Procès de Socrate

Procès de Socrate

Le procès de Socrate est un procès ayant eu lieu en -399, dont l'accusé est le philosophe athénien Socrate. Socrate, accusé de corruption de la jeunesse et de négation des dieux ancestraux, est condamné à mort par l'assemblée démocratique d'Athènes.

Ce procès, l'un des plus célèbres procès de l'antiquité est décrit par deux contemporains de Socrate : Platon et Xénophon.

Sommaire

Chefs d'accusation

En avril 399 av. J.-C., Socrate se vit accuser par Mélétos[1], ainsi que deux de ses amis (Lycon et Anytos), de deux crimes, découpés en trois chefs d'accusation[2] :

  1. « ne pas reconnaître les dieux que reconnaît la cité » ;
  2. introduire « des divinités nouvelles » ;
  3. « corrompre les jeunes gens » [3].

Contexte du procès

Le procès et la condamnation doivent se comprendre en fonction du contexte historique. Après la défaite de -404 face aux Spartiates, et le régime des Trente qui en fut la conséquence, beaucoup attribuèrent cette défaite dévastatrice à une prétendue perte des valeurs traditionnelles. Dans cette perspective, on trouva rapidement des boucs émissaires : les sophistes. On brûla, par exemple, une partie des œuvres de Protagoras. Socrate, à tort selon B. Louis, fut assimilé à l'un d'entre eux (même par Eschine, cf infra), particulièrement influent sur les consciences. C'est dans cette ambiance de chasse aux sorcières que s'engagea son procès[4].

Personnage principal de la comédie d'Aristophane, Les Nuées ((grc) Νεφέλαι), créée en -420, il apparaît, similaire à son personnage car si la caricature force le trait ou le déforme, elle ne peut être trop éloignée du modèle ; un discoureur pompeux, emphatique, hypocrite et surtout teinté de sophistique. Pour Aristophane et pour d'autres, Socrate est bien un sophiste[Note 1]. Victime du sentiment général de pessimisme et de superstition qui suit la défaite d'Athènes dans la Guerre du Péloponnèse, Socrate pâtit au moment du procès d'une mauvaise réputation et a du mal à convaincre le jury.

Socrate ne met pas son travail de philosophe à l'écrit. Cependant, son disciple Platon produit par la suite de nombreux « dialogues socratiques », avec son professeur comme personnage principal[Note 2]. La méthode socratique se trouve gêner des personnages influents de son époque, dont la réputation de sagesse et de vertu est mise à mal par ses questions[5]. Socrate attire lui-même l'attention sur la gêne de ses concitoyens que provoque sa méthode, en se décrivant lui-même comme le « taon » d'Athènes[6], la méthode socratique étant souvent imitée par les jeunes gens de la cité[7].

Les opinions politiques qu'on lui attribue et qu'ont embrassées certains de ses disciples n'aident pas sa défense. Critias, un ancien élève de Socrate, a été le leader des Trente tyrans, un groupe d'oligarques pro-Sparte qui dirige Athènes durant quelques années après la fin de la Guerre du Péloponnèse[8]. Durant cette même guerre, Alcibiade, un des principaux disciples de Socrate durant sa jeunesse, a trahi Athènes en rejoignant le camp des spartiates. De plus, d'après les portraits laissés par des disciples de Socrate, ce dernier épouse ouvertement certaines vues anti-démocratiques, estimant que ce n'est pas l'opinion de la majorité qui donne une politique correcte, mais plutôt le savoir et la compétence professionnelle, qui sont possédés par peu d'entre les hommes[9]. Platon le décrit aussi comme très critique envers les citoyens les plus importants et les plus respectés de la démocratie athénienne[10] ; il le montre affirmant que les responsables choisis par le système athénien de gouvernement ne peuvent être regardés de façon crédible comme des bienfaiteurs, car ce n'est pas un groupe nombreux qui bénéficie de leur politique, mais « un seul homme [...] ou alors un tout petit nombre »[11]. Enfin, Socrate est connu pour louer les lois des régimes non démocratiques de Sparte et de la Crête[12].

En dehors de ses idées politiques, Socrate exprime des idées religieuses non conventionnelles. Il fait plusieurs références à un esprit personnel, ou ðaïmon, même s'il affirme explicitement que ce dernier ne lui a jamais donné d'instructions, mais l'a seulement averti d'événements possibles. Nombre de ses contemporains voient dans la référence à son démon un rejet de la part de Socrate de la religion d'État. Pourtant, à la lecture des textes de Platon, il apparaît plutôt comme une sorte d'intuition. De plus, Socrate affirme que le concept de divinité, au lieu d'être déterminé par les dieux, précède la notion de déités. Cependant, de nombreux philosophes, antérieurs et postérieurs à Socrate, remirent en cause, parfois plus explicitement, la religion traditionnelle sans subir les foudres de la justice. Une fois encore, seuls le contexte historique et l'addition des divers griefs mentionnés plus haut peuvent expliquer cette exacerbation. Son système de défense provocateur a fait le reste.

Le procès de Socrate décrit par ses contemporains

La première tétralogie de dialogues, par Platon, élève de Socrate, a le procès et l'exécution de Socrate pour thème central : Euthyphron, Apologie de Socrate, Criton et Phédon. De même, Xenophon écrit son Apologie de Socrate.

Déroulement du procès

Le premier élément du procès est une accusation formelle, que l'accusateur Mélétus prononce devant l'archonte, un fonctionnaire d'État ayant principalement des responsabilités religieuses. Ayant décidé de recevoir la demande, l'archonte convoque ensuite Socrate pour qu'il paraisse devant un jury composé de citoyens athéniens, pour répondre des charges de corruption de la jeunesse et d'impiété.

