Synesthète

Synesthète

Synesthésie

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La synesthésie, du grec syn (union) et aesthesis (sensation), est un phénomène neurologique par lequel deux ou plusieurs sens sont associés. Par exemple, dans un type de synesthésie connu sous le nom de synesthésie "graphèmes-couleurs", les lettres de l'alphabet ou nombres peuvent être perçus colorés. Dans un autre type de synesthésie, appelée "synesthésie numérique" (number form synesthesia), les nombres sont automatiquement et systématiquement associés avec des positions dans l'espace. Dans un autre type de synesthésie, appelé synesthésie de personnification ordinale/linguistique, les nombres, jours de la semaine, mois de l'année évoquent des personnalités. Dans d'autres types de synesthésie, la musique et d'autres sons peuvent être perçus colorés, ou ayant une forme particulière. La synesthésie impliquant des formes et couleurs est plutôt répandue, alors que la synesthésie impliquant des goûts et odeurs est plutôt rare.

Alors que des métaphores exprimant un croisement de sens sont parfois qualifiées de "synesthétiques", une vraie synesthésie d'origine neurologique est involontaire et concernerait une personne sur 23, soit environ 4 pour cent de la population. (Simner). Il y a un facteur génétique probable, la synesthésie semble se transmettre par hérédité via le chromosome X [réf. nécessaire]. La synesthésie peut être acquise dès la naissance (la personne est alors appelée synesthète) ou bien (pour le cas des hallucinations synesthétiques) résulter de la prise de drogues hallucinogènes.

Sommaire

Critères diagnostiques

Le neurologue Richard Cytowic identifie les critères suivants afin de diagnostiquer la synesthésie :

  • la synesthésie est involontaire et automatique ;
  • les images synesthétiques apparaissent spatialement, ce qui signifie qu'elles ont souvent une position définie dans l'espace ;
  • les perceptions synesthétiques sont consistantes et génériques ;
  • la synesthésie est mémorable ;
  • les perceptions synesthétiques ont une charge émotionnelle.

Kevin Dann ajoute deux autres critères :

  • la synesthésie n'est pas linguistique, et en quelque sorte ineffable ;
  • la synesthésie concerne des personnes ayant un cerveau ne présentant aucun signe de maladie.

La synesthésie désigne aussi un procédé poétique ou artistique qui permet de mettre en relief une image en faisant appel à d'autres modalités sensorielles. On cite souvent comme exemple ce passage bien connu du poème Correspondances de Charles Baudelaire :

Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants,
Doux comme des hautbois, verts comme des prairies,
- Et d'autres corrompus, riches et triomphants, [...]

La première description scientifique aurait été faite par un certain Georg Sachs, médecin bavarois, en 1812. Elle devint très à la mode dans le mouvement romantique fin XIXe début XXe, puis fut discréditée et tomba un peu dans l’oubli. C'est Binet en procédant à des études de temps de réaction dans le cadre du Laboratoire de Psychologie expérimentale qui montrera que les associations synesthésiques avaient les mêmes temps de latence que les autres associations imaginaires.

Elle fut "redécouverte" dans les années 1980, et popularisée par les tendances "New Age" anti-rationalistes avant de redevenir un objet scientifique "sérieux" depuis quelques années.

Expériences synesthétiques

Les synesthètes rapportent souvent qu'ils ne savaient même pas que leur synesthésie était inhabituelle jusqu'à ce qu'ils réalisent que la plupart des gens n'expérimentaient pas les mêmes sensations qu'eux. D'autres synesthètes avouent avoir gardé leur synesthésie secrète toute leur vie, de peur d'être incompris ou tournés en ridicule. La nature automatique et ineffable de la synesthésie montre bien que cette association de sens semble tout à fait ordinaire pour le synesthète. Le fait que la synesthésie soit involontaire et consistante montre que celle-ci est une expérience réelle.

