reste à déterminer s’il fut total ou seulement partiel. Au IXe siècle av. J.‑C., des tombes et de la céramique témoignent d’une présence très discrète, puisqu’aucun habitat contemporain n’a été mis au jour jusqu’ici. Des facteurs naturels — présence de zones marécageuses et d’un cours d’eau au tracé fluctuant — expliquent en partie pourquoi l’endroit n’est pas densément habité plus tôt.
La naissance de la cité
C’est au cours de la première moitié du VIIIe siècle av. J.‑C. qu’apparaissent les marques incontestables d’un habitat. Les constructions que l’on voit se multiplier sont le signe d’un accroissement rapide de la population. Comme l’habitat de Lefkandi décline à la même période, un transfert d’habitants d’un site à l’autre n’est pas à exclure. Érétrie ne possède pas alors de trame urbaine organisée, l’implantation se réalisant plutôt en fonction des contraintes topographiques. L’habitat s’étend du bord de la mer au pied de l’acropole, mais de manière discontinue, se composant d’ensembles distincts, reflet probable d’une répartition de l’espace par groupes familiaux. La disposition des tombes au sein de la ville complète cette image: elles sont disséminées par petits groupes qui représentent peut-être, en l’absence de véritable nécropole commune à Érétrie, des lieux d’ensevelissement propres à chaque groupe familial. C’est ainsi que l’on interprète les tombes de l’Hérôon à l’ouest de la ville, où sont enterrés plusieurs individus réunis autour d’une tombe particulièrement riche, sans doute celle d’un chef.
Une fois cet important personnage enseveli puis rejoint par quelques proches, l’endroit n’accueille plus de tombes, mais il est signalé par un grand triangle isocèle fait de plaques de pierre, qui marque ainsi son importance. Par la suite, des activités — interprétées comme les manifestations d’un culte héroïque — s’y déroulent. Il semble que la communauté ne soit plus entièrement dominée, comme auparavant, par une élite, mais qu’elle en honore l’un des derniers représentants ; ainsi se dessinerait le passage à une société de type « civique », celle de la polis.
Premiers lieux de culte
Cette évolution est également perceptible dans la zone du Sanctuaire d’Apollon Daphnéphoros. Un premier ensemble de constructions s’y développe avant 750 av. J.‑C. Il livre un riche mobilier céramique, signe de l’aisance des habitants et de leur pratique du banquet, ainsi que les traces d’un artisanat du bronze. La religion est aussi présente, mais la place qu’elle occupe reste encore difficile à déterminer. Dans un deuxième temps, l’édification d’un grand bâtiment absidial en relation étroite avec un autel définit le cadre propice à l’accomplissement d’un rituel. Si c’est bien à Apollon, divinité poliade, que l’on sacrifiait sur cet autel, on peut conclure à un culte lié à l’émergence de la cité dès la fin de la période géométrique. À cette époque, un autre lieu de culte apparaît à proximité du sanctuaire d’Apollon. Une accumulation d’objets votifs et de céramiques rituelles y témoigne, une fois encore, d’une pratique religieuse concernant toute une communauté. Le cas est exceptionnel : il permet de reconstituer un rituel impliquant des femmes et révèle la présence à Érétrie de nombreux objets provenant du bassin égéen, de Chypre, du Proche-Orient, mais aussi de l’Occident.
Érétrie entre l’Orient et l’Occident
La place que la cité occupe au sein du monde méditerranéen est un élément clé pour comprendre le destin d’Érétrie. On sait en effet qu’Érétrie fut active dans l’établissement de relations commerciales avec l'Orient et durant les premières étapes de la colonisation grecque au nord (Chalcidique) et en Occident. Les objets d’origine égéenne, orientale ou égyptienne découverts dans la ville indiquent qu’Érétrie était reliée à plusieurs réseaux d’échanges. Ils sont aussi le signe d’une circulation des techniques et des idées: une influence orientale transparaît dans certains motifs de la céramique géométrique érétrienne et elle pourrait aussi s’être exercée dans le domaine de l’orfèvrerie. D’autre part, l’écriture alphabétique fait une apparition précoce à Erétrie, sous la forme de graffiti sur la céramique. La cité constitue sans nul doute l’un des foyers de diffusion dans le monde grec de cette importante innovation. Dans la seconde moitié du VIIIe siècle av. J.‑C., Érétrie évolue rapidement. Sa communauté, en croissant, expérimente de nouvelles formes d’organisation sociale et se dote de nouveaux lieux de culte. Certains de ses membres vont prospecter, puis s’installer à l’Ouest. Avec l’Orient, elle entretient des contacts commerciaux et se montre perméable aux idées et aux techniques étrangères. Les dernières décennies du VIIIe, qui voient Erétrie prendre son essor, sont essentielles pour comprendre le destin de la ville [4].
