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Ebla
Tell Mardikh
Ruines du site de Tell Mardikh/EblaLocalisation Pays Syrie Gouvernorat Idlib Coordonnées
Ebla et les principaux sites de la Syrie des IIIe et IIe millénairesEbla (arabe : ʾīblā, إبلا) (Tall Mardikh, arabe : tall mardīḫ, تل مرديخ) est un site archéologique. Il se situe à 60 km au sud d'Alep sur la route de Hama, après la bifurcation en direction de Lattaquié, et occupe une position géostratégique, à la porte d'un col commandant l'accès à la Méditerranée. Le site qui se présente sous la forme d'un tell ovale de 60 ha dominé par une acropole centrale a été découvert en 1964 et ses vestiges mis au jour par les équipes du professeur Paolo Matthiae (Université La Sapienza de Rome) en 1968.
Ebla, dès le IIIe millénaire, est une riche cité. Ses rois commencent à partir de 2500 à étendre leur domination sur le Moyen Euphrate et sur une partie de la Syrie. Les fouilles ont permis de mettre au jour une salle d'archives, riche de plus de dix-sept mille tablettes et fragments de tablettes d'argile gravées en sumérien et en éblaïte, le dialecte local. Ces textes ont fourni des informations précieuses sur l'économie, le commerce et l'industrie, l'administration et la diplomatie, de ce puissant royaume oublié : des archives économiques, des traités d'alliance avec les autres États, des relations de guerre et de paix, des épopées et des hymnes religieux. Ebla fut l'une des plus puissantes cités-États de la Syrie entre 2500 et 2400.
Il est possible aujourd'hui de visiter les vestiges dégagés de palais et de plusieurs temples et autres édifices. Alors que la documentation écrite concerne les XXVe et XXIVe siècles, les monuments et les œuvres d'art dégagés datent essentiellement du début du IIe millénaire, la dernière période durant laquelle Ebla fut florissante, avant sa destruction finale.
Redécouverte et fouilles
Le site de Tell Mardikh commence à être fouillé par une équipe archéologique italienne dirigée par Paolo Matthiae en 1964, dans le but de trouver des informations sur la Syrie intérieure du IIe millénaire. Après des premières campagnes ne fournissant que des résultats modestes, une statue portant une inscription découverte en 1968 permet l'identification du site fouillé avec la ville d'Ebla, capitale d'un royaume prestigieux déjà connu par plusieurs textes, et dont on recherchait depuis plusieurs décennies la localisation[1]. Mais les fouilles du site connaissent surtout une grande publicité en 1975, quand sont mis au jour plus de 14 000 tablettes et fragments de tablettes datant de vers 2400 avant notre ère, période pour laquelle on n'imaginait pas alors qu'il existe une administration ayant recours à l'écriture cunéiforme en Syrie, qui était tenue pour être une région « en retard » par rapport à la Basse Mésopotamie. Une polémique éclata même lorsque des journaux anglo-saxons prétendirent que ces archives révélaient des informations sur le temps des patriarches de la Bible, et que le gouvernement syrien cherchait à les occulter. La polémique retomba finalement une fois les tablettes publiées, qu'il fut prouvé qu'elles n'avaient que des rapports très lointains avec la Bible[2]. Les fouilles ne mirent au jour que peu d'espaces datant du IIIe millénaire, et dégagèrent essentiellement des bâtiments du début du IIe millénaire. Les fouilles se poursuivent encore chaque année sous la direction de P. Matthiae, et apportent de nouvelles informations précieuses sur la culture de la Syrie intérieure du IIe millénaire. Il en est de même pour l'édition et surtout l'analyse des tablettes du IIIe millénaire, prises en charge notamment par Alfonso Archi, Pelio Fronzaroli ou Giovanni Pettinato.
Premières occupations
Le premier niveau d'habitation (Mardikh I) correspond à la seconde moitié du IVe millénaire. Le second niveau (Mardikh II) couvre la majorité du IIIe millénaire. Il est divisé en plusieurs sous-périodes. Le niveau II A correspond au premier grand développement de la ville, entre 3000 et 2000, qui marque le début de la période dite « proto-syrienne », qui dure jusqu'en 2000.
Le royaume d'Ebla à la période « proto-syrienne » (c. 2500-2300)
L'apogée de la période dite « proto-syrienne » correspond à la seconde moitié du IIIe millénaire (niveau Mardikh II B), donc à l'Âge du bronze ancien et aux Dynasties archaïques III ainsi qu'aux périodes des Empires d'Akkad et d'Ur III de basse Mésopotamie. Cette période est avant tout connue grâce aux nombreuses tablettes documentant la vie du royaume vers les XXVe ‑ XXIVe siècles (niveau Mardikh II B1), et qui ont fait la renommée du site. Il s'agit de l'apogée d'Ebla en tant que puissance politique.
Le palais royal et les archives
Les archéologues ont à ce jour fouillé peu de bâtiments datant de la période « proto-syrienne ». Le mieux connu est le « palais G », datant du XXIVe siècle, et situé au centre de l'Acropole. Il s'agit du plus ancien palais connu en Syrie. Il devait s'étendre sur environ 10 000 m² sur le secteur nord de la colline, disposer d'au moins un étage, mais seuls quelques secteurs ont pu être dégagés, couvrant 2 500 m²[3]. Quelques parties ont pu être distinguées. D'abord le « quartier administratif », au sud, au pied de l'acropole où se trouvait la chancellerie avec ses archives. S'y trouvait une petite cour intérieure disposant d'un portique sur son côté sud. Une pièce disposée au sud de ce secteur était peut-être la salle du trône. On a également mis au jour une cuisine dans ce quartier. La « cour des audiences », située plus en hauteur, dominait la ville, et était reliée au secteur précédent par une porte monumentale. Elle a pu servir de cour et de place publique, assurant la jonction entre l'espace public et le palais proprement dit. Ses façades étaient apparemment bordées de portiques à colonnes en bois au moins sur deux côtés. Un podium se trouvant sous le portique nord a dû servir à porter le trône du roi lors d'audiences. Sur le côté nord, la cour ouvrait sur un bâtiment faisant partie du palais. Sur le côté est, elle ouvrait sur l'accès principal au palais royal, par une porte monumentale ouvrant sur un escalier menant au sommet de l'acropole. Là se trouvait le cœur du palais royal. Un complexe situé au sud a quant à lui pu servir de résidence aux dignitaires du palais.
