Édouard Leclerc

Édouard Leclerc

Édouard Leclerc est un entrepreneur et un réformateur français, né le 20 novembre 1926 à Landerneau (Finistère), fondateur d’un groupement de commerçants indépendants. Il est marié avec Hélène Diquelou depuis 1950 et est père de trois enfants.

Sommaire

Biographie

Origines et formation

Fils d’Eugène Leclerc, militaire franc-comtois agrégé de lettres originaire de l'est de la France et de Marie Kerouanton, Edouard Leclerc est né le 20 novembre 1926 à Landerneau, (Finistère)[1]. Sixième d’une famille de quinze enfants, il grandit dans un environnement bourgeois et catholique. En octobre 1939, il est scolarisé au Petit Séminaire des Prêtres du Sacré-Cœur à Neussargues (Cantal), puis, à partir de juillet 1940, à Viry-Châtillon (Essonne). Sa scolarité étant interrompue par la guerre, il regagne le domicile familial. Il est incarcéré à la Libération pendant 6 mois, puis libéré via une ordonnance de non-lieu signée par le commissaire de la République près de la Cour de justice de Quimper. En 1946-1947, il poursuit sa formation religieuse au noviciat de Saint-Cirgues-sur-Couze, puis, en 1947-1948, au scolasticat d’Uriage où il étudie la philosophie[2].

Son projet

Dans cette période de pénurie — l’approvisionnement alimentaire constitue l’une des préoccupations centrales des Français —, Édouard Leclerc cherche à mettre à jour des solutions pour faciliter la vie de ses concitoyens. Il prend conscience des limites de la charité et de l’action sociale de l’Église pour modifier la société en profondeur : « Jusqu’ici, l’Église a créé des œuvres sociales. Les œuvres, c’est très bien. (…) L’œuvre sociale est accidentelle, momentanée, gratuite. (…) On a soulagé quelques cas isolés, on n’a pas résolu un problème social général. (…) Les moines du Moyen Âge, pour venir en aide aux pauvres gens, s’y prenaient d’une tout autre façon. Ils avaient jugé plus sage de distribuer des outils, des semences, à charge pour ceux qu’ils aidaient de cultiver les champs. (…) C’est sur des bases analogues qu’au XXe siècle, on doit concevoir l’action sociale. Il faut créer des entreprises rentables, durables, en s’intégrant dans l’économie et dont le but soit l’amélioration du sort de tous[3].

Peu à peu, émerge la conviction qu’une réforme de la société doit commencer par une refonte des circuits commerciaux. Ainsi, il dénonce le prix de vente des biens de consommation et propose de raccourcir les circuits de distribution. Il prône la suppression non seulement du maximum d’intermédiaires entre le producteur et le consommateur, mais aussi de l’intégralité des marges correspondantes : là réside le caractère innovant de son projet qui, réduisant considérablement le prix de vente, apparait révolutionnaire.

Ainsi, malgré les profits importants réalisés ensuite par ses futurs émules, Édouard Leclerc n’avait pas initialement assigné à son projet de finalité commerciale : son objectif était bien réformateur et social.

Épicier à Landerneau (1949-1954)

Édouard Leclerc choisit de renoncer à la prêtrise et effectue une tournée de conférences devant des cadres de l’Action catholique pour exposer ses idées. Il est encore jeune et l’accueil qu’on lui réserve est mitigé. Il décide alors de tenter l’expérience lui-même et commence par apprendre les rudiments du métier auprès d’un transitaire brestois.

En décembre 1949, il ouvre une petite épicerie, 13 rue des Capucins à Landerneau. Il commercialise d’abord uniquement des biscuits Labour, achetés directement à un producteur de Pontivy. Le prix affiché est alors 30 % en deçà de celui proposé par les autres commerçants. Il réinvestit l’ensemble des bénéfices dans son « centre distributeur E. Leclerc » et peut ainsi proposer à ses clients une gamme de plus en plus large de produits : huile, farine, sucre… Les clients, d’abord timides, se font rapidement plus nombreux. En 1953, le local de la rue des Capucins devient exigu et Édouard Leclerc transfère son entreprise rue Bélérit[4].