Se remémorant une expérience de son enfance, Patricia Lynne Duffy écrivait : « Un jour, je dis à mon père, "Je viens de me rendre compte que pour écrire la lettre "R", tout ce que j'ai à faire est de dessiner un "P", et ensuite une ligne partant de sa boucle." Et j'étais tellement surprise de constater que je pouvais transformer une lettre jaune en lettre orange, juste en ajoutant une ligne. » [1]

Malgré les généralités qui permettent la définition du phénomène de la synesthésie, on ne doit cependant pas oublier que les expériences individuelles varient en de nombreuses façons. Cette irrégularité fut remarquée au tout début de la recherche sur la synesthésie (Flournoy 1893), mais n'a été reconsidérée par les chercheurs modernes que récemment. Alors que certains synesthètes graphèmes → couleurs déclarent que leurs couleurs semblent "projetées" à l'extérieur, la plupart déclarent que leurs couleurs sont perçues "dans leur tête" [1]. Certains synesthètes déclarent que leurs voyelles sont davantage colorées, alors que pour d'autres il s'agit des consonnes (Day 2005). Les descriptions ci-dessous peuvent donner une idée d'à quoi peut ressembler une expérience synesthétique, mais ne peuvent pas en capturer toute la richesse.

Certains calculateurs prodiges qui voient les réponses leur apparaître sont probablement atteints de synesthésie.

Catégories de synesthésies

La synesthésie peut apparaître entre n'importe quel sens ou mode perceptif. Du fait de la grande variété de types de synesthésies, les chercheurs ont adopté une convention indiquant le type de synesthésie en utilisant la notation suivante x → y, dans laquelle x est le déclencheur de l'expérience synesthétique, et y est l'expérience additionnelle. Par exemple, percevoir les lettres et nombres (collectivement appelés graphèmes) en couleurs indiquerait une synesthésie graphèmes → couleurs. De la même façon, lorsque des synesthètes voient des couleurs et mouvements en écoutant de la musique, il s'agit d'une synesthésie sons → couleurs, mouvements.

Alors que presque toutes les combinaisons de sens sont théoriquement possibles, certains types de synesthésie sont plus répandus que d'autres.

Synesthésie bimodale

La synesthésie bimodale concerne le croisement entre deux modalités sensorielles. Ce croisement est généralement unidirectionnel : une couleur qui déclenche une perception sonore par exemple (mais pas l'inverse). Bien que toutes les associations n'aient pas forcément été observées, plusieurs auteurs suggèrent que toutes sont possibles. Le sens proprioceptif est également susceptible d'intervenir (ce sens concerne l'accélération et le positionnement du corps dans l'espace, la pression,etc...)

Synesthésie multimodale

Plus rare que la synesthésie bimodale, elle concerne le croisement d'au moins trois modes sensoriels, de façon bi-directionnelle. La musique évoque des couleurs et des formes. ->Synesthésie bidirectionnelle: la musique évoque des couleurs et les couleurs évoquent de la musique.

Synesthésie cognitive

Cette catégorie de synesthésie est généralement considérée comme relevant des fonctions supérieures cognitives : il s'agit de l'association d'un mode sensoriel à une représentation mentale en général : par exemple une couleur associée à une lettre.

Types de synesthésies

Synesthésie graphèmes → couleurs

Dans l'un des types de synesthésie les plus répandus, les lettres individuelles de l'alphabet, ainsi que les nombres sont "teintés" d' une certaine couleur. Alors que deux synesthètes ne vont pas rapporter les mêmes couleurs pour toutes les lettres et nombres, des études montrent que certaines tendances se répètent. (par exemple, la lettre A est souvent rouge chez les synesthètes anglophones) (Day 2005; Simner et al. 2005).

