Panthéisme

Panthéisme

Le panthéisme est une doctrine philosophique selon laquelle Dieu est tout, ou, par exemple dans le panenthéisme de Spinoza, nommé « acosmique » par Friedrich Hegel) tout est en Dieu [1] . Ce mot vient du grec ancien pan (πὰν: « tout » et theos (θέος) (« dieu »). Il apparaît pour la première fois en 1720 dans le Pantheisticon de John Toland[2]. Dans la philosophie occidentale, et notamment depuis Spinoza[3], le sens qui est donné à ce mot « tout » est en général identique à celui associé à la Nature, au sens le plus général de ce terme, autrement dit de « tout ce qui existe ».

The World Pantheist Movement

Le panthéisme est un naturalisme de la divinité de la Nature. Le naturalisme, au sens propre, peut être défini comme une doctrine athée[4] qui ne reconnaît d'autres principes que les lois ou forces de la Nature. Le panthéisme s'identifie ainsi, sous ce rapport, à un naturalisme déiste déterministe en cela qu'il est lié au concept de nécessité[5].

On peut comparer ce système au monothéisme transcendant en deux points :

  1. Tout ce qui est, existe non seulement par Dieu, mais en Dieu.
  2. Dieu n'est pas un être personnel distinct du monde, mais lui est immanent (en opposition, selon les métaphysiques les plus traditionnelles, au Dieu créateur et transcendant).

Il entretient certains rapports avec les courants monistes qui tentent de résoudre les deux termes d'une dualité en faisant sortir l'un des deux termes de cette dualité de l'un des deux termes en opposition.

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Sommaire

La grèce antique

Le stoïcisme

Le stoïcisme est la doctrine panthéiste et matérialiste qui prit naissance à la fin du IVe siècle av. J.-C. avec Zénon de Citium et se développa jusqu'à la fin du IIIe siècle av. J. C. On distingue :

  • l'ancien stoïcisme (Zénon, Cléanthe, Chrysippe) qui fut surtout une théorie de l'univers et une logique : il définissait la sagesse comme le « savoir des affaires divines et humaines » (Sextus Empiricus le sceptique), c'est-à-dire comme la connaissance des lois qui régissent l'univers entier et non seulement la conduite des hommes. Dans le panthéisme stoïcien, le monde s'identifie à "la nature" (physis), "un feu artiste qui procède systématiquement et méthodiquement pour engendrer toutes choses" (Diogène Laërce, VII, 156). Et "la nature" elle-même s'identifie à l'Âme du monde, c'est-à-dire à Zeus, au Dieu suprême. Quand le processus n'est pas encore en mouvement, la phusis, la Nature, Dieu, la Providence, la Raison divine sont identiques et Dieu est seul ; quand le processus cosmique se déploie, la Nature s'enfonce dans la matière pour former et diriger de l'intérieur les corps et leurs interactions (P. Hadot, Le voile d'Isis, coll. "Folio", 2008, p. 50).
  • le moyen stoïcisme (Panetius, Posidonius) ;
  • le nouveau stoïcisme (Épictète, Sénèque, Marc-Aurèle) qui est surtout une morale fondée sur l'effort et sur l'intention du bien. Mais le panthéisme s'affirme d'autant :

"Qu'est-ce que la Nature, sinon Dieu lui-même et la raison divine immanente au monde en sa totalité et en toutes ses parties ?" (Des bienfaits, IV, 7).

L'évolution du stoïcisme s'est faite dans le sens d'un passage d'une « physique » (identifiée à la théologie) de caractère panthéiste à une « morale » de caractère rigoriste.

Pline l'Ancien suit cette tendance panthéiste :

"Le monde, cet ensemble que l'on s'est plu à appeler d'un autre nom, ce "ciel", dont la voûte couvre la vie de tout l'univers, doit être tenu pour une divinité, éternelle, sans commencement comme sans fin... Le monde est sacré, éternel, immense, tout entier en toutes choses, ou plutôt il est le Tout, infini et paraissant fini, déterminé en toutes choses et paraissant indéterminé, au-dedans, au-dehors embrassant tout en lui, il est à la fois l'oeuvre de la nature et la nature elle-même" (Histoire naturelle, début).