Face à ce succès, les commerçants des environs s’inquiètent et font pression sur les fabricants pour qu’ils cessent de livrer E. Leclerc. Ce dernier se tourne vers le préfet du Finistère. Or, l’initiative du jeune Breton constitue une réponse, certes isolée, mais localement efficace, à l’inflation, préoccupation centrale et permanente des gouvernements successifs de la Quatrième République. C’est pourquoi le ministre des Finances et des Affaires économiques Edgar Faure réagit fermement et prend un décret le 9 août 1953 pour lutter contre les pratiques commerciales restrictives, comme le refus de vente.

Fondateur du Mouvement E. Leclerc (1955-1959)

En 1955, un autre indépendant ouvre un centre distributeur à Saint Pol de Léon appliquant la formule commerciale d'E. Leclerc. L'année suivante, des grossistes des Côtes d'Armor font de même : à Tréguier, Lannion, et à Saint Malo tandis qu'Édouard Leclerc ouvre son premier centre distributeur textile. En août 1957, le mouvement compte 9 centres distributeurs, tous bretons. Il n’y a ni contrat, ni lien financier entre Édouard Leclerc et ces épiciers d’un genre nouveau : seule l’obligation pour qui veut utiliser ses principes commerciaux de grouper ses achats à Landerneau. E. Leclerc ne facture cependant pas ces "rétrocédés" au-delà du coût réel et leur restitue la totalité des ristournes accordées par les fabricants. C'est en novembre 1957 que les premiers articles consacrés à cette formule de vente originale paraissent[5]. Le premier d'entre eux ne porte d'ailleurs pas sur le fondateur mais sur deux centres distributeurs ouverts coup sur coup à Rennes et appartenant à "Argenta", chaîne fonctionnant "sous le procédé Leclerc". Paradoxalement, à l'engouement médiatique ne répond pas une accélération du rythme de développement sur le plan national : en novembre 1959, le mouvement compte seulement 14 membres hors de Bretagne. Parmi les villes concernées, figurent notamment Niort, Le Mans, Tarbes. En septembre 1958, Édouard Leclerc ouvre en propre un centre distributeur à Grenoble[6]. Le défi est considérable : une localisation éloignée de sa région d’origine, un réseau de fournisseurs à reconstituer… La course au bas prix qu’engendre l’implantation d’un centre distributeur entre les différents commerces de la ville et la baisse du coût de la vie qui en résulte font de cette opération une réussite. L’année suivante, en 1959, il confie à Jean-Pierre Le Roch l’implantation du premier centre distributeur en région parisienne, à Issy-les-Moulineaux : la médiatisation considérable de son inauguration confirme le succès de l’entreprise : on parle de moins en moins de l’« expérience » et de plus en plus du « Mouvement E.Leclerc »[7].

L'expansion est plus rapide en Bretagne qui compte 24 membre fin 1959. Seuls les chefs de centres sités à proximité de Landerneau y groupent leurs achats, les autres prennent en charge seuls leur approvisionnement ou deviennent à leur tour rétrocessionnaires. Édouard Leclerc conseille les nouveaux venus dans leurs démarches et organise l’achat en commun de certains produits. Il recueille aussi leurs doléances, concernant notamment les refus de vente des fournisseurs, et se fait leur porte-parole en transmettant ces plaintes aux autorités[8].

Président du Mouvement E. Leclerc (1959-2003)

Entre 1959 et 2003, Édouard Leclerc est le président fondateur de l’Association des centres distributeurs E. Leclerc (ACDLec), qui réunit tous les commerçants utilisant son panonceau. Là, il se consacre à la diffusion et à l’implantation de ses idées.

En 1959, il milite avec Max Théret (fondateur de la FNAC avec André Essel), en faveur d’une réforme fiscale favorisant les circuits commerciaux courts. En 1960, il dénonce à nouveau les pratiques anticoncurrentielles de ses concurrents auprès des pouvoirs publics qui garantissent, à travers la circulaire Fontanet, parue le 31 mars 1960, la libre concurrence dans le commerce.

