Méliton de Sardes

Méliton de Sardes

Méliton de Sardes est un auteur et apologète chrétien de la seconde moitié du IIe siècle. Évêque de Sardes en Lydie, en Asie mineure, c'est un des plus renommés apologistes grecs de la période, entretenant des polémiques et des controverses avec les païens. Il est également attesté comme l'un des premiers auteurs[1] à porter à l'encontre des Juifs l'accusation d'avoir « tué Dieu », même s'il n'emploie pas littéralement l'expression de « peuple déicide », marquant une étape d'importance dans l'histoire de l'antijudaïsme chrétien.

Dans son Homélie de Pâques, il est l'un des premiers prédicateurs à formuler la théologie de la substitution. Par exemple, selon Méliton, la Pâque juive n'a plus lieu d'être après la venue du Christ. De même, l'Ancien Testament n'est qu'un prologue, une « préfiguration », du christianisme. En d'autres termes, l'Église chrétienne remplace le judaïsme. De surcroît, lorsqu'il accuse les Juifs d'être les assassins de Dieu, ce prétendu crime (qui sera réfuté par le concile de Trente) est selon lui la cause de la destruction de Jérusalem, de la diaspora et des humiliations de ce peuple qu'il juge coupable.

Sommaire

Indications biographiques

Méliton est un auteur chrétien, évêque de Sardes, dont les écrits datent des années 160-180 de notre ère. Il est possible qu'il soit originaire d'une communauté de quartodécimans, des chrétiens d'origine juive qui continuent à célébrer la fête de la Pâque suivant le calendrier judaïque[2].

Méliton est le premier Père de l'Église à se rendre en pèlerinage sur les lieux mêmes de la vie terrestre de Jésus de Nazareth, à Jérusalem, pour effectuer des recherches sur la Bible hébraïque, vers 170[3].

Opposé aux monophysites, il défend fermement la nature humaine du Christ[réf. nécessaire]. La légende raconte que Méliton s'est volontairement fait eunuque pour gagner le Royaume des cieux.

Œuvres et doctrine

Son œuvre littéraire, bien qu'on en connaisse la liste complète grâce à Eusèbe de Césarée et à Jérôme de Stridon, n'a longtemps été connue que par des fragments complétés à présent par des papyrus et des traductions abrégées en latin, syriaque et copte.

C'est dans la préface d'une de ses œuvres transmises par Eusèbe[4] que sont mentionnés pour la première fois dans la littérature chrétienne les « livres de l'Ancien Testament » dont il donne ensuite une liste qui constitue la première énumération connue[5] dans laquelle ne figurent pas, entre autres, le Livre d'Esther ni celui de Néhémie.

On lui attribue faussement nombre d'ouvrages, dont le Transitus Mariæ, document du VIe siècle également appelé Pseudo-Méliton. Ce livre connaît une grande diffusion en Occident et constitue le texte le plus courant du récit de la dormition et de l'assomption de Marie de Nazareth[6].

L'Apologie

Cette œuvre adressée à l'empereur romain Marc Aurèle est connue par trois fragments cités grâce à Eusèbe de Césarée. Dans les deux premiers fragments, Méliton se plaint des vexations et spoliations infligées aux chrétiens d'Asie, probablement à la suite d'un raidissement des autorités après la révolte d'Avidius Cassius contre l'empereur en 175, dont il déplore un ordre injuste[7]. Dans le troisième fragment, il construit, dans une audacieuse démonstration idéologique, une véritable synchronisation du christianisme et de l'Empire romain pour souligner la concomitance de leur apparition. Méliton affirme ainsi que les intérêts de l’Empire romain et du christianisme sont convergents dans ce qui peut être lu comme une première théologie de l'empire chrétien : les seuls empereurs qui, selon la tradition chrétienne, persécutèrent les chrétiens au Ier siècle, Caligula et Néron, sont reconnus comme mauvais par les Romains eux-mêmes, et les prédécesseurs de Marc Aurèle ont par la suite stigmatisé la délation[8].