L’essor de la cité : l’époque archaïque
Alors que, durant la seconde moitié du VIIIe siècle av. J.‑C., la céramique eubéenne — et plus particulièrement érétrienne — se retrouve un peu partout dans le bassin méditerranéen, elle cesse soudainement d’être exportée vers 700 av. J.‑C. À partir de cette date, ce n’est plus qu’à Délos — important centre religieux au cœur des Cyclades — qu’elle apparaît encore en quantités importantes. On a proposé d’établir un rapport entre ce phénomène et la Guerre lélantine : Érétrie aurait été vaincue par Chalcis et ses alliés, ce qui l’aurait contrainte de se retirer de la scène internationale. On a même suggéré que la ville fut détruite et temporairement abandonnée au début du VIIe siècle av. J.‑C.. C’est pourtant une image bien différente que suggèrent les rares sources littéraires et, plus nettement encore, les vestiges archéologiques : il ne fait aucun doute qu’Erétrie continue à se développer tout au long de l’époque archaïque.
Le VIIe siècle av. J.‑C.
Plusieurs vestiges archéologiques témoignent en effet de la prospérité et du dynamisme d’Érétrie au VIIe siècle av. J.‑C., bien que les textes littéraires fassent presque complètement défaut. Nous nous contenterons de rappeler la construction vers 680 av. J.‑C. d’un puissant mur de canalisation pour détourner vers l’est le cours d’eau qui auparavant longeait le côté occidental de la ville et dont les crues torrentielles avaient sporadiquement inondé les habitations. C’est à la même époque que l’on remplace, dans le sanctuaire d’Apollon Daphnéphoros, au cœur de la cité, le premier temple par un véritable « temple à 100 pieds » (hékatompédon).
Le VIe siècle av. J.‑C.
Au cours de la seconde moitié du VIe siècle av. J.‑C., Érétrie entre dans une phase particulièrement mouvementée de son histoire. C’est au milieu du siècle que la cité se dote de remparts. Vers 540, la cité accueille Pisistrate, le tyran d’Athènes, et ses fils, en exil, qui y récoltent des fonds et y lèvent des mercenaires en provenance de toute la Grèce pour reprendre le pouvoir. Ils s’appuient sur divers alliés, dont les Thébains et le puissant Lygdamis de Naxos. C’est à Erétrie que Pisistrate et les siens s’embarquent pour reconquérir le pouvoir en Attique (Hérodote, I 61-62). Le Temple d’Apollon édifié vers 530 rend un hommage appuyé à Athènes: les sculptures du fronton ouest, achevées vers 510 av. J.‑C., représentent notamment le combat de Thésée et des Amazones, un thème cher aux Athéniens, dont l’influence se marque également dans la figure centrale du fronton, Athéna, la déesse tutélaire d’Athènes.
Quelques années plus tard, en 499, une escadre érétrienne de dix navires se porte avec la flotte athénienne au secours des Milésiens et des autres Grecs d’Ionie soulevés contre la domination perse. Les Érétriens paieront cher ce soutien, puisqu’en 490 le corps expéditionnaire perse assiège et prend la ville avant de débarquer à Marathon. Diodore de Sicile, historien du Ier siècle av. J.‑C., mentionne Érétrie dans sa liste des thalassocraties pour une durée de quinze années (VII II,I). On peut placer ces années de suprématie navale érétrienne dans la période allant de 506 — date d’une défaite mémorable de Chalcis, l’ancienne rivale d’Érétrie, face aux Athéniens — à 490[5].
Des Guerres médiques à la Guerre du Péloponnèse
La date la plus importante, peut-être, de toute l’histoire de la cité — celle qui, en tout cas, voit Érétrie être subitement projetée sur le devant de la scène politique internationale — est l’année 490 av. J.‑C. : c’est, en effet, le moment où l’armée perse, envoyée en Grèce par le roi Darius Ier pour punir les alliés des Ioniens révoltés contre son autorité à partir de 499, s’empare de la ville après un siège de six jours, et cela très peu de temps avant que les Perses ne soient eux-mêmes défaits par les Athéniens à Marathon (première Guerre médique). Mais il n’est guère facile d’évaluer l’impact de cet événement sur les habitants et les édifices de la cité. Car si les sanctuaires furent à coup sûr incendiés (sans être nécessairement détruits de fond en comble), rien ne prouve que toute la ville ait été rasée ou réduite en cendres. D’autre part, la déportation pratiquée par les vainqueurs n’a touché qu’une partie sans doute réduite de la population, beaucoup d’Érétriens ayant pu trouver refuge dans les zones montagneuses du territoire, restées inaccessibles à l’armée des envahisseurs. Il est néanmoins assuré que plusieurs centaines d’Érétriens, y compris des femmes et des enfants, furent emmenés loin de Grèce pour être finalement installés au nord de Suse (Iran), capitale de l’Empire achéménide, au lieu-dit Arderrika; leur présence y est attestée jusqu’au début du IVe siècle av. J.‑C. et même plus tard encore. La meilleure preuve qu’en dépit de ce coup très dur la cité n’avait pas perdu tout moyen de résister est fournie par le fait que les Érétriens participèrent courageusement, tant sur mer que sur terre, à la lutte contre l’invasion du roi Xerxès en 480-479 (seconde Guerre médique). Des émissions monétaires en argent, frappées dès avant le milieu du Ve siècle av. J.‑C. et jusque vers 430-425 av. J.‑C., attestent même une certaine prospérité, sans parler du riche matériel, surtout attique, livré par les tombes érétriennes de la haute époque classique. On connaît du reste pour cette époque le nom de quelques Erétriens illustres en leur temps: ainsi (probablement) le bronzier Philésios, qui œuvra pour ses compatriotes à Olympie, ou le poète Achaios, auteur de tragédies jouées à Athènes, ou encore l’exilé Gongylos, fondateur en Mysie (Asie Mineure) d’une dynastie princière sous l’égide du Grand Roi.
