- Le Chagrin Et La Pitié
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Le Chagrin et la Pitié
Le Chagrin et la Pitié est un documentaire franco-suisse de Marcel Ophüls tourné essentiellement au printemps 1969 et sorti au cinéma à l'automne de la même année. Sous la probable pression de certains éléments du gouvernement de l'époque, l'ORTF (Office de Radiodiffusion et de Télévision Française, établissement public d'État) déclina l'offre d'achat. Pour cette raison, le film dut recourir à la sortie en salle. Il fit l'objet d'un fort engouement par le bouche-à-oreille. À l'époque, le public en France ne disposait que de deux chaines de télévision, toutes deux étatiques, et dont l'information était étroitement contrôlée par le gouvernement.
On ne peut que rapprocher cette quasi censure du fait que le président Georges Pompidou, élu en mai 1969, n'avait pas été résistant, et considérait selon ses propres termes les récits de Résistance comme des "histoires d'anciens combattants" qu'il "n'aimait pas". Il signa du reste en 1971 la grâce de Paul Touvier, ancien responsable de la Milice à Grenoble, en déclarant qu'il fallait mettre un terme aux séquelles de cette période pendant laquelle "les français ne s'aimaient pas".
L'une des farouches opposantes à la diffusion du "Chagrin et la Pitié" fut Simone Veil qui siégeait alors au conseil d'administration de l'ORTF. Dans son autobiographie "Une vie", Simone Veil déclare que confiant dans la pression médiatique et persuadé que l'ORTF avait de ce fait l'obligation morale de diffuser son film, Marcel Ophüls en avait demandé un prix exorbitant. Devant le refus, il fit une campagne médiatique de victimisation pour mieux vendre son film en salle. Par ailleurs, toujours dans cet ouvrage, Simone Veil critique sévèrement la pertinence de ce documentaire qui ne reflète pas du tout, selon elle, les réalités de cette époque.
Par la suite Marcel Ophüls réalisa en collaboration avec André Harris et Alain de Sédouy une série d'autres films documentaires sur l'Armée qui eurent moins de succès.
En partant de l'étude du cas de Clermont-Ferrand, le film dresse la chronique de la vie d'une ville de province entre 1940 et 1944. Le film élargit son propos factuel à toute l'Auvergne, mais comporte aussi des témoignages de personnalités ayant joué un rôle important pendant la Guerre (Militaires, Hommes d'État, Témoins-clés) ou ayant participé activement à celle-ci, pas forcément à Clermont-Ferrand ni même en Auvergne.
D'une durée d'environ 4 heures, le film tourné en noir et blanc, est constitué d'entretiens et d'images d'actualité de l'époque[1]. Celles-ci, présentées sans aucun commentaire, ont été réalisées sous le contrôle de la propagande du gouvernement de Vichy sauf pour l'avant dernière d'entre elles : interview cinématographique de Maurice Chevalier, s'exprimant en anglais, à destination du public américain, se justifiant d'avoir collaboré avec les Allemands, suivie d'images de la libération rythmée par une chanson joyeuse du célèbre fantaisiste, ce qui laisse à la fin le spectateur dans une situation de malaise.
Le film constitue historiquement la première plongée cinématographique effectuée dans la mémoire collective française sur la période de l'Occupation allemande au cours de la Seconde Guerre mondiale. À une idéologie qui ne faisait pratiquement état jusque là que des faits de Résistance, Ophüls permit de mettre l'accent sur des comportements quotidiens beaucoup plus ambigus à l'égard de l'occupant, voire de franche collaboration. En brisant l'image faussement unanime d'une France entièrement résistante, le film a joué un rôle important dans l'inauguration d'une phase de la mémoire de l'occupation que l'historien Henry Rousso appelle « le miroir brisé », à partir des années 1970 [2]. Ce courant de pensée sera fortement nourri par le livre de Robert Paxton, La France de Vichy publié aux Etats-Unis en 1972 et traduit en français en 1973.
Paradoxalement, bien que la déportation des juifs en soit quasiment absente ce film marque également le début de la réévaluation du rôle du gouvernement de Vichy dans celle-ci. Le fait que l'action se concentre sur Clermont-Ferrand explique en grande partie cette quasi absence, car située en zone libre, les juifs y furent certes persécutés dès 1940 par les ordonnances vichystes, mais purent pour beaucoup d'entre eux se protéger dans les campagnes auvergnates.
En France, ce film a été censuré pendant plus de 10 ans à la télévision. En effet, il donne une vision très négative d'une partie de la population française, plus tournée vers Pétain que vers de Gaulle[3]. La droite française, mais aussi le Parti Communiste Français, soucieux de mettre l'accent sur une France résistante incarnée par le général de Gaulle, a souvent tenté de minimiser la collaboration pour préserver la cohésion nationale. C'est ainsi que le film sera banni du petit écran jusqu'à l'arrivée de la gauche en 1981.
Dans le film de Woody Allen "Annie Hall" (1975) une séquence se déroule dans une salle de cinéma new-yorkais qui projette le Chagrin et la Pitié (The Sorrow and the Pity) film-culte du héros du film joué par Woody Allen lui-même.