Il pense que l'Empire connaît un véritable épuisement religieux. Il met en avant le formalisme religieux des cultes polythéistes et de la religion officielle, qu'il met en parallèle avec la foi profonde, le comportement exemplaire et les exigences morales des chrétiens de son temps. En outre, il a fait preuve d'une grande opposition au gnosticisme. Il avance l'idée que l’Empire ne peut durer si sa population a perdu toute foi et si sa morale ne tient qu’à une habitude ou à des philosophies naturelles comme le stoïcisme. L’Empire et le christianisme doivent donc s’allier, le premier fournissant le pouvoir politique, l’administration et la sécurité, le second une « philosophie » (sic), une régénérescence morale et l’appui de Dieu.

Ce plaidoyer n'a pas de conséquences immédiates mais préfigure ce qui se déroulera à partir du règne de Constantin Ier : cette proposition servira de fondement à l’établissement d’une théologie de l’empire chrétien qui sera suivie par Lactance et Eusèbe de Césarée au IVe siècle.

L'Homélie de Pâques

L'Homélie de Pâques attribuée à Méliton[9] est un texte qui dénote pour l'époque par son agressivité à l'encontre des Juifs. Elle relève d'un style rhétorique marqué par les artifices formels, relevant de l'asianisme du IIe siècle et s'apparentant à la seconde sophistique.

Dans une violente invective, Méliton de Sardes y accable la nation juive : la Pâque juive n'a plus de sens après la venue du Christ envers lequel Israël est accusé d'ingratitude, d'être responsable d'un délit « inouï » : le Dieu est mis à mort, le Roi des Juifs est condamné par la main droite d'Israël[10], crimes dont a résulté la destruction d'Israël et de Jérusalem[11] dans une argumentation qui se prolongera par la suite dans toute une tradition chrétienne du châtiment « mérité » et de la culpabilité du peuple juif. L'influence du texte de Méliton restera perceptible à travers les Improperia (les reproches adressés aux Juifs) figurant jusqu'à une époque récente dans la liturgie catholique du Vendredi Saint[12].

L'origine de cette argumentation antijudaïque a pu se fonder dans la concurrence vive à cette époque en Asie Mineure entre la communauté juive et la communauté chrétienne dont le prosélytismes respectifs se concurrencent auprès des païens attirés par les pratiques et les croyances du judaïsme[13]: ainsi la puissante communauté juive pharisienne de Sardes est-elle concurrente dans la course plus globale à la récupération de l'héritage judaïque que chacun revendique exclusivement, tandis que le christianisme en formation revendique la continuité avec le véritable Israël et l'authentique compréhension de la Bible[14]. Certains auteurs pensent que l'antijudaïsme de Méliton relèverait plutôt d'un antimarcionisme[15].

L'historien Simon Claude Mimouni voit avec ce texte la marque de la séparation définitive des communautés chrétiennes et pharisiennes entamée au début du même siècle[16].