C'est dans le quartier administratif qu'ont été exhumées la plupart des tablettes des archives royales de cette période[4]. La grande majorité a été retrouvée dans la « salle des archives », comprenant environ 14 700 tablettes et fragments de tablettes, dont au moins 1 700 tablettes complètes et 9 500 avec des lacunes. Il s'agit d'une salle rectangulaire. Les tablettes étaient disposées par groupe de 15 sur 3 rangées d'étagères de bois (80 cm de profondeur et 50 cm de hauteur) alignées le long des murs nord et est. La face principale des tablettes était tournée vers l'extérieur, les plus grandes étant posées sur le sol. Elles étaient classées de façon thématique, et sont restées disposées ainsi après l'incendie ayant ravagé le palais lors de sa destruction, malgré la disparition des étagères. Sur le mur est se trouvaient les tablettes enregistrant les livraisons de tissus. Dans l'angle, les tablettes comprenaient les mentions de livraisons de métaux précieux et de cuivre. Le long du mur nord, l'étagère supérieure portait les listes lexicales sumériennes et des textes de chancellerie (décrets royaux, donations, traités). Les autres étagères comportaient des compte-rendus relatives à l'agriculture et à l'élevage, et des listes bilingues éblaïte/sumérien. Le vestibule de la salle des archives a livré d'autres tablettes. D'autres pièces du palais ont livré des lots de tablettes conséquents : environ 900 dans le portique est de la cour des audiences (beaucoup de tablettes de livraisons alimentaires - farine et huile), et 500 dans un magasin de forme trapézoïdale du quartier administratif. En tout, plus de 17 000 tablettes et fragments ont été mis au jour, comprenant un ensemble documentaire de première importance, attestant des activités de l'administration du palais durant les trois derniers règnes précédant la destruction du site[5]. Les tablettes étaient rédigées majoritairement en sumérien, langue d'un peuple vivant en Basse Mésopotamie qui est la plus prestigieuse culturellement dans le Moyen-Orient à cette période, mais également dans une langue sémitique inconnue auparavant et qu'on a fini par baptiser « éblaïte ».
Institutions et administration du royaume éblaïte
L'État éblaïte est dirigé par le résident principal du palais, le roi. Il porte le titre sumérien de EN, habituellement traduit par « seigneur » (porté également par le roi d'Uruk), qui est traduit en éblaïte par malkum/malikum[6]. Trois règnes sont documentés : ceux d'Igrish-Halam, d'Irkab-Damu et d'Ishar-Damu, dont les durées de règnes sont encore mal connues. Une liste des rois précédents a pu être établie, notamment à partir de tablettes de listes de rois relatives au culte des ancêtres dynastiques[7]. L'épouse principale du roi joue un grand rôle, notamment religieux, et est appelée maliktum[8].
Un rituel royal qui comprend au moins des noces royales est bien connu[9]. Son interprétation est très débattue, car il semble bien qu'il soit couplé à l'intronisation du roi, non mentionnée dans les tablettes le décrivant qui nous sont disponibles, mais dont l'association à la première cérémonie est évidente dans des documents administratifs ; on comprend mal l'association entre le mariage et l'intronisation, qui ne semble pas due à des circonstances particulières[10] . Quoi qu'il en soit, ce rituel dure au moins sept jours, durant lesquels le couple royal et les principaux dignitaires du royaume se rendent en différents lieux : le temple du dieu Kura, patron du royaume, puis le mausolée dynastique, avant de revenir au palais pour effectuer d'autres rituels, présentant souvent un caractère agraire, avant que les noces ne soient conclues par un grand banquet précédant la consommation du mariage. Dans les documents à notre disposition, le rôle du souverain est essentiellement religieux, il incarne le royaume, notamment dans les relations internationales où sa famille est intégrée dans les alliances interdynastiques (voir plus bas). Sa légitimité s'appuie notamment sur le culte des ancêtres dynastiques divinisés, auxquels on offrait régulièrement des sacrifices. La cité de Darib semble avoir joué un rôle important dans ce culte funéraire, et les rois y étaient peut-être enterrés.
L'administration du royaume est prise en charge par une dizaine de personnages appelés LUGAL, terme sumérien signifiant « grand homme », généralement traduit par « roi », mais dans le contexte éblaïte on le traduit par « seigneur » (qui devait être rendu en éblaïte par ba'lum)[11]. Ces dignitaires dirigent le personnel dépendant du palais. Ils apparaissent surtout dans les tablettes d'enregistrement des dons et contributions (mu-DU) qui sont dirigés vers les entrepôts royaux. Ils sont une vingtaine au maximum, mais leur nombre diminue et ils ne sont plus que douze lors de la fin du royaume. À partir du règne d'Irkab-Damu, un de ces personnages, Arrukum, prend progressivement seul la direction de l'administration du royaume. Il devient une sorte de premier ministre, ou vizir. Le roi perd alors une grande partie de son rôle politique. Arrukum est ensuite remplacé par Ibrium peu avant la mort d'Irkab-Damu. Il reste à ce poste une quinzaine d'années, avant que son propre fils Ibbi-Zikir ne prenne sa place à sa mort, pour environ dix-sept ans. Ce vizir dirige lui-même les armées du royaume.
D'autres personnages importants dans l'administration d'Ebla sont les « Anciens » (ÁB.BA), sans doute une quarantaine de notables locaux, qui devaient représenter des groupes importants dans la société éblaïte[12]. Par ailleurs, le palais royal administre le territoire avec une cohorte de scribes entretenant ses archives, réalisant la comptabilité. Il existe un réseau fonctionnaires chargés de superviser les différentes activités économiques du palais (appelés UGULA dans les textes)[13]. Les communautés ne dépendant pas directement de cet organisme doivent s'acquitter de redevances en nature (grain et huile notamment).
