Le Silence des armes

Le Silence des armes
Le silence des armes
Gandhi pendant 'la marche du sel'
Gandhi pendant 'la marche du sel'

Auteur Bernard Clavel
Genre Roman
Pays d'origine Drapeau de France France
Éditeur Robert Laffont
J'ai lu en 1977
Pocket en 2004
Date de parution 1974
Nombre de pages 425
ISBN 9782221006023
Chronologie
Le Seigneur du fleuve
L'homme du Labrador

L'écrivain et romancier Bernard Clavel publie successivement au début des années 1970, Le Silence des armes puis deux autres ouvrages, Lettre à un képi blanc, réponse à ses détracteurs, et Le massacre des innocents, fruit de son combat en faveur des enfants victimes de la guerre ou de mauvais traitements. Ils vont traduire son engagement dans sa lutte contre la violence, la haine et la guerre, lutte qu'il continuera à mener tout au long de sa vie.

Il va ainsi concrétiser dans le domaine de l'écriture son admiration pour des hommes comme Gandhi ou Romain Rolland qu'il citera à de nombreuses reprises et dont le nom revient souvent sous sa plume et ce combat qu'il va mener avec des hommes comme Edmond Kaiser le responsable de Terre des Hommes, le père Lelong, pour sauver les enfants martyrs ou menacés de famine, contre la peine de mort et avec son ami Louis Lecoin aux côtés des objecteurs de conscience, Louis Lecoin à propos de qui il a écrit : « Il portait le monde en son cœur et cest en regardant au-dedans de lui quil en avait la vision la plus sensible, la plus chargée daffection[1] ».

Sommaire

Introduction

Dans la période 1970-75, Bernard Clavel poursuit son évolution, lui qui avait tant admiré son oncle capitaine dans les bataillons dAfrique, vers un pacifisme militant qui le mènera à combattre aux côtés des déshérités et à défendre les objecteurs de conscience.

Sur le plan de l'écriture, son engagement va se traduire par la publication de trois ouvrages :

- Un roman Le silence des armes, dénonçant la guerre dAlgérie, la torture et la 'pacification' musclée, à travers la révolte de Jacques Fortier, un engagé qui refuse de retourner se battre en Algérie ;

- La publication de ce roman suscitera une vive polémique et une réponse dun caporal de la Légion étrangère, à laquelle Bernard Clavel répondra lui-même dans un livre intitulé Lettre à un képi blanc;

- Sa rencontre à Lausanne avec le responsable de lorganisation humanitaire Terre des Hommes et leurs échanges épistolaires que Bernard Clavel transcrira dans un ouvrage intitulé Le massacre des innocents.

Chacune de ces trois œuvres reprend comme en écho les thèmes qui y sont développé quand, par exemple dans Lettre à un képi blanc, il lance ce cri repris inlassablement dans Le massacre des innocents : "Mais en ce monde, trop denfants sont morts que des hommes ont volontairement privé de cette lumière".

Ses romans les plus récents sont eux-aussi pleins de cet engagement contre la guerre, de Brutus, un roman paru au début des années 2000, qui se passe à une époque les Romains persécutaient les chrétiens dans tout lempire, « Les Romains continuent de tuer, de piller et dincendier […] Alors partout le sang coule, le sang des innocents", jusqu'à Les Grands Malheurs il stigmatise le massacre des guerres mondiales du XX ème siècle et dénonce l'arme nucléaire ».

Le Silence des armes

Présentation

Guerre d'Algérie 1960

De tous les romans que Bernard Clavel a écrits en dénonçant la violence et la guerre, celui-ci est le plus fort, ayant suscité le plus de réactions. Ses détracteurs ne s'y sont pas trompés qui l'ont attaqué avec véhémence, pugnacité à laquelle l'écrivain a répondu avec une grande sérénité dans sa Lettre à un képi blanc.

