Révolte contre Esquilache

Révolte contre Esquilache
La révolte contre Esquilache, par Francisco de Goya

La révolte contre Esquilache (Motín de Esquilache en espagnol) est le nom donné à un ensemble de révoltes qui eurent lieu à Madrid et d'autres villes d'Espagne en 1766, sous le règne de Charles III. On évalue le nombre des participants aux émeutes à environ 40 000 ; cette grave agitation menaça la figure royale. Le déclencheur de la crise fut la publication d'un réglement municipal sur les vêtements des Madrilènes, mais il faut en chercher les causes plus loin, dans la récurrence des disettes, des hausses de prix des produits de première nécessité et le rejet des ministres étrangers de Charles III par la population espagnole. Finalement, la révolte se conclut par l'éloignement forcé du marquis d'Esquilache, secrétaire des Finances et inspirateur de l'édit sur les vêtements.

Sommaire

Les origines de l'agitation

Le marquis d'Esquilache était un ministre proche du roi ; il l'avait servi déjà alors qu'il était roi des Deux-Siciles. Il essaya d'éradiquer, dans la ville de Madrid, l'usage de la cape longue et du chambergo (chapeau à bords larges) sous le prétexte que, en se cachant derrière ces vêtements, des individus pouvaient s'attrouper en toute impunité et cacher des armes sous leur tenue. Le règlement d'Esquilache encourageait donc au port de la cape courte et du tricorne, selon la mode venue de France. La peine, en cas de désobéissance, s'élevait à une amende de six ducats et douze jours de prison à la première infraction ; elle était doublée à la seconde.

Il faut évidemment replacer ce règlement dans un ensemble de mesures menées par le roi et son ministre pour améliorer la salubrité de Madrid et l'élever au rang des autres capitales européennes[1] : pavement des rues, installation de réverbères, création de jardins et de promenades, nettoyage des rues encombrées de déchets, construction de fosses septiques. La nouvelle règlementation visait à rajeunir la mode vestimentaire, plus en accord avec les nouveaux temps. Il d'ailleurs remarquable que l'usage de la cape longue et du chapeau à larges bords n'était pas vraiment une tradition madrilène, puisqu'il n'avait été introduit que cent ans plus tôt, par la garde wallonne du général Schomberg, aux temps de la reine Marie-Anne d'Autriche, régente de Charles II.

La disette, véritable cause de la révolte

La révolte contre Esquilache, de caractère politique et social, n'était pas dirigée spécifiquement contre le pouvoir royal ou contre la noblesse. La disette et la hausse constante des prix des aliments furent le ferment de la révolte. Le pain, élément fondamental de l'alimentation, avait pratiquement doublé de prix en moins de cinq ans, passant de sept cuartos la livre en 1761 à douze cuartos en 1766.

A l'origine de cette augmentation des prix se trouvaient la succession des mauvaises révoltes et la libération des prix et du commerce des grains, à la suite d'un décret de 1765, inspiré à Esquilache par ses idées physiocrates : les prix augmentèrent par la faute des « accapareurs », généralement des membres de la noblesse et du clergé qui, percevant leurs impôts en nature (donc en blé), refusaient de vendre leurs stocks, espérant voir les prix continuer à monter[2].

La cherté du pain devint insupportable pour les parties de la population les plus pauvres, particulièrement au moment de la soudure, lorsque les prix sont les plus élevés[3].

Il faut ajouter à cette cause une xénophobie latente dans la population espagnole, hostile aux ministres étrangers[4], tel qu'Esquilache, d'origine italienne. Le mécontentement était d'ailleurs entretenu par les intrigues des factions nobiliaires de la cour, en particulier les partisans d'Albe et d'Ensenada, et du clergé, hostile aux réformes d'Esquilache sur les biens de l'Eglise.

La révolte

Gravure de la révolte contre Esquilache, datant de 1766 : on peut clairement voir les vêtements à l'origine de la révolte.

A la suite de la publication de l'édit municipal, la réaction populaire fut tout d'abord la publication de libelles vengeurs contre le « ministre italien ». Esquilache, loin de reculer, ordonna aux soldats de soutenir les autorités municipales pour faire respecter l'application de l'édit. Les amendes, mais également les abus se multiplièrent : des alguaciles raccourcirent les capes d'un coup d'épée, d'autres s'emparèrent des sommes perçues. La protestation des Madrilènes crût sensiblement, jusqu'à l'éclatement de la révolte, le Dimanche des Rameaux, c'est-à-dire le 23 mars 1766 : sur la place Antón Martín, deux soldats cherchant à arrêter des récalcitrants au règlement furent mis en fuite par la foule. Les révoltés s'emparèrent d'armes et, se dirigeant vers la rue d'Atocha, furent rejoints par une foule plus nombreuse, jusqu'à atteindre un nombre de 2 000 personnes. Le duc de Medinaceli, ayant assisté à l'attroupement, se chargea de transmettre les pétitions de la foule au roi. La foule, continuant sa route, prit d'assaut la maison d'Esquilache et massacra à coups de couteau un serviteur, puis vers les maisons d'un autre ministre italien, Jerónimo Grimaldi et de l'architecte Francesco Sabatini, détruisant au passage les lampadaires placés sur l'ordre d'Esquilache.

