Théodore Abu Qurrah

Théodore Abu Qurrah

Théodore Abu Qurrah (en arabe ثاوذورس أبي قرة, Thaoudourous Abou Qourra), évêque de Harran (v. 750-v. 825), est un théologien chrétien de langue arabe qui vécut durant la première période de l'islam. Il est connu, dans les publications anciennes, sous le nom d'Aboucara ou Abou Kurra.

Sommaire

Le contexte religieux

La situation religieuse de la Mésopotamie supérieure, au VIIIe siècle est la conséquence directe des controverses christologiques du Ve siècle d'une part, et d'autre part de l'invasion par l'islam, au VIIe siècle, d'une partie de l'Empire byzantin.

Théodore Abu Qurrah est originaire de Mésopotamie supérieure. La population y était variée : païens, juifs, musulmans, manichéens et chrétiens de toutes les communautés s'y côtoyaient. En effet, les chrétiens étaient divisés en plusieurs groupes doctrinalement opposés : nestoriens, jacobites, et ceux que ces derniers appelaient « melkites » (terme qui signifie « impériaux »), parce qu'ils recevaient les définitions du concile de Chalcédoine convoqué à la demande de l'empereur Marcien ; on leur donnait en outre le nom de chalcédoniens. Théodore était chalcédonien.

Éléments biographiques

La biographie d'Abu Qurrah comporte, depuis longtemps, une grande part d'incertitude, et pas seulement au niveau des dates.

Né aux environs de 750, Théodore Abu-Qurrah est originaire d'Édesse (dans le sud-est de la Turquie actuelle). On ne sait rien de la jeunesse de Théodore, mais il a probablement commencé ses études à Édesse, ville célèbre par ses écoles. Il était traditionnellement admis qu'il fut moine à Saint-Saba, en Palestine, mais cette idée a été récemment contestée avec de sérieux arguments[1] : il a peut-être été simplement confondu avec un autre « Théodore d'Édesse », dit aussi Théodore le Grand Ascète (776-856), moine à Saint-Saba puis métropolite d'Édesse, dont on conserve une Vie en grec écrite par son neveu et disciple Basile d'Émèse (et qui figure parmi les auteurs de la Philocalie des Pères Neptiques). Quoi qu'il en soit, ce que l'on sait des relations entre la Syrie et la Palestine de l'époque ne rend pas un séjour à Saint-Saba impossible. En tout cas, on sait qu'il se rendit à Jérusalem et en divers lieux de Palestine (soit comme moine, soit durant son épiscopat, ou même après celui-ci).

Il se dit disciple de Jean Damascène, mais ce dernier étant mort en 749, il faut y voir une figure de style, indiquant un attachement — que son œuvre ne dément pas — à l'exemple et à la tradition de l'ancien moine de Saint-Saba, et cette dévotion pourrait appuyer l'idée d'un séjour dans le monastère.

Vers 795, il devint évêque melkite de Harran, comme Édesse une ville importante de Syrie. Théodore jouissait alors d'une grande considération pour ses nombreux talents et sa connaissance à la fois du grec, de l'arabe et du syriaque. Cependant, pour une raison qui n'est pas éclaircie, il fut déposé en 812 par Théodoret, patriarche melkite d'Antioche.

De 812 à sa mort, il continua d'écrire, de prêcher et de défendre la théologie de Chalcédoine. Il se serait rendu à Alexandrie, puis en Arménie, à la cour du prince Achot Bagratouni, qu'il tenta vainement de convertir à l'orthodoxie chalcédonienne et devant qui il eut une controverse avec le diacre jacobite Nonnos de Nisibe, cousin du théologien Abou-Raïta. Le traité qu'il écrivit en arabe pour convertir le prince Achot et sa cour fut traduit aussitôt après en grec par Michel le Syncelle (longtemps moine à Saint-Saba).

Théodore eut aussi une controverse avec le calife Al-Mamoun, et en sa présence avec un docteur musulman. On conserve aussi dans un manuscrit le compte-rendu d'une dispute devant un vizir avec le théologien jacobite Abou-Raïta lui-même et le savant nestorien Abdicho.

Il mourut entre 820 et 825.

Son nom

Abu Qurrah porte en son nom la complexité de la période à laquelle il vécut :

  • son prénom, Théodôros (Θεόδωρος), est d'origine grecque : de theós (θεός), « dieu », et dōron (δώρον), signifiant « don » ; on peut alors comprendre la signification de ce prénom par « don de Dieu » ;
  • son nom, « Abu-Qurra » (أبي قرة), est arabe : il est composé de deux mots : abou, « père » et, dans le sens figuré, « cause », et qourrat, « joie » et « bonheur ». Ces noms sont employés comme adjectifs pour exprimer une qualité ; c'est pourquoi des évêques les portent, comme Aboul-Farage, Abou-Raïta, etc. Abu-Qurrah signifie donc « cause de joie ».