Ici s'affrontent deux conceptions, deux attitudes devant la vie : celle des 'va-t-en-guerre' à la Déroulède qui prônent la violence ou lui cèdent par faiblesse, celle de ceux qui refusent le recours à toute forme de violence, Romain Rolland et Jean Giono qu'il cite dans son livre ou son ami le pacifiste Louis Lecoin auquel il rend hommage et à qui il dédie son roman.

La mémoire du caporal Jacques Fortier se fige dans les images insoutenables qui le submergent inopinément, quand « un commando... débusquant à coups de bottes et de crosses les habitants. » Son village jurassien lui rappelle « ces villages algériens dont il ne restait sous le soleil que quelques pans de murs noircis. Des ruines. Des ruines recouvrant parfois des cadavres de bêtes, d'hommes, des femmes ou d'enfants. » Las-bas, « un vent fou attisait les incendies, soufflant des villages entiers sur des enfants innocents. » Tous ces enfants dont il évoquera le calvaire dans Le massacre des innocents. Des images d'une sauvagerie telle que Jacques ne peut se pardonner son aveuglement.

Château-Chalon : village se situe le roman

Ce roman est traversé de lourds silences qui le parcourent, qui donnent toute leur ampleur au vent et à la pluie, à la fureur des éléments qui vaut bien celle des hommes. Au silence des armes répond d'autres silences qui marquent le temps dans ce village du Revermont jurassien près de Lons-le-Saunier, selon les saisons, « ici, c'était toujours le calme et le silence » quand « il y eut un long moment de ce silence tout vivant des mille cris de la terre et du village » avec des pauses troublantes quand « la reculée invisible grondait sourdement avec par intervalles, des silences oppressants. »

Densité du silence quand la voix de sa mère « résonne dans le silence de la cuisine » ou silence ténu, celui de « la respiration des choses endormies. » Jacques se souvenait que « la mémoire des vivants est une plaque sensible », des colères de son père qui voulait « imposer silence aux imbéciles », d'un silence si chargé de secrets.

En tout cas, « entre son orgueil et celui de son père, le silence s'était installé. » Le silence soppose ainsi au fracas des armes dominé par cette question obsédante : « Était-il donc nécessaire que chaque génération connût sa guerre pour que les hommes en sentent labsurdité ? »

Contenu et résumé

Reculée de Beaume

Après un séjour en Algérie et quelques séquelles de la guerre qui sy déroule, le caporal Jacques Fortier revient chez lui, dans son Jura natal, pour passer quelques semaines de convalescence. Cest lenfant prodigue qui revient, celui qui a laissé ses parents, sa terre, et pour cette raison dans le village, on lui en veut, peu semble avoir approuvé son engagement.

Maintenant, tout est à labandon, la maison et les vignes, sa mère est morte pendant quil était '-bas', il se retrouve seul, juste avec son ami Désiré Jaillet et sa femme Yvonne, avec cette maison quil a vendue mais dont il ne parvient pas à se détacher. Ce qui le porte, ici, dans le jardin quil essarte, arrache les ronciers qui le rongent, dans la maison quil aère, dans le souffle du vent qui sengouffre dans la reculée de 'La Pionnerie', cest le souvenir de ce père pour qui toute vie était sacrée, même celle dun petit oiseau comme le traqueur rieur, ce père dont lui, le fils, sest engagé dans larmée.