Un synesthète graphèmes → couleurs témoigne : « J'associe souvent les lettres et les nombres avec des couleurs. Chaque chiffre et chaque lettre est associé à une couleur dans ma tête. Parfois, lorsque les lettres sont écrites sur un morceau de papier, elles apparaîtront brièvement en couleur si je ne suis pas concentré dessus. Par exemple, "S" est rouge, "H" est orange, "C" est jaune, "J" est jaune-vert, "G" est vert; "E" est bleu, "X" est mauve, "I" est jaune pâle, "2" est brun, "1" est blanc. Si j'écris SHCJGEX, ou encore ABCPDEF, ces lettres formeront un arc-en-ciel alors que je les lis. »

La synesthésie graphèmes → couleurs paraît plus forte dans l'usage d'une langue dont l'orthographe est phonétique (breton, espagnol, allemand, etc.) plutôt que dans d'autres où les sonorités d'une lettre varient suivant son contexte (anglais) ou si les combinaisons de lettres modifient la sonorité (français, ex "ho" et "eau").[réf. nécessaire]

Synesthésie musique → couleurs

Les synesthètes musique → couleurs perçoivent des couleurs en réponse à des sons. Comme les synesthètes graphème → couleurs, les synesthètes rapportent rarement les mêmes couleurs pour des tons donnés (pour un synesthète, un la dièse peut être rouge ; pour un autre synesthète, il sera vert). Cependant, les synesthètes sont constants : testé des mois plus tard, un synesthète va rapporter les mêmes expériences qu'il avait précédemment rapportées.

Les changements de couleurs impliquent plusieurs critères : la teinte, la luminosité (la quantité de noir dans une couleur, du rouge avec du noir peut apparaître marron), la saturation (l'intensité de la couleur, par exemple le rose pâle est moins saturé que le rose fushia), et la teinte peut être affectée à des degrés différents (Campen/Froger 2002). De plus, les synesthètes musique → couleurs, à la différence des synesthètes graphèmes → couleurs, rapportent souvent que les couleurs changent, ou se déplacent dans leur champ de vision.

Synesthésie numérique

La "synesthésie numérique" est une carte mentale des nombres, qui apparaît automatiquement et involontairement lorsque le synesthète en question pense à des nombres ou des unités temporelles. Ainsi, les nombres peuvent être alignés selon un axe montant, et les mois de l'année peuvent former un demi-cercle. Ceci fut documenté et nommé pour la première fois par Sir Francis Galton [2]. Les recherches qui suivirent[3] l'identifièrent comme un type de synesthésie. En particulier, il a été suggéré que ces "cartes numériques" sont le résultat d'une activation croisée (cross activation) entre les régions du lobe pariétal qui sont impliquées dans la cognition numérique et spatiale[4] [5]. En plus de leur intérêt pour la synesthésie numérique en tant que synesthésie, les chercheurs en cognition numérique ont commencé à explorer ce type de synesthésie pour les aperçus qu'il peut donner sur les mécanismes neurologiques des associations numériques/spatiales présentes inconsciemment en chacun de nous.

Synesthésie lexicale → gustative

Dans un type peu répandu de synesthésie, la synesthésie lexicale → gustative, les mots individuels ainsi que les phonèmes du langage parlé évoquent des sensations de goûts dans la bouche.

« À chaque fois que j'entends, lis, ou pense à des mots/syllabes, je perçois une sensation de goût immédiate et involontaire sur ma langue. Ces associations de goût très spécifiques ne changent jamais et sont restées les mêmes du plus loin que je m'en souvienne. »[6]

Jamie Ward et Julia Simner ont étudié en détail ce type de synesthésie, et se sont rendu compte que les associations synesthétiques sont conditionnées par l'alimentation du sujet lors de son enfance (Ward & Simner 2003; Ward, Simner & Auyeung 2005). Par exemple, James Wannerton n'a pas de perceptions synesthétiques impliquant du café ou du curry, alors qu'il en prend régulièrement à l'âge adulte. Par contre, il goûte des marques de céréales et bonbons qui ne sont plus vendus à l'heure actuelle, mais qu'il mangeait assez régulièrement dans son enfance.

Le sens du mot joue parfois un rôle dans le goût qui lui est attribué : ainsi, le mot "bleu" a pour James Wannerton un goût "d'encre". La prononciation du mot joue de même un grand rôle dans l'attribution de son goût : dans certains cas, le mot goûté aura des phonèmes en commun avec le nom de la nourriture goûtée. (Par exemple, /I/, /n/ et /s/ déclenchent un goût de viande hachée. ("mince")). Cependant, d'autres goûts ont des origines moins évidentes (Par exemple, [f] déclenche un goût de sorbet (sherbet)). Afin de démontrer que les phonèmes, plutôt que les graphèmes, sont les déclencheurs cruciaux du goût synesthétique, Ward et Simner ont montré que, pour James Wannerton, le goût de l'œuf (egg) est associé au phonème /k/, qu'il s'écrive avec un "c" (accepter, to accept), k (York), ck (chuck), ou x (fax).

