Timée (Platon)

Timée (Platon)
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Le Timée dans l'édition princeps d'Henri Estienne, 1578

Le Timée est un dialogue de Platon décrivant la genèse du monde physique et de l'homme. D'un point de vue dramatique, il se situe après La République et il est suivi par le Critias.

Sommaire

Le Timée, un dialogue qui n'en est pas un, une œuvre de la dernière période, une partie d'une trilogie

Pourquoi n'est-ce pas un dialogue ?

Le texte se présente comme un exposé que fait Timée, précédé d'une brève conversation qui lui tient lieu d'introduction. Il faut aussi en distinguer la date dramatique – au sens étymologique du terme (de δραμα, « action ») – de la date de rédaction du dialogue (date supposée). Pour Luc Brisson[1], le Timée appartient à la dernière période de Platon, c'est-à-dire dix ou douze ans avant sa mort (entre 358 et 356 av. J.-C., compte tenu que Platon est mort entre 348 et 346 av. J.-C.).

Comment situer le texte ?

Après le Théétète, le Parménide, le Sophiste, le Politique, et avant le Philèbe et les Lois. Le Timée devait faire partie originellement d'une trilogie, avec le Critias (parvenu à nous sans doute incomplet) et l'Hermocrate (jamais retrouvé). Cette trilogie avait pour projet de décrire les origines de l'univers, de l'homme et de la société.

Un ouvrage de cosmologie et une encyclopédie

La cosmologie expose un modèle de l'univers physique – du cosmos –, une représentation cohérente et rigoureuse de l'univers. De plus, le Timée est le tout premier ouvrage de cosmologie à nous être parvenu en entier. La cosmologie est mêlée à d'autres domaines, comme les mathématiques, la physique, la biologie, la chimie, la médecine, la psychologie, la politique, la religion, etc. Le Timée est le premier ouvrage encyclopédique des connaissances grecques. Bien sûr, il y règne un désordre apparent : absence d'entrée alphabétique, absence de classification par thèmes, etc. Tout simplement parce qu'à cette époque, dans l'Antiquité grecque, les différents domaines énumérés ci-dessus n'en formaient qu'un seul. De sorte qu'un seul homme pouvait détenir la connaissance de la médecine, de la philosophie, des mathématiques, etc. Donc pas de spécialisation, pas d'autonomie dans un quelconque domaine.

Une œuvre traditionnelle dans son objet : l'origine de l'univers

En quoi est-ce une œuvre traditionnelle ?

Elle renoue avec les projets de penseurs (les physiologues) qui, dès le VIe siècle av. J.‑C., prennent le relais des poètes (comme Hésiode au VIIIe siècle av. J.‑C.) qui décrivaient l'apparition et l'évolution de la réalité depuis le Chaos primordial jusqu'à leur époque. Ils le faisaient dans des ouvrages nommés Sur la nature (Peri phuséos, περι φυσεος). Ils y décrivent les origines de l'univers (macrocosme), de l'homme (microcosme) et de la société modèle, idéale, à laquelle devrait se conformer la cité. Ainsi, les penseurs produisent de la cosmologie, discours rationnel sur les origines et les structures de l'univers. En ce sens, la cosmologie s'oppose à la cosmogonie qui est, elle, un récit mythique non rationnel sur les origines du monde.

Le commencement du Timée

Il débute par un résumé de la constitution idéale. Puis, il poursuit par la guerre victorieuse de l'Athènes ancienne contre l'ennemi atlante, ainsi que par la chute de l'Atlantide. Pourquoi ce début ?

Platon cherche ainsi à fonder la constitution idéale décrite dans La République en montrant que dans l'Athènes ancienne, les choses étaient conformes à ce modèle de vertu, qui lui-même répondait aux fins d'un être humain qui trouvait sa place dans cette cité, cet univers organisé.