Panthéisme acosmique et panthéisme cosmique

Les philosophes qui affirment qu'il existe une réalité divine qui préside au destin du monde, considérant par conséquent que la nature et les conditions humaines sont une manifestation de Dieu, représentent le panthéisme acosmique ou panenthéisme « tout est en Dieu ». Dieu est considéré comme l'acteur divin qui joue simultanément les innombrables rôles des hommes, des animaux, des plantes, des étoiles et des forces naturelles. Les présentations les plus typiques du panthéisme acosmique proviennent de la tradition hindoue, dont le principal représentant philosophique fut le penseur indien Sankara. Son système révèle les faiblesses de l'acosmisme : la tendance à récuser la réalité globale du fini changeant, à récuser la réalité du mal, à contester la réalité de la liberté et du hasard et à considérer la personnalité individuelle comme finalement irréelle.

Inversement, les tenants du panthéisme cosmique se réfèrent à la totalité des entités finies et changeantes, réalité à laquelle ils donnent le nom de Dieu. Dieu est simplement toutes les choses de l'univers. Tout ce qui existe est en Dieu et réciproquement.

Giordano Bruno

Le représentant même du panthéisme moderne, Giordano Bruno, se réfère très souvent à Plotin. Ce qu'il retient essentiellement chez le chrétien David de Dinant et chez le juif Ibn Gabirol, c'est l'affirmation de la divinité de la matière. Dieu est infini, et la nature matérielle qui est divine fait partie intégrante de cet infini. Le monde, dès lors, est réunifié et l'on peut affirmer valablement et que Dieu est l'infini et que Dieu est Un. La doctrine de Bruno consiste dans l'affirmation d'un monisme infiniste absolu. Dieu n'est pas distinct de l'Univers, et cet être unique et infini constitue la Substance. Plus précisément, Dieu et Univers sont deux aspects, deux points de vue sur cette réalité véritable quest l'« originaire et universelle Substance, identique pour tout » (De la cause, du principe et de l'unité, Ve dialogue). « Dans lun infini et immobile qui est la Substance, qui est lêtre », l'unité n'est pas affectée par la multiplicité des choses sensibles, qui ne sont que des modes multiformes de cet être unique, ou des apparences fugitives et la « face diverse » d'une même substance.

Bruno représente la réflexion individuelle antidogmatique. D'inspiration néoplatonicienne, il préconise de n'user que de l'expérience et de la raison pour connaître le monde.

Il écrit notamment : Expulsion de la bête triomphante (1584), De la cause, du principe et de l'unité (1584), De l'Infini, de l'univers et des mondes (1585).

Apport de Spinoza

Baruch Spinoza (16321677)

Spinoza, tout comme la plupart des auteurs qualifiés de « panthéistes » (Giordano Bruno, Friedrich Schelling notamment) n'utilisent pas ce terme. Le mot « panthéisme » a au contraire été forgé pour désigner la philosophie de ces auteurs de manière péjorative.

Les références entre parenthèses renvoient aux différentes propositions de la première partie de lÉthique.

Dans son Éthique, Spinoza affirme que le panthéisme est la seule façon logique de considérer Dieu et l'univers. Bien que le terme en question apparaisse au XVIIIe siècle, donc ait été étranger à Spinoza lui-même, il résume, quoique très grossièrement, lessentiel de la pensée de lauteur. Dieu nest pas cet être suprême, transcendant et personnel. Il est en fait impersonnel et immanent au monde, cest-à-dire quil fait partie du monde ; mieux, quil est le monde.

Les êtres, au lieu dêtre vus comme une création de Dieu, sont perçus comme une affection de la substance, une expression de Dieu. Ayant ceci en tête, on peut comprendre ce qui amène Spinoza à écrire son Éthique, et à le faire selon la méthode géométrique. On peut, puisque Dieu est la nature (relations étroites entretenues entre le panthéisme de Spinoza et le naturalisme), et non un être céleste résidant hors du monde, en faire une étude toute scientifique, avec la méthode des sciences naturelles. Tout nest donc quune seule chose, et cette seule chose, cest Dieu. La table est table avant dêtre une table rouge, et ainsi de suite.