Au final, même si la nature de la royauté éblaïte reste encore mal connue par bien de ses aspects, il est clair qu'il ne s'agit pas d'un système autocratique dans lequel le souverain exerce un pouvoir incontesté[6]. Il doit composer avec plusieurs membres de l'oligarchie du royaume, en premier lieu le groupe des LUGAL dont une lignée finit par prendre une partie des pouvoirs régaliens. Ebla est donc dominée par un groupe d'élites qui domine les affaires politiques et économiques.
Ebla dans les relations internationales
Malgré leur caractère essentiellement administratif, les archives du palais royal d'Ebla nous donnent des informations sur le contexte international de la période, grâce à la présence d'actes de chancellerie (des lettres diplomatiques et un traité de paix) et grâce aux enregistrements des entrées et sorties de présents effectués dans le cadre des relations diplomatiques[14]. Néanmoins, ces textes sont souvent peu explicites, et il faut les remettre dans l'ordre chronologique interne, ce qui n'est pas aisé, avant d'ensuite trouver les correspondances avec les événements attestés par les sources provenant d'autres sites, notamment de Basse Mésopotamie. De ce fait, de nombreuses incertitudes demeurent[15].
Les relations internationales d'Ebla nous apparaissent essentiellement marquées par sa rivalité avec le plus puissant royaume situé dans son voisinage, Mari, situé à sa frontière orientale et dominant la région du moyen Euphrate. À la fin du XXVe et au début du XXIVe siècle, Ebla est un État vassal de Mari, et verse un tribut à son roi et ses principaux dignitaires connu par les archives datant du règne d'Irkab-Damu[16]. Mais Mari semble alors connaître une période d'affaiblissement, et le tribut est diminué. La puissance d'Ebla semble augmenter sous l'impulsion du vizir Ibrium : elle soumet notamment le royaume d'Emar, situé sur l'Euphrate, juste en face du royaume de Tuttul, vassal de Mari. C'est de cette période que semble dater le traité passé entre Ebla et le royaume d'Abarsal (quelque part dans la région entre les zones d'influence d'Ebla et de Mari), qui est le plus ancien accord diplomatique dont on ait conservé la version écrite[17]. Peu de temps après, Mari et Ebla concluent finalement une paix qui semble entériner un statut d'égalité entre les deux[18].
Le vizir Ibbi-zikir poursuit l'ascension politique d'Ebla, et remporte plusieurs victoires contre des petits royaumes voisins qui affermissent son pouvoir. Cette situation aboutit à un conflit contre Mari, qui se termine par une victoire des Éblaïtes dirigés par leur vizir, à proximité de Tuttul[19]. Pour assurer sa victoire face à un voisin qui reste puissant, Ebla recherche l'alliance de deux des rivaux de Mari, les royaumes de Nagar (aujourd'hui Tell Brak, en Syrie du nord) et de Kish (au nord de la Basse Mésopotamie). Des mariages unissent des princesses éblaïtes et à des princes des deux royaumes alliés[20]. Finalement, une paix est conclue à nouveau avec Mari[21].
Ebla est alors à son apogée, et son royaume s'étend sur une grande partie de la Syrie centrale, avec de nombreux vassaux, et le royaume dirigé par le vizir Ibbi-zikir semble faire jeu égal avec les autres grandes puissances régionales, Mari et Nagar. À en juger par la présence d'objet égyptiens dans le palais royal, notamment un vase en albâtre portant le nom de Pépi Ier, il existe peut-être même des échanges diplomatiques entre Ebla et la vallée du Nil[22].
Activités économiques
Une économie palatiale
L'économie du royaume éblaïte était dominée par le palais royal, qui employait une majeure partie des travailleurs. Ceux-ci étaient rémunérés par l'administration du palais en rations d'entretien, constituées de grain, d'huile et de laine[23]. Les terres du palais sont attribuées à des membres de la famille royale ou bien de l'aristocratie, à qui les exploitants reversent une partie du produit des cultures de façon à assurer leur entretien. Ces personnes disposent des plus grands domaines. A côté, une foule de dépendants du palais disposait de telles terres. C'est l'administration centrale qui décide en dernier lieu de l'attribution des terres, et contrôle donc le système[24]. Les temples ne disposaient pas de domaines à la différence de ce que l'on trouve en Mésopotamie du sud à la même période. Le culte était pris en charge par le palais.
La maison du roi, qui constitue le cœur de l'organisme palatial (SA.ZA dans les textes), entretenait des centaines de serviteurs (GURUŠ)[25]. Mais ils ne constituaient qu'une minorité des dépendants du palais. Ceux-ci étaient regroupés par unités familiales. Ils étaient répartis en groupes de 500 à 1 000 personnes ('iranum), dirigés par des surveillants (UGULA), et subdivisés en groupes de 20 travailleurs (É.DURU). A. Archi a évalué qu'il y avait près de 5 000 dépendants directs du palais, qui avec leur famille pouvaient former une population de près de 20 000 personnes sur tout sur le territoire[26]. Les artisans et marchands travaillant pour le palais résidaient plutôt dans la ville même, dans les faubourgs (URU.BAR), où se trouvaient également leurs espaces de travail. En tout, le personnel travaillant pour le palais au sens large comprenait environ 5 000 personnes, et si on estime qu'ils étaient des généralement des chefs de famille d'en moyenne 4 personnes, la population du royaume éblaïte était constituée d'au moins environ 20 000 personnes[25].
À côté du palais, de ses administrateurs et de sa foule de dépendants, il existait des communautés rurales qui restaient plus ou moins indépendantes[27]. Elles devaient cependant acquitter des impôts en nature au pouvoir central. Il existait peut-être un commerce privé, en dehors des circuits commerciaux contrôlés par le palais. Les activités qui se déroulent en dehors de la sphère palatiale sont cependant très mal connues, car peu documentées.
Agriculture et élevage
Ebla est située au centre d'une plaine qui est encore aujourd'hui très fertile, située dans un climat méditerranéen, dans une zone qui dispose encore de plus de 200 millimètres des précipitations annuelles moyennes, et les bonnes années plus de 400 voire 500 millimètres. Cela permet de réaliser une agriculture sèche (non irriguée), mais de nature plutôt extensive[28],[25], et non intensive comme l'agriculture irriguée de Basse Mésopotamie, ce qui explique sans doute les différences dans les structures agraires entre les deux régions.