En haut du village sur le plateau, « il retrouvait sa terre. Il en avait conscienceil se sentait fort et lucide comme il ne lavait jamais été. Aujourdhui, il était devenu un autre homme. » Jacques nettoyait les extérieurs avec rage et les paroles de son père résonnaient encore dans sa tête quand il disait à son valet : « Ne tue rien. Cest ce qui fait léquilibre. La terre est vivante, laisse-la vivre, nom de Dieu ! » Mais parfois, surtout sur ces hauteurs, le vent se déchaîne, « à deux reprises, des courants ascendants creusèrent une tranchée aux parois mouvantes… »

Après cette embellie, vint la douche froide, lhébétude : le notaire avait tout vendu, la maison, les terres, les militaires, les morts de la guerre dAlgérie, tous le pourchassaient sur le plateau balayé par une pluie tenace. En Algérie, il a eu peur, constamment, « peur de la nuit, du grand soleil, peur en convoi, peur en patrouille […] Et ce matinil se sent soudain libéré de sa peur. De toutes les peurs. »

Gendarmes

Il sest barricadé chez lui, avec ce 'chien rouge' qui le suit partout, décidé à rester , à ne plus faire la guerre, tour à tour apaisé par les paroles du curé et de plus en plus énervé par les détonations des tirs au pigeon dargile qui sélèvent jusque chez lui. Dans laprès-midi, ny tenant plus, il ressort les armes de son oncle Émile, le militaire de la coloniale, et tire sur les tireurs qui, pris de panique, senfuient dans la campagne. Maintenant, Jacques est seul dans sa maison, barricadé avec ses armes, assiégé par des gendarmes. Il na aucune revendication à formuler, rien quun immense cri de haine contre la violence et la guerre, limmense poids à porter de ce passé qui létreint. Ils sont tous à le guetter avec leurs armes mais il le sait, il ira jusquau bout. Dans lesprit de Jacques, tout se mêle, les gendarmes qui le poursuivent et lui tirent dessus, lAlgérie et les embuscades, « il allait du même pas que le cortège des morts. »

Pas plus que le troupeau de jadis dans lhistoire que lui contait son père, il ne se résolut à fuir par le petit chemin de la 'Fontaine aux Daims' et cest ici dans lépaisseur de la forêt quenfin il rejoignit son père. Cétait sa victoire, « ce printemps de douceur plus fort que les saisons de violence et de meurtre. »

Lettre à un képi blanc

Si pour le caporal Mac Seale, le pacifisme est synonyme de lâcheté, pour Bernard Clavel il dépasse la naïveté de lenfance, aussi respectable que ce que Camus appelle « la sordide et gluante fraternité devant la mort militaire ». Restent surtout les souvenirs les plus heureux, la nostalgie et un certain romantisme, ce que note Jean Guéhenno : « On ne revient pas de certaines impressions de lenfance. Elles marquent la couleur de lâme. » Lenfance de Bernard Clavel a été marquée par les récits héroïques de son oncle militaire, auquel il fera ensuite allusion dans son roman Quand jétais capitaine et figure centrale dun autre roman Le Soleil des morts. « Sidi-bel-Abbès, caporal, quel nom ! Et comme il éclatait de soleil et de joie dans les récits de nos oncles… »

Pour se 'désintoxiquer', il lui faut longtemps, « une longue marche forcée » pour résister aussi à cette violence qui lhabite. Elle nest, dit Pierre Mac Orlan « quun grand monument élevé à la misère des hommes » et il ajoute que la guerre lui « apparaît comme une maladie contagieuse, comme la peste, le typhus et la lèpre[2] ».

Toute guerre charrie sa cohorte destropiés et de morts, les rivières de larmes des veuves et des orphelins, avec la mise en scène des 'héros' aux noms gravés sur des monuments ou alignés dans des cimetières militaires comme celui de Montluel près de Lyon dont nous parle Bernard Clavel. Raison et déraison. « La mort militaire est toujours une défaite de la raison. Une défaite de lhumain[3]. »

Laventure que certains voient dans la guerre est encore bien vivace, « moi jai le goût de laventure et la guerre en est une » affirme lun deux. En 1940, Bernard Clavel lui-même défend encore cette idée lors de la débâcle. Il était alors jeune, malléable et comprend ceux qui ont suivi un autre chemin. Au maquis dans le Jura, il fait 'ses universités', assistant aux tortures dun nommé Jacquot quil connaissait un peu[4]. La torture, question essentielle mais « si lon accepte la guerre, il faut que ce soit dans sa totalité » et il ajoute en faisant allusion à son action avec Terre des Hommes, « jai tenu dans mes bras trop denfants mutilés ou brûlés pour entendre encore parler de guerre propre sans minsurger. » Et de conclure : « Moi, je nentre pas les détails, cest le droit à la guerre que je vous refuse[5]. »