Personnification

La personnification ordinale/linguistique (POL, ou personnification pour faire plus court) est un type de synesthésie dans lequel des séquences, comme les nombres, les jours de la semaine, les mois et lettres sont associés avec des personnalités. Bien que ce type de synesthésie ait été documenté en 1890[7], il n'a intéressé les chercheurs modernes que récemment.

"T est généralement geignard, peu charitable. U est une chose sans âme. 4 est honnête, mais ... 3, non, je ne peux pas lui faire confiance. 9 est sombre, un gentleman, grand et gracieux, mais politicien sous ses aspects suaves." [8]

"I est un peu angoissé parfois, même s'il est plutôt enjoué ; J est un homme, blagueur à première vue, mais avec une forte personnalité ; K est une femme, silencieuse et responsable..."[9]

Pour certaines personnes, outre les séquences de nombres ou de lettres, les objets sont parfois imbibés de personnalité, ce qui est parfois comparé à une forme d'animisme. Ce type de synesthésie est plus difficile à distinguer des associations non synesthétiques. Cependant, la recherche récente a commencé à montrer que ce type de synesthésie cohabite avec d'autres types de synesthésie, est consistant et automatique, et répond donc aux critères synesthétiques.

Histoire de la recherche sur la synesthésie

Bien que la synesthésie ait été mentionnée auparavant, ce phénomène capta pour la première fois l'intérêt de la communauté scientifique dans les années 1880 grâce à Francis Galton[10]. Suivant ces observations initiales, la recherche sur la synesthésie explosa, avec des chercheurs venant d'Angleterre, Allemagne, France et États-Unis d'Amérique, tous investigant ce phénomène. Cependant, en raison des difficultés rencontrées pour prouver et mesurer des expériences totalement internes et subjectives, ainsi que de la montée du behaviorisme en psychologie, qui banissait toute mention d'expériences internes, l'intérêt porté à la synesthésie s'émoussa dans les années 1930.

Dans les années 1980, alors que la révolution cognitive avait commencé à rendre l'étude de la conscience respectable à nouveau, les scientifiques commencèrent à réexaminer ce phénomène fascinant. Menée aux États-Unis par Larry Marks et Richard Cytowic, et en Angleterre par Simon Baron-Cohen et Jeffrey Gray, la recherche sur la synesthésie commença à explorer la réalité, consistance et fréquence des expériences synesthétiques. À la fin des années 1990, les chercheurs s'intéressèrent à la synesthésie graphèmes → couleurs, un des types de synesthésie les plus répandus[11] [12], et de plus facilement étudiable. En 2006, le journal Cortex publia un numéro spécial sur la synesthésie, composé de 26 articles. La synesthésie a été l'objet de nombreux livres scientifiques, ainsi que de romans et de courts métrages relatant des personnages synesthètes.

Prévalence et origine génétique de la synesthésie

Les estimations de prévalence varient énormément (de 1 personne sur 20 à 1 sur 20000). Cependant, ces études ont toutes souffert du fait qu'elles n'ont pris en compte que le témoignage des personnes se déclarant synesthètes. C’est-à-dire que les seules personnes incluses dans ces études étaient celles qui rapportaient leur expérience au chercheur. Simner et al. ont conduit les premières études réalisées sur un échantillon aléatoire de la population, arrivant à une prévalence de 1 personne sur 23. Les données actuelles suggèrent que les synesthésies graphème → couleur et jour de la semaine → couleur sont les plus répandues[11][13].

