Iouri Tynianov

Iouri Tynianov
Iouri Tynianov

Iouri Nikolaïevitch Tynianov (en russe : Ю́рий Никола́евич Тыня́нов) (18 octobre 1894 à Rejitsa (aujourd'hui Rēzekne en Lettonie) - 20 décembre 1943 à Moscou) est un écrivain et théoricien de la littérature russe, l'un des fondateurs de l'école formaliste russe.

Sommaire

Biographie

Il naquit au sein d'une famille juive à Rejitsa (ex-Rositten, jusqu'en 1893), ville du gouvernement de Vitebsk, majoritairement peuplée de Juifs. Son père, Nason Arkadievitch Tynianov (1862-1924), était médecin et sa mère Sophie Borissovna Tynianova, née Sarah Epstein (1868-1940), était copropriétaire d'une fabrique de cuir. Il avait un frère aîné, Léon, et une sœur, Lydia.

Il fut un élève doué au lycée de Pskov entre 1904 et 1912. Il y fit la connaissance de Léon Zilber (1894-1966) (futur fondateur de l'école soviétique de virologie) dont il épousera la sœur, Léa (dite Hélène), en 1916. Ils auront une fille, Inna, née en 1916. Son autre beau-frère, frère de sa femme, Benjamin Zilber (1902-1989) deviendra un écrivain soviétique renommé sous le pseudonyme de Benjamin Kaverine et épousera aussi sa sœur Lydia Tynianova (1902-1984), écrivain pour enfants.

Entre 1912 et 1918, il fut étudiant à l'université de Saint-Pétersbourg/Petrograd à la faculté d'histoire et de philologie. Il participa aux séminaires de Semion Venguerov (1855-1920), fondateur d'un cercle historico-littéraire à Tsarskoïe Selo, ville renommée Pouchkine. Il fait ensuite partie de l'OPOYAZ, société d'étude de la forme de la langue poétique, avec Victor Chklovski et Boris Eichenbaum. Ce furent les débuts du formalisme.

Il est enterré au cimetière Vagankovo à Moscou.

Romans

Iouri Tynianov a mis en scène trois maîtres du romantisme russe à chacun desquels il a consacré un roman historique, les poètes Wilhelm Küchelbecker (Le Disgracié), Alexandre Griboïedov (La Mort du Vazir-Moukhtar) et Alexandre Pouchkine (La Jeunesse de Pouchkine). Ces trois écrivains, qui étaient amis, apparaissent tour à tour dans les trois romans.

Le disgracié

Le lieutenant Kijé

  • Le Lieutenant Kijé (Voskovaia persona - Molodoi Vitouchichnikov - Podporoutchik Kije), recueil de trois nouvelles Une majesté en cire, l'Adolescent-miracle, Le lieutenant Kijé, 1927, traduit par Lily Denis, éditions Gallimard, Littératures soviétiques 1966

La jeunesse de Pouchkine

  • La Jeunesse de Pouchkine (Pouchkine), 1936, roman traduit par Lily Denis, éditions Gallimard, Du Monde entier 1980

La mort du Vazir-Moukhtar

  • La Mort du Vazir-Moukhtar (Smiert Vazir-Moukhtara), 1928, traduit par Lily Denis, éditions Gallimard, Littératures soviétiques 1969, collection Folio, 1978

Résumé

Ce roman s'ouvre sur l'arrivée triomphante d'Alexandre Griboïedov à Saint-Pétersbourg en 1828. Griboïedov, contemporain d'Alexandre Pouchkine, proche des décembristes mais aussi de Nicolas I depuis qu'il a embrassé la carrière diplomatique, est un jeune homme d'une intelligence et d'une ironie rares. C'est lui qui a négocié en grande partie la paix avec la Perse ; fort de ce succès, accueilli en héros national, il entend désormais créer une compagnie commerciale entre la Russie et la Géorgie : ses projets sont immenses, à l'image de son ambition.