Les ambitions impérialistes d’Athènes
Cependant, tout comme les autres Eubéens, les Erétriens eurent bientôt à compter avec les ambitions d’Athènes, qui transforma progressivement en un empire autoritaire la ligue en principe égalitaire fondée en 478. C’est sans doute peu après cette date (au plus tard en 457) qu’Érétrie dut céder à sa puissante voisine le vieux comptoir continental d’Oropos, qu’elle regardait comme sien. En 446, un premier soulèvement des cités eubéennes contre la domination athénienne fut durement réprimé par Périclès. Il est probable, cependant, que c’est seulement durant la Guerre du Péloponnèse, après une seconde révolte survenue en 424 (provoquée par un cuisant échec athénien en Béotie voisine), qu’Athènes imposa à Chalcis comme aussi à Érétrie la capitulation sans appel dont le texte nous est connu grâce à une inscription de l’acropole d’Athènes. Mais le temps de la libération n’était alors plus très éloigné. Tirant parti de l’issue catastrophique de l’expédition athénienne en Sicile, les Érétriens, dès 413, préparèrent une nouvelle sécession. Le renversement de la démocratie à Athènes en 411 — suivie peu de mois après par la défaite, devant le port même d’Érétrie, d’une escadre athénienne face à la flotte péloponnésienne commandée par l’amiral Agésandridas de Sparte — leur fournit l’occasion rêvée de réaliser leur projet. Aussi, quand six ans plus tard, en 405, le Lacédémonien Lysandre infligea aux Athéniens l’ultime défaite navale d’Aigos Potamos, un chef d’escadre érétrien, Autonomos fils de Samios, se trouvait-il au nombre des navarques vainqueurs, dont un grandiose monument de Delphes perpétua le souvenir. Cette libération du joug athénien permit aux Érétriens d’étendre leur État en direction du sud de l’île, aux dépens notamment de la petite ville de Styra, qui devint l’un des quelque soixante dèmes de l’Érétriade. Une nouvelle phase de prospérité commençait pour la cité, comme l’atteste, de manière particulièrement frappante, le développement que connut alors l’architecture domestique[6].
Renouveau politique et luttes sociales au IVe siècle av. J.‑C.
Il est clair que les Érétriens ne pouvaient pas rester éternellement en conflit avec des voisins aussi proches que les Athéniens, économiquement et culturellement si influents. La réconciliation survint dix ans après la fin de la Guerre du Péloponnèse (431–404), quand la domination de Sparte se fit décidément trop lourde pour ses anciens alliés : en 394 fut signé entre Athènes et Érétrie, au témoignage d’une inscription hélas mutilée, ce qui paraît avoir été la dernière « paix de cent ans » de l’histoire grecque (après cette date, en effet, les traités sont normalement conclus à perpétuité). Mais il va presque sans dire que cette alliance connut bien des hauts et des bas dans les décennies suivantes. Si, en 378/7, les Érétriens — comme du reste leurs voisins de Chalcis et de Carystos — s’empressèrent de soutenir les efforts d’Athènes en vue de reconstituer une nouvelle ligue maritime, le renouveau de l’impérialisme athénien après 375 ne tarda pas à les inquiéter, surtout quand Athènes, qui avait perdu Oropos en 411 par la faute des Érétriens eux-mêmes, réussit à remettre la main sur cette place d’une importance cruciale pour les relations entre l’Attique et l’Eubée (371). S’étant alors détachés d’Athènes pour s’allier aux Thébains désormais en situation de force, les Eubéens firent une première tentative pour constituer une confédération de cités (sinon un véritable État fédéral), comme le montrent des émissions monétaires que divers indices invitent à situer dans la première moitié du IVe siècle av. J.‑C.
Coups d’État
Mais à partir de 366, date d’un nouveau coup de main érétrien sur Oropos avec l’appui de Thèbes, la situation de la cité commença à devenir très critique, tant à l’intérieur avec l’apparition de tensions sociales extrêmement vives — qui se traduiront par une succession presque ininterrompue de coups d’État pendant un quart de siècle —, que sur le plan international, toute la Grèce se trouvant alors en proie à d’interminables conflits. Grâce aux discours de Démosthène et de son rival Eschine, les deux plus grands orateurs d’Athènes à l’époque où celle-ci était menacée par le roi Philippe de Macédoine, on comprend assez bien dans quelles vicissitudes furent plongés, durant toute la décennie 350-340, les « pauvres et malheureux Érétriens », ballottés qu’ils étaient entre oligarques et démocrates que conduisaient des chefs de faction n’aspirant en réalité qu’au pouvoir autoritaire, comme les tyrans Ploutarchos et Kleitarchos. C’est seulement en 341, quand ce dernier fut renversé et tué grâce à une intervention militaire athénienne, que les Érétriens purent rétablir durablement la démocratie. Ils promulguèrent alors une loi contre la tyrannie et l’oligarchie et, dans le même temps, ils instituèrent un concours musical en l’honneur de leur protectrice attitrée, la grande Artémis Amarysia.