Une œuvre traditionnelle dans sa forme : le mythe

Pour Luc Brisson, le philosophe qui a le projet de décrire les origines du monde se confronte aux mêmes problèmes que le poète, il est tout aussi démuni que lui. Par exemple, Hésiode, dans sa Théogonie (ou généalogie des dieux) en appelle aux Muses pour savoir à quoi il doit s'en tenir concernant les origines des dieux. Le philosophe ne peut guère plus, et il fera donc comme le poète : il tiendra un discours qui ne pourra être dit vrai ou faux, car nul n'aura pu en être le témoin.

Le Timée recense grands nombre de points communs avec le mythe. Le mythe est en effet formellement un récit, c'est-à-dire un discours qui se déploie dans le temps et qui décrit ce que font des personnages. Or, le Timée EST un récit :

  • la mise en ordre du monde sensible par le démiurge se fait dans le temps (p. 118 : 29 'd ; p. 124 : 35a-d ; p. 145-146 : 48b) ;
  • le démiurge a une personnalité, il a des humeurs : il travaille tel un paysan, et il tente de convaincre un autre personnage, la Nécessité.

C'est par là même un récit mythique.

Seulement, il y a une certaine contradiction dans la forme du mythe et dans celle des exigences de l'explication cosmologique qui, elle, devrait transcender le temps et ne pas faire intervenir des personnages, mais plutôt des entités générales.

Mais, même si le Timée reste traditionnel dans sa forme et dans son objet, il est novateur par la nature de l'explication qu'il propose.

Une œuvre novatrice dans sa méthode[2]

La connaissance scientifique

Pour la première fois dans l'histoire, le Timée pose le problème de la connaissance scientifique. Platon affirme (à travers Timée) qu'une explication scientifique doit présenter à la fois un caractère de nécessité et d'idéalité – les deux ne pouvant être déduits de façon immédiate des données de perception sensible. C'est-à-dire que nous ne pouvons pas nous fier simplement aux données que nous renvoient nos sens.

La méthode hypothético-déductive

Pour résoudre le problème de la connaissance scientifique, Platon va mettre en place ce qui deviendra la méthode de toute recherche scientifique : la méthode hypothético-déductive. Elle consiste à poser a priori une liste d'axiomes (présupposés), puis à vérifier, en se fondant sur des règles d'inférence (de logique), si les propositions que l'on arrive à déduire des axiomes (les théorèmes, donc) présentent une correspondance convenable et raisonnable avec les données des observations.

Seulement, dans le Timée, Platon pose les axiomes a posteriori. De plus, ses règles d'inférence sont implicites. Enfin, les observations et vérifications expérimentales y sont quasi inexistantes : Platon fait peu appel à l'observation pour montrer la validité de son système. Ainsi, Platon ne prend pas l'observation comme point de départ, ni comme critère de validité de son système : il n'y a que trois expériences faites tout au long de l'œuvre :

  • une expérience imaginaire (ou de pensée) relative à la pesanteur du feu (p. 172) ;
  • une expérience réelle, relative à la formation des odeurs (p. 178) ;
  • une autre expérience réelle, relative au rôle des fibres dans le sang (p. 208-209).

Pourquoi seulement trois expériences ? Platon critique l'idée de soumettre tel ou tel aspect de sa théorie à une expérience locale, contrôlée et répétable. Car, pour lui, la vérification expérimentale implique une reproduction exacte de la nature. Ce qui, toujours selon lui, est impossible. De plus, l'observation et la vérification sont confrontées à des obstacles majeurs. En effet, pour faire cela scientifiquement, il faut y faire entrer une certaine notion de mesure. Or, à cette époque, les instruments de mesure précis n'existent pas. Personne n'a de mesure commune, et les mathématiques en sont encore à leur stade primitif.

Les mathématiques

Le Timée est novateur par l'explication qu'il propose. Pour la première fois, Platon fait des mathématiques. Elles sont pour lui l'instrument permettant d'exprimer certaines des conséquences découlant des axiomes posés. À partir de là on fera des mathématiques le langage de la science. Ce qu'Aristote reprochera à Platon : avoir résumé la philosophie à des mathématiques. Il ira d'ailleurs jusqu'à écarter les mathématiques et à reprendre le langage ordinaire. Jusqu'à Galilée, qui dira que « la nature est écrite en mathématiques ».

