- La bete est morte !
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La bête est morte !
La bête est morte ! est un album de bande dessinée publié en 1944. Il a été écrit par Victor Dancette et Jacques Zimmermann et illustré par Edmond-François Calvo.
La bête est morte ! raconte en deux fascicules originels la Seconde Guerre mondiale et la chute d'Hitler, sous forme de satire animalière de l'occupation.
C'est une des rares bandes dessinées réalisées sous l'occupation, avec Les Trois Mousquetaires du maquis de Marijac. L'œuvre est réalisée peu après le Blitz Wolf de Tex Avery, mais il semble peu probable que les auteurs aient pu la voir. Calvo par contre tire visiblement son inspiration des dessins animés de Walt Disney.
Certains, comme Didier Pasamonik, y voient la première BD à évoquer la Shoah[1], tandis que d'autres la considèrent comme une vision simplifiée de la réalité considérant que les victimes du régime nazi ne sont que des opposants politiques[2], la prise de conscience de ce que fut l'Holocauste n'ayant encore pas eu lieu à la sortie de cette bande dessinée. La première référence claire à la Shoah en bande dessinée date de 1955, dans une bande dessinée américaine intitulée Master Race. En France, la première évocation non-contestée de la Shoah dans une bande dessinée date de 1985.
Sommaire
Un extrait
« La défaite indiscutable, totale, décisive infligée aux Barbares par les Bisons et les Dogs après leur débarquement, le soulèvement magnifique des Lapins de notre capitale, la libération des neuf dixièmes de notre sol par les Bisons, la délivrance du pays des Lionceaux par les Dogs, l’avance foudroyante et irrésistible des Ours à travers la Barbarie, tous ces événements inouïs que nous attendons depuis plus d’un lustre et qui se précipitaient, fulgurants, en l’espace de quelques lunes, sonnaient bien le glas et la domination du Grand Loup. La Bête déchaînée – dont le règne devait durer mille ans ! était enfin terrassée après cinq années de luttes, de souffrances et de sacrifices de tous les animaux pacifiques. On devinait son agonie toute proche et déjà le régime qu’il avait instauré sentait le cadavre. »Les deux fascicules
- Quand la bête est déchaînée. « Entre Le Vésinet et Ménilmontant, dans la gueule du grand loup, au groin du cochon décoré, et sans l'autorisation du putois bavard, cet album a été conçu et rédigé par Victor Dancette et Jacques Zimmermann, et illustré par Calvo sous la direction artistique de Williams Péra. Il a été gravé et imprimé par la Néogravure, pendant le troisième mois de la Libération. »
- Quand la bête est terrassée, conçu sous l'occupation et réalisé dans la liberté, ce deuxième fascicule a été écrit par Victor Dancette sous les calmes ombrages du Vésinet, encore illustré par Calvo et « achevé d'imprimer en juin 45 avec l'espoir que la bête est bien morte ».
Des rééditions sont sorties en 1977 chez Futuropolis et en 1995 chez Gallimard. L'édition Futuropolis contient également des reproductions monochromes pleine page de Calvo parues initialement dans le journal l'armée française au combat à la fin de la seconde guerre mondiale.
Mathieu Kassovitz a annoncé l'adaptation cinématographique de l'album, sous forme d'animation (en production en 2005).