De même, sachant quune substance est conçue par elle-même et ne dépend pas dune autre (déf. 3), deux substances nont rien de commun entre elles si elles ont des attributs différents. Spinoza ne fait quétendre ici la définition 3. Si, en effet, une substance ne dépend pas dune autre, cest quelle a son concept en elle-même, et ainsi son concept « nenveloppe pas le concept de lautre ». Les deux substances sont donc entièrement indépendantes, elles ne se connaissent pas mutuellement. Or, une chose ne peut en causer une autre si elle ne la connaît pas.

On en arrive à la question centrale, qui est la détermination des choses, cest-à-dire ce qui nous permet de distinguer une chose dune autre. Pour Spinoza, cest soit la « diversité des attributs des substances », soit « la diversité des affections des substances ». Puisquune chose ne peut exister que par elle-même, on ne peut la distinguer que par ses propres propriétés, cest-à-dire ses attributs et ses affections. Or, comme Spinoza pense l'avoir démontré, la substance vient avant laffection. Si on écarte les affections et quon se concentre seulement sur la substance en elle-même, on ne peut plus la distinguer. Si cest en revanche lattribut qui détermine la substance, on ne peut distinguer deux substances ayant le même attribut. On doit conclure quil « ne peut y avoir dans la nature deux ou plusieurs substance de même nature ou attribut » (Prop. 5). Spinoza pense avoir prouvé quune substance ne peut pas en produire une autre si elle na rien de commun avec elle. Il affirme ensuite quaucune substance, en fait, na quoi que ce soit en commun avec une autre. On peut en déduire, dans ces conditions, qu’« une substance ne peut pas être produite par une autre substance » (Prop. 6). Voilà qui conclut ce premier mouvement de largumentation portant sur la substance en tant que telle. Voyons maintenant ce qui en est de Dieu.

Si une chose ne peut être produite par une autre, cest quelle est sa propre cause. Cela implique que « son essence enveloppe nécessairement son existence » (Prop.7), donc quelle existe. Or, puisque toute substance doit être unique et quelle existe nécessairement, elle doit exister soit comme chose finie, soit comme chose infinie. Spinoza réfute toutefois la thèse de la finitude. Si une substance est finie, cest quelle est limitée par une autre de même nature qui, elle aussi, existe nécessairement. Or, Spinoza a affirmé quil ne peut y avoir deux substances de même nature. Il est donc absurde quune substance existe comme chose finie. En découle que « toute substance est nécessairement infinie » (Prop. 8). Cela inclut aussi Dieu, que nous avons décrit comme étant un être absolument infini. Or, si on admet que lessence enveloppe nécessairement lexistence, on doit aussi admettre que Dieu, substance constituée par une infinité dattributs, existe. (Prop. 11). Spinoza voit Dieu comme un être, donc dans la Nature.

Toutefois, Spinoza réserve aux sceptiques une preuve plus soignée. Il souligne quon ne peut prouver que Dieu existe en se référant à une autre chose car, nous lavons vu, deux choses différentes ne se connaissent pas lune lautre. On ne peut non plus infirmer son existence, pour les mêmes raisons. On doit donc expliquer Dieu par sa propre nature. Or, démontrer que Dieu nexiste pas en utilisant des notions contenues dans sa substance est absurde. Cela reviendrait par exemple à montrer quune table nexiste pas en utilisant sa couleur ou sa solidité comme argument. Le but de ce second mouvement est atteint : nous sommes parvenus à une définition de Dieu et à une preuve de son existence. Tâchons maintenant de conjuguer à cela ce que nous avons dit de la matière.