Dans les années 1960, il œuvre pour une réforme des circuits de distribution des produits frais : il soutient notamment les producteurs d’artichauts et les mareyeurs, tandis que sur son impulsion, plusieurs boucheries E. Leclerc ouvrent leurs portes. En 1964, il y a, en France, 420 centres distributeurs.

Après avoir longtemps défendu les petits formats, Edouard Leclerc se convertit aux très grandes surfaces de vente en ouvrant un Super Centre à Landerneau en 1965 et un véritable hypermarché à Brest en 1969. Il ne transige cependant pas sur l’indépendance des adhérents qui doivent être pleinement propriétaires de leur magasin : c’est notamment un désaccord en 1969 sur ce point, et plus généralement une divergence profonde sur l’architecture du Mouvement, qui expliquent le départ d’une partie des adhérents, menés par Jean-Pierre Le Roch. Ensemble, ces derniers fonderont « les Ex », futur Intermarché.

Édouard Leclerc se consacre alors pleinement à la refondation du Mouvement. Il milite contre la loi Royer, votée en décembre 1973, qui établit un contrôle de l’implantation des grandes surfaces par des commissions locales. Les actions qu’ils mènent sont spectaculaires : en 1974 par exemple, il se rend à Rochefort accompagné de quelques membres du Mouvement pour chahuter le procès de l’adhérent local, accusé d’avoir ouvert un centre sans autorisation. Ses opposants les plus virulents proviennent du CID-UNATI, qui comme son prédécesseur le Mouvement Poujade, s’est promu défenseur des petits commerçants. Édouard Leclerc ne cesse de communiquer sur son action. Il multiplie les conférences ; il lance, en 1973, un magazine, le Soleil de l’Ouest, diffusé dans la région brestoise ; il est présent sur les plateaux télévisés. Il fait même son entrée sur la scène politique en créant, en 1977, le Mouvement européen économiques et social (MEES).

En 1978, Édouard Leclerc s’engage dans le redressement des abattoirs Gilles dans les Côtes d’Armor. Ce soutien devait être transitoire, mais les circonstances conduisent le Mouvement à reprendre entièrement l’entreprise, qui devient, sous le nom de Kermené, la première expérience durable d’intégration industrielle de l’enseigne.

Diversifier le Mouvement E. Leclerc

Dès les années 1970, Édouard Leclerc cherche systématiquement à briser les monopoles et à libérer les secteurs protégés. Il s’attaque ainsi tous azimuts aux marchés des carburants, des livres, de produits pharmaceutiques, des parfums, de l’or, des voyages… Son action est couronnée de succès dans le cas des carburants : l’application de rabais supérieurs à ceux autorisés dans les stations-services du Mouvement entraîne un nombre important d’actions en justice… En 1985, après 467 procès, la Cour de justice des communautés européennes tranche et donne raison au Mouvement contre l’État français, détenteur du monopole. En revanche, le Mouvement échoue à obtenir un prix libre pour les livres, mais s’impose néanmoins, avec son concept d'espace culturel E. Leclerc, comme l’un des premiers libraires français.

En 1986, le Mouvement lance une vaste campagne de communication pour dénoncer les monopoles et le corporatisme de certains secteurs. Dans les années 1980, le Mouvement E. Leclerc s’engage également dans une diversification de ses activités dans les secteurs libres : les premiers Agri-E.Leclerc, Jardi-E.Leclerc et Brico E.Leclerc ouvrent leurs portes, tandis qu’à Tarbes, la première librairie E. Leclerc est expérimentée. En 1989, il y a 187 hypermarchés en France contre une centaine au début des années 1980.

Président de la première enseigne française de distribution

Dans les années 1990, le Mouvement tente de s’implanter en dehors des frontières hexagonales : après un échec aux États-Unis, le premier centre polonais est inauguré en 1995. D’autres centres ouvriront ensuite en Pologne, en Espagne, en Italie, au Portugal… En 1993, la loi Royer est amendée et l’octroi des autorisations d’implantation est confié à une commission nationale. Si Édouard Leclerc a obtenu gain de cause sur ce point, les pouvoirs publics modifient les règles du jeu entre les fabricants et les distributeurs au détriment de ses derniers : la loi Galland, votée en 1996, interdit la revente à perte et limite le plancher des prix aux consommateurs.