Presque toutes les études sur le sujet ont suggéré que la synesthésie a une origine génétique, car certaines familles recensent beaucoup plus de cas de synesthésie que d'autres. Les premières références à ce facteur datent de 1880 (Francis Galton). Depuis, d'autres études ont soutenu cette conclusion. Cependant, il est probable que certaines études[14][15], qui rapportaient un nombre plus élevé de synesthètes pour les femmes que les hommes (jusqu'à 6 femmes pour 1 homme), souffrirent du fait que les femmes ont plus tendance à se déclarer synesthètes que les hommes. Des études plus récentes, utilisant des échantillons aléatoires, trouvent un rapport de 1 pour 1[13].

Les modèles observés d'héritage de la synesthésie ont suggéré que le mode d'hérédité est lié au chromosome X, bien que la recherche de la génétique de la synesthésie soit toujours préliminaire. Il n'y a pas d'exemples documentés de transmission de père en fils, alors que d'autres formes de transmission (père en fille, mère en fils et mère en fille) sont plutôt répandus[15][16][17]. Il y a eu des cas de vrais jumeaux dans lesquels un seul jumeau était synesthète[18][19], et il a été noté que la synesthésie peut sauter des générations dans une famille[20].
De plus, Simner et al. notent qu'il est commun que les synesthètes d'une même famille présentent différents types de synesthésie, ce qui suggère que le gène ou les gènes impliqués dans le développement de la synesthésie n'entraînent pas des types spécifiques de synesthésie. Au contraire, des facteurs développementaux tels que l'expression d'un gène et l'environnement doivent aussi jouer un rôle dans la détermination du type de synesthésie qu'un synesthète va développer.

Démonstration de l'authenticité de la synesthésie

Prouver que quelqu'un est réellement synesthète est aisé. Les tests les plus simples impliquent des tests de constance sur de longues périodes. Les synesthètes obtiennent habituellement un meilleur résultat sur de tels tests que les non-synesthètes (soit avec des noms de couleurs, des gommettes colorées ou même un sélecteur de couleurs proposant 16,7 millions de choix de couleurs). Les synesthètes peuvent obtenir un taux de constance aussi élevé que 90 pour cent après une période d'un an, alors que des non synesthètes obtiendront un score de 30/40 pour cent après seulement un mois, même lorsqu'ils sont prévenus qu'ils seraient retestés (par exemple, Baron-Cohen et al. 1996).

Des tests plus spécialisés incluent des versions modifiées de l'effet Stroop. Selon le paradigme de Stroop standard, il est plus difficile de nommer la couleur d'encre du mot "rouge" lorsque celui-ci est imprimé en encre bleue que lorsqu'il est imprimé en encre rouge. De la même façon, si l'on présente à un synesthète graphèmes → couleurs le chiffre 4 imprimé en encre bleue alors que le synesthète le perçoit rouge, celui-ci sera plus lent à identifier la couleur de l'encre. Ceci n'est pas du au fait que le synesthète ne peut pas voir l'encre bleue, mais plutôt parce que la même sorte de conflit responsable pour l'effet Stroop se produit entre la couleur de l'encre et la couleur du graphème automatiquement associée. Des variantes de l'effet Stroop peuvent être conçues ; par exemple, on demande à un synesthète musique → couleurs de nommer la couleur d'une tache rouge alors qu'il est en train d'écouter un son produisant une sensation de bleu (Ward, Tsakanikos & Bray 2006) ou lorsqu'on demande à un synesthète note de musique → goût d'identifier un goût amer alors qu'il est en train d'écouter une note provoquant un goût sucré (Beeli, Esslen & Jäncke 2005).

Enfin, des études réalisées sur des synesthètes graphèmes → couleurs ont démontré que les couleurs synesthétiques peuvent améliorer des performances sur certaines tâches visuelles, ou du moins pour certains synesthètes. Inspirés par des tests sur le daltonisme, Ramachandran et Hubbard (2001) présentèrent des schémas représentant des dizaines de chiffres 5 entre lesquels sont incrustés des chiffres 2 à des synesthètes et non-synesthètes. Ces chiffres 2 peuvent former une de ces 4 formes : carré, losange, rectangle ou triangle. Les couleurs synesthétiques aident les synesthètes à trouver la "figure cachée" : pour un synesthète qui voit les 2 rouges et les 5 verts, le rouge des 2 se détachera du vert des 5. D'autres études ont exploré ces effets avec plus d'attention, et ont montré que : 1. les résultats varient entre synesthètes ["Dixon, Smilek & Merikle 2004; Hubbard et al.2005a"], 2. alors que la synesthésie est présente tôt dans le traitement perceptif, elle n'intervient pas avant l'attention (par exemple, Edquist et al. 2006; Sagiv, Heer & Robertson 2006a).

