L'extraordinaire période 1891-1914 des confetti et serpentins au Carnaval de Paris

L'extraordinaire période 1891-1914 des confetti et serpentins au Carnaval de Paris

Période 1891-1914 des confettis et serpentins au Carnaval de Paris

Bataille de confettis et arbres enrubannés de serpentins en 1896.

Au Carnaval de Paris fut lancé mondialement le confetti en décembre 1891 et inventé le serpentin en 1892. Durant la période 1891-1914 l'emploi qui en fut fait à Paris prit une ampleur inégalée qu'on a peine à imaginer aujourd'hui.

Les serpentins au bout de quelques années furent interdits. Le prétexte invoqué était que leur enlèvement procédé avec des crochets en fer allaient endommager les jeunes bourgeons des arbres des Grands Boulevards et les faire mourir.

Les confettis furent interdits après l'interruption de la Grande Guerre parce que ils propageaient prétendument des maladies et que leur enlèvement coûtait trop cher aux finances de Paris.

Sommaire

Le Carnaval de Paris en 1895

Georges Clemenceau écrit dans Le Grand Pan[1] :

Paris s'est mis en fête pour sa Mi-Carême. Le boulevard[2] n'a pas vu de plus beau carnaval. Les journaux disent les chars, les mascarades, les fanfares, le spectacle tapageur, tout ce dont le Parisien s'ébahit. Les costumes excentriques ; le dévergondage d'imagination de la jeunesse ; la satire de l'autorité existante ; le scintillement, dans l'air chaud du printemps, d'une pluie d'étoiles filantes, blanches, rouges, bleues, vertes, palpitant au ras du sol, ou papillonnant sur la foule ; les poches de confettis se vidant subitement du haut d'un balcon,[3] éclatant tout d'un coup dans le ciel en gerbes d'étincelles ; les fusées des serpentins qui s'élancent rayant l'air de flammes colorées dont les jets s'entrecroisent en folles sarabandes, comme de mille arcs-en-ciel dont les couleurs se seraient tout à coup séparées pour se livrer entre elles une bataille de folie, voilà ce qui fait l'émerveillement de tous.
Pour moi, qui marchais tout vivant dans ce rêve étoilé, je n'ai pas vu de plus admirable merveille que le bon Parisien de tout rang, bourgeois, commerçant, échappé du bureau, de la boutique ou de l'atelier, pour jouir - spectateur et acteur - de la grande représentation populaire.
Jusqu'à deux heures du matin, dans la nuit tiède et grise, sous les fantastiques reflets de l'électricité, une foule joyeuse, aimablement riante, promenait sa belle humeur au long de nos boulevards, assourdis d'un épais tapis de haute lisse aux pointillés multicolores, entre deux rangées d'arbres follement enrubanés, festonnés, pelotés de banderolles flottantes agitant au vent tous les rayons de lumière enchevêtrées à plaisir. Sur la chaussée, sur le moutonnement humain, dans les cheveux, dans les barbes, dans les nez, dans les oreilles, partout une neige fleurie de printemps, qui change, comme en un rêve, l'aspect des hommes et des choses. Partout dans l'air de petits feux follets parmi les longs serpentins enflammés qui, rampant aux troncs, s'accrochant aux branches, nous font des arbres de féerie : de grands saules pleurant des cascades bleuâtres, des futaies de branchages raidis dans un givre orangé, toutes les invraisemblances d'un délire de couleurs, d'une fantasmagorie de clartés subitement décomposées, semble-t-il, par le cristal inouï d'un astre fou survenu tout à coup dans les cieux.
Et dans ce décor de prodige, cette chose plus prodigieuse encore : des hommes heureux.

L'enlèvement des confettis après la fête

Article « L'enlèvement des confetti », Le Petit Journal, 13 février 1902 :