Références

  1. Antérieur de quelques années, Justin de Naplouse écrit dans son Dialogue avec Tryphon (133, 3), en s'adressant aux Juifs : « Maintenant encore, en vérité, votre main est levée pour le mal ; car, après avoir tué le Christ, vous n’en avez pas même le repentir ; vous nous haïssez, nous qui par lui croyons au Dieu et Père de l’univers, vous nous mettez à mort chaque fois que vous en obtenez le pouvoir ; sans cesse vous blasphémez contre lui et ses disciples, et cependant tous nous prions pour vous et tous les hommes sans exception. »
  2. Simon Claude Mimouni, Pour une histoire de la séparation entre les communautés "chrétiennes" et les communautés "pharisiennes" (ca 70-135 de notre ère), in Theo L. Hettema et Arie van der Kooij (dir.), Religious polemics in context : papers presented to the Second International Conference of the Leiden Institute for the Study of Religions (Lisor) held at Leiden, 27-28 April, 2000, éd. Uitgeverij Van Gorcum, 2004, p. 319, note 34, extrait en ligne
  3. Robin Lane Fox, Paï̈ens et chrétiens: la religion et la vie religieuse dans l'Empire romain de la mort de Commode au concile de Nicée, éd. Presses Universitaires du Mirail, 1997, p.493 extrait en ligne
  4. Histoire ecclésiatique, IV, 26, 13-14
  5. Martin Rose, Une herméneutique de l'Ancien testament: Comprendre, se comprendre, faire comprendre, éd. Labor et Fides, 2003, p. 29-30, extraits en ligne
  6. Simon Claude Mimouni, Dormition et assomption de Marie: histoire des traditions anciennes, éd. pp. 264-276 extraits en ligne.
  7. Ernest Renan, Marc-Aurèle ou la fin du monde antique dans <
  8. Claudio Moreschini et Enrico Norelli, Histoire de la littérature chrétienne antique grecque et latine, Vol. 1., éd. Labor et Fides, 2000, pp. 174, extrait en ligne
  9. Quoique discuté par certains, comme Pierre Naudin, ce point est largement admis par la majorité des chercheurs.
  10. Homélie de Pâque, 73-93. ΜΕΛΙΤΩΝΟΣ ΠΕΡΙ ΠΑΣΧΑ, § 96 : « Ὁ θεὸς πεφόνευται. Ὁ βασιλεὺς τοῦ Ἰσραὴλ ἀνῄρεται ὑπὸ δεξιᾶς Ἰσραηλίτιδος. » ; De pascha, P. Beatty 12, P. Bodmer 13, P.Oxy 1600, texte grec en ligne
  11. Homélie de Pâque, 94-99
  12. Claudio Moreschini et Enrico Norelli, Histoire de la littérature chrétienne antique grecque et latine, Vol. 1., éd. Labor et Fides, 2000, pp. 173, extrait en ligne.
  13. Simon Claude Mimouni, Pour une histoire de la séparation ..., op. cit., pp.319-320 extrait en ligne
  14. Claudio Moreschini et Enrico Norelli, Histoire de la littérature chrétienne antique grecque et latine, Vol. 1., éd. Labor et Fides, 2000, pp. 174, extrait en ligne
  15. Simon Claude Mimouni, Pour une histoire de la séparation ..., op. cit., p.319, note 35, extrait en ligne
  16. Simon Claude Mimouni, Pour une histoire de la séparation ..., op. cit., p. 320, extrait en ligne.

Bibliographie

Éditions de Méliton

Études et travaux

  • Jean-Pierre Laurant, Symbolisme et Ecriture : le cardinal Pitra et la "Clef" de Méliton de Sardes, éd. du Cerf, 1988 [2]
  • Ernest Renan, Marc-Aurèle ou la fin du monde antique dans [3]
  • (en) A.T. Kraabel, Melito the Bishop and he Synagogue at Sardis : Text and Context, in D.G. Mitten et al, Studies Presented to George M.A. Haufmann, Mainz, 1971, pp.77-85
  • (en) Lynn H. Cohick, The Peri Pascha Attributed to Melito of Sardis : Setting, Purpose and Sources., in Brown Judaic Studies, N°327 éd. Brown University, 2000
  • (en) Henry M. Knapp, Melito's Use of Scripture in Peri Pascha : Second Century Typology, in Vigiliae Christianae, n°54, 2000, pp.343-374
  • Reidar Aasgaaar, Among Gentiles, Jews and Christian. Formation of Christian Identity in Melito of Sardis, in Richard S. Ascough (dir.), Religious rivalries and the struggle for success in Sardis and Smyrna, éd. Wilfrid Laurier University Press, 2005, pp. 156-174, extrait en ligne

Annexes

Articles connexes

Liens externes


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