La tutelle macédonienne
En 338, suite à la défaite subie à Chéronée par la coalition grecque (dont faisaient partie les cités eubéennes fédérées en une nouvelle confédération), la plupart des Etats de Grèce propre tombèrent sous la tutelle du roi de Macédoine, Philippe d’abord, puis, à partir de 336, sous celle de son fils Alexandre le Grand. Toutefois, cela ne signifie certainement pas qu’une cité de moyenne envergure comme Érétrie n’ait plus eu, dès lors, aucune marge de manœuvre sur le plan politique. Les intérêts particuliers continuèrent à peser de tout leur poids, comme l’illustre bien le fait que les Érétriens aient refusé, à l’annonce de la mort d’Alexandre à Babylone (323), d’adhérer à l’insurrection d’Athènes et de maintes autres cités de Grèce propre contre le pouvoir macédonien: c’est qu’ils escomptaient bien que, si la révolte était matée, leurs voisins d’Athènes se verraient priver de ce territoire d’Oropos qu’ils avaient reçu du jeune roi de Macédoine en 335, juste avant son départ pour l’Orient. Et c’est bien ce qui arriva, à la plus grande satisfaction des gens d’Erétrie, toujours attentifs à maintenir en face de chez eux une Oropie libre de la tutelle politique et économique athénienne[6].
Le siècle de Ménédème
Cette dernière expression — ni plus ni moins exacte que celle de « siècle de Périclès » pour désigner l’apogée d’Athènes au Ve siècle av. J.‑C. — permet de caractériser la période de relative indépendance dont jouit Érétrie pendant plus de cinquante ans, de 322 (Guerre lamiaque) à 267 av. J.‑C. (guerre chrémonidéenne), quand le philosophe Ménédème fut la personnalité la plus en vue dans sa cité, où il exerça même à plus d’une reprise d’importants mandats politiques. D’autre part, c’est l’époque pour laquelle on dispose du plus grand nombre d’inscriptions publiques, surtout des décrets honorifiques et des catalogues de citoyens. De toute cette documentation, combinée avec l’apport de l’archéologie proprement dite, se dégage l’image d’une cité bien vivante et même prospère. L’activité culturelle se traduit notamment par la construction d’un nouveau théâtre[7], œuvre peut-être de l’architecte et « scénographe » Kleisthénès, père du philosophe Ménédème ; à cette activité théâtrale se rattache au surplus une loi des cités eubéennes réglementant vers 300 av. J.‑C. la conduite des technites dionysiaques, c’est-à-dire des acteurs tragiques et comiques engagés pour les fêtes en l’honneur de Dionysos et de Déméter. Sur le plan social et économique, il convient de mentionner la grande entreprise de génie civil que les Erétriens, vers 315 déjà, confièrent à un ingénieur étranger, Chairéphanès, pour essayer d’assécher une étendue marécageuse située assez loin de la ville, au cœur de leur territoire.
Les ambitions macédoniennes
Mais le souci principal des hommes politiques d’alors était de défendre les intérêts vitaux de la cité face aux appétits des turbulents successeurs d’Alexandre. Les décrets, en particulier ceux de la période 322-301, sont révélateurs à cet égard, car la majorité d’entre eux honorent des Macédoniens qui étaient au service de ces Diadoques, rois ou futurs rois. C’est ainsi qu’Erétrie parvint à contrer les projets eubéens de l’ambitieux Cassandre en prenant d’abord le parti du régent Polyperchon — grâce à qui, en 318, la démocratie put être rétablie dans la cité après un intermède oligarchique de plusieurs années — puis, en 312, celui de Polémaios, lieutenant du puissant Antigone le Borgne. Mais en 304, elle dut, bon gré mal gré, se soumettre au fils de ce dernier, Démétrios Poliorcète (« Preneur de ville ») et honora d’une statue son principal agent en Grèce, l’homme politique Adeimantos de Lampsaque (sur l’Hellespont), connu aussi par des inscriptions d’Athènes et de Delphes. Ménédème lui-même eut plus d’une fois affaire à ce Démétrios, devenu d’autant plus encombrant avec le temps qu’en 294 il put monter sur le trône de Macédoine. Quand, en 287, le Poliorcète s’embarqua pour sa dernière expédition en Asie, notre philosophe fut tout naturellement désigné pour conduire de lointaines ambassades auprès des deux plus fastueux souverains de l’époque, le roi de Thrace Lysimaque en sa capitale de Lysimacheia et le roi d’Egypte Ptolémée à Alexandrie. Plus tard, ses contacts se firent très étroits avec le fils du défunt Démétrios, l’habile Antigone Gonatas (qui allait jusqu’à se proclamer son élève !) : en 278, le jeune roi ayant repoussé une invasion gauloise en Grèce du Nord, Ménédème s’empressa de faire voter par les Érétriens un décret mémorable en l’honneur du vainqueur.