Gandhi en 1942

Il cherche les raisons de cet engagement pour larmée et la guerre, cite Bonnecarrère qui pense que les hommes espèrent ainsi sévader de la médiocrité, se transcender à travers le mythe du culte du héros. Pour Bernard Clavel, « le crime de guerre est un pléonasme » et tout soldat, pas seulement un général comme La Bollardière, devrait avoir le droit de se retirer et de se déclarer objecteur de conscience comme dans son roman Le silence des armes. Même le procès de Nuremberg et la notion de crime contre lhumanité ont failli à imposer une structure internationale pour mettre la guerre hors la loi. Selon lui, seules la non-violence et la résistance passivecomme la grève générale à Amsterdam en 1941 pour empêcher les déportations- seraient vraiment efficaces. Mais le mal est si grave, les gens si conditionnés que lespèce humaine est « menacée par ses propres découvertes » et quelle souffre « dune maladie de cœur[6]. »

Nous vivons toujours le combat millénaire entre ceux qui construisent et ceux qui détruisent, le maçon et le guerrier. Lobjecteur de conscience est considéré comme un mauvais français et un couard mais, bien que cette réalité reste cachée, taboue, nul soldat dans le combat ne peut nier la peur qui la étreint. Cette terrible réalité, Gabriel Chevallier la évoquée dans son livre La Peur, écrivant « jai honte de la bête malade […] jai une peur abjecte. Cest à me cracher dessus. » Après la parution du livre, il fut particulièrement décrié, « la peur et la honte du sang répandu étaient pourtant ce quil fallait retenir dabord de ce carnage[7]. » La peur prend avec larme atomique une dimension nouvelle, « tout risque de craquer, caporal » annonce-t-il à Mac Seale et presque personne na le courage de dénoncer cette situation. Quand monsieur Edmond Kaiser[8], responsable de lorganisation Terre des Hommes, a demandé à lOMSqui soccupe pourtant de la santé du monde- de condamner les essais nucléaires français, il na reçu quune réponse dilatoire. On doit vivre avec la menace atomique, une bombe tombée dun avion comme cest arrivé sur les côtes espagnoles[9]. Puisque le caporal Mac Seale sest permis de citer le nom de Louis Lecoin, Bernard Clavel en profite pour lui rendre hommage, reconnaître ce quil lui doit et quil a toujours œuvré pour la justice et la paix et risqué sa vie pour défendre les objecteurs de conscience.

Peu de soldats sont de vrais volontaires, la plupart marchent au combat, contraints, redoutant le peloton dexécution. Le vrai courage, cest celui de Louis Lecoin et disait Jaurès : « Lhumanité est maudite si, pour faire preuve de courage, elle est condamnée à tuer éternellement. » Bernard Clavel, est très critique à légard de lhistoire de France, « notre sinistre premier empire », les revanchards Barrès et Déroulède dont sa mère chantait les chansons patriotiques, mais la patrie nest quillusion puisque chacun en a sa propre définition. Cette illusion a parfois abouti à de terribles manipulations allant jusquà désigner les juifs comme boucs-émissaires.

