Jeu sérieux

Jeu sérieux

Un jeu sérieux[1] (de l’anglais serious game : serious, « sérieux » et game, « jeu ») est d'après la définition proposée en 2006 par Julian Alvarez et Olivier Rampnoux un logiciel qui combine une intention sérieuse, de type pédagogique, informative, communicationnelle, marketing, idéologique ou d’entraînement avec des ressorts ludiques. La vocation d’un serious game est donc de rendre attrayante la dimension sérieuse par une forme, une interaction, des règles et éventuellement des objectifs ludiques.

Cette définition s'inspire notamment des approches de Ben Sawyer et Mike Zyda qui depuis 2002 voient dans America's Army le titre qui a initié la mouvance du serious game tel que nous le connaissons aujourd'hui.

De manière synthétique, un serious game englobe tous les jeux vidéo qui s'écartent du seul divertissement.

Sommaire

Histoire du serious game

Dès le XVe siècle, avec le mouvement humaniste en Italie, on recense l'oxymore "Serio Ludere". Ce terme renvoie à l'idée de traiter d'un sujet "sérieux" avec une approche "amusante". Cela se retrouve ainsi dans le style littéraire où un ton léger et humoristique peut dénoncer des problèmes de société par exemple. En France, Montaigne est un humaniste qui fait notamment usage du Serio Ludere.

Vers la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe, l'amirauté britannique et l'armée prussienne s'intéresse sérieusement à l'emploi de simulation ludique pour développer de nouvelles tactiques et former leurs futur cadres. Ainsi en 1820 la Prusse va adopter le Kriegspiel (ou wargame en anglais et jeu de guerre en français) comme outil de formation de ses officiers. Jusqu'au développement de l'informatique le wargame sera le principal jeu sérieux employé par la quasi totalité des armées du monde.

Pour trouver le concept moderne du serious game, il faut attendre les années 70, avec l'œuvre éponyme de Clark Abt. Dans ses écrits, ce chercheur Américain, voit dans le jeu de société, le jeu de plein air, le jeu de rôle et le jeu sur ordinateur (très peu développé à cette époque), des supports pour diffuser des messages éducatifs, politiques, marketing, etc. Sa participation au développement de TEMPER, l'un des premiers [wargame]s informatisés destiné à prendre en compte le contexte de la guerre froide ne doit pas être étranger à l'intérêt de ce chercheur pour tous les types de jeux sérieux.

Finalement, l'approche actuelle du serious game date de 2002 et démarre avec America's Army. Ce titre est représentatif de l'ensemble des fonctionnalités que l'on peut associer à un serious game : 1) diffuser un message, 2) dispenser un entraînement, 3) Permettre l'échange de données. Cependant, on recense des applications vidéoludiques qui associent de telles fonctions utilitaires bien avant cette date, par exemple : "The Oregon Trail" (1973), "Pepsi Invaders" (1983), "Where in the World Is Carmen Sandiego?" (1985)... Il s'agit ici de quelques exemples, mais l'histoire vidéoludique regorge de telles applications que l'on désigne par le vocable "Rétro Serious Games" par analogie au mouvement du Rétrogaming. Les travaux des universitaires Julian Alvarez et Damien Djaouti datent le premier Rétro Serious Game à 1952 avec Oxo qui servait à illustrer une thèse sur les IHM.

Si le Serious Game est très axé sur l'objet jeu vidéo, depuis 2007, Kevin Corti plaide pour une vision plus large de sa définition. C'est en effet logique lorsque l'on se réfère à la vision de Clark Abt qui ne se cantonnait pas au seul registre du jeu sur Ordinateur. Il est donc probable que dans les années qui viennent, le terme "Serious Game" englobe à nouveau dans sa définition, les jeux qui ne sont pas nécessairement en lien avec des supports électroniques et informatiques.

Classification des jeux sérieux

La typologie des jeux vidéo qui proposent des fonctions utilitaires est assez riche. On recense notamment : des Advergames (jeux publicitaires), des Edugames (jeux ludoéducatifs), des Exergames (des jeux dispensant des exercices), des Datagames (des jeux basés sur des banques de données), des Military games (des jeux de type militaire), des Green games (des jeux sur le thème de l'écologie), des Newsgames (jeux informatifs), des Edumarket games (des jeux combinant des messages éducatifs ou informatifs avec du marketing)... Cette liste n'est pas exhaustive et continue de s'enrichir au fil du temps. En effet, les Serious Games peuvent en théorie être utilisés dans tous les domaines qui s'écartent du seul divertissement. Le champ est large : la défense (America's Army), la santé, le marché de l’emploi (Technocity), l’écologie (Ecoville), la politique (September the 12th), l’humanitaire (Food Force, Darfur is Dying), la publicité, la religion, l’Art… Le vocable "Serious Game" se positionne donc comme un terme générique qui englobe l'ensemble de tous ces types de jeux à vocation sérieuse.

En 2006, les universitaires Alvarez et Rampnoux ont proposé de classer les jeux sérieux en cinq grandes catégories : Jeux publicitaires (Advergaming), Ludo-Éducatifs (Edutainment), Jeux de marché (Edumarket game), Jeux engagés, et Jeux d’entraînement et simulation[2].