La Guerre de Chrémonidès
Pendant toutes ces années, néanmoins, la position de la cité restait bien précaire. Rien ne le montre mieux que l’épisode suivant, attesté indirectement par une inscription découverte il y a plus d’un demi-millénaire (mais aujourd’hui perdue): au lendemain de la libération survenue en 286 ou 285, Érétrie et sa voisine Chalcis, pour sortir de leur dangereux isolement, avaient décidé d’adhérer à la Confédération béotienne alors en plein essor. Mais cette union fut certainement de courte durée. A partir de la fin de la décennie 280–270, il fallut compter avec les ambitions de Gonatas lui-même, qui menaçait l’indépendance retrouvée des cités grecques, y compris Athènes. Celles-ci trouvaient certes un appui naturel chez les Ptolémées d’Alexandrie, et ce n’est pas un hasard si le sol d’Erétrie a livré des documents — inscriptions ou monnaies — qui témoignent de liens indiscutables avec l’Égypte. Mais, débarrassé à partir de 272 du bouillant roi Pyrrhos d’Epire, Antigone Gonatas était désireux de rétablir en Grèce même une position dominante. Sous le nom de « guerre de Chrémonidès », un conflit s’engagea entre les Athéniens, soutenus par divers alliés — dont précisément les souverains de l’Egypte — et le roi de Macédoine parvenu au zénith de sa puissance. Il semble que, dès le début de la guerre — ou même avant qu’elle ne fût ouvertement déclarée à l’automne 268 —, Antigone Gonatas soit venu mettre le siège devant Érétrie. Soupçonné de vouloir trahir la cité au profit du roi avec qui, on vient de le constater, il s’était lié d’amitié, le philosophe Ménédème dut s’exiler, et c’est depuis l’autre rive du détroit, dans le tout proche Amphiaraion d’Oropos, qu’il assista — impuissant et désespéré — à la prise de la ville par les Macédoniens (printemps 267?), événement qui a laissé de nombreuses traces archéologiques sur le site. Malgré ses efforts pour fléchir le roi, Ménédème ne parvint pas à obtenir le rétablissement de la démocratie — et donc de l’autonomie politique — pour sa patrie; aussi finit-il par se suicider, à l’âge de quatre-vingt-trois ans (soit vers 263). Très peu de temps après, c’est Athènes elle-même qui devait capituler devant Gonatas, en même temps que disparaissaient quelques-unes des plus grandes figures de l’époque. Une page de l’histoire de la Grèce se tournait[7].
De l’occupation macédonienne à la mainmise de Rome
Il est certain que, dans les années qui suivirent immédiatement la défaite des patriotes grecs, la situation d’Érétrie — comme celle d’Athènes — était peu enviable. Mais, vers 255 av. J.‑C. déjà, certaines concessions furent accordées à la cité: c’est ainsi qu’un décret honorant l’apatride Prôtéas montre que les Érétriens, jusque-là étroitement soumis au pouvoir macédonien et gravement endettés de surcroît, purent obtenir une plus large autonomie politique. Mais ils furent bientôt entraînés dans une aventure qui dut les laisser perplexes : en 251 très probablement, le gouverneur de l’Eubée et de la région isthmique (Corinthe) pour le roi Antigone, son propre neveu Alexandre, fils de Cratère, fit sécession et prit à son tour le titre royal, comme l’atteste précisément un autre décret d’Érétrie. Ce royaume indépendant paraît avoir duré jusque vers 245. Un important trésor monétaire semble aujourd’hui pouvoir être mis en relation avec la reprise de la ville par Antigone Gonatas. Les Érétriens étaient donc de nouveau placés sous la tutelle directe du roi de Macédoine, et la marque la plus claire de leur sujétion résidait dans la présence sur l’acropole d’une garnison composée de mercenaires d’origine diverse. Beaucoup d’épitaphes pour des étrangers proches ou lointains — chose qui ne se rencontre absolument pas dans les cités de la Béotie voisine, mais seulement dans d’autres villes de garnison — témoignent de cette population cosmopolite. Il ne faudrait pas, cependant, imaginer que la cité avait perdu alors toute possibilité de jouer son rôle au sein de la communauté hellénique: non seulement elle continuait à honorer des bienfaiteurs étrangers, mais elle pouvait accepter, moyennant l’autorisation royale, les invitations qui lui étaient faites par d’autres cités de participer à de grandes fêtes panhelléniques: c’est ainsi que l’on possède, pour l’année 208, le décret d’acceptation par Érétrie du nouveau concours sacré dit des Leukophryéna, organisé par les gens de Magnésie du Méandre en Asie Mineure.
