- Georges-Charles de Heeckeren d'Anthès
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Georges-Charles de Heeckeren d'Anthès, né le 5 février 1812 à Colmar, mort le 2 novembre 1895 à Soultz, est un officier français, devenu sénateur sous le Second Empire. Il est surtout connu pour avoir tué en duel le poète russe Pouchkine.
Sommaire
Origines familiales
Son arrière-arrière-grand-père, Henry Anthès (1670-1733), avait été anobli par Louis XV en décembre 1731. Son père, Joseph Conrad Alexandre d'Anthès (1773-1852), riche propriétaire d'Alsace, fit partie des contingents militaires qui, sous les ordres du marquis de Bouillé, tentèrent les 20 et 21 juin 1791 de favoriser la fuite de Louis XVI, ce qui l'obligea à émigrer lui-même. Au retour d'émigration, il épousa le 29 septembre 1806, Marie-Anne-Louise comtesse de Hatzfeld (1784-1832), nièce du prince de Hatzfeld, avec laquelle il eut six enfants. Georges-Charles, le troisième enfant après deux filles, et donc le fils aîné, fut destiné à la carrière des armes. Mais auparavant il commença ses études en Alsace au collège libre de Lachapelle-sous-Rougemont, puis à Paris au Lycée Condorcet (alors collège Bourbon). Après avoir vainement tenté d'entrer au corps des Pages de Charles X, dont son oncle était pourtant le gouverneur, il fut admis le quatrième à Saint-Cyr en 1829. Lors de la révolution de juillet 1830, il fit partie des détachements de l'École militaire qui tentèrent de soutenir à Paris la cause de Charles X, et, lorsque ce dernier dut prendre la route de l'exil, d'Anthès, fidèle à ses convictions, refusa de servir la Monarchie de juillet. Ayant le grade d'officier, il démissionna, et, après un bref séjour en Vendée auprès de la duchesse de Berry, il rentra en Alsace auprès de son père.
Engagements militaires à l'étranger
Une morne période s'écoula alors pour lui, endeuillée de surcroît par la mort de sa mère en 1832. Il décida alors de prendre du service à l'étranger. Grâce aux relations de sa famille, il espéra un moment un engagement dans un régiment prussien, mais on ne lui proposa qu'un emploi de sous-officier, qu'il refusa. Bénéficiant de quelques appuis et recommandations, et ayant été autorisé par le gouvernement français à prendre du service à l'étranger sans perdre sa nationalité, il partit pour Saint-Pétersbourg. Bien que jouissant de la protection du prince de Hatzfeld et du général Adlerberg, il prit néanmoins quelques cours, et passa avec succès l'examen, qui lui permit d'accéder au grade de cornette au régiment des Chevaliers Gardes de l'impératrice, le faisant passer ainsi au service de la Russie.
Deux ans plus tard, en 1836, il reçut le brevet de lieutenant toujours dans la garde impériale, avant de passer à l'armée du Caucase. Les alliances de sa famille, tant en Allemagne qu'en Russie, et son physique séduisant lui ouvrirent les portes des meilleurs salons de Saint-Pétersbourg. Il rencontra ainsi Jacob Burchard van Heeckeren, ministre plénipotentiaire des Pays-Bas en Russie, qui appartenait à une famille protestante de vieille noblesse, et qui avait débuté sa carrière dans la marine hollandaise. Son premier poste, en tant qu'aspirant, avait été Toulon, où il était passé au service de Napoléon. Il lui en resta un grand attachement à la France, un titre de baron de l'Empire obtenu en 1813, et une conversion au catholicisme. Célibataire, et ne voulant pas voir son nom s'éteindre, il proposa à Joseph Conrad d'Anthès, père de Georges-Charles, après une longue correspondance et une visite en Alsace, d'adopter son fils et d'en faire son héritier. Le vieux baron d'Anthès accepta, et Georges-Charles prit alors le nom de Georges-Charles de Heeckeren d'Anthès, après accord du roi des Pays-Bas par lettres patentes du 5 mai 1836.
Le duel avec Pouchkine
D'Anthès fit alors la connaissance de l'épouse de Pouchkine, née Nathalie Gontcharoff (Natalia Gontcharova en russe), jeune femme coquette d'une très grande beauté, qui faisait soupirer bien des hommes à Saint-Pétersbourg[1]. D'Anthès fit à Nathalie une cour telle que Pouchkine s'en émut et le menaça verbalement. D'Anthès épousa alors, le 10 janvier 1837, la propre sœur de Nathalie, Catherine Gontcharoff (Ekaterina Gontcharova en russe). On ne sait s'il s'agissait d'attirance véritable (les lettres adressées par D'Anthès à son père adoptif semblent prouver le contraire), ou d'une simple manœuvre. Ce qui est certain est que cela ne suffit pas à apaiser le conflit entre les deux beaux-frères. Des lettres calomnieuses se mirent à circuler, rapportant l'hypothétique infortune de Pouchkine, et celui-ci, excédé, écrivit au père adoptif de d'Anthès une lettre injurieuse. Pouchkine ayant refusé de retirer ces injures qui atteignaient à l'honneur du père adoptif et du fils, les parties devinrent irréconciliables, et un duel fut décidé. Le témoin de D'Anthès, le vicomte d'Archiac, attaché à l'ambassade de France, et celui de Pouchkine fixèrent ensemble les modalités du combat. Le soir du 8 février 1837 (ou le 27 janvier 1837 selon le calendrier julien en usage alors en Russie), les deux beaux-frères se retrouvèrent face à face, près du lieu dit de la rivière noire, non loin de Saint-Pétersbourg. D'Anthès tira le premier et atteignit Pouchkine à l'estomac. Ce dernier, qui avait déjà participé à plusieurs autres duels, put tirer à son tour et blessa d'Anthès au bras droit. Deux jours plus tard, Pouchkine mourut des suites de sa blessure.