De Madrid, la révolte commença alors à s'étendre à toute l'Espagne : Cuenca, Saragosse, La Corogne, Oviedo, Santander, Bilbao, Barcelone, Cadix et Carthagène entre autres connurent des émeutes violentes. Le Lundi Saint, la foule se dirigea vers la Palais royal, où se trouvait Esquilache et chercha à entrer, mais fut repoussée par la Garde wallonne, qui tira sur la foule et tua une femme. Finalement parvint au roi une liste d'exigences :

  • exil d'Esquilache et de sa famille, le marquis devant être expressément renvoyé en Italie ;
  • renvoi des ministres d'origine étrangère ;
  • destitution de la Garde wallonne ;
  • baisse du prix des produits d'alimentation ;
  • disparition des Conseils de ravitaillement ;
  • retour des troupes dans leurs quartiers ;
  • retrait des réformes vestimentaires ;
  • que le roi assiste personnellement aux requêtes que voulaient lui présenter la foule.

Le roi obtempéra à contrecœur aux exigences populaires.

Le Mardi Saint, le roi quitta Madrid avec sa famille pour le palais d'Aranjuez, alors que la ville retrouvait le calme. Mais la population, craignant que la conduite de Charles III prépare un retour d'Esquilache et de l'armée, recommença à s'agiter. Les rumeurs et la peur provoquèrent une agitation de plus en plus forte qui déboucha sur des pillages et des désordres plus nombreux encore. Les magasins de vivres, les prisons et les casernes furent pris d'assaut ; Diego de Rojas, président du Conseil de Castille, fut enfermé chez lui et forcé d'écrire au roi. Charles III fut poussé à revenir à Madrid, sous les vivas de la population.

Les conséquences

Malgré l'affection du roi pour Esquilache, il est éloigné, et doit quitter l'Espagne[5]. Charles III cherche alors à s'appuyer sur des réformistes espagnols et remplace Esquilache par le comte d'Aranda, Campomanes prenant le secrétariat des Finances. Le nouveau gouvernement nomme une commission chargée de découvrir les causes de la révolte. Campomanes cherche à montrer au roi que les vrais meneurs de la révolte contre Esquilache sont les jésuites à qui il reproche ses grandes richesses, le contrôle des nominations et de la politique ecclésiastiques, l'appui inconditionnel au pape, sa loyauté au marquis de la Ensenada, sa participation aux affaires du Paraguay et enfin sa participation à la révolte d'Esquilache. Pour toutes ces raisons, par le décret royal du 27 février 1767, également appelé la Pragmatique Sanction de 1767, les jésuites sont expulsés d'Espagne et toutes leurs possessions confisquées. Quant au marquis de la Ensenada, désigné comme l'instigateur de cette révolte à cause de sa proximité avec les cercles jésuites, il perdit toutes ses fonctions et fut exilé par ordre royal à Medina del Campo, où il mourut en 1781, sans avoir jamais pu en sortir durant les dernières quinze années de sa vie.

L'approvisionnement en vivres fut à nouveau confié aux institutions classiques du Conseil de Castille. Quant à la cape longue et au chapeau large, ils disparurent naturellement de la mode vestimentaire, devenant finalement l'attribut du seul bourreau.

Dans la littérature et au cinéma

Les événements de la révolte contre Esquilache ont inspiré plusieurs œuvres artistiques :

  • Un soñador para un pueblo, livre écrit en 1958 par Antonio Buero Vallejo, basé sur les événements de la révolte d'Esquilache.
  • Esquilache, film réalisé en 1989 par Joaquín Molina et Josefina Molina. Il fut nommé à plusieurs reprises pour les Goyas de 1989[6].

Bibliographie

  • (es) López García, José Miguel El motín contra Esquilache. Alianza Editorial. Madrid, 2006.
  • (es) Rodríguez Casado, Vicente. La política y los políticos en el reinado de Carlos III. Madrid 1962.

Sources

Notes et références

  1. Rappelons que Charles III fut même surnommé le « meilleur maire de Madrid » pour l'ampleur de ses travaux.
  2. Il est intéressant de constater que ces événements se sont répétés de façon classique dans d'autres pays, en particulier en France lors de la guerre des Farines.
  3. Cette période de la soudure, dramatique pour les plus pauvres, prompts à se révolter dans ce cas, fut l'une des causes de la Journée du 14 juillet 1789 en France.
  4. Rappelons juste la haine d'une grande partie de la population française pour Mazarin, ministre de Louis XIV, d'origine italienne.
  5. Esquilache se rend de Madrid à Carthagène, d'où il gagne Naples puis la Sicile. Il est finalement nommé ambassadeur d'Espagne à Venise en 1772 - non sans quelque amertume -, où il termine ses jours.
  6. Voir la fiche du film Esquilache sur l'Internet Movie Database (IMDb)

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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Révolte contre Esquilache de Wikipédia en français (auteurs)

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