Ces études conduisent à différencier les synesthésies fortes ou vraies, des synesthésies faibles que sont les associations normales que l'on peut faire, notamment, en associant le rouge au chaud ou le bleu au froid[21]. Des phénomènes synesthésiques peuvent également survenir lors d'état de fatigue ou de somnolence, on parle parfois de synesthésie d'endormissement. Il est probable que nombre d'entre nous ayons vécu de telles associations de sens, par exemple, une porte qui claque ou un bruit intense, et sec, peut provoquer une impression de flash lumineux si l'on se trouve en phase de sommeil léger. Les hallucinations synesthésiques perçues sous l'emprise de substances psychotropes peuvent représenter une forme moyenne de synesthésie.

Dès lors, il convient de faire une distinction entre la réalité physique, la réalité perceptive, et la simulation : les synesthètes ne simulent pas, cela est prouvé par les tests précités qu'il serait impossible de réussir aussi bien en simulant des associations de perceptions. Les caractéristiques physiques des stimuli sont indépendantes des stimulations perçues (par exemple, une lettre écrite en noir et vue en bleu n'a pas la longueur d'onde correspondant au bleu).

Base neurologique possible de la synesthésie

Les théories considérant une base neurologique à la synesthésie ont pour racine l'observation que certaines régions du cerveau sont spécialisées pour certaines fonctions. Basés sur cette notion de "régions spécialisées", quelques scientifiques ont suggéré que des "connexions" entre différentes régions spécialisées dans différentes fonctions peuvent résulter en différent types de synesthésie. Par exemple, comme les régions impliquées dans l'identification des lettres et chiffres sont adjacentes à la région impliquée dans le traitement des couleurs (V4), l'expérience additionnelle de voir des couleurs en regardant des graphèmes peut être due à cette " cross activation " de V4 [4]. Cette "cross activation" peut survenir suite à un défaut dans le processus normal d'élimination des neurones.

Selon l'autre théorie, la synesthésie peut survenir suite à une réduction du niveau d'inhibition des voies d'échanges [22]. Normalement, l'équilibre entre l'excitation et l'inhibition est maintenu. Cependant, si ces échanges ne sont pas inhibés correctement, alors les signaux venant de stages de traitement multisensoriels ultérieurs pourraient influencer des stages de traitement ultérieurs, de telles sortes que des notes de musique activeraient des aires corticales visuelles davantage chez les synesthètes musique → couleurs que chez les non synesthètes. Dans ce cas, cela pourrait expliquer pourquoi certains utilisateurs de drogues psychédéliques telles que le LSD ou la mescaline rapportent des expériences synesthétiques lorsqu'ils sont sous l'influence de la drogue.

Des études TEP ont mis au jour des différences importantes entre les cerveaux de synesthètes et de non synesthètes. Des études récentes utilisant l'IRM ont démontré que l'aire V4 est plus active chez les synesthètes mot → couleur et graphème → couleur [23] [24] [25]. Cependant, ces études manquent de données pour confirmer l'une des deux théories avancées (voies d'échange déshinibées / défaut dans l'élimination des neurones.)

Traits cognitifs associés

On sait très peu à propos des traits cognitifs associés à la synesthésie ni même s'il y en a. Des études ont suggéré que les synesthètes sont inhabituellement sensibles aux stimuli externes[16]. D'autres traits cognitifs possiblement associés à la synesthésie incluent une confusion entre la droite et la gauche, des difficultés en mathématiques, et des difficultés en rédaction[16]. Certains synesthètes peuvent se retrouver avec des troubles moteurs, d'orientation ou du langage, ce qui aboutit à un échec scolaire voire à une reconnaissance d'invalidité avec incapacité à travailler en milieu non protégé.

