Traité de Bonne Correspondance

Traité de Bonne Correspondance

Les traités de Bonne Correspondance, dont le titre véritable était traités de commerce ou de Bonne Correspondance entre les habitants du Gouvernement de Bayonne et du bailliage du Labourd et ceux des provinces du Guipuzcoa et seigneurie de Biscaye[1], sont des accords établis sous l'Ancien Régime par les Basques de France et ceux d'Espagne destinés à garantir la continuité de leurs relations économiques en dépit des guerres entre les deux pays.

Arthur-Michel de Boislisle notait ainsi :« Vous savez combien il est difficile d'empêcher le peuple du Labourd de suivre ses anciens usages ; vous n'ignorez pas non plus, qu'à quelque prix que ce soit, les habitants des montagnes de France et d'Espagne veulent consacrer leur union que jamais les guerres les plus vives n'ont pu interrompre. »[2]

Sommaire

Histoire

Les premiers traités semblent dater de 1311 et de 1328[3] (à l'époque il s'agissait de régulariser la restitution de pinasses volées autant par des habitants de Bayonne ou de Biarritz que par ceux de Santander ou de Castro-Urdiales). Néanmoins, les traités les plus nombreux datent du XVIIe siècle. M. Habasque[4] et l'intendant de Bezons[5] font respectivement remonter l'origine de ces traités à 1625 et 1653.

Les archives municipales de Bayonne gardent la trace des traités du 17 octobre 1536[6], 30 septembre 1537, 23 décembre 1652[7], 20 décembre 1653[7], 13 décembre 1654[7], 1667[8], 1675[9] et 1690[10]. Les archives de Saint-Jean-de-Luz font, quant à elles, mention du traité de 1719[11].

Suite à l'alliance des Bourbons de France et d'Espagne au XVIIIe siècle, ces traités perdront de leur utilité[12]. Au cours de ce siècle, notons le traité de 1719, établi lors de la guerre que le Régent mena contre Philippe V et celui de 1795, durant l'occupation du Guipuscoa par les troupes du Directoire, conclu avec la Biscaye.

Enfin, dernière illustration de ces traités, Napoléon autorisa en 1808 Bayonne à ravitailler Irun, autorisation qu'il étendit en 1810 à tout le Guipuscoa et à la Biscaye.

Portée

Les traités concernaient les activités commerciales et pastorales des parties française et espagnole du Pays basque. Ainsi les archives départementales des Pyrénées-Atlantiques notent-elles que : « Le Labourd confinant à l'Espagne par la fameuse montagne du Montdarain à Itxassou, par Sare et le pas de Béhobie, les habitants mènent pacager leurs troupeaux sur les montagnes d'Espagne, qui ne sont pas sujettes aux mouches comme les nôtres et à leur tour, les Espagnols conduisent leurs troupeaux sur nos montagnes où il y a moins de neige. Il y a entre eux des traités secrets et pour qu'on ne s'en doute pas, ils s'enlèvent de temps en temps, des bestiaux et cette prétendue guerre finit, lorsque les prises de part et d'autre se trouvent égales. »[13]

Nonobstant ces réalités pastorales, l'objet véritable de ces traités était de régler les rapports et échanges maritimes entre Bayonne, le Labourd, le Guipuscoa et la Biscaye.

Les denrées et marchandises suivantes faisaient communément l'objet des traités[14] :

  • toutes catégories de légumes et de céréales panifiables telles que le froment, le seigle et l'orge ;
  • des poissons conservés (morue sèche et verte, chair et graisse de baleines, poissons au vinaigre ou escabetche) ;
  • des animaux de boucherie tels que bœufs, moutons et porcs ;
  • des produits manufacturés (ou petrecheries) tels que bray, résine, goudron, suif, cordages, chanvre des Ollones et des noyales[15] sauf et excepté les canons, poudre, mèches , balles et toute autre sorte d'armes, qui seront prohibées de part et d'autre.