Animaux
Les différents peuples impliqués dans la guerre sont représentés par des animaux (entre parenthèses, les dirigeants apparaissant dans l'album) :
- les lapins = les Français ("notre" cigogne nationale = Charles de Gaulle)
- [les Français sont aussi représentés par les grenouilles, les écureuils et les cigognes]
- [les Polonais sont également des Lapins, ce qui donne l'idée des accords stratégiques alors en place avec la France, ainsi que l'imminence du désastre de la débâcle, comme le sort fut jeté lors de l'invasion de la Pologne]
- les loups = les Allemands (le Grand Loup = Adolf Hitler, le Cochon Décoré = Hermann Göring, le Putois Bavard = Joseph Goebbels)
- les hyènes = les Italiens (la Hyène à peau de louve = Benito Mussolini)
- les singes jaunes = les Japonais (le Grand Singe = Hirohito)
- les dogs = les Britanniques (le Premier des Dogs = Winston Churchill)
- les bisons = les Américains (l'Élu des Bisons = Franklin Roosevelt)
- les kangourous = les Australiens
- les ours polaires = les Soviétiques (le Grand Ours = Staline)
- les lions = les Éthiopiens (le Roi des rois des Animaux = Hailé Sélassié)
- les lionceaux = les Belges
- les vaches = les Néerlandais (visibles au travers des possessions en Indonésie dans le cadre de leur empire colonial)
- les danois (au pelage dalmatien) = les Danois
- les léopards = les troupes coloniales françaises, particulièrement les Spahis, compte tenu de leurs atours.
- le Chat impérial = le Shah d'Iran
- les buffles et les dragons = les Chinois
Toponymes
- le pays des dix plaies = Égypte
- Livarot = ligne Maginot
- la Barbarie = la Grande Allemagne du Troisième Reich
- le terme « force le trait » en amalgamant les peuples germaniques des invasions barbares de l'Antiquité, induisant l'idée opposée aux valeurs civilisées ; cet amalgame revanchard persistait dans les médias français ainsi que dans les programmes pédagogiques pour petites têtes blondes depuis la guerre de 1870.
Commentaires
- Le style se veut vulgarisateur et plein de verve patriote, apportant aux générations futures (représentés par les petits-fils de l'écureuil unijambiste, vétéran paré de gloire qui fait office de narrateur tout au long du récit) un point de vue sans nuance sur l'horreur du conflit : la bête, c'est le nazisme et celui qui l'incarna.
- Le scénario fait l'ellipse de l'épisode de Vichy dans sa description du contexte français, pour présenter sous des accents de gloire la refondation nationale qui est le mot d'ordre généralisé du moment de parution de cet album (écriture en 1944).
- La représentation des souffrances vécues par les populations occupées est très réaliste, ce qui corrobore le contexte dans lequel cette bande dessinée a été conçue, contexte dans lequel ces souffrances étaient encore vécues. L'accent donné sur l'épisode de l'exode et ses douleurs montre que les auteurs se mettent au diapason de leur public, les Français tout juste libérés, en leur livrant un moyen de catharsis. Ainsi, en une vignette, Calvo évoque la saignée des réparations versées au titre de l'armistice, et montre des criquets qui portent des casques de l'armée allemande en train de ruiner les récoltes de blé, aidés dans leur tâche par des doryphores tatoués de la croix gammée. Les animaux souffrent crûment dans cette bande dessinée autant que ceux qui vécurent les évènements, Calvo montre au lecteur enfant la dureté de la guerre, allant à des extrémités que Disney, sur le plan de la représentation, remplacerait par une évocation hors champ. En particulier, le dessin de la gare de Bécon-les-Bruyères est d'un réalisme presque atroce ; le cinéma et la boucherie chevaline en arrière-plan, la marquise qui avait abrité les quais, au verre cathédrale écrasé au sol, tout était ainsi ; Calvo n'a rien inventé, rien retouché.
- Railleries des argumentations de la propagande : la défense élastique sur le front de l'Est, représentée par des loups de la Wehrmacht en retraite tenus les uns aux autres par des bretelles.
- "La bête est morte" a certainement concouru à l'émergence de certaines légendes, particulièrement de celle de "notre cigogne nationale". Qu'importe. En son temps, l'ouvrage a été, pour ceux qui sortaient des "Stalag", des camps de concentration, pour ceux dont la santé avaient été détruite pour avoir refusé de travailler au service du grand Reich bien que "KG", prisonniers de guerre, pour ceux qui avaient connu les nuits à la cave sous les bombes américaines et britanniques, une magnification de leur sacrifice, de leurs souffrances.
Notes
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