Les jurys athéniens antiques sont choisis par tirage au sort, à partir d'un groupe de volontaires masculins. Contrairement aux procès modernes, les verdicts à la majorité sont plutôt la règle que l'exception (on peut trouver une satire de ces jurys dans la comédie d'Aristophane Les Guêpes).

Ni Platon, ni Xenophon ne mentionnent le nombre des juges même si Platon suggère[13] des limites claires : seuls trente votes auraient suffi à acquitter Socrate, et que moins des trois cinquièmes ont voté contre lui[Note 3].

Après le vote sur la culpabilité de Socrate, ce dernier et son accusateur suggèrent chacun une peine. Socrate, après avoir exprimé sa surprise d'avoir été condamné par une si petite majorité, propose qu'on lui offre un repas au Prytanée, un honneur immense accordé aux bienfaiteurs de la cité et aux vainqueurs des Jeux olympiques, puis propose de payer 100 drachmes, qui est un cinquième de ses biens et un témoignage de sa pauvreté. Finalement, il s'arrête sur la somme de 3000 drachmes, garantie par Platon et Criton. Ses accusateurs proposent la peine de mort.

Le jury vote pour la peine de mort, une grande majorité s'exprimant en ce sens[14] ; Socrate a peut-être perdu des soutiens de par la légèreté et l'absence de regret de son ton.

Les disciples de Socrate l'encouragent à fuir[15], et les citoyens s'attendent à ce qu'il agisse ainsi ; mais il refuse en raison de ses principes. Montrant son accord avec sa philosophie d'obéissance à la loi, il va vers sa propre exécution, en buvant la cigüe, poison qui lui est fourni. Il meurt à 70 ans.

Article connexe : Récit de la mort de Socrate.

Interprétation donnée par les Anciens

Les Athéniens antiques ne donnent pas au procès de Socrate le statut d'icône qu'il a dans le monde contemporain. Athènes sort d'une période troublée, durant laquelle un groupe favorable à Sparte, les Trente Tyrans, a mis à bas la démocratie participative athénienne et cherché à imposer des principes oligarchiques. Le fait que Critias, le chef des Tyrans, a été un pupille de Socrate, n'est pas vu comme une coïncidence. Ses amis tentent de l'excuser ; l'opinion des Athéniens est illustrée par l'orateur Eschine, qui écrit dans un discours de procès : « N'avez-vous pas poussé à la mort Socrate le sophiste, compagnons citoyens, pour avoir été désigné comme celui ayant été le professeur de Critias, un des Trente qui renversèrent la démocratie ? »

Interprétation moderne

La mort de Socrate a inspiré les écrivains, les artistes et les philosophes, de multiples façons : Pour certains[évasif], l'exécution que Platon appelle « le plus sage et le plus juste de tous les hommes » montre la règle démocratique comme peu fiable ou indésirable. C'est parce que la démocratie a tué Socrate que Platon souhaite la remplacer par un "gouvernement des philosophes". Pour d'autres[évasif], l'action des Athéniens est une défense justifiée de la démocratie récemment rétablie. En général[évasif], Socrate est vu comme une figure paternelle sage et bienveillante, martyrisé pour ses convictions intellectuelles. Cela correspond à la façon dont Platon et Xenophon le décrivent.

Sources

(en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article en anglais intitulé « Trial of Socrates » (voir la liste des auteurs)

Références

  1. Platon, Apologie, 19b, 26-27, 36-37. Xénophon, Mémorables, IV, 4, 4 ; IV, 8, 4.
  2. Platon, Apologie de Socrate, 24b c ; Xénophon, Mémorables, I, 1 ; Diogène Laërce, II, 40.
  3. Xénophon, Mémorables, I, 2, 12-47.
  4. Bernard Louis, Socrate et les sophistes, Université de Louvain, 1970
  5. Platon, Apologie de Socrate, 21d-e, 23a, 23e
  6. Platon, Apologie de Socrate 30e-31a
  7. Platon, Apologie de Socrate 23c
  8. Xenophon. Memorabilia, 1.2.29-38.
  9. Xenophon, Memorabilia 1.2.9; Platon, Criton 47c-d, Laches 184e.
  10. Gorgias 503c-d, 515d-517c.
  11. Platon, Apologie de Socrate 25a-b.
  12. Platon, Criton 52e.
  13. Platon, Apologie de Socrate, 35a-b
  14. Diogène Laërce 2.42
  15. Platon, Criton

Voir aussi

Notes

  1. Ceux-ci usent de la logique et du sophisme (exemple de sophisme : le paradoxe du fromage à trous) pour défendre une idée et son contraire. Il n'y a donc plus de certitude, tout peut être remis en question. Ils sont donc accusés de remettre en cause la société athénienne, notamment en enquêtant sur des mystères qui ne doivent pas être révélés pour finalement douter de l'existence des dieux et pour enseigner aux jeunes d'en faire autant.
  2. La difficulté est dès lors de délimiter précisément la pensée de Socrate et celle de Platon lui-même, qui s'exprime par sa bouche
  3. Ce second point peut être accepté uniquement si l'affirmation de Socrate en 35a-b implique que Mélétus seul échoue à convaincre un « cinquième » de tous les juges. Certains universitaires présument simplement que les juges de Socrate sont 500 ou 502, se fondant (probablement) sur Diogène Laërce en 2.41 ou plus généralement sur l'Athenaion Politeia aristotélicienne en 68. Mais Diogène donne non pas un nombre total, mais un décompte pour une affaire contestée. Et l'Athenaion Politeia contient un dénombrement pour une procédure d'un type du quatrième siècle, qui n'est peut-être pas en vigueur du temps du procès de Socrate. Voir P. Rhodes, 1981, Commentary on the Aristotelian "Athenaion Politeia", p. 729.

Articles connexes

Liens externes


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