Les traités stipulaient[16] couramment que « les bateaux pourront réciproquement utiliser les ports et y rester tout le temps nécessaire pour se ravitailler et réparer leurs avaries sans être saisis ni capturés, à condition qu'ils soient munis de sauf-conduits, délivrés par le Gouverneur Militaire de Bayonne, pour les bateaux espagnols et par les Gouverneurs Généraux de Biscaye et de Guipuzcoa pour les bateaux français. »

L'un des derniers traités datant de 1710, ouvre la voie à des notions qui seront retenues par le droit maritime actuel. Il fixe en effet à « quatre lieues à partir des côtes l'étendue de la mer territoriale qui forme un prolongement fictif du territoire national ». Il indique pareillement qu'« aucun acte de guerre ne pourra avoir lieu dans cette zone » et que « si deux navires ennemis se rencontrent dans le même port, l'un ne pourra en sortir que vingt-quatre heures après l'autre » .

Formalisme

L'île des Faisans vue depuis le pont international sur la Bidassoa. À gauche Irún, Espagne ; à droite Hendaye, France

Ces traités devaient obligatoirement rassembler les quatre représentations traditionnelles, Labourd et Bayonne d'une part et Guipuscoa et Biscaye d'autre part. En juillet 1694, la ville de Bayonne refusa par exemple d'établir un traité de Bonne Correspondance avec la seule Biscaye[17].

La conclusion de ces traités était menée à bien par des députés de chaque province intéressée. Le Biltzar possédait la prérogative de nommer les délégués du Labourd[18]. Les délégués de Bayonne étaient élus par le Corps de Ville[19]. Les rivalités récurrentes de préséance entre les représentants du Labourd et de Bayonne, amena le roi à résoudre le conflit en imposant la procédure toute diplomatique suivante[20] : les délégués de Bayonne discutaient d'abord avec les représentants des deux provinces espagnoles et le lendemain, les Labourdins entreprenaient leurs pourparlers avec ces mêmes délégués d'Espagne. Mais bien que discutés à des jours différents, les divers traités portaient la même date (« des traités séparés qui ne seront néanmoins que mesme jour »), ceci afin de ménager la susceptibilité des Labourdins, désavantagés par l'ordre de préséance accordé aux Bayonnais.

À la date fixée[21], les délégués des quatre représentations se rencontraient sur l'île des Faisans, ou île de la Conférence. Un notaire ayant assisté aux négociations séparées, rédigeait l'acte et en remettait un exemplaire à chacune des délégations.

S'il semble que ces traités étaient négociés directement entre des députés de provinces du Pays basque appartenant à deux pays différents, en l'absence de tout représentant de l'autorité royale, il faut néanmoins noter que cette liberté n'était qu'apparente. En effet, le roi de France accordait une autorisation préalable[22]. En outre, le roi entendait confirmer expressément chacun des traités, comme en témoignent les documents conservés par les archives de Bayonne[23],[24]. Le 20 septembre 1694, le duc de Grammont représenta « à Bayonne la ratification du Traité de Correspondance fait par le Roy entre le Gouverneur de Bayonne, le Syndic du Labourd, la province du Guipuzcoa et la seigneurie de Biscaye »[25].Il en était de même pour la partie espagnole puisque l'aticle 12 du traité de 1653 prévoit qu'« il sera réciproquement ratifié par Leurs Majestés Très Chrétiene et Très Catholique » et enregistré dans les « Admirautez de France et dans celles d'Espagne ».

Les plaintes et réclamations résultant de l'application de ces traités devaient être jugées dans un délai de deux mois, par les « Alcades y Corregidores » (les maires et les procureurs) ordinaires de Biscaye ou du Guipuscoa, côté espagnol, ou par les « Maires, Échevins et Conseils de Bayonne, par le Bailli de Labourd ou le Bayle de Saint-Jean-de-Luz », pour la partie française.