Une trentaine de tablettes listant des champs ont pu être analysées, certaines de type « cadastral » enregistrant les possessions de divers membres de la cour, même s'il est impossible de connaître leur taille car les valeurs des unités de mesure de surface éblaïtes sont inconnues[24]. Les domaines les plus vastes étaient ceux de la famille royale, le roi en tête, et du vizir, puis des membres de la haute administration. Ils étaient généralement dispersés, comportant des champs éparpillés sur plusieurs terroirs. Parfois, les terres d'un village étaient attribuées à un seul et même personnage. Une centaine de ces villages est connue par les textes, ce qui semble indiquer un habitat dispersé[25].
Les champs cultivés se divisent en trois grandes catégories reprenant la « trilogie méditerranéenne »[25]. Les champs céréaliers (GÁNA.KEŠDA) couvrent la plus grande partie du terroir. Environ les deux tiers des domaines sont exclusivement céréaliers, le reste combinant différentes cultures, et un compte rendu non datable montre qu'à une période le palais dispose de plus de 31 000 tonnes d'orge. Un quart à un tiers de la surface agricole serait couverte d'oliveraies (GIŠÌ.GIŠ)[29]. La vigne (GIŠGEŠTIN) était également cultivée. Les olives et le raisin étaient pressés dans les villages et les centres des domaines ruraux, comme l'attestent les mentions de pressoirs et de chais à vin dans certains documents. Il existait différentes qualités d'huile d'olive : une huile nouvelle, une huile amère, des huiles aromatisées (dont on se servait pour se parfumer), etc. On stockait ce produit dans des jarres : au moment de la fin du palais, ses réserves comptaient environ 4 000 jarres d'huile, 7 000 autres se trouvant dans les entrepôts des faubourgs. Selon les calculs effectués par A. Archi à partir de ces données, il a été évalué que les réserves totales du palais contenaient 330 000 litres d'huile, et en extrapolant il aurait pu y avoir au moins 7 600 hectares d'oliveraies sur le territoire éblaïte.
L'élevage était également une activité économique importante dans l'économie d'Ebla, dans une région relativement sèche qui permet un élevage pastoral de type extensif[28]. Les moutons sont le type de bétail le plus présent dans les sources administratives, et de loin[30]. Ils apparaissent dans le cas d'offrandes pour sacrifices aux divinités, ou bien pour l'entretien alimentaire des résidents du palais. Leur laine es tégalement exploitée. Le dénombrement des moutons dépendant du palais montrent qu'il y en avait énormément : il y en aurait eu entre 70 000 et 80 000 puis plus de 100 000 lors des derniers temps des archives[31]. En saison sèche, ils paissaient dans les finages villageois du royaume, mais en saison humide ils étaient envoyés dans les zones de steppes qui étaient alors suffisamment herbeuses pour les nourrir. Des pasteurs étaient chargés de surveiller les troupeaux. Ils sont élevés généralement pour leur laine, mais une dizaine de millier est consacré à l'alimentation, notamment celle des dieux et de l'entourage royal. Les bovins sont également importants dans l'économie agricole éblaïte (plus de 8 000 têtes selon des comptes).
Artisanat et commerce
Les activités artisanales à Ebla sont peu documentées par les textes en comparaison de l'agriculture[31]. Le palais d'Ebla employait des ouvriers textiles (travail de la laine et du lin), des forgerons et orfèvres, ainsi que des personnes spécialisées dans la transformation des produits agricoles, notamment des femmes (minoterie, boulangerie, brasserie, vinification, parfums, etc.). Certains de ces produits faisaient l'objet d'envois vers d'autres royaumes : c'est le cas de l'huile d'olive et de produits textiles, qui généraient apparemment les activités de manufacture les plus importantes pour le palais royal. La métallurgie était également une activité de premier plan, puisque le palais employait près de 500 ferronniers, ce qui constitue le plus grand regroupement d'artisans connu pour cette période même en comptant les archives sumériennes. Les métaux travaillés (cuivre, argent, or) provenaient probablement de l'Anatolie voisine.
Les échanges sont connus par les entrées et les sorties d'objets dans le palais. Il s'agit d'échanges effectués avec d'autres cours royales, qui sont plus probablement d'ordre diplomatique que commercial[32]. Mais ces sources révèlent ce à quoi devait ressembler le commerce international qui transparaît dans certaines sources. On sait que le palais employait ses propres marchands, et qu'il s'arrangeait parfois pour leur assurer le monopole du commerce avec certains royaumes, comme cela se voit dans les clauses du traité passé avec Abarsal. Ebla se trouvait sur des routes commerciales importantes[28], notamment celles qui reliaient les zones d'extraction de métaux et de bois, en Anatolie et au nord du Levant, les ports de la façade méditerranéenne, et la riche Basse Mésopotamie qui est un lieu de consommation important de ces produits mais également un lieu de transit de biens venant d'autres régions. Parmi les trouvailles effectuées dans le palais royal, il y a des objets venus d'Égypte, ainsi que du lapis-lazuli d'Afghanistan, ce qui témoigne de l'importance de l'échelle des échanges internationaux dans lesquels Ebla se trouvait impliquée. Les échanges de produits à l'intérieur du royaume se faisaient essentiellement dans le cadre des redistributions de produits par le palais à ses dépendants, et dans celui des impôts versés à l'État. Il semble que les fêtes religieuses aient été l'occasion de l'organisation de foires, comme c'est le cas à des périodes plus tardives de l'Antiquité[33].