Hans Balzer, lennemi rencontré pendant la guerre dans une caserne de Carcassonne devient un ami quelque vingt ans plus tard, un complice à travers lœuvre de Romain Rolland. Tous deux, ils sélèvent contre ceux qui admettent « la fatalité de la guerre, plus forte que toute volonté[10]. » Mais se demande-t-il avec scepticisme, « qui sattarde encore aujourdhui à lire Au-dessus de la mêlée ? Je nai trouvé que très peu de bibliothèques qui aient inscrit ce chef-dœuvre à leur catalogue[11]. »

Service civil


« Jaimerais, dit Bernard Clavel à son interlocuteur à propos de la patrie, que mon amour nentame pas ma lucidité. » Il confesse être un homme de paradoxe. Sa 'boîte aux souvenirs' renferme « bon nombre de képis blancs. » Portrait contrasté dune famille les mythes bellicistes tendaient à se transmettre entre générations. Il nous conte lhistoire de cet industriel enrichi par la guerre, ses remords après la mort de son fils tué en 1940 et qui ne condamnera jamais la guerre. Un homme incorrigible qui deviendra le héros de son roman Les Roses de Verdun.

Le nœud du problème, cest que chacun soit capable dassumer la non-violence « sil veut exiger dun gouvernement quil sengage sur le chemin de la paix. » Il rappelle le message du Christ, son refus de la violence et de la vengeance, le sacrifice des premiers chrétiens dont il contera lépopée le long du Rhône dans son roman Brutus.

Tant que des ferments de haine peupleront les cœurs comme dans celui de la fille du général Dayan, la paix ne pourra progresser. Pour pouvoir dominer les tendances du mal, il faut beaucoup de constance et de pugnacité et, comme le rappelle Bernard Clavel dans cette citation empruntée à son ami Jean Giono : « Quand on na pas assez de courage pour être pacifiste, on est guerrier[12]. »

Le massacre des innocents

Vue de Lausanne

Ce texte, énorme cri dhommes qui se battent et de débattent pour sauver à travers le monde autant denfants quils peuvent au sein de lorganisation Terre des Hommes, est bâti en deux grands parties :

- Un exposé de Bernard Clavel sur sa rencontre avec le responsable de Terre des Hommes à Lausanne (Edmond Kaiser), celui qui préfère quon lappelle lOMBRE, Massongex la maison de lespoir, la lutte quotidienne contre la guerre et la mort, les moments de joie, de peine, de désespoir et de révolte.

- Des extraits du dialogue épistolaire entre Bernard Clavel et lOMBRE.

Le massacre des innocents

« Bien avant de te connaître, écrit Bernard Clavel, je savais que notre existence est faite de découvertes, quelle est conditionnée par des rencontres. » Rencontre avec des hommes qui ne sont pas des maîtres à penser mais des maîtres à vivre, des êtres sans ambitions qui œuvrent dans lombre, patiemment, en sachant le chemin quil faut parcourir. Un long chemin. Ces hommes quil chérit, ce sont dabord Louis Lecoin, le pasteur Martin Luther King et le mahatma Gandhi, les compagnons de route comme les appelait Romain Rolland[13].

La découverte pour Bernard Clavel, cest « un certain dimanche de janvier (qui) a creusé sa place dans ma mémoire ». Pour lui, la civilisation signifie aussi « tout avoir à portée de sa main, ne rien avoir à portée de son cœur «  Il faut sans cesse lutter contre lindifférence, contre linsensibilité car cest de cela que meurent les enfants. Parler de la goutte deau dans locéan est révoltant car « lorsque chaque goutte deau est un enfant, en sauver une seule est important ». La clé de tout est de « se répéter sans cesse que cette goutte deau est TON enfant ». Votre enfant, « imaginez-le deux jours sans mangerou quil se brûle la main ». Pensez aussi à Amadou le fils adoptif de lOMBRE, privé de ses mains et qui, plein despoir et de vie, attend ses prothèses. Un bel exemple pour tous les anonymes qui ont subi le même genre de violence, de tortures, dans un monde qui « fabrique et consomme la nourriture, les bombes et les enfants à la même cadence[14] ».