Ces traités permirent aux Français et Espagnols de commercer légalement durant l'Ancien Régime, en dépit des guerres opposant les deux pays. Des lettres patentes de Louis XIII, conservées par les archives municipales de Saint-Jean-de-Luz et datées du 10 août 1625[26] autorisent par exemple les habitants de la côte de Hendaye à Capbreton à débiter leurs poissons en Espagne malgré un récent édit empêchant les relations commerciales entre les deux pays « pourvu néammoins qu'en allant à la pêche ils ne mènent aucune denrée ou marchandise de ce Royaume en Espagne ny pareillement à leur retour d'Espagne à ce Royaume ».

Traités similaires hors Pays basque

On retrouve la capacité de signer de tels traités transfrontaliers plus à l'est, sur la frontière franco-espagnole, puisque les Béarnais possédaient, selon Léon Cadier[27] cette même faculté, également attribuée par les fueros du val d'Aran à ses habitants[28]. De même il faut citer le traité rapprochant les habitants de la vallée de Barétous et ceux de la vallée de Roncal, sous le nom de junte de Roncal, perpétuant encore de nos jours la dépendance pastorale existant des deux côtés des Pyrénées[29]. Le traité de la Vesiau ou du port d'Astun, est établi entre la commune aragonaise de Jaca et les communes Etsaut, Urdos, et Cette-Eygun en haute Vallée d'Aspe.

Caroline Lugat rapproche ces traités, « dans leur esprit et contenu avec les traités de lies et passeries passés entre les vallées pyrénéennes lors des guerres franco-espagnoles »[30]. Le traité de Bayonne reconnait la survivance de ces traités comme faisant partie d’un droit pastoral coutumier. Le dernier traité date du 3 novembre 1957, entre Vera de Bidassoa et Sare.

Étienne Dravasa[31] note que les Lapons passent encore de nos jours avec la Suède, la Norvège et la Finlande des accords qui leur garantissent l'accès à des pâturages, accords restant valables même en cas de guerre entre les trois états.