La bataille finie, adieu les confetti ! Donc, tandis que les Parisiens profitant du beau temps et de la liberté laissée à la rue, en l'honneur du Mardi-Gras, jetaient à pleines mains les rondelles de papier multicolores, pendant toute la journée d'avant-hier et une partie de la nuit dernière, le service de la voirie, divisé en deux équipes, se préparait à enlever les vestiges de la bataille, si chaude sur les grands boulevards.
Le service de nettoyage des boulevards commence d'ordinaire à trois heures du matin ; hier, les lanciers du préfet étaient à leur poste dès deux heures et s'attelaient avec ardeur à la rude besogne de l'enlèvement rapide de l'énorme masse des confetti.
Le travail, cette année, a été facilité par l'état de sécheresse de la chaussée ; les confetti n'adhéraient pas aux pavés de bois ; ils formaient, au lieu d'une masse gluante comme cela se produit lorsqu'il a plu, un tapis épais, mais facile à enlever.
Maintenant, comment a-t-on opéré ? Voici.
Les employés de la voirie, s'arment d'abord de balais caoutchoutés, appelés raclettes, et poussent, des deux côtés de la chaussée, dans les caniveaux, la masse bariolée des petits papiers.
Lorsque trottoirs et chaussée sont dégagés, on ouvre à fond les prises d'eau, et tandis qu'on manie les raclettes, les confetti, entraînés par le courant puissant, vont s'engouffrer dans les bouches d'égout et disparaissent assez rapidement. Le travail ne dure guère que deux heures. Mais ce procédé n'a pu être employé, cette fois, dans le quartier de la Chaussée-d'Antin. Le nettoyage des boulevards, de la rue Laffitte à la rue Scribe, où vient mourir habituellement l'ardeur du combat, a dû être fait à l'aide de grands tombereaux dits « guimbardes ». Il a fallu trois de ces tombereaux qui ont enlevé environ quinze mètres cubes de confetti. Là, en effet, on ne pouvait chasser les confetti dans les égouts adjacents, ceux-ci se trouvant actuellement obstrués par la construction du grand collecteur de Clichy.
Ce chiffre de quinze mètres cubes ne représente, naturellement, qu'une faible partie de la totalité jetée.
Qu'on en juge : la bataille s'est livrée, cette année, de la porte Saint-Denis à la rue Scribe, soit sur une longueur de 1,800 mètres ; les boulevards ayant 30 mètres de largeur utilisée en la circonstance, on peut dire que le champ de bataille avait une surface de 54,000 mètres carrés. Si l'on considère qu'en moyenne, sur toute cette étendue des boulevards, - en moyenne, entendons-nous, - l'épaisseur de la couche a été de un centimètre ; nous obtenons l'énorme masse de 540 mètres cubes de confetti jetés dans la seule journée de mardi, entre la porte Saint-Denis et la rue Scribe !
Continuons pendant que nous y sommes : en superposant ces 340 mètres cubes de façon à obtenir une colonne dont la base aurait, par conséquent, une surface d'un mètre carré, nous obtiendrions une hauteur de confetti presque deux fois égale à celle de la tour Eiffel !
Un arrêté judicieux du préfet de police avait, on le sait, pour ménager les arbres... et les finances de la Ville, interdit le jet des serpentins. Il y a eu pourtant quelques fanatiques de ce jeu, qui ont ignoré les prescriptions préfectorales ou qui ont passé outre.
Les délinquants, dont les noms étaient pris par les agents, ont été avisés hier matin d'avoir à enlever dans les vingt-quatre heures, et à leurs frais, les serpentins qu'ils avaient jetés, sans préjudice de la contravention et de l'amende qui viendra augmenter encore pour eux le prix du serpentin.
Un spectacle assez curieux et peu connu des Parisiens, spectacle que nous leur recommandons pour le lendemain de la Mi-Carême ; c'est d'aller, le matin, vers sept heures, à Clichy, à l'embouchure du collecteur dans la Seine.
Les eaux, déjà bourbeuses du fleuve, se couvrent de l'épaisse masse de confetti chassés des boulevards et le fleuve se trouve "pris" par l'avalanche de papiers qui forme alors comme une immense banquise multicolore.

L'interdiction en 1919 met un terme à l'épopée

En 1921, les interdictions continuent.

Elle sera renouvelée et fait suite à celle intervenue depuis 1915 en raison de la Grande Guerre[4] :

Le temps ne se prêtait guère à une joyeuse Mi-Carême — pour ne parler que du temps. De la pluie et de la boue, et c'est un bien médiocre décor de carnaval.
La foule a voulu cependant faire cesser l'interdit, et la grosse gaîté des jours gras s'est essayée dans ses farces coutumières.
On a vu des travestis, que saluait une joie bruyante. On s'est déridé, on s'est amusé, mais sans confetti ni serpentins. La trêve de guerre a été rompue, timidement, mais elle a été rompue !

Notes

  1. Georges Clemenceau, Le Grand Pan, pages 339-344, Paris Bibliothèque-Charpentier, Eugène Fasquelle, éditeur, 1919 (la première édition est de 1896). Ce livre a été réédité par l'Imprimerie Nationale en 1995, avec une préface de Jean-Noël Jeanneney.
  2. Les Grands Boulevards, au moment du Carnaval de Paris, la foule envahit chaussée et trottoirs le Mardi Gras et le jeudi de la Mi-Carême. Elle est estimée à plusieurs centaines de milliers de personnes. C'est de cette foule, dont parle ici Georges Clemenceau.
  3. Un article conservé dans les dossiers Actualités Carnaval de la Bibliothèque historique de la ville de Paris décrit même des sortes de bombes éclatant en dispersant des confettis.
  4. L'Éclair, 28 mars 1919

Sources

  • André Warnod « Les plaisirs de la rue », Édition française illustrée, Paris 1920.
  • Alain Faure « Paris Carême-prenant : Du Carnaval à Paris au XIXe siècle – 1800-1914 », Éditions Hachette, 1978.
  • Presse parisienne, 1892-1938.

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