Après le décès de Pouchkine, d'Anthès fut incarcéré à la Forteresse Pierre-et-Paul de Saint-Pétersbourg, puis il passa en jugement, au cours duquel il protesta de l'innocence de Nathalie Pouchkine et affirma la pureté de ses propres sentiments. Il fut gracié par l'empereur compte tenu de la gravité des injures écrites par Pouchkine, puis fut reconduit jusqu'à la frontière. Sa femme, Catherine, qui n'avait jamais douté de lui, le rejoignit à Berlin. La paire de pistolets fut léguée à un musée à Amboise dans sa mallette de voyage. En 1989, cette paire de pistolets fut prêtée à l'Union Soviétique[2].
Retour en France
De retour en France, ils allèrent habiter dans la maison familiale, à Soultz dans le Haut-Rhin, où il se fit nommer conseiller général malgré la triste notoriété qui l'avait suivi. Sa femme lui donna trois filles et mourut en donnant naissance à leur seul garçon le 15 octobre 1843.
En 1846, il se présenta à la députation contre Golbéry, mais sans succès, et il fit alors une vive opposition aux gouvernements de Louis-Philippe. Après la Révolution française de 1848, les électeurs du Haut-Rhin l'envoyèrent, le 23 avril 1848, siéger à la Constituante, le 12e et dernier, avec 27 504 voix. Il fit partie du comité des Affaires Étrangères, et vota la plupart du temps avec la droite :
- Pour le rétablissement du cautionnement
- Contre l'abolition de la peine de mort
- Contre l'amendement Grévy, qui s'opposait à l'élection d'un président de la République au suffrage universel
- Pour la proposition Rateau, qui avait pour objet de dissoudre l'Assemblée avant la rédaction des lois organiques qu'elle s'était réservé de voter
- Contre l'amnistie
- Pour l'interdiction des clubs
- Pour les crédits de l'expédition de Rome
Il se déclara un des premiers en faveur de la politique présidentielle de Louis-Napoléon Bonaparte, et suivit la même ligne de conduite à l'Assemblée législative, où le même département le réélut le 13 mai 1849, le 6e sur 10, avec 34 004 voix sur 118 335 inscrits. De plus en plus hostile aux institutions républicaines, il s'associa à toutes les mesures qui eurent l'approbation du gouvernement et de la majorité, et il ne se sépara de celle-ci que lorsqu'elle eut pris parti contre le prince-président.
Il applaudit au Coup d'État du 2 décembre 1851, et fit partie de la commission consultative. L'année suivante, malgré ses antécédents, il fut chargé d'une mission extraordinaire auprès de l'empereur de Russie, mission qui consistait à connaître le sentiment du tsar dans le cas où le prince-président s'élevait à l'Empire. À son retour, Napoléon III l'envoya siéger au Sénat en vertu d'un décret du 27 mars 1852. D'Anthès fut un des membres les plus zélés de la droite de cette assemblée. Il y défendit chaleureusement les intérêts de la papauté, se montra opposé à toute concession du pouvoir impérial, et vota en 1868, avec 22 autres sénateurs, contre la loi nouvelle destinée à rendre moins intolérable la situation de la presse.
Il fut nommé officier de la Légion d'honneur le 12 août 1863, et promu au rang de commandeur le 14 août 1868. La révolution du 4 septembre 1870, qui balaya l'Empire, le fit rentrer définitivement dans la vie privée. Il opta pour la nationalité française en exécution de l'article du traité de Francfort qui laissait aux Alsaciens le droit de choisir.
Il décéda dans la maison familiale de Soultz, entouré de ses enfants et petits-enfants.
Notes et références
- Serena Vitale, Le bouton de Pouchkine, enquête sur la mort d'un poète, édition Plon, 1998
- L'épopée des pistolets
Bibliographie
- Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, 15 volumes, (1863-1890)
- Adolphe Robert et Gaston Cougny, Dictionnaire des parlementaires français, Paris, Edgar Bourloton, 1889-1891
- Gustave Vapereau, Dictionnaire universel des contemporains (1858)
- http://feb-web.ru/feb/pushkin/serial/pss/pss32902.htm
- Serena Vitale, Le bouton de Pouchkine, enquête sur la mort d'un poète, édition Plon, 1998
- Henri Troyat, La Traque (roman, 2003)
- André Markowicz, Le Soleil d'Alexandre, Actes-sud, 2011
Catégories :- Alexandre Pouchkine
- Élève du lycée Condorcet
- Ancien député du Haut-Rhin
- Sénateur du Second Empire
- Commandeur de la Légion d'honneur
- Naissance à Colmar
- Naissance en 1812
- Décès en 1895
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