Dieu, qui existe par sa nature même, est indivisible. Cest le cas pour toute substance absolument infinie, quon ne peut considérer autrement. En effet, imaginons que cette substance soit divisible. Dans un cas, les « morceaux dinfini » retiendraient les attributs de leur état dorigine (non divisé) et on aurait plusieurs infinis. Or, nous lavons démontré, on ne peut concevoir deux substances ayant les mêmes attributs. Dans lautre cas, la substance infinie ne serait plus et, ayant démontré que Dieu existe bel et bien, cela est impossible. Dieu existe, il est infini et indivisible. Mais sil est infini, cest quil possède tous les attributs possibles. Il est donc parfait, au sens classique du terme, puisquil contient nécessairement plus dêtre que toute autre chose. Toute substance doit donc sexpliquer par un des attributs de Dieu. Mais cela est absurde car il ne peut y avoir deux substances possédant les mêmes attributs. De plus, une substance ne peut sexpliquer que par elle-même. La seule solution est dadmettre que rien nexiste en dehors de Dieu. Si quelque chose pouvait être conçu en dehors de Dieu, cette chose devrait être conçue comme étant existante. Comment pourrait-elle alors exprimer une essence puisque toutes les essences demeurent en Dieu ? Cette substance hors de Dieu naurait donc pas dattributs, et puisque les attributs définissent la substance, ne pourrait exister. Or, nous avons démontré que toute substance existe nécessairement. On ne peut donc penser aucune substance en dehors de la substance divine. Il ny a dans la nature quune seule substance, qui est Dieu, et qui possède tous les attributs.

Le panthéisme de Spinoza a été rapproché et comparé avec la théorie de l'Unicité de l'Être (Wahdat al-Wujû) présentée dès la fin du 12ème et début du XIIIe siècle par Sadr al-Dîn al-Qûnawî, disciple et beau-fils d'Ibn Arabî, philosophe arabe en Andalousie.

En septembre 1785 Friedrich Heinrich Jacobi fit paraître Lettres à Moses Mendelssohn sur la philosophie de Spinoza. Il révélait qu'au cours d'une conversation de juillet (?) 1780 avec Lessing (qui meurt en 1781), celui-ci lui avait déclaré : "Έν καì Πãν [Hen kai pân : Un et Tout: je ne sais rien d'autre. (...) Il ny a pas dautre philosophie que la philosophie de Spinoza." Jacobi, lui, s'opposait au spinozisme, qui tient la liberté pour une illusion, et qui, surtout, aboutit à l'athéisme, comme, d'ailleurs, le rationalisme. Les positions étaient prises : Aufklärung (la Philosophie des Lumières, rationaliste, représentée jusqu'alors par Lessing) contre Schwärmerei (irrationalisme, illuminisme attribués prestement à Jacobi). La querelle du panthéisme dura de 1785 à 1815 au moins, elle fit intervenir Moses Mendelssohn, Kant, Herder, Fichte, Schelling.

Bibliographie

Citations

« … il en va de même pour lêtre un et suprême, en qui lacte ne diffère pas de la puissance, qui peut être tout absolument, et qui est tout ce quil peut être ; sous le mode de la complication, il est lun, limmensité, linfini (…) ; sous le mode de lexplication, il se trouve dans les corps sensibles, ainsi que dans la puissance et dans lacte que nous y voyons distingués. »
« Une religion vieille ou nouvelle, qui a souligné la magnificence de l'univers comme révélé par la science, pourrait être capable d'avancer des réserves de révérence et de crainte rarement captée par les fois conventionnelles. Tôt ou tard, une telle religion apparaîtra. »
« Je crois au Dieu de Spinoza qui se révèle lui-même dans l'harmonie ordonnée qui existe, pas en un Dieu qui se soucie du destin et des actions des êtres humains. »
« Pour moi, ce n'est pas un Dieu personnifié, mais un principe panthéiste omniprésent dans la Nature […] Je parle d'un principe créateur qui règle l'univers à son début, non d'un Dieu personnifié. »

Notes et références

  1. G.W.F.Hegel, Vorlesungen über das System der Philosophie, 1828, pp.254-260
  2. Dictionnaire des philosophes sous la direction de Denis Huismans, p. 2523, PUF, 1984
  3. Ethique, dans son introduction
  4. Encyclopédia universalis, article Naturalisme
  5. Spinoza op.cit et Henri Atlan, Les étincelles de Hasard, tome 1

Voir aussi

Articles connexes


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