Bernard Clavel pense à un peintre quil aime et connaît bien, Bruegel et au tableau Le Massacre des Innocents, miroir lui aussi de son époque, qui en montre labsurdité et le fait quelle se nourrit des progrès de la science. Il pense également à son ami Louis Lecoin qui, enfant, a suivi la mort lente de sa mère, lui soulevant avec terreur une paupière pour sassurer quelle vivait toujours. Souffrance et solitude. Il sinterroge sur limpact de ce texte qui lui a tant coûté : « Est-il possible quune communication réelle sétablisse entre le filet dencre que je laisse courir sur le papier et ce que les hommes ont en eux de plus secret, de mieux protégé ».

Terre des Hommes

Le responsable de Terre des Hommes dresse un terrible réquisitoire contre cette misère humaine quil côtoie toujours avec compassion et colère et contre tous les responsables des drames qui se déroulent sur tous les continents. Litanie des dates, surtout le Vietnam et le Biafra à lépoque, des témoignages poignants de lOMBRE sur sa terrible expérience, « la vérité absolue, cest dans les paillotes de famine, de souffrance et de mort quon les trouve ». Le premier responsable, cest la guerre et son cortège de haines car selon le père Lelong, « Oradour est un fruit poussé sur la guerre aussi naturellement que la pomme sur le pommier[15] ».

Le droit fondé sur la morale est inopérant, une imposture et leur colère, celle de lOMBRE, celle de Bernard Clavel, cest un énorme cri dindignation contre ceux qui ont voulu et programmé ces massacres denfants en Afrique, « cest un 'affamement' que lon a voulu, […] je souhaite aux responsables de crever de la pourriture quils sont ». Temps des assassins, temps des sacrifiés.

Viennent aussi les moments dabattement, de désespoir : « Á force, Bernard, à force on finit par ne plus voir que lenvers du mondela tristesse, le dénuement, un monde prostré. » La misère, même sans la guerre, semble devenir le lot commun, la famine étendant partout ses tentacules avec aux tripes la peur du lendemain. Les bons sentiments se cachent dans les replis de la charité, les anciens pauvres devenus nantis et amnésiques, les actions de charité traitées comme une publicité facile, « la grimace charitable autour de la misère, une charité qui crèverait au soleil dun univers régnerait une véritable justice ».

Action de Terre des Hommes

Le monde est ainsi, fabriquant des canons, des vaisseaux de guerre, « un vol au détriment de ceux qui ont faim », indifférent, oublieux, trop vite repris par ses soucis quotidiens. Sans parler par exemple, de la France de la colonisationLa litanie continue avec lInde et le Brésil, ce pays « de grands féodaux fastueux qui ont pour eux la loi et contre eux les réalités. » -bas, la vie des plus pauvres, les indiens, est pire que celle de lesclave qui au moins était nourri. Zones de non-droit la force brutale et le fusil sont la loi. Ceux-, « ils font partie du domaine, rien ni personne ne les protègent[16] ».

Le constat est amer et dit lOMBRE, « laide humanitaire propre, non confessionnelle, non politique, et simplement justice, nexiste au fond presque nulle part au monde. » Bernard Clavel qui dit travailler à « distraire le monde » ne vit pas toujours bien le rappel constant de lOMBRE, cet « empoisonneur de mon existence », sur les malheurs du monde et la condition dramatique dun grand nombre denfants. Cette photo dHiroshima quil regarde est pour lui le symbole de la guerre absolue, de la mort planifiée à grande échelle. (p139) Le génie de lhomme et sa technologie peuvent être utilisés pour le bien ou pour le mal, pour le bonheur ou le malheur de lhumanité. Selon le règne de la raison ou de la déraison.

La litanie des souffrances continue, du Pérou à la Corée, jusquau retour de lOMBRE à Amsterdam. Fin du voyage. Une fin qui oscille entre amertume et colère, quand le respect de la vie ne veut plus rien dire.

