Hippias mineur

Hippias mineur
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LHippias mineur (ou Sur le Mensonge) est un dialogue de Platon. Il appartient à la série dite des « Premiers Dialogues », composés à lépoque lauteur était encore jeune. La date de la rédaction exacte reste cependant incertaine. Ce dialogue traite du mensonge.

Sommaire

Place de l'œuvre

Malgré la relative médiocrité du dialogue, lauthenticité de ce dernier ne prête à aucun doute : elle est attestée par Aristote (La Métaphysique, V, 120), par Cicéron (L'Orateur, III, 32) et par Alexandre d'Aphrodise.

Il n'existe pas de datation, ni de l'écriture du dialogue, ni de la date de ce dernier. L' Hippias mineur est considéré comme une œuvre de (relative) jeunesse de Platon pour des raisons essentiellement stylistique. Le dialogue Hippias majeur se déroulerait également après l' Hippias mineur sur des arguments de même nature[1].

Cadre du dialogue

Personnages

  • Hippias d'Élis : Hippias est un célèbre sophiste, originaire de la cité dÉlis (il n'est pas présenté en tant que tel dans ce dialogue platonicien). Connu de tous les Grecs et réputé maîtriser de nombreuses sciences, quil sagisse des mathématiques, de lastronomie ou de la rhétorique, il aurait déclaré à Olympie navoir rien sur lui quil neût fabriqué lui-même. Il est présenté ici par Platon sous les traits pour le moins caricaturaux dun homme vaniteux, borné et à lintelligence limitée, tout comme dans lHippias majeur.
  • Eudicos : Eudicos est lhôte dHippias à Athènes. Il admire son ami, et son rôle dans le dialogue, marginal, consiste à relancer parfois la conversation en encourageant le sophiste à répondre aux questions de Socrate. Il est difficile détablir si ce personnage a réellement existé. Il apparaît en réalité plus probable quil ait été imaginé par lauteur : son nom signifie « Bonne justice » (eu-dicos) en grec, et il sert donc peut-être simplement à établir un contraste symbolique avec Hippias.

Le dialogue : une conversation autour du mensonge

Dans lHippias mineur, Socrate soutient la thèse selon laquelle lhomme qui ment ou fait le mal volontairement est meilleur que celui qui le fait involontairement.

Scène introductive

Le grand sophiste Hippias d'Élis est de passage à Athènes chez son hôte Eudicos. Il vient de faire un grand honneur à ce dernier en prononçant chez lui, et devant de nombreux spectateurs, dont Socrate, une « ample dissertation » portant sur lœuvre dHomère.

Chacun y étant allé de son compliment une fois lexposé terminé, Eudicos sinterroge sur lattitude de Socrate, lequel reste mystérieusement silencieux. Est-ce simple excès de timidité, ou faut-il linterpréter comme un désaccord avec les paroles dHippias ?

Mais Socrate tient à rassurer Eudicos : il a écouté avec grand intérêt les commentaires du savant homme sur lIliade et lOdyssée, et sil na jusquà présent pas osé poser les nombreuses questions lui étant venues à lesprit, cétait par peur de paraître importun devant tout ce monde. Mais maintenant que les voilà tranquilles tous les trois, Hippias ne refusera certainement pas dengager la conversation.

Un homme véridique est-il meilleur et différent dun menteur ?

Le point qui intéresse Socrate est le suivant : Hippias a émis laudacieuse opinion selon laquelle lIliade, dun point de vue qualitatif et moral, est bien supérieure à lOdyssée. Pourquoi une telle déclaration ?

Qui, du sincère Achille et du rusé Ulysse, est le meilleur des Grecs ?

Hippias, bien loin de renier ses propos, soutient sa thèse avec vigueur : sil a dit cela, affirme-t-il, cest parce que le héros principal de lIliade, Achille, est meilleur que son homologue de lOdyssée, Ulysse. En effet, tandis que le premier brille tout au long de lépopée par sa sincérité et sa franchise, lautre étaye ses aventures de toutes sortes de ruses et de mensonges. La volonté dHomère, à lévidence, était de représenter « Achille comme le meilleur de ceux qui allèrent à Troie, Ulysse comme le plus rusé et Nestor comme le plus sage ».