La mainmise de Rome
La dernière décennie du IIIe siècle av. J.‑C. voit les Romains intervenir pour la première fois en Eubée, dans le cadre de la guerre qu’ils menèrent en Grèce contre le roi Philippe V de Macédoine, maître de la grande île. Mais, au début, seule la ville d’Histiée-Oréos (à l’extrémité septentrionale de l’île) fut touchée directement parles opérations. Centre du pouvoir macédonien en Eubée, Chalcis devait essuyer un peu plus tard, en 199, un sérieux coup de semonce avec la fulgurante attaque du légat Caius Claudius, provisoirement sans lendemain. C’est seulement l’année suivante, en 198, que les gens d’Erétrie — comme ceux de Carystos — firent réellement connaissance avec les armées romaines. Arrivés par voie de mer avec une flotte importante, les Romains et leurs alliés pergaméniens investirent la cité, toujours tenue en main par une garnison macédonienne et peut-être hâtivement pourvue de nouveaux ouvrages de défense. Terrifiée par le spectacle des machines de guerre, la population civile s’était réfugiée sur l’acropole et cherchait à obtenir une capitulation honorable, quand les Romains parvinrent à pénétrer à l’intérieur de l’enceinte. Il est fort douteux (quoi qu’on en ait pensé) que cette armée de «libération» ait gravement endommagé les bâtiments publics et privés du centre urbain. Mais Tite-Live indique sans équivoque que la cité livra aux vainqueurs, à défaut de grosses sommes d’argent ou d’or, des œuvres d’art «anciennes» de grand prix. Le passage des Romains se solda donc certainement par une dégradation du riche patrimoine culturel des Érétriens. Si les opérations militaires furent conduites en l’occurrence par Lucius Quinctius Flamininus, frère du consul de 198, c’est ce dernier en personne qui mena finalement les négociations en vue de définir pour la cité un nouveau statut. Érétrie ne fut formellement libérée de la tutelle macédonienne qu’en 196 par la déclaration solennelle que Titus Flamininus fit proclamer lors du concours des Isthmia près de Corinthe. Même après cela, cependant, il s’en fallut de peu qu’elle ne fût cédée à l’allié de Rome qu’était le puissant roi de Pergame. Mais Flamininus s’y opposa de toute son autorité. En 194 enfin, après avoir fait partir toutes les garnisons romaines, le même personnage créa en Eubée, avec Chalcis pour capitale et Amarynthos comme centre religieux, un véritable Etat fédéral, dont l’existence est confirmée par des inscriptions et des monnaies. Mais en 192 déjà, cette nouvelle Confédération eubéenne paraît avoir sombré dans la tourmente de la Guerre dite « antiochique », qui vit le roi séleucide Antiochos III le Grand intervenir en Grèce aux côtés des Étoliens ennemis de Rome. Après diverses péripéties, Chalcis où, pourtant, se trouvait une importante faction proromaine — dut ouvrir ses portes au roi « libérateur », et les Érétriens, comme aussi les Carystiens, furent bientôt obligés, bon gré mal gré, de suivre le mouvement, qui les mettait subitement au centre d’un conflit d’envergure méditerranéenne, assez vite réglé toutefois au profit des Romains. Et grâce à l’intervention de l’ancien consul Flamininus, les cités eubéennes, qui auraient pu craindre le pire en représailles de leur conduite (Chalcis surtout, bien entendu), furent épargnées par le vainqueur.
Vie politique et sociale au IIe siècle av. J.‑C.
Moins brillante peut-être que par le passé, l’histoire d’Érétrie au IIe siècle av. J.‑C. est cependant intéressante à plus d’un titre. On constate d’abord que la cité put reconstituer une partie au moins de ses ressources, puisqu’elle fut avec Athènes et Chalcis la seule cité de Grèce propre à pouvoir émettre, vers 180-170, un monnayage d’argent dit du « nouveau style ». Par ailleurs, des décrets honorifiques retrouvés dans diverses régions de Grèce et d’Asie Mineure révèlent que les Érétriens, vers le milieu du IIe siècle av. J.‑C., durent faire appel assez souvent à des juges étrangers — ce que, par exemple, les Athéniens ne se résignèrent jamais à faire — pour régler des procès à l’intérieur même du corps civique, indice que la société érétrienne était alors en proie à de sérieuses tensions, sans doute par suite de l’endettement de beaucoup de citoyens.
Lucius Mummius, un bienfaiteur pour Erétrie ?
