Analyse économique du droit

Analyse économique du droit

Lanalyse économique du droit (Economic Analysis of Law ou Law and Economics selon lappellation américaine) est la discipline qui cherche à expliquer les phénomènes juridiques grâce aux méthodes et concepts de la science économique. Entre la théorie juridique et la science économique, lanalyse économique du droit emprunte à ces deux disciplines pour expliquer dune nouvelle façon les phénomènes juridiques.

Sommaire

Généralités

Actuellement, lappellationanalyse économique du droit”, ouEconomie du Droitreprésente les branches conjointes des études de droit et déconomie les recherches portent sur lanalyse par les outils de la science économique des phénomènes juridiques. Par outils de léconomie, il faut comprendre principalement lanalyse coût-avantage, les concepts de coûts moyens et marginaux et plus récemment, les tests économétriques. La gamme des phénomènes juridiques étudiés va du droit civil au droit pénal, de la Constitution à la régulation publique. Principalement développée États-Unis dès les années 1960, puis exportée vers d'autres pays d'expression anglaise dans les années 1970, pays connaissant tous un système juridique de Common Law, lanalyse économique du droit a pu percer dans les pays ayant des Droits de tradition civiliste seulement à partir des années 1980.

Relations entre les disciplines

Étant donné que léconomie du droit recoupe les champs disciplinaires de léconomie et du droit, il est important de considérer les contextes dapparition de ce champ danalyse dans les deux disciplines.

Du fait du chevauchement entre le système juridique et le système politique, certains aspects de lanalyse économique avaient déjà été traités par léconomie politique et la science politique, dans une toute autre optique. En effet, on retrouve cette thématique de linteraction du juridique et de léconomique dans un grand nombre de théories économiques précédant lanalyse néoclassique dominante aujourdhui : marxisme, École historique allemande, École de Francfort, École institutionnaliste ou même certains aspects de lécole Classique.

Dans une optique plus juridique, plusieurs mouvements ont aussi réclamé une plus grande compréhension de léconomie par le droit. Le courant dit Legal Realism a ainsi insisté, à partir des années 1920 jusquaprès la Deuxième Guerre Mondiale, sur le besoin que peuvent avoir les juristes de connaître le fonctionnement des marchés et de la sphère économique pour mieux comprendre leurs propres activités, forcément biaisées selon eux. Plus récemment et en héritiers du mouvement précédent, le mouvement des « Critical Legal Studies » revendique aussi, dans une certaine mesure, létiquette danalyse économique du droit. Il ne se focalise cependant pas sur lutilisation des méthodes néoclassiques et préfèrent axer leurs recherches sur les notions de conflits, de rapports de force et de hiérarchie.

Histoire

Prémices

Dès le XVIIIe siècle, on trouve des discussions touchant aux effets économiques des textes législatifs comme dans les écrits de Adam Smith et de David Hume. Karl Marx a aussi beaucoup insisté sur la nécessité de prendre en compte les relations entre la base, lieu des rapports économiques dexploitation, et la superstructure, lieu de création des rapports juridiques et politiques reflétant et influençant à son tour la base économique.

L'analyse économique du droit (ou "économie du droit") a subi une évolution majeure au cours du XXe siècle. Elle est initialement apparue avec les travaux de certains juristes et économistes au début du XXe siècle aux États-Unis (notamment John Rogers Commons), souvent rattachés à lécole institutionnaliste américaine. L'économie du droit consistait alors, dans loptique institutionnaliste, en l'analyse des rapports entre sphère juridique et sphère économique : il s'agissait de comprendre comment ces deux sphères s'influençaient mutuellement dans une perspective extrêmement descriptive et avec un grand luxe de détails. Toujours utilisée par certains chercheurs, cette approche a néanmoins largement décliné après la seconde guerre mondiale.

Cependant, lapplication des outils de lanalyse néoclassique pour étudier le droit régulant des activités non marchandes est un fait relativement nouveau.

Développements contemporains

Ce que lon appelle aujourdhui lanalyse économique du droit provient en grande partie de deux articles publiés en 1960 et 1961, respectivement de Ronald Coase et Guido Calabresi. Larticle du premier, "The Problem of Social Cost" [1] et du second, "Some Thoughts on Risk Distribution and the Law of Torts"[2] ont des origines totalement indépendantes de par lorigine de leurs auteurs. Traitant de la résolution de problèmes dexternalités, ils offrirent une nouvelle perspective pour les juristes et les économistes de leur temps. Ils peuvent ainsi être considérés comme le point de départ de la nouvelle analyse économique du droit[3].