Une œuvre contre la physique présocratique

Le Timée a peut-être été inspiré par un regard critique porté sur la physique présocratique – plus particulièrement sur un physicien : Anaxagore. Dans le Phédon (entre deux séquences cherchant à prouver l'immortalité de l'âme), lors d'un récit autobiographique de Socrate (qui semble être là le prête-nom de Platon), Platon expose ses relations avec les physiques antérieures. Les enjeux sont de situer le projet philosophique de Platon par rapport à ses prédécesseurs. Cela se * une étude de la physique par le jeune Socrate amène celui-ci à de grandes désillusions. Pour Socrate, la physique s'efforce de résoudre les questions de l'origine du vivant, de la pensée, des phénomènes terrestres et célestes. Il ne parvient pas à la connaissance escomptée, et même, la physique lui a « désappris » sans rien lui apprendre ;

  • une lecture par Socrate d'Anaxagore : leur « rencontre » conduit Socrate sur de nouvelles voies. Socrate est séduit par la physique d'Anaxagore, qui soutient que l'intellect est la cause de toutes choses dans l'univers, et que donc tout est disposé de la meilleure façon. La rationalité de l'univers est donc plus ou moins une physique finaliste ;
  • cette lecture amène Socrate à de nouvelles désillusions : il opère un nouveau changement de cap en physique. Selon lui, Anaxagore a certes en principe une physique proche de la sienne, mais il s'agit en fait d'une physique matérialiste et mécaniste (c'est-à-dire qui repose sur des causes matérielles).

Les causes sont classées par Aristote en quatre types :

  • matérielles, comme support de la transformation (par exemple, pour une statue, le support est le bloc de marbre dans lequel elle est faite) ;
  • efficientes, comme agent de la transformation (l'action du burin sur le marbre) ;
  • finales, comme but en vue duquel s'accomplit la transformation (l'intention du sculpteur quant à la statue) ;
  • formelles, comme idée qui organise l'objet transformé selon une forme déterminée (l'idée d'un corps de femme, par exemple, si la statue représente un corps de femme).

Selon Socrate, chez Anaxagore, le mécanisme prend le dessus sur l'ordre de la finalité. De plus, Anaxagore confond les causes avec les conditions d'existence (confond la fin avec les moyens). Enfin, l'histoire de la physique est une succession de penseurs à la recherche de causes vouées à la caducité, car ce ne sont pas les VRAIES causes.

Un ouvrage ancré dans l'œuvre de Platon

Le Timée n'est pas une bizarrerie dans l'œuvre de Platon : d'autres textes l'ont annoncé, tels que le Banquet, le Politique, La République, le Phédon, ou le Philèbe.

Une œuvre qui a traversé les siècles

Timée, traduit en latin par Calcidius (vers 321). Manuscrit du Xe siècle

Le Timée a suscité de nombreux commentaires à travers l'histoire :

  • Antiquité : Aristote, les stoïciens, Épicure, les atomistes, les néoplatoniciens...
  • Moyen Âge : les savants juifs, musulmans et chrétiens. C'est-à-dire que tous les théologiens s'intéressent au Timée ;
  • Renaissance : le Timée influence toute la culture occidentale (on essaie notamment de localiser l'Atlantide).

Les raisons de l'engouement pour le Timée

Elles sont liées à l'obscurité du texte, laissant penser qu'il serait l'expression d'une sagesse mystérieuse, cachée, somme des connaissances humaines.

De plus ce texte a un statut particulier. Il est en effet qualifié trois fois de « mythe vraisemblable » (eikos muthos, εικως μυθος) en 29d par exemple ; au moins sept fois d'« explication vraisemblable » (eikos logòs, εικως λωγος), page 119 par exemple.

