Transition démocratique (Chili)

Transition démocratique (Chili)

Transition chilienne vers la démocratie

La transition chilienne vers la démocratie (familièrement connue au Chili en tant queTransición) a commencé avec la fin de la dictature d'Augusto Pinochet, après le rétablissement de la démocratie et la prise de fonction de Patricio Aylwin le 11 mars 1990.

Il n'existe pas de consensus précis concernant la période de la transition démocratique : pour certains elle va de 1990 à 2005 ; pour d'autres elle commence en 1990 et n'est toujours pas achevée en 2009 ; certains la situe de 1988 à 1994[1].

Sommaire

La dictature militaire

Depuis le coup d'État du 11 septembre 1973, le Chili vivait sous un régime de dictature militaire.

L’émergence d’une opposition structurée

A partir de 1982, le pays connait une crise économique marquée par la chute du PIB (-14,5% par rapport à l’année précédente), l’accroissement de la dette, la hausse de l’inflation (9,9%) et du chômage (30%)[2]. Les ménages sont endettés alors que s'accroissent les inégalités entre les chiliens. Ce contexte économique amplifie l’opposition au régime, avec une série de manifestations connues familièrement sous le nom de protestas. Bien que pacifiques, ces manifestations sont souvent réprimées dans le sang par la dictature.

Le référendum chilien de 1988

Article détaillé : référendum chilien de 1988.

Le référendum chilien fut organisé dans le cadre de l'application de la constitution chilienne de 1980 pour décider de la prorogation au pouvoir jusqu'en 1997 du général Augusto Pinochet.

Les partis politiques furent de nouveau légalisés par la loi n°18 603 du 23 mars 1987. Les débats furent vifs au sein des différents partis politiques, surtout ceux opposés à Pinochet, sur l'opportunité de se faire enregistrer selon les termes législatifs et de reconnaître ainsi les lois du régime militaire. La grande majorité d'entre eux néanmoins décidèrent de se faire enregistrer leur permettant d'obtenir un statut officiel plusieurs mois avant la date du référendum et de mener une campagne électorale.

Dès le 2 février, 13 formations d'opposition appelèrent à participer au référendum et à voter No. Elles décidèrent de se regrouper dans une structure politique souple appelée Concertación de Partidos por el No (qui devint par la suite Concertation des partis pour la démocratie).

De leur côté, les partisans du Si s'organisèrent. En avril, les plus conservateurs et les plus proches des militaires formèrent l'Union démocrate indépendante. D'autres rejoignirent Rénovation Nationale, plus divers politiquement, qui ne parvint pas à adopter une position unanime sur la question du soutien au Si ou au No.

Le 12 juillet, les commandants en chefs des forces armées et de le directeur général des Carabiniers se réunissent pour établir les formalités prévues par la constitution. Ils désignent Augusto Pinochet le 30 août comme candidat pour se succéder à lui-même à la présidence du Chili. La date du 5 octobre est retenue pour la convocation du référendum.

Le 31 aout, 17 partis d'opposition (Parti démocrate-chrétien du Chili, MAPU, MAPU-OC, PADENA, le parti humaniste du Chili, la Gauche chrétienne, l'union libérale républicaine, les Verts, le parti national pour le Non, le parti radical du Chili, le parti radical-socialiste du Chili, le parti social-démocrate, le parti Socialista-Almeyda, le parti Socialista-Núñez, le parti socialiste historique, le parti socialiste Mandujano, USOPO et le parti pour la démocratie) publièrent dans un document officiel appelé "Principios básicos de institucionalidad democrática" que le triomphe du Non lors du référendum sera le point de départ vers un processus menant à reconstruire au Chili un véritable régime démocratique.

La candidature de Pinochet, et donc du , est de son côté appuyé par l'Union démocrate indépendante, la majorité de Renovación Nacional, par le Parti National pour le Oui, par le parti libéral pour le Oui, par le parti démocrate-radical, par le parti du Sud et par le parti Avangarde Nationale.

Le référendum a lieu dans le calme le 5 octobre et les résultats sont publiés le 6 octobre au matin, consacrant la défaite du général Pinochet par 56% des voix (contre 44%).

La fin de la dictature

La défaite de Pinochet conduit le pays à une période de transition. Des élections pour le Congrès et la présidence de la république sont organisées en 1989.