Donc, à partir des années 1960, l'économie du droit se transforme pour devenir une analyse économique du droit. Cette évolution trouve son origine dans les travaux de l'école de Chicago et les apports d'auteurs tels que Gary Becker, Richard Posner ou encore George Stigler. Dès lors, l'objet d'étude de l'économie du droit change : il s'agit d'analyser à l'aide des outils de la microéconomie traditionnelle la production et les conditions d'efficacité des règles de droit. Cette évolution participe au mouvement plus large que certains ont qualifié "d'impérialisme économique" et qui consiste à étendre à des domaines étrangers à la sphère économique la méthodologie de l'économie néoclassique. Il ne s'agit plus ici de comprendre comment sphères économique et juridique s'influencent mutuellement, mais plus "simplement" de s'interroger sur le processus de "production" des règles de droit (démarche positive) et sur la mise en place de règles de droit optimales au sens économique (démarche normative) [4]. Le droit devient un simple système de prix dont il faut comprendre le fonctionnement pour fixer les prix au niveau optimal pour atteindre lefficience globale du système.

Dans les années 1970, la littérature sur le sujet sest répandue grâce aux deux journaux du champ, le Journal of Law and Economics et le Journal of Legal Studies, créés respectivement par Aaron Director et Richard Posner. À la même période, Henry Manne (ancien élève de Coase) entreprit de créer le « Center for Law and Economics » pour une meilleure diffusion des idées de ce courant auprès des juges et juristes américains. Il obtint laide de la fondation John M. Olin, qui a aussi joué un rôle très important dans linstallation de ce genre de recherches dans de nombreuses américaines comme Harvard, Yale, Chicago, Stanford, Georgetown, Michigan, et plusieurs autres.

Le rôle de luniversité de Chicago

Il est à noter le rôle majeur qua eu lUniversité de Chicago dans la création de lanalyse économique du droit. Héritant dune tradition forte de pluridisciplinarité, dun cursus de droit ouvert à léconomie très tôt (avec Henry C. Simons comme professeur dans les années 1940) et dune équipe déconomistes pour le moins talentueux, cette université a été le lieu privilégié des premières rencontres, sous les auspices de lanalyse néoclassique, entre juristes et économistes. Des économistes comme George Stigler montreront aussi un vif intérêt dans le droit comme objet détude et auront la possibilité de publier dans les deux journaux mentionnés plus haut. Professeurs de droit de la concurrence (ou « Antitrust »), Edward Levi et Aaron Director ont influencés un grand nombre de juristes par leurs cours mêlant droit et économie. Ce sera Director qui fera se rencontrer les personnes les plus importantes pour le développement de ce courant : Gary Becker, Richard Posner et William Landes.

Une analyse économique du droit positive et normative

On divise souvent lanalyse économique du droit en deux branches que lon voudrait distinctes mais qui se recoupent très souvent[5]. Cependant, la distinction a un intérêt au sens elle permet de saisir les différents types dobjectifs que peut poursuivre le juriste ou léconomiste pratiquant ce genre de recherche.

Analyse positive

Lanalyse économique positive du droit utilise les outils de lanalyse économique pour décrire et prédire les effets des règles de droit sur les comportements des agents. Ainsi, on peut décrire et comparer les effets dun système de négligence contre un système de responsabilité objective et en déduire les réponses rationnelles que les agents vont produire si lun des deux modèles de responsabilité est appliqué. Dans un premier temps, Richard Posner sest fait le défenseur de ce type danalyse avant de reconnaître le penchant normatif inhérent à ses travaux. De plus, on a parfois prétendu avoir recours à ce type danalyse pour expliquer la création et le développement des règles juridiques à travers un processus de sélection tendant vers lefficience [6].

Analyse normative

Lanalyse économique normative du droit franchit un seuil méthodologique en produisant des recommandations de politiques publiques sur la base de comparaison et de calcul defficience. Au centre de ce type danalyse, on trouve la notion defficience. Sa définition la plus lâche est celle de pareto-optimalité. Une règle juridique est pareto-optimale si elle ne peut être changée sans rendre ne serait ce quune personne dans une position inférieure à celle davant le changement (cest la définition qui requiert le moins dhypothèse normative quant à sa construction). Une définition plus forte, en termes dhypothèses, est le critère de Kaldor Hicks qui autorise le changement précédent si les pertes globales peuvent être compensées (peu importe que ce soit réellement ou virtuellement) par les gains globaux.