De nombreux auteurs du XVIIe au XIXe siècle ont fautivement interprété son nom comme signifiant « père de Carie » (donc, « évêque de Carie »), et l'ont ainsi confondu avec un autre Théodore, évêque de Carie, qui — contemporain de Photius — lui est nettement postérieur. La ressemblance de l'orthographe ancienne de ces mots : Carie, Charres et Aboucara, selon l'orthographe grecque, ne doit pas faire confondre ces deux Théodore.

Œuvres

Il est considéré, pour le monde syriaque, comme le dernier écrivain chrétien de langue grecque, mais aussi comme un des premiers de langue arabe. Lorsqu'il est nommé dans le titre de ses traités, c'est généralement en tant que « Théodore, évêque de Harran », ou « Théodore Abu Qurrah » (ou des variantes de ces dénominations). Pas un seul manuscrit connu ne propose « Théodore, moine de Mar Saba » (ou une formule analogue), ce qui laisse penser que s'il fut moine à Mar Saba, ce fut cependant en tant qu'évêque de Harran qu'il publia ses écrits.

La Patrologie grecque de Migne (tome XCVII, col. 1461-1609) présente sous le nom de Θεοδωρος Αβουκαρα quarante-trois traités avec traduction latine. La publication en 1995 d'une édition critique de 17 de ces dialogues a suscité un nouvel intérêt pour les « traités grecs » d'Abu Qurrah.

De ses vingt-huit traités en arabe, les neuf premiers ont été publiés pour la première fois en 1904 par Constantin Bacha. La découverte et la publication des traités arabes a suscité un nouvel intérêt pour cet auteur, et ses œuvres arabes ont été l'objet de nombreux travaux.

Quant à ses traités en syriaque (il affirme, dans un de ses écrits, « nous avons déjà composé en syriaque trente traités pour défendre la doctrine du concile de Chalcédoine et la Lettre de saint Léon »), ils ne sont pas connus.

Ses écrits sont généralement doctrinaux et apologétiques. Il excelle à employer la forme dialoguée, mettant « face à face » le chrétien et son interlocuteur.

Contre le judaïsme, il défend l'excellence du christianisme en s'appuyant sur l'Ancien Testament ; face à l'islam, il en fait tout autant, ajoutant encore des références au Coran ou aux hadiths ; contre les iconoclastes, il promeut la vénération des icônes, contre les nestoriens et les monophysites, il soutient la théologie de Chalcédoine…

Théologien doublé d'un philosophe (qui ne recule pas au besoin à défendre la foi par des arguments de raison), il a en outre traduit en arabe trois traités philosophiques, dont les Premiers Analytiques d'Aristote.

Textes en liens externes

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Textes d'Abu Qurrah

Traduction française
En arabe et en grec
Autres langues

Études sur Abu Qurrah

Autres éléments bibliographiques

  • (ar) C. Bacha, Les œuvres arabes de Théodore Aboucara, Beyrout, 1904.
  • (ar) L. Cheikho, « Mimar li Tadurus Abi Qurrah fi Wugud al-Haliq wa d-Din al-Qawim », al-Machriq, 15 (1912), p. 757-74, 825-842.
  • I. Dick, « Deux écrits inédits de Théodore Abuqurra », Le Muséon, 72 (1959), p. 53-67.
  • (en) S. H. Griffith, « Some Unpublished Arabic Sayings Attributed to Theodore Abu Qurrah », Le Muséon, 92 (1979), p. 29-35.
  • Samir Khalil Samir, « Le traité sur les icônes d'Abù Qurrah mentionné par Eutychius », OCP, 58 (1992), p. 461-474.
  • (de) R. Glei et A. T. Khoury "Johannes Damaskenos und Theodor Abu Qurra : Schriften zum Islam" 1995
  • (en) Theodore Abu Qurrah (trad. John C. Lamoreaux), the first English translation of nearly the complete corpus of Theodore Abu Qurrah's works, 2006, table des matières.

Notes

  1. John C. Lamoreaux, « The Biography of Theodore Abū Qurrah Revisited », Dumbarton Oaks Papers 56, 2002, p. 25-40.

Wikimedia Foundation. 2010.

Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Théodore Abu Qurrah de Wikipédia en français (auteurs)

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