Sommaire
Fiche technique
- Réalisateur : Marcel Ophüls
- Scénaristes : André Harris, Marcel Ophüls
- Producteur : Charles-Henri Favrod
- Date de sortie : septembre 1969
- Durée : 251 minutes
- Couleur : Noir et blanc
Distribution
La plupart des intervenants sont interviewés pendant la campagne référendaire d'avril 1969, puis de la campagne présidentielle qui s'ensuivit immédiatement. Parmi les anciens soldats allemands en garnison à Clermont-Ferrand interviewés dans le film, un seul était officier (Oberleutnant), et aucun ne semble avoir été nazi, même si leur perception de la résistance (le "maquis", les "terroristes") est forcément très négative.
- Georges Bidault, ancien ministre, ancien membre du CNR, qui venait d'être amnistié au moment du tournage du film après sa participation à l'OAS.
- Matthäus Bleibinger, ancien soldat allemand en poste à Clermont-Ferrand, blessé au moment de la libération de Clermont-Ferrand
- Charles Braun
- Colonel Maurice Buckmaster, ancien chef de la section F du Special Operations Executive pendant la guerre.
- Émile Coulaudon, "Colonel Gaspard" dans la Résistance, militant et dirigeant socialiste auvergnat après la guerre.
- Henri Danton, professeur d'histoire-géographie au Lycée Blaise Pascal de Clermont-Ferrand
- Emmanuel d'Astier de La Vigerie, journaliste, chroniqueur et homme politique français, fondateur du journal "Libération" (homonyme de l'actuel) proche du PCF, puis à partir de 1958 figure de proue du "gaullisme de gauche", décédé peu de temps avant la sortie du film
- René de Chambrun, gendre de Pierre Laval, maire et propriétaire terrien.
- Christian de la Mazière, ancien membre de Division Charlemagne, parle de son engagement militaire nazi avec une certaine autodérision, et porte dessus un regard critique mais ambigu (s'il le regrette à demi-mot, il ne le désavoue franchement à aucun moment)
- Jacques Duclos, dirigeant communiste, candidat à l'élection présidentielle de 1969 au moment du tournage du film (ses affiches de campagne sont visibles au cours de l'interview).
- Colonel R. Du Jonchay, ancien résistant "de droite"
- Anthony Eden, ancien ministre des Affaires Étrangères et Premier Ministre du Royaume Uni
- Sergent Evans
- Marcel Fouche-Degliame
- Raphaël Géminiani, ancien champion cycliste et directeur sportif
- Alexis Grave, agriculteur, résistant, déporté, militant socialiste, frère de Louis Grave
- Louis Grave, agriculteur, résistant, déporté, militant socialiste, frère d'Alexis Grave
- André Harris, interviewer (plein-champ)
- Marius Klein
- Georges Lamirand, ancien secrétaire d'État à la jeunesse du gouvernement de Vichy, en 1969 Maire de La Bourboule (Puy de Dôme)
- Pierre Le Calvez
- M. Leiris
- Claude Levy, écrivain, résistant, déporté, frère de Raymond Lévy, lui aussi écrivain résistant et déporté (auteur de Schwarztenmurtz ou l'esprit de parti, où il raconte sa participation à la résistance et son engagement au PCF)
- Pierre Mendès France, homme politique français, figure de la Gauche française jusqu'à sa mort en 1982, ancien député, ancien ministre, ancien Président du Conseil, grand résistant, officier dans l'aviation des FFL, condamné par le gouvernement de Vichy pour "désertion " (!) - il avait tenté de rejoindre l'Afrique du Nord en 1940 par le Massilia - évadé en 1941 de la prison de Clermont-Ferrand dans des conditions qu'il raconte dans le film avec beaucoup d'humour.
- Commandant Menut, ancien résistant,
- Elmar Michel
- M. Mioche
- Marcel Ophüls : l'interviewer (presque tout le temps hors champ).
- Denis Rake, opérateur radio du Special Operations Executive.
- Maître Henri Rochat, ancien résistant,
- Paul-Otto Schmidt, interprète personnel d'Adolf Hitler
- Mme Solange, "tondue" à la Libération
- Edward Spears, ancien diplomate britannique
- Helmuth Tausend, ancien officier allemand en poste à Clermont-Ferrand, interviewé en Allemagne au moment du mariage de sa fille (!)
- Roger Tounzé
- Marcel Verdier
- Walter Warlimont, ancien général allemand, blessé lors de l'attentat contre Hitler le 20 juillet 1944, condamné pour crimes de guerre par les autorités américaines à Nuremberg
Notes et références
- ↑ référence, citation ou lien
- ↑ Henry Rousso, Le Syndrome de Vichy 1944-198..., Paris, Le Seuil, 1987
- ↑ Voir cependant la théorie dite du glaive et du bouclier, qui resta répandue jusqu'en 1942
- Charles-Henri Favrod, producteur du film Le Chagrin et la Pitié en 1969.
Voir aussi
Liens internes
- Antisémitisme en France#Chronologie (sous Vichy)
- Régime de Vichy
- Collaboration policière sous le régime de Vichy
- Vie des Français sous l'Occupation allemande
Liens externes
(fr+en) Le Chagrin et la Pitié sur l’Internet Movie Database
- L'Occupation: les années noires d'hier, l'obsession d'aujourd'hui, sur le film
- Festival du film de Sydney 2001 - Collaboration et Résistance dans la France de Vichy, Le Chagrin et la Pitié de Marcel 0phuls
- (fr)Les rafles du 26 août 1942
- (fr)(en)Dossier témoignage - Histoire de la Résistance de l'Université Française de Strasbourg à Clermont-Ferrand
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