Cependant, les synesthètes semblent être plus enclins à participer à des activités créatrices[12], et certaines études ont suggéré une corrélation entre la synesthésie et la créativité[26][27][28]. D'autres études ont suggéré que les synesthètes ont une mémoire supérieure à la moyenne [29][18]. Cependant, on ne sait pas encore si cette caractéristique est valable pour la synesthésie en général, ou si elle concerne uniquement une petite minorité de synesthètes. Ceci est le sujet principal des recherches actuelles et futures.

Liens avec d'autres domaines d'études

Les scientifiques étudient la synesthésie non seulement parce qu'elle est intéressante en elle-même, mais aussi parce qu'ils espèrent que l'étude de la synesthésie offrira des aperçus nouveaux dans d'autres domaines, par exemple pour expliquer comment le cerveau combine les informations venant de modes sensitifs différents. Un exemple est l'effet Bouba/Kiki, qui fut exploré pour la première fois par le psychologue Wolfang Kohler. On présente à des individus une forme ronde et une forme pointue ; on leur demande d'associer chacune de ces formes soit au mot "Kiki", soit au mot "Bouba". La plupart des gens associeront la forme ronde à "Bouba", et la forme pointue à "Kiki". Avec des individus de l'île de Tenerifé, Kohler distingua une préférence similaire entre des formes appelées "takete" et "maluma". Un travail récent entre Daphne Maurer et ses collègues ont montré que même des enfants d'à peine 2 ans et demi (trop jeunes pour lire) font les mêmes associations[30]. Ramachandran et Hubbard (2001) soutiennent que cet effet peut être l' origine neurologique de la symbolique du son, selon laquelle la prononciation d'un mot est parfois associée à son sens. (Par exemple, le mot "petit" est prononcé avec la bouche à peine entre ouverte, alors que l'on a besoin d'ouvrir la bouche toute grande pour prononcer les mots "grand" ou "large".)

Ainsi, les chercheurs sur la synesthésie espèrent que, grâce à ces expériences conscientes inhabituelles, l'étude de la synesthésie aménera à une meilleure compréhension de la conscience et en particulier sur les liens entre le cerveau et la conscience, ou encore à propos des mécanismes du cerveau qui permettent d'être conscient. En particulier, quelques scientifiques ont suggéré que la synesthésie est en rapport avec le phénomène philosophique des qualia[31][32][4], puisque les synesthètes expérimentent des qualia additionnels.

La synesthésie et l'art

La "synesthésie dans l'art" peut se référer à trois définitions distinctes :

  • L'art par des synesthètes, dans lesquels ils utilisent leur propre expérience synesthétique pour créer des œuvres d'art.
  • L'art par des non-synesthètes, qui tentent de représenter ce à quoi doit ressembler une synesthésie véritable.
  • L'art supposé évoquer des associations synesthétiques chez une audience composée de non-synesthètes.

(Ces deux dernières catégories sont parfois appelées "synesthésies artificielles").

Ces distinctions ne sont pas fermées, car, par exemple, une œuvre créée par un synesthète peut aussi évoquer des expériences ressemblant à la synesthésie chez l'audience. Cependant, on ne doit pas supposer que tout art "synesthétique" reflète exactement l'expérience synesthétique.

Synesthètes célèbres

Les avis divergent lorsqu'il s'agit de distinguer si la synesthésie peut ou non être identifiée grâce à des sources historiques. Sean A. Day, un synesthète et président de l'ASA, American Synesthesia Association, maintient une liste de synesthètes célèbres, "pseudo-synesthètes", et des artistes qui ne sont probablement pas synesthètes, mais qui ont utilisé la synesthésie dans leur art.