Dès la fin 1988, le premier accord politique est conclu entre les deux coalitions visant à ne pas remettre en cause le décret-loi 2191 du 18 avril 1978 octroyant l'amnistie pour les crimes et délits commis entre 1973 et 1978, protégeant ainsi les militaires de la justice. En échange, le nombre de civils prévus au sein du Conseil de Sécurité nationale est augmenté. En plus des sénateurs nommés (anciens membres de la Cour Suprême, des militaires) et de ceux à vie (les anciens Présidents de la République s'ils ont été en poste pendant 6 années), le scrutin binominal favorise un rapport de force presque égal entre les deux coalitions à la chambre des députés. En effet, selon ce mode spécial de scrutin concocté par le juriste et idéologue grémialiste Jaime Guzman, dans chaque circonscription, si la liste arrivée en tête obtient plus du double des voix de celle qui la suit, elle obtient 2 sièges. Sinon, chacune des 2 premières listes a droit à deux sièges.

Ensuite, la loi constitutionnelle nº 18 825 du 17 août 1989, négociée entre le gouvernement et les partis politiques chiliens, est préalablement approuvée par référendum plébiscitaire le 30 juillet 1989 par 91,25% des électeurs. Cette loi impliquant 54 réformes constitutionnelles complète les articles concernant la réforme constitutionnelle, donne au pluralisme politique une valeur constitutionnelle, renforce les droits constitutionnels et les principes démocratiques et encadre le recours à l'état d'urgence.

En décembre, les élections présidentielles aboutissent à la victoire de Patricio Aylwin (membre de la démocratie chrétienne, et candidat de la Concertation des partis pour la démocratie) et les élections parlementaires à celle de la Concertation.

Le résultat du référendum a ainsi concrètement abouti au départ d'Augusto Pinochet et des militaires du gouvernement du Chili et à l'organisation d'élections présidentielles en sus d'élections législatives dans le cadre d'une transition négociée. L'entrée en fonction de Patricio Aylwin le 11 mars 1990 marque la fin de la dictature.

Une démocratie limitée

Durant les années 1990, plusieurs dispositions non-démocratiques persistent, comme la présence de sénateurs nommés par la dictature, qui renforcent le poids de la droite - minoritaire parmi les sénateurs élus. Marie-Noëlle Sarget parle de « démocratie restreinte »[3]. Les premiers présidents de la Concertation pour la démocratie s'efforcent « d'obtenir une extension de cette démocratie par une politique de petits pas négociés un à un. »[4]

Des tensions entre les civils et les militaires persistent. Malgré l'établissement d'une Comisión Nacional de Verdad y Reconciliación (CNVR, Commission nationale de vérité et de réconciliation) par décret présidentiel de Patricio Aylwin le 25 avril 1990, commission présidée par Raul Rettig et qui mêle avocats des droits de l'homme (Jaime Castillo Velasco, José Zalaquett) et partisans du régime Pinochet (José Luis Cea Egaña, Gonzalo Vial Correa), l'impunité pour les crimes de la dictature provoque la déception des victimes et de leurs familles. Jusqu'au milieu des années 1990, il n'y a aucun procès ni sanction.

Les forces armées manifestent en 1992 et 1993 leur mécontentement devant les procédures judiciaires concernant des affaires de corruption dans l'entourage de Pinochet, et l'action des services de sécurité sous la dictature, en déplaçant des troupes.

En 1993, le président de la Chambre des Députés José Antonio Viera-Gallo déclare que « tant que l'on ne connaîtra pas la vérité sur les détenus-disparus, la transition ne sera pas terminée »[5]. Des avocats déposent alors une pétition devant la Commission interaméricaine des droits de l'homme de l'OEA, dénonçant en particulier la non-abrogation de l'amnistie dans les procès concernant trois disparus et un mort.

On parle au Chili d'« enclaves autoritaires », que les gouvernements de la Concertation pour la démocratie tentent progressivement de supprimer. En décembre 1997, Jaime Castillo Velasco fait partie du groupe d'avocats qui déposent une pétition devant la Commission interaméricaine de l'organisation des Etats américains (OEA) contre l'Etat chilien pour graves violations des droits de l'homme, en particulier en raison de la nomination en tant que sénateurs à vie de plusieurs politiques chiliens (Pinochet lui-même a été nommé sénateur à vie le 17 mars 1998 [6].

En 1998, la Commission interaméricaine de l'OEA condamne l'Etat chilien pour n'avoir pas abrogé l'amnistie dans les procès déjà dénoncés en 1993, et pour sept autre cas portés devant la justice en 1995. Ricardo Lagos déclare la même année que « la transition sera terminée lorsque nous saurons où sont les morts, les disparus dont les corps n'ont pas encore été retrouvés. »[7]

En 1999 l'homosexualité est dépénalisée, et en 2004 le divorce est autorisé[8].