Suivent des témoignages, poussières prélevées au hasard dans les archives, quelques souffles despoir pour beaucoup de souffrances et dappels au secours. Suit ce message de Bernard Clavel insistant sur le fait « quil nous reste à trouver le chemin qui nous conduira directement à cette immense douleur des innocents », et nous assurant quavec quelques moyens, un peu de compassion et de bonne volonté, lavenir a encore un sens.

Notes et Références

  1. Voir son hommage à Louis Lecoin dans Le Massacre des innocents
  2. Voir Bernard Clavel Paroles de paix, Éditions Albin Michel, 2003, (ISBN 2226129235)
  3. Voir Les Travailleurs Face à L'armée, Jean Authier, postface de Bernard Clavel, Moisan Union Pacifiste De France
  4. Voir son autobiographie Écrit sur la neige, Éditions Stock
  5. Voir Écrits, Louis Lecoin, extraits de 'Liberté' et de 'Défense de l'homme', préface de Bernard Clavel,(UPF), 1974
  6. Voir Gandhi l'insurgé : l'épopée de la marche du sel, Jean-Marie Muller, préface de Bernard Clavel, Éditions Albin Michel, (ISBN 2-226-09408-3)
  7. Voir Gabriel Chevallier, La Peur, page 95
  8. Voir Edmond Kaiser, La marche aux enfants, 1979
  9. A lépoque, Tchernobyl navait pas encore eu lieu (ndlr)
  10. Voir sa lettre à son ami Hans Balzer dans Bernard Clavel, biographie de Michel Ragon, éditions Seghers
  11. Voir Stefan Zweig, Romain Rolland : sa vie, son œuvre, Belfond, Paris 2000 ; Le Livre de poche, Paris 2003
  12. Voir Jean Giono, correspondance avec Jean Guéhenno, éditions Seghers, 1975
  13. Voir Jean-Marie Muller,L'Évangile de la non-violence, Fayard, 1969, (ISBN 2-213001197)
  14. Voir Mourir pour Dacca, Claude MOSSE, préface de Bernard Clavel, éditions Robert Laffont, 1972
  15. Citation tirée de Maurice Lelong, Célébration de l'art militaire, éditions Robert Morel, 1964
  16. Voir aussi René Biard, Bagnards en culottes courtes

Bibliographie


  • Lettre à un képi blanc Commentaires
  • Louis Lecoin, Écrits, extraits de 'Liberté' et de 'Défense de l'homme', préfaces de Bernard Clavel et de Robert Proix, Union Pacifiste (UPF), Boulogne, 255 pages, 1974
  • Revue Liberté de Louis Lecoin, articles de Bernard Clavel sur le pacifisme et lobjection de conscience
  • L'Affaire Deveaux, article de Bernard Clavel, Édition Publication Première, collection Édition Spéciale, 1969
  • Les Travailleurs Face à L'armée, Jean Authier, postface de Bernard Clavel, Moisan Union Pacifiste De France, 80 paqes
  • Mourir pour Dacca, Claude MOSSE, préface de Bernard Clavel, Paris, Robert Laffont, in-8 broché, 220 pages, 1972 Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Ils ont semé nos libertés, Michel Ragon, avant-propos de Bernard Clavel, Éditions Syros, 1984
  • J'avais six ans à Hiroshima. Le 6 août 1945, 8h15, Nakazawa Keiji, précédé de La peur et la honte de Bernard Clavel,
    Éditions Le Cherche-Midi, 2005, 169 pages, 2005, (ISBN 2749104165)
  • Éditions du Silence des armes
Éditeur Robert Laffont, 425 pages Date de parution : 01/1974 (ISBN 9782221006023)
Éditeur Pocket, 352 pages Date de parution : 06/05/2004 (ISBN 2266127020)
Éditeur J'ai lu n° 742, 283 pages Date de parution : 1977 (ISBN 9782277117421)
Le silence des armes, chansons, Éditions Adès Paroles de Bernard Clavel, musique de Pierre Perret et Bernard Gérard

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