Notes

  1. Archives municipales de Bayonne - BB. 25, F.° 22
  2. Arthur-Michel de Boislisle, Correspondance des Contrôleurs Généraux des Finances avec les Intendants des Provinces, Paris 1874-1898 , tome III, page 121
  3. Livre des Êtablissements, pages 264 et 274, cité par Étienne Dravasa, Les privilèges des Basques du Labourd sous l'Ancien Régime, San Sebastiàn - 1950 , page 162
  4. Habasque, Les Traités de Bonne Correspondance entre le Labourd, la Biscaye et le Guipuzcoa, Paris - 1895 
  5. Mémoire de l'intendant de Bezons, page 215, cité par Étienne Dravasa, Les privilèges des Basques du Labourd sous l'Ancien Régime, San Sebastiàn - 1950 , page 162
  6. Archives municipales de Bayonne, AA 10 - accord établi entre le Labourd et la seigneurie de Capbreton avec le Guipuzcoa, la Biscaye et Santander
  7. a, b et c Archives municipales de Bayonne, AA 13
  8. Archives municipales de Bayonne, BB 27
  9. Archives municipales de Bayonne, BB 28
  10. Archives municipales de Bayonne, BB 72
  11. Archives municipales de Saint-Jean-de-Luz, BB 6
  12. Maïté Lafourcade, Actes de la journée d'études du 16 novembre f1996, Centre d'Études basques de l'université de Pau et de Pays de L'Adour, Faculté pluridisciplinaire Bayonne-Anglet-Biarritz - 1996 
  13. Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques, C 105.
  14. Archives municipales de Bayonne, AA 9
  15. Toiles fortes fabriquées à Noyal, près de Rennes
  16. Archives municipales de Bayonne, BB 30
  17. La ville ne peut traiter avec la Seigneurie de Biscaye que les provinces de Guipuzcoa et de Labourt n'y entrent aussy - Archives municipales de Bayonne - BB 32, F° 45
  18. Le compte-rendu de la séance du 15 octobre 1693, consacrée à ce choix, mentionne l'obligation « de choisir des députés parmi les plus apparents et intelligents, qui sachent raisonner et suivre les instructions qu'on pourra leur donner ». Le syndic et le Procureur étaient généralement désignés, et accompagnés d'un ou deux notables - Planthion, notaire royale à Arbonne, Inventaire et description des Privilèges et Franchises du Labourd, Bayonne - 1713  page 116
  19. Archives municipales de Bayonne, BB 71
  20. Archives municipales de Bayonne, FF 460
  21. Les archives de Saint-Jean-de-Luz (BB6) conservent une « lettre des Bayles et Jurats de Saint-Jean-de-Luz à MM. les Alcades Régidores de la très Valeureuse Cité de Fontarrabie, pour leur demander le jour qui leur conviendrait »
  22. 13 juillet 1635 - « Nous vous permettons par la présente d'entretenir commerce avec les Espagnols pour les denrées et marchandises qu'ils ont accoutumé de venir acheter sur les lieux vous faisant néanmoings très expresses défensses de faire aller aucun navire du dict Gouvernement dans les Ports d'Espagne jusqu'à ce que vous en ayez notre permission et qu'il en étayt par Nous aultrement ordonné. Car telle est nostre plaisir » - Louis XIII aux échevins de Bayonne - Archives municipales de Bayonne, BB 24
  23. 24 juillet 1653 - Lettres patentes de Louis XIV - Les Traités ont lieu « sous le bon plaisir du Roy... lesquels dits habitants de nostre dite Ville de Bayone et Païs de Labourd nous aurait très humblement supplié vouloir agréer et approuver de nostre part pour leur donner moyen de gagner leur vie dans le négoce. »
  24. 8 août 1694 - Louis XIV au maréchal de Grammont - « J'ay été informé que les Peuples de la province de Guipuzcoa et de la Seigneurie de Biscaye, ayant continué leurs instances pour le renouvellement d'un Traité de Bonne Correspondance pour le Commerce avec ceux de mon Païs de Labourd et frontières de Bayonne, ainsy qu'il a esté fait en 1653... sur quoi je vous fais cette Lettre pour vous dire qu'au cas de renouvellement dudit Traité, vous ayez à permettre à mes sujets de Bayonne et Païs de Labourd de députter aucuns des principaux d'entre eux pour avecq les députés des provinces de Guipuzcoa et de Biscaye s'assembler comme il a esté ci devant fait pour pareille chose sur les dites frontières pour y passer et conclure le dit Traité. Et lorsqu'il sera arrêté, vous me l'envoyerez pour etre par moy confirmé » - Archives municipales de Bayonne, AA 10
  25. Archives municipales de Bayonne, BB 25, F°50
  26. Archives municipales de Saint-Jean-de-Luz, AA 4
  27. Léon Cadier, Les États de Béarn depuis leur origine jusqu'au commencement du XVIe siècle, Paris - 1888 
  28. Collecion de fueros y Cartas Pueblas de España, Real Academia de Historias  au mot Aran
  29. Robert Le Blant, Le tribut des trois vaches payé par la Vallée de Baretous à la vallée de Roncal, Paris - 1925 
  30. Caroline Lugat, Les Traités de Bonne Correspondance : une dérogation aux règles de droit maritime international ? (XVIe-XVIIe siècles), Itsas Memoria. Revista de Estudios Maritimos del Pais Vasco - San Sebastiàn - 2006 
  31. Étienne Dravasa, Les privilèges des Basques du Labourd sous l'Ancien Régime, San Sebastiàn - 1950 , page 169, citant Jean Fauchon, Laponie, Terre Étrange, Hommes et mondes - juin 1949 , page 306

Pour approfondir

Bibliographie

  • Étienne Dravasa, Les privilèges des Basques du Labourd sous l'Ancien Régime, San Sebastiàn - 1950 
  • Maïté Lafourcade, Actes de la journée d'études du 16 novembre f1996, Centre d'Études basques de l'université de Pau et de Pays de L'Adour, Faculté pluridisciplinaire Bayonne-Anglet-Biarritz - 1996 
  • Caroline Lugat, Les Traités de Bonne Correspondance : une dérogation aux règles de droit maritime international ? (XVIe-XVIIe siècles), Itsas Memoria. Revista de Estudios Maritimos del Pais Vasco - San Sebastiàn - 2006 

Articles connexes

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