Cependant en 2007, le système de classification proposé par Ben Sawyer et Peter Smith est plus pertinent car il introduit deux critères : l'intention utilitaire du Serious Game et le segment de marché associé. Ce croisement permet ainsi d'avoir une vision plus fine de l'ensemble des types de Serious Games. Depuis 2008, leur système classificatoire s'est vu enrichi d'un 3e paramètre : le gameplay. Introduit par Djaouti, Alvarez et Rampnoux, ce 3e paramètre donne naissance à un modèle appelé G/P/S. Les initiales signifient ici G = "Gameplay", P = "Permet de", S = "Secteur".

Que représentent ces trois critères ?

Gameplay : ce critère permet notamment d'indiquer si le Serious Game présente la possibilité de gagner ou non. S'il n'est pas possible de gagner, le gameplay se base sur un jouet vidéo. On parle alors d'un Serious Play. S'il est possible de gagner, alors nous sommes en présence d'un Serious Game basé sur un jeu vidéo. Ce critère permet également de recenser l'ensemble des règles du jeu mis en présence.

Permet de : il s'agit ici de recenser les fonctions "sérieuses" associées à la base vidéoludique. Trois grandes fonctions sont recensées à ce jour :

  1. Diffuser un message: le Serious Game vise à diffuser un ou plusieurs messages. Ces derniers peuvent être de quatre natures différentes : éducatif (ex: Edugames), informatif (ex: Newsgames), persuasif (ex: Advergames) et subjectif (ex: Militant games, Art games). Un même jeu peut cumuler plusieurs natures de message.
  2. Prodiguer un entraînement: le Serious Game vise à améliorer les capacités cognitives ou physiques du joueur (ex: Exergames)
  3. Favoriser l’échange de données: le Serious Game est destiné à favoriser l’échange de données (ex: Datagames) entre les joueurs, ou entre le diffuseur du jeu et les joueurs.

Secteur : ce critère donne deux types d'informations :

  1. sur le domaine d’application visé par le Serious Game. Par exemple : Santé, Education, Entreprise, Religion...
  2. sur le public visé par le Serious Game. Par exemple : Grand Public, Professionnels, Etudiants... Les tranches d'âges visés sont également à préciser.

Avec le modèle G/P/S, voici comment est classifié par exemple le Serious Game Stop Disasters! (PlayerThree, 2007) :

  • Gameplay : Serious Game (ludus/jeu vidéo).
  • Permet de : Diffuser un message éducatif + Diffuser un message informatif.
  • Secteur : Marchés: Humanitaire & Caritatif, Ecologie ; Public visé: 9 à 16 ans, Grand Public.

Les Serious Games s’organisent peu à peu sur la base de classifications, soit par « thème » (défense, publicité, politique, religion, écologies, santé), soit par « type » comme le proposent J.Alvarez et D.Djaouti, (advergame, persuasive game, newsgame, datagame). Un autre éclairage possible repose sur les modèles pédagogiques, et plus exactement les « habilités cognitives » portées par les gameplay ,comme le définissent Yves Dambach et Valérie Lavergne Boudier : ainsi, un gameplay de type « jeu d’enquête » servira plutôt des projets pédagogiques à visées hypothético-déductives tandis qu’à contrario, un gameplay de type « stratégie-builder » servira des problématiques pédagogiques de type analytique et optimisation de ressource, ou encore un « puzzlegame », qui servira des objectifs d’appropriation de connaissances factuelles.

Serious Game et Serious Gaming

Il peut être objecté que n'importe quel jeu vidéo est à même d'apporter une fonction utilitaire. Avec un titre comme Sim City, il est possible d'enseigner la gestion d'une ville dans les classes par exemple. Est-ce que Sim City est pour autant un Serious Game ? Non, pour une raison simple : A l'origine, lorsque son créateur Will Wright conçoit le titre, il vise le marché du divertissement. Ce sont des personnes tierces, des enseignants en l'occurrence, qui font de Sim City un support pour illustrer leurs cours. Mais il s'agit d'un détournement de l'usage initial. Ainsi, on identifie ici une différence forte entre un jeu vidéo et un Serious Game. Ce dernier est conçu dès le départ pour remplir une fonction sérieuse contrairement aux jeux vidéo qui visent quant à eux le simple divertissement. Le fait d'associer a posteriori une fonction utilitaire à un jeu vidéo est désigné par le vocable "Serious Gaming".

Les principaux segments de marché du Serious Game

Les principaux segments de marché du Serious Game sont à ce jour :

Jeux publicitaires (ou Advergames)

Article détaillé : Advergame.

Ces jeux sérieux se destinent principalement à la publicité.

Ludo-Éducatifs (ou Edugames)

Article détaillé : Logiciel ludo-éducatif.

Ces jeux sérieux ont une vocation éducative.

Ils peuvent concerner l'éducation classique (scolaire), ou entrer dans le cadre de campagnes de prévention, notamment concernant la consommation excessive d'alcool par les jeunes, comme le jeu « Happy Night » créé par la ville de Nantes[3],[4],[5].