La religion d'Ebla
Les divinités du panthéon éblaïte sont connues essentiellement grâce aux listes d'offrandes effectuées chaque mois par le palais aux temples[34]. On y découvre la plus ancienne religion de Syrie connue, qui offre des parallèles avec les sources des périodes suivantes, notamment Emar et Ugarit, ou même l'Anatolie un millénaire plus tard. Le fonds culturel est essentiellement sémitique, mais on remarque des particularités locales, ainsi que des influences sumériennes et dans une moindre mesure hourrites. Le grand dieu du royaume éblaïte est Kura, inconnu par ailleurs. En revanche, les autres divinités principales du panthéon éblaïte se retrouvent ailleurs aux périodes suivantes : Dagan, dieu de la fertilité très important en Syrie ; le dieu de l'Orage Adda (Addu, Hadad) ; le dieu-soleil désigné par l'idéogramme sumérien UTU ; Rashap (Reshep), divinité infernale ; Ishkhara, déesse de la fertilité et divinité chthonienne ; Ashtar (Ishtar), déesse céleste identifiée à la planète Vénus ; le dieu Kakkab (« étoile ») ; Kamish (le futur dieu moabite Kamosh), sans doute une autre divinité chthonienne. Plusieurs divinités inconnues par ailleurs ou impossibles à identifier apparaissent dans les textes, en plus de Kura, comme sa parèdre Barana, ou NI-da-KUL dont la lecture du nom n'est pas compris. Parmi les divinités non sémitiques, on compte le dieu sumérien Enki, la déesse Ninki, ainsi que la déesse hourrite Hebat.
Quelques textes religieux ont également été exhumés, rédigés en sumérien et/ou en éblaïte. Des hymnes sont dédiés à des divinités importantes du panthéon[35]. L'hymne au dieu-soleil Shamash est le plus long texte littéraire rédigé en éblaïte. On a aussi retrouvé le fragment d'un mythe mettant en scène des divinités sumériennes (Enki, Enlil, Utu), inconnu ailleurs. Les derniers textes religieux connus sont des collections d'exorcismes servant à conjurer des maux : morsures de serpents et d'insectes, maladies (notamment des maux de dents)[36]. Plusieurs rituels ayant lieu dans des temples ainsi que des fêtes dédiées aux divinités principales du panthéon sont attestées[37]. Les Éblaïtes disposaient pour cela d'un calendrier religieux en parallèle à leur calendrier commun[38]. On peut ajouter à ce tableau les rituels liés à la royauté évoqué précédemment, qui avaient un aspect religieux du fait de l'imbrication entre religieux et politique et du caractère sacré du pouvoir politique.
Le seul édifice de la période proto-syrienne fouillé en dehors du palais royal est un temple localisé dans la partie sud-est de la ville basse (zone H), le « Temple du Rocher » ou « Temple HH », qui doit son surnom au fait que ses fondations reposent sur un rocher[39]. Il s'agit d'un édifice de dimensions 29 x 22 mètres, d'orientation est-ouest, constitué de deux pièces : un vestibule (à l'est) qui ouvre par une petite porte (1,40 mètre de large) sur une cella (à l'ouest) mesurant 10,50 mètres de long et 7,80 mètres de large chacune. Elles sont entourés de murs d'une épaisseur allant de 5,60 à plus de 6 mètres. Il s'agit d'un des plus anciens exemples connus de temples in antis (où les murs latéraux dépassent le mur de la façade vers l'extérieur) courants durant la Haute Antiquité syrienne, attesté dans les temples éblaïtes des périodes suivantes, ainsi que dans ceux d'autres sites voisins (Alep, Alalakh). On ne sait pas à quel dieu il était attribué (P. Matthiae propose pour Kura, ou bien Hadad). Après la première destruction d'Ebla, cet édifice est remplacé par deux temples : le « Temple HH4 », mesurant 17,30 x 10,90 mètres, lui aussi de type in antis, composé d'un vestibule et d'une cella allongée ; et le petit « Temple HH5 » (10,50 x 5,50 mètres), voisin du précédant et de forme semblable[40]. Ces deux temples sont détruits à la fin de la période proto-syrienne.
Réalisations artistiques
Les fouilles des niveaux proto-syriens du palais royal ont permis de mettre au jour certains éléments de la décoration intérieure du bâtiment[41]. Le seuil du quartier administratif et les marches de l'escalier d'honneur comportaient des incrustations en nacre. La cour intérieure du quartier administratif et la salle du trône disposaient de panneaux muraux dont certains étaient incrustés de feuilles d'or, d'éléments en calcaire ou en lapis-lazuli formant des figures, les seules parties de ces œuvres à avoir passé l'épreuve du temps. Certains de ces panneaux représentaient des processions de fonctionnaires rendant hommage au souverain. Ces réalisations ont des parallèles à Mari à la même période, et même dans les objets incrustés de Sumer comme l'étendard d'Ur.
Le quartier administratif a également livré des statuettes composites, dont on a surtout conservé les éléments de coiffure, réalisés dans de la stéatite ou parfois en lapis-lazuli[42]. Le corps des statues était en pierre dure ou en métal, et pouvait être ornés de pierres précieuses, voire d'or. La décoration comprenait également des meubles marquetés et décorés parfois de petites figurines en marbre. On a identifié des tables ou des sièges faisant partie du mobilier du palais grâce à ce type de figurines. Elles représentaient parfois des rondes animales, ou bien des combats de héros et d'animaux mythologiques. Généralement, les thèmes de ces scènes comme ceux des sceaux-cylindres exhumés dans le palais sont identiques à ceux de la Mésopotamie contemporaine, malgré quelques originalités éblaïtes, comme la figure de la déesse domptant deux lions. Certaines scènes devaient représenter des mythes locaux qui nous sont inconnus. Tout cela témoigne en tout cas de la présence à Ebla d'une tradition d'artistes de qualité qui n'avaient rien à envier à ceux de Sumer.