Cette classification ne semble pas satisfaire Socrate : la distinction opérée par Hippias sous-entend dune part quun homme véridique est meilleur quun menteur, et dautre part quils sont différents lun de lautre.

Un savant est plus à même de mentir quun ignorant

Or, quels sont les traits de caractère nécessaires à la ruse ou au mensonge ? Un être rusé, loin dêtre un incapable, est au contraire fort capable sil réussit à tromper son monde. On ne peut, de même, être rusé par sottise, et lhomme rusé est donc très intelligent. Enfin, les menteurs doivent être savants et habiles aux choses sur lesquelles ils sont menteurs.

Toutes ces qualités se retrouvent tant chez lhomme véridique que chez le menteur. Par ailleurs, Hippias étant réputé maître dans lart de larithmétique, de la géométrie ou de lastronomie, il est bien placé pour savoir que celui qui est le plus capable de dire la vérité dans une science est aussi celui qui peut le mieux mentir à ce sujet. En effet, un homme mentant sur un sujet il est ignorant risquerait de dire la vérité sans le vouloir, ce qui narrivera jamais avec un homme qui maîtrise le sujet.

Socrate en tire la conclusion que, partageant les mêmes qualités, lhomme véridique et le menteur sont une seule et même personne. D il sensuit quAchille et Ulysse partagent tous deux la même sincérité et la même ruse, et quaucun nest supérieur à lautre.

Achille fait parfois preuve, lui aussi, de ruse

Pour couper court aux protestations exaspérées dHippias, Socrate cite à ce dernier un passage de lIliade censé représenter Achille en flagrant délit de mensonge. Nest-il pas vrai en effet quaprès sa querelle avec Agamemnon, le grand guerrier a annoncé le départ imminent de lui et de ses hommes en signe de protestation ? (Iliade, IX, 357-363)

Or il est bien connu quil nen fit jamais rien : il se contenta de ne plus quitter son campement sur les plages de Troie, attendant sans doute des excuses, mais ne songea jamais réellement à abandonner les autres Grecs pour regagner la Phthie. Dailleurs il reprendra part au combat avec une énergie décuplée dès quil apprendra la mort de son bien-aimé Patrocle.

Mais Hippias ne peut accepter cette vision des choses : dans ce cas précis, Achille a menti par simplicité, cest-à-dire quil croyait à ses propres paroles à ce moment-, mais quil a ensuite changé davis. Ulysse, au contraire, est toujours parfaitement conscient de mentir.

Socrate répond : cest bien la raison pour laquelle Ulysse est supérieur à Achille, affirme le philosophe.

Lhomme qui fait le mal volontairement est meilleur que celui qui le fait involontairement

Hippias est indigné de la tournure prise par la conversation : comment Socrate peut-il affirmer la supériorité morale du menteur volontaire sur le menteur involontaire ? La loi ne fait-elle pas un constat inverse en punissant bien plus sévèrement le premier que le second ?

Celui qui accomplit volontairement mal une tâche est meilleur que celui qui le fait involontairement

Socrate contourne la question en suggérant une autre voie de réflexion : on peut dire, sans crainte de se tromper, quun coureur courant lentement avec intention est meilleur quun coureur le faisant malgré lui. En effet le premier, sil le désirait, pourrait sans doute courir plus vite. Le second, en revanche, donne déjà tout ce quil peut et ne peut guère accélérer davantage.

A la lutte, de même, il est bien sûr préférable de tomber volontairement plutôt quinvolontairement. Mais les exercices du corps ne sont pas les seuls concernés : une voix qui adopte volontairement un ton désagréable est meilleure que celle qui en souffre par nature. Il nest pas jusquà la médecine il est le meilleur de faire volontairement du mal au corps du patient au lieu du contraire.

Hippias convient de tout cela mais ne peut se résoudre à accorder à Socrate que le menteur volontaire est supérieur au menteur involontaire.

Lâme la plus juste nest-elle pas la plus capable de faire le mal volontairement ?

Socrate va lancer un ultime argument pour convaincre Hippias. Si lon devait donner une définition sommaire de la justice, on pourrait dire quelle est une force, une science, ou même les deux à la fois.