Alexandre Griboïedov est aussi critique, satiriste, poète, dramaturge et surtout l'auteur d'une seule pièce, Le Malheur d'avoir trop d'esprit. Victime de la censure, il n'a pas réussi à faire publier sa pièce, qui circule sous le manteau, suscitant admiration et envie.

Alexandre Griboïedov n'a que 33 ans et déjà, il se sent précocement vieilli : il a fui depuis longtemps les mondanités moscovites ; fatigué de ses longues missions à l'étranger, il voudrait quitter ses fonctions. Il se croit incapable d'écrire, incapable d'aimer. Malgré lui, il est nommé ministre plénipotentiaire - vazir-moukhtar - en Perse. Lors d'une émeute populaire à Téhéran en 1829, l'ambassade russe est prise d'assaut et Alexandre Griboïedov, massacré. Passant près du convoi qui transporte les restes dépecés du brillant jeune homme, Alexandre Pouchkine soupire : les hommes les plus remarquables disparaissent chez nous sans laisser de traces.

La pièce Le Malheur d'avoir trop d'esprit, finalement publiée après la mort de son auteur, est depuis toujours considérée comme l'un des chefs-d'œuvre de la littérature russe. La personnalité d'Alexandre Griboïedov continue d'interroger : cet homme à l'esprit si vif est-il allé délibérément au-devant de la mort ou ne s'agit-il que d'un malheureux concours de circonstances ?

À propos du roman

Dans son récit, Iouri Tynianov choisit d'évoquer les derniers mois du jeune homme, entre Saint-Pétersbourg, Moscou, la Géorgie et Téhéran. À Moscou, il lit ses vers devant Pouchkine, dont il envie la consécration.

Parcourant des milliers de verstes dans la poussière, harassé par les charges trop lourdes qui lui incombent, Griboïedov trouve le temps d'épouser une jeune princesse géorgienne âgée de 16 ans. Est-ce amour ou intérêt ? Lui-même n'en sait rien car, comme le souligne Tynianov à plusieurs reprises, Griboïedov est une fermentation de vinaigre, un cœur dur, trop intelligent pour ne pas voir les travers des autres et trop orgueilleux pour résister à l'envie de provoquer et de se hisser à la première place, tout en haut.

Ployant sous la tâche des rapports à rédiger, rusant avec méfiance pour n'être ni asservi au pouvoir ni mis à l'index, Alexandre est un homme seul, victime de cette contradiction : il ne supporte ni l'esprit critique des autres ni leur absence d'esprit critique.

Pour rendre compte de ce climat politique étouffant et de l'aigreur qui ronge de plus en plus son protagoniste, Tynianov a choisi une prose resserrée et virtuose : la Grande Histoire et la petite s'écrivent en parallèle, au fil de chapitres courts composés de paragraphes tout aussi brefs. Le style elliptique de Tynianov, qui domine parfaitement les effets de la langue, parvient, malgré une traduction bien moins éblouissante que le texte original, à restituer le tourbillon chaotique dans lequel Alexandre Griboïedov s'est fourvoyé : entrevue auprès du Tsar, amour pour une ballerine, pression maternelle, soirées littéraires, mariage, obligations, visages, sentiment grandissant d'étrangeté au monde, là-bas, à Téhéran.

Si Tynianov comprend si subtilement l'atmosphère asphyxiante de l'époque de Nicolas Ier, c'est qu'il vit à une époque aussi hostile : les années 1930, durant « la grande glaciation ». La censure stalinienne s'est abattue sur le groupe des formalistes, ses membres (parmi lesquels Chklovski, Boris Eichenbaum, Jakobson) émigrent, sont déportés ou exécutés. Tynianov choisit la réclusion : enfermé dans son appartement, « épargné » par sa sclérose en plaques qui lui gagne un peu de commisération de la part du pouvoir, il renonce à la recherche et écrit des romans dits historiques qui rencontrent un grand succès. Cette besogne, qu'il perçoit comme une corruption de l'esprit, lui répugne. Alors, à défaut, il révolutionne le genre : l'Histoire n'est plus un ensemble de faits à la sauce romanesque mais une vérité qui s'écrit par la puissance de la langue et les voies de l'imagination.

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