En 1997, après avoir longtemps défendu les marques de fabricants aux prix aisément comparables d’une enseigne à l’autre, Édouard Leclerc se convertit aux marques de distributeur et commercialise ses premiers produits.

En 2005, il cède la présidence de l’ACDLec à son fils Michel-Edouard Leclerc, co-président depuis 1988. Le Mouvement est alors la première enseigne française de distribution. Si les liens entre les adhérents se sont peu à peu densifiés, notamment via l’adoption de règles plus contraignantes régissant l’ACDLec, les principes originaux n’ont pas changé : les adhérents sont tous propriétaires de leur magasin et ne versent aucun pourcentage de leur bénéfice au fondateur. De plus, le projet de l’enseigne est resté le même : la défense du consommateur et de son pouvoir d’achat.

Édouard Leclerc vit aujourd’hui retiré dans son manoir à Saint-Divy, près de Landerneau.

Honneurs, récompenses et controverses

  • En 1964, il est membre de la commission du commerce au Commissariat général au Ve Plan[9] .
  • En 1965, il est décoré de l’Ordre national du Mérite.
  • En 1983, il est élu Breton de l'année par Armor Magazine.
  • En 2009, il a été promu Chevalier de la Légion d'honneur.
  • La détention d’Édouard Leclerc à la Libération a été sujette à controverses. Édouard Leclerc a, à cinq reprises, engagé un procès. Par quatre fois (1976, 1977, 1987, 1988), la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement du tribunal de grande instance de Paris ayant déclaré « diffamatoires, les imputations d'avoir, à la fin de la guerre, collaboré avec l'ennemi en étant un indicateur de la Gestapo et d'avoir été incarcéré pour ces faits ». Le cinquième procès en diffamation est actuellement en cours.

Références

  1. Michel-Édouard Leclerc, avec Yannick Le Bourdonnec, Du bruit dans le Landerneau, Albin Michel, 2004.
  2. Archives du Provincialat des Prêtres du Sacré-Cœur.
  3. Propos rapportés par Étienne Thil dans Combat pour la distribution. D’Édouard Leclerc aux supermarchés.
  4. « Révolution commerciale en Bretagne », une enquête de M. Georgelin, parue en plusieurs fois dans le Télégramme de Brest entre le 14 et le 18 novembre 1958.
  5. « Révolution commerciale en Bretagne », une enquête de Raymond Georgelin, parue en plusieurs fois dans le Télégramme de Brest, entre le 14 et le 18 novembre 1957 ; deux articles de Joseph Fontaine parus dans la Croix : « Des centres distributeurs de produits alimentaires vendent au prix de gros », le 9 novembre 1957 et « révolution commerciale en Bretagne – des produits alimentaires vendus au prix de gros », le 7 décembre 1957
  6. Article de Michel Bosquet sur l'expérience Leclerc à Grenoble paru dans L’Express, le 2 avril 1959.
  7. http://www.ina.fr/video/CAF88030802/operation-leclerc-a-landerneau.fr.html
  8. Archives du Mouvement E. Leclerc, correspondance entre Édouard Leclerc et les premiers adhérents entre 1956 et 1959.
  9. Archives départementales du Finistère, Fonds 117 W 154

Bibliographie

  • LECLERC E., Ma vie pour un combat, Belfont, Paris, 1974
  • LECLERC E., La part du bonheur, des solutions à la crise, Belfond, Paris, 1976
  • CARLUER-LOSSUARN F., Leclerc, enquête sur un système, E. Bertrand Gobin, Rennes, 2008
  • CHAVANNE L., Le Phénomène Leclerc, De Landerneau à l’an 2000, Plon, Paris, 1986
  • THIL E., Combat pour la distribution : d'Édouard Leclerc aux supermarchés, Arthaud, Paris, 1964

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