Jeux engagés (ou Political games)

L’objectif de cette catégorie de jeux sérieux est de détourner soit :

  • les règles classiques des jeux vidéo. Par exemple en privant le joueur de la possibilité de pouvoir gagner un jour (September the 12th), ou encore en lui demandant de perdre pour gagner (AntiWar Game)…
  • les graphismes de titres connus : par exemple Anne-Marie Schleiner, Brody Condon et Joan Leandre proposent aux joueurs d’apposer des patchs graphiques de propagandes pacifistes (Velvet-Strike) au sein du jeu de tir à la première personne Counter-Strike.
  • à la fois les règles et les graphismes : appelés « mods » (abréviation de « modifications »), ces patches modifient en profondeur des jeux connus. Comme par exemple le mod Escape from Woomera qui transforme le jeu de tir Half Life en un camp de réfugiés réellement situé en Australie, pour dénoncer l’existence de ce camp.

Les jeux engagés ont souvent pour vocation de dénoncer de façon directe des problèmes d’ordre politique ou géopolitique. Gonzalo Frasca, chercheur au Center for Computer Game Research de l’université de Technologie de l’information (IT) de Copenhague, Danemark, est un expert reconnu dans ce domaine. L’une de ses réalisations, September the 12th, par exemple, dénonce l’utilisation de la violence pour tenter d’endiguer le terrorisme.

Il existe également des jeux engagés entièrement conçus pour défendre une cause ou dénoncer des abus. Le collectif italien Molle Industria a par exemple fait la une des journaux grâce à son « Mac Donald Videogame » ou le joueur se retrouve à la tête de la firme de fast-food et peut entre autres actions semer des OGM, nourrir les vaches avec des déchets industriels, corrompre des politiciens, et gérer à la dure ses restaurants. Autre jeu controversé, « Opération Pedopriest », installe le joueur à la tête du Vatican et propose de camoufler les actions de prêtres pédophiles afin qu’ils ne se fassent pas arrêter par la police. Il est ainsi possible d’intimider les témoins de scènes de viols afin que les parents n’appellent pas la police. Le jeu est objet de polémiques quant à sa portée[6].

Edumarket games

Le néologisme « Edumarket game » (jeu pédago-mercatique) a été créé en 2006 par les universitaires Julian Alvarez et Olivier Rampnoux, les créateurs d’un jeu sérieux nommé Technocity. Edumarket game vient de l’anglais edu pour « éducation », de market « marché » et de game, « jeu ». Les jeux pédago-mercatiques s’inscrivent donc dans ce registre des outils dédiés à la stratégie de communication en s’appuyant sur les ressorts du jeu vidéo, mais en intégrant également un aspect éducatif ou informatif.

Les jeux pédago-mercatiques permettent d’aborder notamment le registre des enjeux sociaux. Comme par exemple, le jeu Food Force qui a été lancé par les Nations Unies courant 2005, en libre accès sur le web, avec des localisations par pays (Italie, France, Pologne, Chine, Japon…) et dont la vocation est de sensibiliser les enfants aux missions humanitaires que mènent les Nations Unies dans leurs combats quotidiens contre la famine.

Jeux d’entraînement et simulation

Articles détaillés : Jeu de simulation et Serious game militaire.

Ces jeux sérieux ont pour vocation soit :

  • de permettre à l’utilisateur de s’entraîner à exécuter une tâche ou une manœuvre donnée ;
  • d’étudier un phénomène s’inspirant du réel qui a été reproduit dans un environnement virtuel.

Certains jeux sont créés par des militaires, à des fins de recrutement, d’entrainement…

Mode de diffusion des jeux sérieux

Souvent les Serious Games sont diffusés sous forme de logiciels gratuits (freewares). Cela s’explique entre autres par le fait que la stratégie de diffusion de ces Serious Games est basée sur le marketing viral. Souvent aussi, les budgets alloués à la réalisation des serious games sont peu élevés. La qualité des Serious Games est souvent loin de celle des jeux commerciaux à gros budget. Actuellement, les budgets alloués à la réalisation des Serious Games s'échelonnent en moyenne entre 1000 et 500 000 EUR. Il existe des productions plus importantes encore tels America's Army (7 Millions USD) et Pulse!! (10 Millions USD). Mais peu de titres atteignent de tels budgets à ce jour.

Voir aussi

Bibliographie

  • Abt C. (1970), Serious Games. New York: The Viking Press
  • Alvarez J., Djaouti D. (2010), Introduction au Serious game. Paris: Questions théoriques
  • Lavergne Boudier V., Dambach Y. (2010), Serious Game : Révolution Pédagogique. Cachan/London: Hermes-Lavoisier
  • Michael D., Chen S. (2005), Serious Games. Games that educate, train and inform, Boston MA: Course Technology PTR
  • Schmoll P. (2011), Jeux sérieux : exploration d'un oxymore, Revue des sciences sociales, 45: 158-167.

Articles connexes

Liens externes

Notes et références


Wikimedia Foundation. 2010.

Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Jeu sérieux de Wikipédia en français (auteurs)

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