Il faut enfin faire mention d’un événement de grande portée, dont on ne pouvait soupçonner, jusqu’à une date récente, qu’il eût touché Érétrie, et de façon à ce point inattendue: c’est la Guerre dite d’Achaïe, par quoi l’on entend le soulèvement, en 146, de la Confédération achéenne (Péloponnèse) et de la Béotie presque tout entière contre le pouvoir de Rome, suivi de sa répression impitoyable par le consul Lucius Mummius, qui fit détruire de fond en comble la ville de Corinthe. On savait déjà, assurément, que les gens de Chalcis avaient adhéré à cette insurrection et en avaient été cruellement punis. Mais les Érétriens ? Une inscription peu faite pour attirer l’attention — simple proclamation de vainqueurs à l’épreuve du stade — atteste l’existence d’un concours célébré en l’honneur du redoutable Mummius, associé à la grande Artémis Amarysia. Ce document prouve donc indubitablement que les Érétriens rendaient un culte à ce personnage, considéré par eux comme un bienfaiteur. Il en découle qu’ils avaient dû adopter dans la guerre une attitude diamétralement opposée à celle de leurs voisins immédiats, et l’on s’explique ce soutien apporté à Rome quand on sait qu’ils avaient été, très peu auparavant, les victimes de la politique agressive des Béotiens de Thèbes. Presque seuls d’entre les Grecs à se ranger aux côtés de Mummius, ils avaient nécessairement obtenu du consul une fois vainqueur quelque substantielle récompense. Il serait intéressant de savoir laquelle. L’hypothèse la plus probable — mais il ne s’agit pour le moment que d’une conjecture fondée sur divers indices — c’est qu’ils reçurent en partage le territoire d’Oropos, convoité depuis toujours, dont ils purent ainsi tirer profit à partir de 146. Cela rendrait compte de la relative aisance dont paraît bénéficier, vers cette époque, une partie au moins de la société érétrienne. En témoignent en effet plusieurs inscriptions ayant trait aux activités des éphèbes, de leurs entraîneurs et de leurs professeurs dans le cadre du gymnase, et qui nous font découvrir une certaine « bourgeoisie » ploutocratique, dont sont issus également les notables que l’on voit élever des statues aux membres de leur famille. Ce qui est sûr, c’est qu’un demi-siècle plus tard, ayant joué la mauvaise carte dans la guerre contre le roi du Pont Mithridate en 87-86, les Érétriens perdirent non seulement cette précieuse possession continentale mais leur statut privilégié. Et de ce coup dur les Erétriens ne devaient jamais plus se relever tout à fait[7].
De la domination romaine à l’abandon de la cité
Dès 146 av. J.-C., suite à la Guerre d’Achaïe, les cités grecques sont placées sous le contrôle du gouverneur romain de Macédoine, mais elles conservent néanmoins en partie leur autonomie. Ce n’est qu’en 27 av. J.‑C. qu’elles seront officiellement intégrées dans l’Empire romain avec la création de la province d’Achaïe. Le début du Ier siècle av. J.‑C. marque incontestablement un tournant pour Érétrie : à l’instar de nombreuses cités de Grèce — et en dépit du traitement plutôt favorable que les Romains avaient réservé jusqu’alors aux Érétriens, comme aux Athéniens — elle prend fait et cause pour le roi Mithridate VI Eupator et se retrouve dans le camp opposé à Rome. Le conflit va durer de 88 à 85 av. J.‑C., pour culminer avec le sac d’Athènes la nuit du 1er mars 86 par le proconsul romain Lucius Cornelius Sylla. Si les sources littéraires restent muettes sur le sort d’Érétrie, les couches de destruction mises au jour par les archéologues montrent que la cité ne fut pas épargnée.
Renouveau augustéen
Il faut attendre près de deux générations pour qu’Erétrie se relève partiellement, avec l’avènement d’Auguste et du Principat à Rome. L’historien Dion Cassius (LIV 7, 2) nous apprend en effet qu’en 21 av. J.‑C. Auguste affranchit Erétrie de la souveraineté athénienne, à laquelle l’avait peut-être soumise, en 42, une décision du triumvir Marc Antoine. La cité recouvre ainsi une certaine autonomie et se voit surtout libérée de l’obligation de s’acquitter de lourdes taxes en faveur d’Athènes, ce qui favorisera un nouvel essor. Les constructions se multiplient, notamment à proximité de la Maison aux mosaïques[8] où un quartier artisanal se développe : bassin de traitement de la pourpre pour teindre les textiles, four à chaux pour la préparation du mortier, amenées d’eau courante et canaux d’évacuation des eaux usées témoignent d’un renouveau des activités dans la cité. Un temple du culte impérial est érigé au carrefour des deux voies principales de la cité, tandis que d’autres bâtiments publics, comme le Gymnase Nord et le Théâtre, sont restaurés, preuve d’une certaine prospérité retrouvée.
Une modeste cité au sein de l’Empire romain
Une série de stèles funéraires datant du Ier au IIIe siècle de notre ère nous renseignent sur quelques-uns des habitants de la modeste cité qu’est alors Érétrie: ainsi cet Érétrien qui s’est représenté non sans fierté avec les attributs de son métier, la pêche. L’habitat se concentre désormais au pied de l’acropole, et peut-être sur ses pentes, tandis que le coeur de la cité classique semble réservé aux sépultures, comme le suggère notamment un riche tombeau aménagé sur l’agora. Erétrie frappe encore monnaie jusqu’à la fin du IIe siècle ap. J.-C., ce qui suggère que les institutions civiques fonctionnent au moins jusqu’à cette période. On possède du reste une base de statue élevée par la cité à l’empereur Caracalla (211–217 ap. J.-C.) et il existe en tout cas une base impériale plus tardive. Mais le centre de gravité économique et politique semble s’être alors déplacé vers la ville de Porthmos (Aliveri), où fut exposé vers 300 de l’ère chrétienne un exemplaire de l’Edit du maximum des prix de Dioclétien.