Ci-dessous se trouve une liste concise de synesthètes confirmés.[réf. nécessaire]

Synesthésie poétique

Dans son poème Voyelles, Arthur Rimbaud attribue une couleur aux voyelles, avec le vers célèbre « A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles, ». Il est cependant admis que Rimbaud n'était pas synesthète. Charles Baudelaire fera aussi usage de métaphores synesthétiques, dans Les Fleurs du mal, dans son poème Correspondance ainsi que dans Parfum Exotique. Wassily Kandinsky est connu pour ses peintures établissant des correspondances entre couleurs et sons.

Synesthésie ésotérique

L'ésotérisme, l'occultisme, le symbolisme reposent en grande partie sur la doctrine des analogies et correspondances. Pour eux, les divers ensembles du monde sont analogues et leurs éléments entrent en correspondances. Ainsi, pour les Chinois traditionnalistes, auteurs du Hong fang ou du Li yun ou du Yue ling, les goûts, les organes des sens entrent en corrélations ; par exemple, les cinq saveurs (acide, amer, doux, âcre, salé) entrent en correspondance, non seulement avec d'autres sens (vert/acide/rance ; rouge/amer/brûlé...), mais encore avec d'autres domaines (les Éléments, les passions, les vertus... : vert/Bois/Est/acide/rance/blé/mouton...).[33]

Notes

  1. Dixon, Smilek, Merikle 2004
  2. Sir Francis Galton, The Visions of Sane Persons (Galton 1881a)
  3. Seron, Pesenti & Noël 1992; Sagiv et al. 2006b
  4. a , b  et c Ramachandran & Hubbard 2001
  5. Hubbard et al. 2005b
  6. James Wannerton http://.wannerton.net
  7. Flournoy 1893; Calkins 1893
  8. Rapport d'un sujet synesthète de Calkins 1893, p. 454
  9. Rapport MT report in Cytowic 2002, p. 298
  10. Galton 1880a; Galton 1880b; Galton 1883
  11. a  et b Day 2005
  12. a  et b Rich, Bradshaw & Mattingley 2005
  13. a  et b Simner et al. in press
  14. Baron-Cohen et al. 1993
  15. a  et b Baron-Cohen et al. 1996
  16. a , b  et c Cytowic 2002
  17. Ward/Simner 2005
  18. a  et b Smilek et al. 2002
  19. Smilek, Dixon & Merikle 2005
  20. Hubbard & Ramachandran 2003
  21. http://www.synesthesie.info/
  22. Grossenbacher & Lovelace 2001
  23. Nunn et al. 2002
  24. Hubbard et al. 2005a
  25. Sperling et al. 2006
  26. Domino 1989
  27. Dailey
  28. Martindale & Borkum 1997
  29. Luria 1968
  30. Maurer, Pathman & Mondloch 2006
  31. Gray et al. 2002
  32. Gray et al. 1997
  33. Marcel Granet, La pensée chinoise, 1934, Albin Michel, 1968, p. 312.

Sources

Bibliographie

  • Córdoba M.J. de, Hubbard E.M., Riccò D., Day S.A., III Congreso Internacional de Sinestesia, Ciencia y Arte, 26-29 Abril, Parque de las Ciencias de Granada, Ediciones Fundación Internacional Artecittà, Edición Digital interactiva, Imprenta del Carmen. Granada 2009. ISBN 978-84-613-0289-5.
  • Cytowic, R.E., Synesthesia: A Union of The Senses, second edition, MIT Press, Cambridge, 2002. ISBN 978-0-26-2032964
  • Cytowic, R.E., The Man Who Tasted Shapes, Cambridge, MIT Press, Massachusetts, 2003. ISBN 0-262-53255-7. OCLC 53186027
  • Marks L.E., The Unity of the Senses. Interrelations among the modalities, Academic Press, New York, 1978.
  • Dina Riccò Sinestesie per il design. Le interazioni sensoriali nell'epoca dei multimedia, Etas, Milano, 1999.
  • Dina Riccò Sentire il design. Sinestesie nel progetto di comunicazione, Carocci, Roma, 2008.
  • Tonino Tornitore 'Storia delle sinestesie. Le origini dell'audizione colorata, Genova, 1986.
  • Tonino Tornitore Scambi di sensi. Preistoria delle sinestesie, Centro Scientifico Torinese, Torino, 1988.

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