La destruction d'Ebla
C'est peu après le mariage d'une princesse éblaïte avec le prince du royaume mésopotamien de Kish que le palais royal d'Ebla est détruit et brûle, selon toute vraisemblance dans la violence[43]. Se pose donc la question de savoir qui est le responsable de cette chute. Le coupable idéal est un des rois de l'empire d'Akkad, venu de Basse Mésopotamie, dont on sait qu'ils ont soumis les autres grands royaumes de Mésopotamie du nord et de Syrie après 2340. On a pendant un temps attribué la destruction d'Ebla à Naram-Sîn, régnant au milieu du XXIIIe siècle, avant de finalement privilégier l'action de Sargon d'Akkad, fondateur de l'empire dans les dernières décennies du XXIVe siècle. Ces deux rois d'Akkad ont en tout cas mené des offensives en Syrie, et soumis la région d'Ebla. Ils prétendent tous les deux avoir dominé cette ville. Mais une hypothèse récente semble mettre en avant le fait qu'Ebla est détruite avant le début du règne de Sargon, ce qui invalide la piste de la destruction causée par les Akkadiens. Dans ce cas-là, c'est donc plutôt à Mari, l'ennemi héréditaire, qu'il faudrait attribuer la destruction du royaume éblaïte, et qui aurait eu lieu au plus tard vers le milieu du XXIVe siècle[44]. Mais cela ne repose sur aucune preuve. Il semble qu'une seconde destruction ait dévasté le site après la première, alors que le secteur palatial était réoccupé après une première phase d'abandon. L'auteur de cette nouvelle catastrophe est encore plus énigmatique que pour la première. Si les rois d'Akkad ne sont pas responsables de la première, alors peut-être qu'ils ont causé celle-ci, mais elle est généralement datée d'une période plus tardive.
Ebla durant la période « paléo-syrienne » (c. 2000-1600)
Au début du IIe millénaire, une nouvelle période de l'histoire d'Ebla s'ouvre, dénommée par les fouilleurs du site période « paléo-syrienne ». Elle correspond à la période paléo-babylonienne (ou période amorrite), et à l'Âge du Bronze moyen. Si la période précédente était avant tout connue grâce à des sources épigraphiques, celle-ci l'est avant tout grâce aux découvertes de bâtiments et de réalisations artistiques.
La reconstruction et le nouveau royaume d'Ebla
Le XXe siècle voit le renouveau de la ville d'Ebla, dans le cadre d'une Syrie dominée par des dynasties d'origine amorrite[45]. C'est de cette période que date la statue de basalte du roi Ibbit-Lim, qui a permis l'identification du site par les archéologues italiens. La cité est apparemment reconstruite suivant un plan prédéterminé, et elle connaît alors une plus grande extension qu'à la période protosyrienne. En l'absence de sources épigraphiques, on ne sait presque rien sur le destin de la cité à cette période, d'autant plus que les archives de la cité de Mari, la source la plus importante pour l'histoire de la Syrie à la période amorrite, mentionnent très peu Ebla. Selon toute vraisemblance, ce royaume est alors dans la dépendance du puissant royaume d'Alep, le Yamkhad.
L'acropole
Une acropole d'environ 3 hectares dominait la ville d'Ebla à la période amorrite, à l'emplacement du palais royal paléo-syrien. Cet espace contient deux monuments importants, mais les constructions n'y sont pas bien conservées. Cet ensemble est en réalité une citadelle, défendue par un rempart construit avec des blocs de pierre pour sa partie inférieure (sans doute haute de 4 mètres) et des briques crues sur la partie supérieure.
Le palais royal
Le nord de l'acropole était occupé par le palais E, identifié par P. Matthiae comme étant le palais royal[46]. L'érosion l'a très durement touché, et il n'en reste que peu de traces. Il a néanmoins été possible d'identifier une cour entourée de plusieurs salles (des pièces d'apparat ?) sur deux côtés, et fermée au sud par une loggia.
Le temple D
Sur la partie ouest de l'acropole, au point le plus élevé, se dressait le Temple D, ou Grand Temple[47]. Son plan était de facture classique : on pénétrait d'abord dans une salle allongée de 28 x 11 mètres, avant d'accéder à un vestibule précédé d'un porche, ouvrant sur la cella comportant une niche où se trouvait la statue de la divinité principale du sanctuaire, probablement la déesse Ishtar. Cette salle a livré un bassin lustral à deux vasques, décoré de bas-reliefs représentant une scène rituelle. C'est aussi dans cet édifice qu'on a retrouvé la statue fragmentaire en basalte inscrit au nom du roi Ibbit-Lim qui a permis d'identifier le site de Tell Mardikh comme étant l'antique Ebla[48]. Devant le temple D, une place était entourée de petites chapelles, constituant une zone sacrée, avec notamment le Petit Temple, où on a exhumé des statues votives et une stèle en basalte sculptée sur quatre faces, représentant une scène religieuse sur plusieurs registres, dominée par la figure d'Ishtar vêtue d'un kaunakès, debout sur un taureau, symbole de fertilité dans cette région (bien que son animal-attribut soit habituellement le lion)[49]. Il s'agissait probablement de la divinité principale de la cité à cette période.
La ville basse
Au pied de l'acropole, et jusqu'à l'enceinte extérieure, s'étendait l'espace appelé « ville basse » par les archéologues qui ont fouillé le site. L'acropole était ceinturée, au moins sur sa partie occidentale, par un ensemble de monuments publics (temples et palais) qui prolongeaient ses fonctions, mais devaient être plus accessibles.
Le système de fortifications
Le périmètre de la ville basse était délimité par une enceinte extérieure protégeant la cité[50]. Elle avait été construite sur un remblai constitué à partir de terre prise à l'extérieur de la ville mêlée à des pierres provenant des ruines des périodes précédentes. A l'extérieur, la base des murs était protégée par un parement de blocs de pierre sur 5 mètres de hauteur. La base des murs était large de 40 mètres environ, et leur hauteur a pu atteindre 22 mètres.
Le dispositif de défense était renforcé par une série de portes fortifiée et de fortins auxquels les archéologues modernes ont donné des noms suivant leur localisation, leur nom antique étant perdu[51]. Au nord-ouest, la « porte d'Alep » était jouxtée par la « forteresse AA », à l'ouest. Le côté ouest était défendu par le « fort occidental », comprenant un complexe palatial qui a pu avoir une fonction administrative ainsi que le « fort V ». La « porte de Damas », au sud-ouest, était protégée par une tour de défense et un fortin. L'angle sud-est de la muraille comprenait une autre forteresse et la « porte du désert » (ou de la steppe). Le côté est de la muraille était défendu par la « Forteresse M », mesurant 27 x 13 mètres et constituée de deux rangées de pièces parallèles. Le côté nord-est était défendu par une autre forteresse, au nord de laquelle on trouvait une dernière porte (« porte de l'Euphrate »).