L'opposition entre mythe et explication

Dans le mythe, les sujets sont souvent des dieux, et on ne peut dire si l'histoire racontée est vraie ou fausse. C'est le cas du Timée. Dans le Timée, il y a une certaine temporalité. Le personnage principal, le démiurge, commence à travailler, avant de demander à ses aides de finir son travail, secondés à la fin par l'âme du monde. De plus, la Khôra (le « matériau ») se manifeste au démiurge. D'où une nouvelle preuve de temporalité. Enfin, la Nécessité (Anagké) est assimilée à un individu rebelle que le démiurge cherchera à persuader.

Ainsi, le Timée est un mythe qui, de plus, en ce qui concerne l'intervention de Timée, se double d'un récit (et non d'un simple dialogue).

Le terme eikos (épithète) se traduit le plus souvent par « vraisemblable », mais il signifie au sens strict « qui porte sur les copies des formes intelligibles, c'est-à-dire sur les choses sensibles ».

En effet, selon Luc Brisson[3], Timée va parler du monde sensible, celui-ci n'étant qu'une copie d'une forme intelligible, le vivant en-soi. Par conséquent, le discours de Timée ne peut être dit VRAI. Être qualifié de discours vrai est un privilège qui appartient au discours sur les formes intelligibles. Son discours ne peut donc qu'être semblable au discours vrai, précisément parce qu'il s'agit d'un discours relevant de la cosmologie, du monde sensible qui est copie de l'intelligible (des Idées).

Cet éclaircissement sur le statut des eikos nous amène à voir que, chez Platon, la cosmologie doit résoudre un problème reposant sur une conviction grecque qui dit que :

  • il n'y a pas de réalité véritable dans le changement incessant ;
  • il n'y a pas de connaissance sans une certaine permanence.

Ainsi, le monde sensible, qui n'a pas de réalité véritable et qui est soumis au changement perpétuel, devrait rester inconnu. Selon Platon, le monde sensible est non réel : seules les Idées le sont. De plus, le monde sensible est soumis au changement perpétuel, contrairement aux Idées éternelles, qui ne sont ni changeantes ni mouvantes.

À quelles conditions le monde sensible peut-il devenir connaissable ?

Pour pouvoir connaître le monde sensible, Platon fait l'hypothèse de trois types d'entités hypothétiques sans lesquelles le monde sensible resterait inconnu :

  • les formes intelligibles, vraiment réelles, immuables : elles peuvent être objet de connaissance ;
  • les choses sensibles, qui doivent présenter dans leur changement quelque chose qui ne change pas. Pour cela, elles vont devoir entretenir avec les formes intelligibles un rapport équivalent de copie à modèle. C'est ce qui est appelé « participation » en tant que copie : la copie participe de l'Idée ;
  • la Khôra (Χορα). C'est un espace susceptible de « recevoir » toute création. Il y a une analogie avec le vide, l'Éther ou le Tsimtsoum judaïque.

Dans l'articulation des trois concepts, le Timée glisse de la physique à la métaphysique (même si Platon ne dissocie pas les deux, à son époque). Le Timée peut être à la fois spéculation théorique, physique et métaphysique, et viser à l'établissement d'une éthique. L'éthique rejoint la physique dans la mesure où la contemplation de l'univers sensible est, selon Platon, une étape indispensable à la contemplation des formes intelligibles – contemplation qui détermine la valeur morale de toute existence humaine.

Notes et références

  1. Luc Brisson, Timée, Introduction.
  2. Luc Brisson et Meyerstein, Inventer l'univers : le problème de la connaissance et les modèles cosmologiques, éd. Les Belles Lettres, Paris, 1991.
  3. Luc Brisson, Platon, les Mythes et les Mots.

Voir aussi

Sur les autres projets Wikimedia :

  • Derrida, Khôra, Galilée, 1987/1991


Wikimedia Foundation. 2010.

Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Timée (Platon) de Wikipédia en français (auteurs)

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