Quatuor à cordes

Quatuor à cordes

Le quatuor à cordes est, en musique classique, un ensemble instrumental composé de deux violons, d'un alto et d'un violoncelle. C'est également la forme musicale dédiée à ce type de formation — plus exactement, une sonate « en quatuor ».

Le quatuor à cordes est sans conteste la formation reine de la musique de chambre : parmi les innombrables combinaisons possibles — depuis le duo au dixtuor — seul peut-être le trio avec piano (piano, violon, violoncelle) peut prétendre avoir un répertoire aussi étendu et riche en chefs-d'œuvre.

Le quatuor à cordes, en tant que genre musical, se développe dans le cadre du style galant et sous l'influence du divertimento vers le milieu du XVIIIe siècle. Il a pour origine le regroupement des instruments à cordes au sein de l'orchestre, les contrebasses se contentant de doubler les violoncelles. Si les premiers quatuors de Luigi Boccherini sont en fait des symphonies pour cordes, Stamitz et Gossec distinguent parmi leurs quatuors ceux qui doivent être joués à quatre de ceux qui doivent être joués par un orchestre (par exemple l'opus 14 de Stamitz est titré Quatuors pour orchestre).

Sommaire

Caractéristiques

À partir de Joseph Haydn et Mozart, le quatuor devient le genre le plus en vogue du répertoire de musique de chambre. La structure épouse dorénavant un modèle quasi-immuable, qui restera une référence, bien qu'il ait été remis en question à plusieurs reprises (op. 131 de Beethoven) :

Le succès du quatuor à cordes repose sur des aspects à la fois sonores et sociologiques. Le contrepoint à quatre parties permet de faire entendre toutes les harmonies sans doublure superflue. Le quatuor permet en outre une grande homogénéité de timbre et l'équipollence des voix dans le travail contrapuntique.

La période classique

Joseph Haydn est généralement considéré comme le père du quatuor à cordes. On trouve avant lui des œuvres écrites pour deux violons, alto et violoncelle — Sammartini et Boccherini, notamment — mais c'est lui qui a su créer ce genre, basé sur l'équilibre de quatre voix indépendantes, égales en importance mais fortement imbriquées, et lui donner ses lettres de noblesse ainsi qu'un répertoire important — 68 quatuors[1].

Contemporain de Haydn, Mozart admirait beaucoup ses quatuors et en a composé lui aussi. La production de Mozart consiste essentiellement en 4 cycles de quatuors où il a égalé son aîné dans les deux derniers. Les Quatuors du troisième cycle sont dédiés à Haydn. Certains portent des petits noms, comme le quatuor des « dissonances » en ut majeur, célèbre pour les frottements harmoniques des premières mesures, ou encore « La Chasse » en si bémol majeur, et « Le Printemps » en sol majeur. Les trois derniers sont dédiés au roi de Prusse, d'où leur surnom de prussiens : le violoncelle y joue un rôle prépondérant. Mozart, par son sens inné de la polyphonie, a su faire chanter chaque instrument du quatuor. Cependant, le divertimento pour trio à cordes et les six quintettes à cordes — à deux altos — constituent sans doutes des sommets encore plus remarquables dans sa production.

Beethoven

Ludwig van Beethoven n'a pas abordé le quatuor avant l'âge de 30 ans où il a publié un premier recueil de six quatuors, l'opus 18. Ils témoignent d'une parfaite maîtrise de l'écriture mais demeurent, stylistiquement, dans l'ombre de Haydn. La révolution interviendra avec les trois quatuors « Razumovski », opus 59 : Beethoven y fait exploser le moule classique : comme il l'avait fait dans un autre domaine, les sonates pour piano, il étire les formes, pousse les développements, les nuances, les graves et les aigus, les répétitions jusqu'à l'exaspération. Son chemin se poursuivra avec l'opus 74 « les Harpes », où il atteint la plénitude de sa deuxième période créatrice. Une seconde rupture intervient avec l'opus 95 « serioso », âpre et même abrupt. Plus court, plus concentré que les précédents, sa modernité est surprenante et surprend nos oreilles encore aujourd'hui. Il faudra sans doute attendre Bartók pour entendre quelque chose de plus moderne dans le domaine du quatuor. Les derniers quatuors sont autant de chefs-d'œuvre : c'est sur eux qu'il a consacré l'essentiel de ses dernières années, ayant achevé la 9e symphonie, muré dans la solitude et la surdité. Wagner disait de ces quatuors qu'il ne faudrait pas les jouer en public, car ils étaient l'expression d'une grande souffrance. Le fait est, pour les interprètes comme pour le public, qu'il ne faut pas aborder ces chefs-d'œuvre insurpassables sans préparation.

La période romantique

L'ombre du grand Beethoven a beaucoup pesé sur les musiciens qui l'ont suivi, dans le domaine du quatuor plus encore que dans la symphonie. Schumann, Mendelssohn, Brahms ou Smetana ont approché ou égalé, mais pas dépassé le modèle beethovénien. Notons l'exception de Schubert, qui a trouvé dans ses trois derniers quatuors — ainsi que dans le quintette à deux violoncelles — l'expression personnelle d'un génie achevé : contemporain de Beethoven, il est mort 18 mois seulement après lui.