Les derniers siècles de la cité
On a longtemps pensé qu’Érétrie avait été peu à peu désertée à partir de la fin du IIIe siècle ap. J.-C. et qu’un puissant séisme, en 365 de notre ère, avait sans doute achevé de dépeupler la cité. La récente découverte du temple du culte impérial, qui fut sans doute détruit par les chrétiens au Ve siècle, et une série de sépultures datées très probablement du VIe siècle suggèrent toutefois qu’une communauté continua à vivre à Erétrie, au moins jusqu’à cette époque. Il reste cependant malaisé de se représenter l’organisation de l’habitat durant les derniers siècles de la cité, car peu de vestiges ont été retrouvés: quelques pans de murs, un édifice et un puits près du Temple d’Apollon, où fut d’ailleurs découvert un fragment de chancel qui pourrait indiquer la présence d’une église. De nombreux bâtiments des périodes antérieures ont sans doute été réutilisés, sans laisser d’indices. Le monde des morts nous est un peu mieux connu: la plupart des sépultures — tombes à inhumation en tuiles ou à couverture de dalles — étaient situées le long des principaux axes et carrefours de la cité, ainsi qu’à proximité d’anciens temples: au nord, près du Sébasteion et du Tombeau monumental, en direction du sud, au bord de la route antique, et dans le voisinage du Sanctuaire d’Apollon. Les quelques pièces de céramique et objets de parure en bronze découverts dans les tombes évoquent une population relativement prospère, mais la cité a assurément perdu de son importance. On sait qu’un séisme secoua à nouveau la région en 511, faisant peut-être fuir définitivement les derniers habitants. Seules l’église d’Aghia Paraskevi et la nécropole qui l’entoure, situées à un kilomètre à l’est d’Erétrie, témoignent encore de la fréquentation des lieux au VIe siècle. Une page se tourne, effaçant de la mémoire les anciens dieux et la cité d’Erétrie[9].
Le site reste ensuite inhabité jusqu'au XIXème siècle.
La nouvelle Érétrie
L’histoire de la nouvelle Érétrie est étroitement liée à la Guerre d’indépendance grecque (1821–1827). Au terme du conflit et conformément au protocole de Londres (1830), les Ottomans cèdent l’Eubée à la Grèce en 1833. Afin d’offrir une nouvelle patrie aux réfugiés de l’île de Psara, détruite par les Ottomans en 1824, l’État grec décide d’établir dès 1834 des Psariotes à Erétrie, appelée alors et jusqu’en 1960 Néa Psara (« Nouvelle Psara »). Cependant, le paludisme et sans doute aussi la proximité de Chalcis, important centre urbain distant de 18 km, expliquent le faible développement de cette localité durant le XIXe siècle.
Au XXe siècle, l’évolution de Néa Psara est à nouveau étroitement liée à des événements violents: la guerre gréco-turque de 1921–1922. L’armée grecque subit en effet une lourde défaite face aux troupes de Kemal Atatürk, qui aboutit à l’incendie de Smyrne (aujourd’hui Izmir). Le désastre militaire d’Asie Mineure a pour conséquence l’échange des minorités des deux pays et entraîne l’arrivée d’un million et demi de réfugiés en Grèce, en application du Traité de Lausanne (juillet 1923). Comme à l’issue de la Guerre d’indépendance, des réfugiés sont accueillis à Érétrie. Des rangées de maisons contiguës, situées au sud-est et au sud-ouest de la ville, en témoignent aujourd’hui encore. Depuis les années 1960, notamment grâce à la mise en service de ferry-boats reliant Erétrie à Oropos, en Attique, et à l’extinction de la malaria par le drainage des marais dans les années 1940, cette bourgade provinciale est devenue un lieu de villégiature très prisé par les Athéniens fuyant les canicules estivales. Lors du recensement de 2001, le district d’Erétrie comptait 5969 habitants, avec la ville d’Erétrie, l’île d’Aghia Triada, le hameau de Gerontas (27 habitants), et les agglomérations côtières de Magoula (1331 habitants) et Malakonda (1455 habitants).
Notes et références
- Erétria
- Musée d’Érétrie
- Géraldine Delley, in Érétrie. Guide de la cité antique, Infolio éditions, Gollion, 2004.
- Samuel Verdan, in Érétrie. Guide de la cité antique, Infolio éditions, Gollion, 2004.
- Jean-Paul Descoeudres, in Érétrie. Guide de la cité antique, Infolio éditions, Gollion, 2004.
- Denis Knoepfler, in Érétrie. Guide de la cité antique, Infolio éditions, Gollion, 2004.
- http://www3.unil.ch/esag/theater/www.easyknow.ch/eretria/files/home.html
- http://www.unil.ch/esag/page20777.html
- Stephan G. Schmid, Brigitte Demierre Prikhodkine, in Érétrie. Guide de la cité antique, Infolio éditions, Gollion, 2004.
Liens externes
- site Internet de l'École suisse d'archéologie en Grèce
Littérature
- ESAG, Eretria. Fouilles et recherches. Publications de l'Ecole Suisse d'Archéologie en Grèce
- ESAG, Eretria. Guide de la cité antique. ISBN 2-88474-111-9
-
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