Une Mesa de Diálogo (Table de dialogue) est établie en 2000 entre les militaires et les avocats défenseurs des droits de l'homme (dont Castillo Velasco), afin notamment de répondre à la requête du président Lagos, visant à ce que l'armée indique où se trouvent les cadavres des victimes de la répression. Cette table de dialogue demeure controversée, certains défenseurs des droits de l'homme accusant l'armée d'en dire trop peu, voire de donner de fausses indications. L'armée reconnaît toutefois sa responsabilité morale dans les violations des droits de l'homme.

En 2004, le rapport Valech « révèle 35 000 cas de tortures, 3 000 assassinats et disparitions, plus de 800 centres de détention et de torture, et plus de 3 600 tortionnaires répertoriés, durant la tyrannie de Pinochet. »[9] Le rapport est cependant critiqué par des victimes de la dictature, pour avoir adopté une définition de la torture plus restreinte que celle de l'ONU, écartant ainsi 6 000 victimes.

Antonia Garcià Castro écrit en 2002 que depuis « plus de dix ans, les chefs de l'État chilien n'ont cessé d'annoncer la fin de la transition toujours remise à plus tard et encore à venir. »[10] En 2005, l'écrivain Jorge Edwards déclare que « la transition n'est pas terminée et la réconciliation n'a pas commencé »[11].

Modifications constitutionnelles

Les tentatives du président Aylwin puis de son successeur, Eduardo Frei Ruiz-Tagle, pour réduire notamment le pouvoir du Conseil de sécurité nationale et la possibilité de révoquer certains hauts gradés de l’Armée se heurtent pendant plusieurs années à l’opposition du Sénat, dominé par une coalition conservatrice grâce aux sénateurs nommés par la dictature (alors que la gauche état majoritaire parmi les sénateurs élus). C’est sous l’impulsion des présidences socialistes dirigées par Ricardo Lagos et Michelle Bachelet que les principales réformes sont mises en oeuvre à partir de 2004.

Modifications constitutionnelles de 2005

En 2005, 58 amendements constitutionnels réforment la constitution de 1980, éliminant les aspects non-démocratiques qui persistaient encore. Sont supprimés les 9 sénateurs non élus, qui étaient nommés (2 anciens membres de la Cour suprême, 1 ancien contrôleur général de la République, 1 ancien chef d'État-Major de chacune des trois armes, 1 ancien recteur d'Université et 1 ancien ministre) ainsi que ceux des sénateurs à vie (les anciens Présidents de la République s'ils avaient été en poste pendant 6 années), la disposition empêchant le président de la république de mettre fin aux fonctions des commandants en chef de l'armée, et le mandat présidentiel est ramené de 6 à 4 ans.

Ces dernières réformes ont amené Michelle Bachelet, la présidente chilienne, à déclarer en mars 2006 que la transition démocratique était achevée, provoquant ainsi la polémique avec une partie de la gauche, hostile au maintien de certaines dispositions issues de la dictature comme le scrutin binominal ou les procédures dites « anti-terroristes » (qui s'appliquent aux mapuches). La même année, le mouvement étudiant a été salué par les observateurs comme signe d'un renouveau démocratique du pays [12].

Selon Franck Gaudichaud, le système binominal a été « créé par la dictature afin de sur-représenter la droite et empêcher le retour au sein des institutions de la gauche radicale. Ce système anti-démocratique a été maintenu jusque-là par la Concertation »[13].

Notes et références

  1. Bruno Patino, Pinochet s'en va : la transition démocratique au Chili, 1988-1994, IHEAL, 2000.
  2. Akli Le Coq, La transition démocratique au Chili - synthèse, p 2
  3. Marie-Noëlle Sarget, Histoire du Chili, L'Harmattan, 1996, p. 267.
  4. Marie-Noëlle Sarget, Histoire du Chili, L'Harmattan, 1996, p. 270.
  5. Antonia Garcià Castro, La Mort lente des disparus au Chili, Maisonneuve et Larose, 2002, p. 181.
  6. Informe de la Vicaría de la Solidaridad (es) sobre la situación de los derechos humanos en Chile durante el primer semestre de 1998.
  7. Antonia Garcià Castro, La Mort lente des disparus au Chili, Maisonneuve et Larose, 2002, p. 202.
  8. Chili, Droits et libertés, sur Bibliomonde
  9. La transition démocratique au Chili, par Akli Le Coq, Université de Cergy-Pontoise, 2007, p. 4.
  10. Antonia Garcià Castro, La Mort lente des disparus au Chili, Maisonneuve et Larose, 2002, p. 246.
  11. "En Chile la transición a la democracia no ha terminado y la reconciliación no ha comenzado", entretien avec El País.
  12. Manuel Riesco, "Is Pinochet dead?", New Left Review n°47, septembre-octobre 2007 (Anglais et Espagnol)
  13. L’élection de Michelle Bachelet et la « transition » chilienne : une mise en perspective critique

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Liens externes

Source

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