Le quatuor est fort prisé des compositeurs romantiques. Il reste synonyme d'effort, de concentration et de rigueur. Pendant tout le XIXe siècle, il reste une spécificité allemande, et française dans une moindre mesure — notamment à la fin du siècle —, à quelques exceptions près, comme en témoigne la présence d'un quatuor dans le catalogue de Giuseppe Verdi. Les compositeurs marqués par l'esthétique wagnérienne du Gesamtkunstwerk (œuvre d'art total), la musique à programme (Hector Berlioz, Franz Liszt) ou bien par le chromatisme et la puissance orchestrale de Wagner (Anton Bruckner, dont le quintette à cordes est néanmoins splendide, Gustav Mahler, Richard Strauss), se désintéressent du quatuor.

Il va sans dire que dans le débat qui oppose, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, les tenants de la musique pure — Eduard Hanslick, Johannes Brahms — aux défenseurs de la musique à programme — Franz Liszt et son cercle de Weimar —, le quatuor à cordes réprésente pour les premiers le genre noble par excellence : l'écoute d'un quatuor est synonyme de contemplation des formes musicales pour elle-même, par opposition à une écoute qui serait guidée par un programme poétique.

Le XXe siècle

Au début du XXe siècle, le quatuor à cordes est pour certains compositeurs, tels Arnold Schönberg, Alban Berg, Anton Webern, Maurice Ravel, Béla Bartók, Claude Debussy, synonyme d'expérimentation, d'étape dans la recherche d'un idéal en matière de composition musicale, à tel point que le critique musical contemporain Dominique Jameux a parlé de laboratoire de formes. Le quatuor de Gabriel Fauré (1924) est l'œuvre d'un musicien désireux de parachever sa longue carrière de compositeur par un chef-d'œuvre de pureté et d'ascétisme. Il s'agit dans ces derniers cas d'œuvres essentiellement isolées même si elles sont souvent d'une importance capitale dans l'histoire de la musique.

Au contraire, Darius Milhaud (18 quatuors), Heitor Villa-Lobos (17 quatuors), et surtout Dmitri Chostakovitch (15 quatuors), ont par l'importance et la qualité de leur cycle, contribué à renouveler la tradition de cette forme musicale.

On doit également citer les quatuors de Vincent d'Indy, Albéric Magnard, Leoš Janáček, Benjamin Britten, Paul Hindemith, Georges Enesco, Bohuslav Martinů, Alexandre Tansman, Marcel Mihalovici, etc.

La jeune génération de l'après-guerre tente un renouvellement du quatuor — Olivier Messiaen, Quatuor pour la fin du temps, pour violon, violoncelle, clarinette et piano, écrit en captivité dans un camp de prisonniers en Silésie durant la Seconde Guerre mondiale ; Pierre Boulez, Livre pour quatuor à cordes de 1948 — avant de le reléguer parmi les pièces d'un musée des genres musicaux appartenant à un passé révolu.

Les générations suivantes, marquées par la postmodernité, se réintéressent au genre, dans un souci de dialoguer avec l'histoire et de renouer avec la tradition. Si György Ligeti et Elliott Carter font figure de précurseurs en ce domaine, Alfred Schnittke en Russie, Helmut Lachenmann en Allemagne, Brian Ferneyhough en Grande-Bretagne, Philippe Fénelon, Philippe Hersant, Christophe Looten, Max Méreaux et Nigel Keay en France, chacun suivant sa propre voie, semblent ne plus vouloir déroger à la règle selon laquelle tout compositeur confirmé doit se mesurer à un genre toujours réputé difficile.

Concours et festivals

Il existe des concours dédiés au quatuor à cordes, par exemple le Concours international de quatuor à cordes de Bordeaux (ex Évian), organisé tous les deux ans dans le cadre du Grand Théâtre de Bordeaux. Le prochain concours aura lieu du 10 au 16 mai 2010.

A l'étranger, le concours international de Melbourne est lui aussi consacré aux quatuors à cordes, tout comme le concours international Premio Paolo Borciani à Reggio Emilia en Italie.


Note et références

  1. On peut voir dans le consort de violes le grand ancêtre du quatuor à cordes. En effet à partir de Christopher Tye et jusqu'à Purcell on ne peut douter que l'égalité et l'indépendance des voix ne soit totale et que le souci de la forme ne soit réalisé ; de même la hauteur de vue des œuvres et leur intimité semblent être bien le souci commun et principal des deux genres

Bibliographie succincte

Sylvette Milliot, Le quatuor, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 1986, 1re éd., 127 p. (ISBN 978-2-13-039334-4) 

Bernard Fournier, L'esthétique du quatuor à cordes, Fayard, 1999, 706 p. (ISBN 978-2-213-60507-4) 

Bernard Fournier, Histoire du quatuor à cordes, vol. 1 : De Haydn à Brahms, Fayard, 2000, 1206 p. (ISBN 978-2-213-60758-0) 

Bernard Fournier et Roseline Kassap-Riefensthal, Histoire du quatuor à cordes, vol. 2 : De 1870 à 1945, Fayard, 2004, 1500 p. (ISBN 978-2-213-61069-6) 

Bernard Fournier, Roseline Kassap-Riefenstahl, Histoire du quatuor à cordes, vol. 3 : De l'entre-deux-guerres au XXIe siècle, Paris, Fayard, 2010, 1549 p. (ISBN 978-2-213-63599-6) 

Francis Vuibert, Répertoire universel du quatuor à cordes, Paris, http://www.proquartet.fr/nl/lettre/rudaq.html ProQuartet-CEMC, 2009, 1re éd., 326 p. (ISBN 978-2-9531544-0-5) 

Voir aussi

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