Le palais Q
Le palais Q, ou palais occidental, est situé à l'ouest de la ville basse, juste au pied du Grand Temple de l'acropole[52]. D'orientation nord-sud, il a une longueur de 115 mètres et une largeur maximale de 63 mètres environ, et comprend au moins une cinquantaine de pièces. Certains de ses murs sont encore bien conservés, et leurs ruines s'élèvent parfois à 3 mètres. La partie sud est constituée d'un portique, d'où on accédait à une suite de cours ouvrant sur les pièces d'apparat, et d'intendance, avec des magasins où on a retrouvé des jarres de stockage. Sur sa partie nord au moins, le palais disposait d'un étage attesté par les restes d'escaliers. Il servait apparemment de résidence au prince héritier durant les dernières décennies d'Ebla, d'où le nom de « palais du prince » qui lui est parfois donné. Ce palais est lié à la fonction royale, puisqu'il jouxte le temple dédié au culte des ancêtres royaux (« Temple B »), et que sous son sol ont été creusées des tombes pour les membres de la famille royale.
Les tombes royales
Le palais Q était bâti au-dessus de tombes souterraines, creusées dans des cavités naturelles aménagées, et destinées à accueillir les membres de la famille royale ayant vécu entre la fin du XIXe siècle et la première moitié du XVIIe siècle[53]. On y accédait par un couloir à escaliers creusé sous l'édifice. Une dizaine de tombes ont été identifiées, et seulement trois ont été inviolées durant l'Antiquité.
La plus ancienne des trois est la « tombe de la Princesse » (c. 1800), où se trouvait le corps d'une jeune fille[54]. Son accès était fermé par une grande dalle en calcaire. La défunte portait ses bijoux en or (une épingle, un collier, des bracelets). La tombe comportait également plus de soixante-dix vases en céramique, des vases en pierre, et une amphore en pâte de verre.
La tombe suivante, celle du « seigneur aux capridés » (c. 1750) occupait trois salles[55]. Elle a été pillée lors de la destruction d'Ebla vers 1600, et le corps a disparu. On y a cependant retrouvé une soixantaine de vases en céramique, des vases en pierre, d'autres pièces de vaisselle (notamment une coupe en argent inscrite au nom d'Immeya, sans doute le défunt), des objets en ivoire dont le manche d'une masse d'armes incrustée d'un cylindre en argent au nom d'un pharaon obscur de la XIIIe dynastie. La tombe doit son nom au fait qu'on y a exhumé quatre statuettes en bronze représentant des capridés, qui servaient sans doute à décorer un trône en bois et bronze.
La dernière sépulture est la « tombe des citernes » (première moitié du XVIIe siècle), où l'on accédait depuis la précédente via un escalier, installée dans une ancienne citerne[55]. Ses pilleurs n'y ont laissé que des tessons de céramique et quelques bijoux, ainsi qu'une masse d'armes.
La richesse de ces tombes permet de les attribuer à des membres de la famille royale d'Ebla[56]. Chacune des trois sépultures comprenait divers objets provenant d'Égypte : les deux masses d'armes de la tombe du seigneur aux capridés et de la tombe des citernes, ainsi que des vases en albâtre. Il s'agit peut-être de cadeaux diplomatiques, mais ils peuvent provenir d'échanges commerciaux. D'autres objets rappellent ceux qui étaient produits par les artisans de la Babylonie amorrite.
Le palais P
Un dernier complexe palatial a été identifié au nord de la ville basse, le « palais P » ou « palais nord »[57]. Il est peut-être bâti sur un ancien palais royal qui servait de centre administratif dans la dernière phase de la période proto-syrienne. Il était de forme trapézoïdale, et couvrait environ 3 500 m². Sa partie centrale était une zone résidentielle apparemment réservée au roi, et on y a même identifié ce qui pourrait être une salle du trône, parce qu'une estrade en pierre bâtie sur un de ses côtés aurait pu servir pour porter le trône royal. Une salle proche disposait d'un grand bassin en basalte. Les salles situées au nord de l'édifice étaient des magasins. Il est possible que ce palais n'ait eu alors aucune fonction administrative, mais plutôt un rôle cultuel lié à la proximité du Temple P. Mais les fonctions exactes des trois espaces palatiaux identifiés pour cette période restent sujet à caution.
Les temples
Le « Temple P2 » se trouve dans la partie nord-ouest de la ville basse, dans une zone sacrée située entre le palais Q et le palais P, que P. Matthiae considère consacrée à la déesse Ishtar, en lien avec le temple de l'acropole[58]. Le temple P2 est un édifice mesurant 33 x 20 mètres, disposant de murs très épais, ce qui en fait le plus grand temple de cette période dans la ville et même parmi ceux connus pour toute la Syrie d'alors. Il est constitué d'une grande pièce centrale précédée d'un porche in antis. Des fragments de statues représentant des souverains et des hauts dignitaires y ont été exhumées. La plus complète, haute de plus de 1 mètre, représente un dignitaire assis sur un siège, dans un style typique de la Syrie de cette période, qui trouve des parallèles à Alalakh ou Qatna[59]. Un bassin cultuel sculpté a également été mis au jour dans ce sanctuaire. On a également dégagé dans cette aire sacrée un « Monument P3 », qui présente un caractère massif. Il mesure 52,40 mètres de long pour 42 de large, est bâti avec des blocs de pierre entourant une cour (de 23,20 x 12,40 mètres) inaccessible de l'extérieur. Aucun mobilier n'y a été identifié. P. Matthiae a proposé d'y voir un endroit où on gardait des lions, animaux emblématiques de la déesse Ishtar. Le secteur P a également été le lieu de trouvailles de différents objets : figurines en terre cuite, deux serpents en bronze, un sceau-cylindre en hématite portant une scène cultuelle mettant peut-être en scène Ishtar, des coupes, ainsi que des fragments de métaux et pierres précieuses (or, argent, lapis-lazuli).
Dans la partie nord-est de la ville basse, un « Temple N », peut-être le temple du dieu-soleil Shamash, a été dégagé en retrait par rapport au reste des constructions. Un troisième temple dans cette partie de la ville vers le sud-ouest, le « Temple C », aurait été dédié au dieu chthonien Rashap[60]. Il est de dimensions réduites, et on y a retrouvé deux bassins lustraux à deux vasques, sur lesquels ont été sculptées des scènes cultuelles.