Domaines danalyse

Les principaux acteurs du champ

Comme dit précédemment, un grand nombre de noms de lanalyse économique du droit sont associés à lUniversité de Chicago. Cela inclut les récipiendaires du prix Nobel d'économie Ronald Coase et Gary Becker, les juges de Cour dAppel Frank Easterbrook et Richard Posner et léconomiste William Landes. Un autre juge de Cour dAppel, Guido Calabresi[7] est lui à lorigine du courant dit de « New Haven », basé à lUniversité Yale. Les protagonistes plus récents sont Robert Cooter, Thomas Ulen, Richard Epstein, David Friedman, Michael Trebilcock, Louis Kaplow, Steven Shavell

Développements récents

Lanalyse économique du droit a bourgeonné en de multiples sous champs danalyse. En effet, lutilisation de la théorie des jeux, la remise en question de la rationalité humaine sur la foi d'enseignements de la psychologie cognitive (Behavioral Law and Economics) ainsi quun usage accru de léconométrie et des statistiques ont largement contribué à lexplosion du champ vers des modèles de plus en plus complexes. Un des développements le plus récent est basé à luniversité de George Mason est cherche à appliquer les principes de la neuroéconomie à lanalyse économique du droit, sous limpulsion du prix Nobel, Vernon L. Smith.

Critiques

Malgré son influence, lanalyse économique du droit a été critiquée sur de nombreux points. Puisque la plupart des recherches dans ce courant utilisent la boîte à outils néoclassique, les critiques fondamentales faites à ce modèle ont aussi été faites à léconomie du droit. Une critique récurrente est le fait que la théorie de lagent rationnel nest pas une représentation satisfaisante de la réalité par sa trop grande simplification de la nature humaine. Une autre critique souvent formulée à l'encontre de ce courant est le manque de considération pour les objectifs de redistribution que, aux yeux de certains, le droit promeut et que l'approche néo-classique relègue aux décisions politiques, analysées, du point de vue économique, par le courant de la Théorie des choix publics (Public Choice). Le courant critique le plus virulent est celui des « Critical Legal Studies », représenté par Duncan Kennedy et Mark Kelman. Ces critiques n'ont pas vraiment infléchi l'enthousiasme de nouvelles générations de chercheurs à explorer le potentiel de l'analyse économique du droit, comme en témoignent les publications toujours très nombreuses se réclamant de ce courant.

Influence actuelle

Aux États-Unis, lanalyse économique du droit est un mouvement très influent. Certaines décisions de justice font référence à des concepts empruntés à la science économique ou citent des articles liés à ce courant. Cette influence a aussi eu des effets sur lenseignement du droit puisque presque toutes les universités proposent maintenant des cours d'analyse économique du droit, voire des programmes doctoraux. Les promoteurs originaux de ce courant ont aussi eu un devenir administratif brillant en devenant pour certains juges en cour dappel.

En Europe, le mouvement a connu ses premières percées dès le début des années 1980 dans les pays germanophones et néerlandophones[8]. De , et grâce à l'action de la European Association of Law and Economics, cet intérêt s'est étendu à bon nombre d'autres pays européens. Dans les pays européens d'expression française, la réception a été plus hésitante jusqu'à très récemment, notamment en raison de réticences à lapplication de ce genre doutils à un droit codifié. La France, comparée à ses voisins, connaît peu de spécialistes de ce type d'analyse malgré la volonté affichée par certains juristes et certaines juridictions (comme la Cour de cassation) de voir appliquer de telles analyses.

Notes et références

  1. Ronald Coase, "The Problem of Social Cost", Journal of Law and Economics Vol.3, No.1 (1960) 1-44. Le numéro est en fait paru en 1961.
  2. Guido Calabresi, "Some Thoughts on Risk Distribution and the Law of Torts", Yale Law Journal, Vol. 70, No. 4 (1961) 499-553.
  3. (Richard Posner, The Economics of Justice 1983, p.4.
  4. Sur la distinction entre normatif et positif, voir plus bas.
  5. Sur la distinction entre économie positive et normative, voir les travaux fondateurs de John Neville Keynes.
  6. Sur ce type dapproche, voir les premiers travaux de Rubin et Priest, plutôt tombés en désuétude
  7. Son live de 1970 The Cost of Accidents: A Legal and Economic Analysis et ses articles publiés depuis ont eu un grand impact sur lanalyse du droit des accidents automobiles.
  8. Voir Mackaay, Ejan et Stéphane Rousseau, Analyse économique du droit, Paris/Montréal, Dalloz-Sirey/Éditions Thémis, 2008, (2e éd.), pp. 14-17.

Voir aussi

Articles connexes


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