Il sensuit que lhomme le plus juste est celui qui combine la plus grande force et la plus grande science. Cet homme si fort et si savant, étant le plus juste des hommes, est donc aussi celui qui est le plus capable de commettre une injustice volontairement, car ayant une connaissance parfaite de ce quest la justice, il saura pertinemment ce quil fait sil réalise une injustice.

Mais le dialogue sarrêtera  : Hippias, de plus en plus incrédule au fur et à mesure de la conversation, ne peut accorder une telle chose à Socrate, lequel ne s'avoue pas très convaincu lui-même par ses propres arguments. Les deux hommes prennent congé, non sans que le philosophe taquine le sophiste sur lincertitude dont ils sont tous deux atteints.

Jugements critiques sur le dialogue

Du point de vue de la profondeur philosophique, le dialogue est sans doute lun des plus médiocres de Platon, avec le Second Alcibiade. Il souffre en effet de limmoralité dégagée par les deux idées centrales du texte, selon lesquelles :

  1. Celui qui est capable de mentir sur un sujet quelconque doit le comprendre, et, par conséquent, est capable de dire la vérité.
  2. Celui qui ment sciemment est supérieur moralement à celui qui ment sans le savoir et sans le vouloir.

La faiblesse de la thèse développée par Socrate tient à une confusion assez grossière entre les deux notions de pouvoir faire le mal et vouloir faire le mal, qui sont ici traitées à tort comme deux équivalents. Or dans la logique platonicienne habituelle, plus un homme gagne en science et en justice, bref en sagesse, moins il est susceptible dêtre injuste, quand bien même sa justice et sa science lui en donneraient la capacité.

Limmoralité du dialogue, ainsi donc que la contradiction quil représente avec dautres œuvres de Platon, ont parfois fait douter de son authenticité, notamment chez Victor Cousin ou Édouard Zeller.

LHippias mineur est en réalité une reprise un peu maladroite par un Platon très jeune de certaines idées de Socrate, notamment quil nest possible de faire le mal que par ignorance, parce quen faisant le mal un homme nuit à son véritable bien et quun homme sage ne peut faire volontairement une chose lui étant nuisible.

Une autre façon d'interpréter ce dialogue serait de considérer la possibilité que Platon ait voulu montrer Socrate en train de "tromper volontairement son interlocuteur". Socrate pourrait faire exprès de commettre une bourde en comparant entre elles des activités qui sont difficilement comparables, comme la justice, la course à pied et la médecine. Cela est un paralogisme, bien sûr, c'est une "fausse analogie". C'est un piège que tend Socrate au sophiste Hippias dans le but de tester son savoir. Il faut admettre qu'Hippias ne tombe pas dans le panneau complètement et qu'il refuse cette analogie (tout comme Socrate d'ailleurs).

Par contre, Hippias n'arrive pas à expliquer pourquoi nous devons la refuser : qu'est-ce qui fait que dans pratiquement tous les domaines, celui qui s'y connait peut autant bien agir que mal agir, sauf dans le domaine de la justice? Hippias n'arrive pas à répondre à cette question et cela indique biens sûr une ignorance du caractère suprême de la justice: qu'il n'est jamais une bonne chose de commettre une injustice et que, par conséquent, celui qui connaît la justice n'a pas la possibilité de l'enfreindre sans se contredire lui-même.

À l'opposé, le coureur de fond peut marcher lentement sans se contredire lui-même, étant donné que sa technique n'est pas applicable en tout temps, mais seulement quand il est en compétition ou quand il s'entraîne. De même, le médecin n'est pas obligé de traiter tous les malades qui se présentent devant lui, il peut décider d'appliquer son savoir seulement quand il reçoit un salaire en échange.

Bibliographie

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Texte

  • Hippias mineur traduit et commenté par Jean-François Pradeau, GF-Flammarion, 2005, ISBN 2080708708
  • Premiers dialogues, GF-Flammarion n°129, 1993, ISBN 2080701290
  • Platon : Œuvres complètes, Tome 1, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1940, ISBN 2070104508

Commentaires

Notes et références

  1. Balaudé JK, Introduction à l'Hippias mineur, préface de Hippias mineur-Hippias majeur, Le livre de poche

Wikimedia Foundation. 2010.

Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Hippias mineur de Wikipédia en français (auteurs)

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