Un autre sanctuaire a été identifié non loin du précédent, le « Temple B2 »[61]. Il est organisé autour d'un espace central entouré de plusieurs pièces, le tout formant un bâtiment de forme irrégulière. Les murs de la salle principale sont bordés de banquettes et d'un podium, et les petites pièces disposées autour disposaient de plate-formes identifiées comme étant des autels. Selon le fouilleur du site, il s'agit d'un bâtiment dédié au culte des ancêtres royaux, bien connu le Bronze récent par les trouvailles épigraphiques d'Ugarit et archéologiques de Qatna. La salle centrale aurait servi pour les banquets organisés en l'honneur des défunts, tandis que les salles adjacentes auraient été des cellae dédiées aux différents rois décédés.
Enfin, le sanctuaire le plus récemment mis au jour pour cette période se trouve dans la partie sud-est de la ville basse, au-dessus de l'ancien Temple du Rocher[62]. On lui connaît un premier état le « Temple HH3 », dont il ne reste que les fondations, qui est remplacé vers 1800 par le « Temple HH2 », mieux connu. Il s'agit d'un temple in antis à façade, d'environ 25 mètres de long pour 16 de large, composé de 3 salles ayant toute la même largeur (9,10 mètres) : un vestibule de 2,50 mètres de long, une ante-cella de 2,30 mètres de long, et enfin une cella allongée (entre 9,50 et 10,50 mètres, le fond ayant disparu). Comme pour le Temple du Rocher, sa divinité tutélaire est inconnue.
Les résidences
Les monuments construits au pied de l'acropole devaient être bordés par les quartiers résidentiels, s'étendant au moins jusqu'à l'enceinte extérieure. Quelques maisons ont été fouillées dans la ville basse juste au sud-ouest de l'acropole (zones B et FF), et dans d'autres lieux de fouilles dispersés (zones A et Z près de deux portes, zone N au nord de l'acropole), certains de ces endroits montrant un échantillon de quartier d'habitat[63]. Ces maisons sont généralement construites avec un soubassement de pierre, les parties supérieures des murs et sans doute le toit (en terrasse) étant en briques d'argile crues et les murs intérieurs recouverts d'enduit. L'organisation interne de ces résidences présente des caractéristiques typiques des maisons du Levant de cette période. Les plus petites comptent généralement un vestibule, ouvrant sur un espace central d'où on parvenait à deux ou trois pièces. Les plus grandes avaient une organisation similaire mais comprenaient plus de salles. Elles utilisent également des matériaux de meilleures qualité, puisque leur sol peut-être couvert de dalles ou de calcaire broyé par endroits, alors que la plupart des résidences ont des sols en terre battue. Plus on trouve de pièces, plus celles-ci présentent une division fonctionnelle de l'espace : on peut ainsi repérer des espaces de stockage, de cuisine, ou pour des activités économiques liées aux échanges. La résidence FF, la plus vaste connue, a une organisation qui s'inspire du modèle de palais royal, notamment avec de vastes espaces de réception.
La destruction du site
Vers 1600, la ville d'Ebla est détruite dans la violence. Là aussi donc, les conditions de la destruction d'Ebla restent assez obscures. En l'état actuel des connaissances, le plus vraisemblable est de la relier aux destructions dues aux attaques des Hittites qui détruisent à la même période d'autres cités de la mouvance du Yamkhad, d'abord Alalakh sous Hattusili Ier (c. 1625-1600) puis la capitale Alep sous le règne de Mursili Ier (c. 1600-1585) qui fait ensuite subir le même sort à Babylone. En 1983, une tablette fut découverte dans les ruines de Hattusa, la capitale hittite, rédigée en hittite et en hourrite, racontant le récit épique de la prise d'Ebla par un souverain hourrite inconnu par ailleurs, nommé Pizikarra de Ninive[64]. Si on accepte la valeur historique de ce texte, il faut donc envisager que Pizikarra ait agi pour le compte du roi hittite. Quoi qu'il en soit, le site est alors abandonné, même si le nom de la ville apparaît encore dans une description de campagne du pharaon Thoutmosis III au XVe siècle.
Notes et références
- Matthiae 1996, p. 32-45
- Matthiae 1996, p. 25-27
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- Syrie 1993, p. 205-208 Exemples de trouvailles de ces tombes dans
- Matthiae 1996, p. 111 et 125
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- Matthiae 1996, p. 119-120
- P. Matthiae, « Ebla, Le Temple du Rocher au temps des Archives », dans Archeologia 450, décembre 2007, p. 52-53
- Matthiae 1996, p. 110-111 ; N. Marchetti, « Les maisons du Levant au Bronze moyen », dans Maisons urbaines au Proche-Orient ancien, Dossier d'archéologie 332, 2009, p. 14-17
- (de) E. Neu, Das hurritische Epos der Freilassung, I: Untersuchungen zu einem hurritisch hethitischen Textensemble aus Ḫattuša, Wiesbaden, 1996 ; (en) M. C. Astour, op. cit., p. 141-147, et les pages suivantes pour une analyse de la valeur historique de cette œuvre
Voir aussi
Articles connexes
Liens externes
- D. Charpin, « Ebla, à la découverte d'une riche cité-État de Syrie du Nord » sur Clio.fr
- Syria, Idlib, Ebla Photo Gallery sur Homsonline
- cdli.ucla.edu Idlib Museum
Bibliographie
- Syrie, Mémoire et Civilisation, Paris, 1993
- P. Matthiae, Aux origines de la Syrie, Ebla retrouvée, Paris, 1996
- (en) A. Catagnoti, « Ebla », dans R. Westbrook (dir.), A History of Ancient Near Eastern Law, vol. 1, Boston et Leyde, 2003, p. 227-239
- (en) A. Archi et M. G. Biga, « A Victory over Mari and the Fall of Ebla », dans Journal of Cuneiform Studies 55, 2003, p. 1-44
- P. Mander, « Les dieux et le culte à Ebla », dans G. del Olmo Lete (dir.), Mythologie et religion des sémites occidentaux. Volume 1. Ébla, Mari, Louvain, 2008, p. 1-160
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