- Dôme du Rocher
-
Le dôme du Rocher ou la coupole du Rocher (en arabe : قبة الصخرة , Qubbat As-Sakhrah; en hébreu : כיפת הסלע, Kippat ha-Sel‘a), appelé parfois mosquée d'Omar à tort[1], « premier monument qui se voulut une création esthétique majeure de l'Islam »[2], est un sanctuaire érigé sur ordre du calife Abd al-Malik ben Marwan[3] à Jérusalem, sur l'Esplanade des mosquées (Haram al-Sharif), troisième lieu saint de l'islam[4], où s'élève aussi la mosquée al-Aqsa, et destiné à abriter le « Rocher de la Fondation » (en réalité un affleurement du mont Moriah).
Achevé en l'an 691 ou dans la seconde partie de l'année 692[5](an 72 de l'hégire), il est actuellement associé au Isra et Miraj chez les musulmans.
Sommaire
Histoire
Comme cela est noté dans l'une des inscriptions en arabe qui courent dans le bâtiment, le dôme du Rocher est construit en l'an 72 de l'hégire, c’est-à-dire en 691 ou 692 de l'ère chrétienne, sous le règne d'Abd al-Malik[6]. Il s'élève sur le haram al-Sharif, l'esplanade de l'ancien temple de Jérusalem, dont une première version aurait été édifiée par le roi biblique Salomon, et une seconde, au VIe siècle av. J.‑C., agrandie au Ier siècle av. J.‑C. par Hérode Ier le Grand. Après une nouvelle destruction en 70 de l'ère chrétienne, sur ordre de Titus, l'esplanade était restée inoccupée, jalonnée seulement de quelques ruines[7]. La construction du dôme marque le début d'un programme de constructions sur le haram al-Sharif, qui compte notamment la mosquée al-Aqsa ou encore la coupole de la chaîne (qubbat al-Shakhra).
Élément central et majestueux de cet ensemble, le dôme fut restauré à de nombreuses reprises. Dès le début du IXe siècle, le calife abbasside Al-Mamun faisait ainsi effacer le nom d'Abd al-Malik pour le remplacer par le sien sur l'inscription[8]. Ensuite, chaque dynastie maîtresse de Jérusalem depuis les Fatimides jusqu'aux Ottomans a cherché à poser sa marque sur l'édifice, tout en conservant sans doute le plan et les proportions originales[9].
Durant les Croisades du XIIe siècle, l'édifice est transformé en église sous le nom de « Templum Domini », tandis que la mosquée al-Aqsa toute proche est transformée en palais par Baudouin de Boulogne. Les deux monuments sont tous deux rendus au culte musulman en 1187 après la prise de Jérusalem par Saladin[10].
Néanmoins, de nombreux éléments ont été remplacés, dans les mosaïques intérieures, où l'on note en particulier des restaurations mamelouks maladroites, dans la coupole, de nombreuses fois reconstruite, ou encore dans les plafonds peints, dont les motifs peuvent être datés du XIIIe siècle. Cependant, c'est sans doute le décor extérieur qui est le plus marqué par ces restaurations : au milieu du XVIe siècle (deux dates sont inscrites, équivalent à 1545 et 1551/52), sur ordre de Soliman le Magnifique, il a été complètement remplacé par un revêtement de carreaux de céramique ottomans[11]. Entre le XVIIIe siècle et le début du XXe siècle, le monument a fait l'objet d'au moins quatre campagnes de restauration : en 1720-21 à la demande du sultan Ahmed III ; en 1817 pour Mahmud II ; dans le troisième quart du XIXe siècle (1853-1874), à l'initiative d'Abdülmecid, mais terminée par Abdülaziz ; entre 1918 et 1928 par l'architecte anglais C.R. Ashbee[12].
Monument majeur de l'art islamique, le dôme du Rocher a très tôt fait l'objet d'études. Dès 1900, l'archéologue suisse Max Van Berchem a relevé les inscriptions[13], et Marguerite Van Berchem publie une étude sur les mosaïques en 1932 dans l'ouvrage de KAC Creswell, Early muslim architecture[14], qui lui-même propose une analyse approfondie du monument. Mais le scientifique qui s'est le plus penché sur le monument est sans contestes Oleg Grabar, qui publie ses premières hypothèses sur sa signification en 1959. Ses articles constituent le plus important corpus sur ce sujet, sur lequel de nombreux scientifiques ont planché.
Architecture
Plan
Le dôme du Rocher est situé sur une plate forme artificielle rectangulaire ouverte par huit escaliers, deux sur les côtés sud et ouest, un sur les flancs nord et est. Situé un peu à côté du centre de cette estrade, il suit un plan centré autour du point focal qu'est le « Rocher de la Fondation », en réalité un affleurement du mont Moriah. Ce plan se décompose en un premier anneau au centre constitué par une première colonnade autour du Rocher, supportant la coupole, cernée d'une seconde, octogonale. Ces deux arcades définissent un premier déambulatoire, tandis qu’un second se situe entre la seconde colonnade et les murs extérieurs, eux aussi à huit pans. L'édifice est ouvert par quatre portes, donnant en direction des quatre points cardinaux, l'une -celle qui regarde vers la mosquée Al-Aqsa, et donc vers la qibla- étant magnifiée par un portique plus important que ceux des trois autres ouvertures.
Ce plan n'est pas nouveau : il s'inspire visiblement de ceux des martyiria chrétiens, notamment le Saint-Sépulcre, situé lui-même à Jérusalem, et qui, à la fin du VIIe siècle, était essentiellement constitué d'une rotonde autour d'un tombeau du Christ, comme l'indique le pèlerin Arculfe.
Sous le Rocher se trouve une grotte, qui possède deux mihrabs et dont la forme originelle est impossible à définir étant donné les nombreuses restaurations.
Élévation
Deux types de supports sont utilisés : des colonnes de marbre de remploi colorées (marbre bleu notamment) et des piliers maçonnés. Pour la colonnade octogonale, la proportion est de deux colonnes reliées par des arcs surhaussés entre chacun des huit piliers ; dans celle circulaire, ce sont trois colonnes qui scandent l'espace entre quatre piliers, elles supportent des arcs en plein cintre à claveaux de couleurs alternées. Chaque colonne est surmontée d'un chapiteau à feuilles d'acanthes et des tirants de bois les relient, pour plus de solidité. Cette bande de poutres est continue et se place entre les chapiteaux et les arcs pour les colonnes et entre les piliers et les écoinçons pour les piliers.
Le mur extérieur est percé de nombreuses fenêtres à claustras ; on en compte sept sur les pans non-ouverts par une porte. Les portes, quant à elles, sont marquées par deux colonnes pour trois d'entre elles et par une arcade de huit pour celle qui regard vers la qibla. Seize fenêtres à claustras se retrouvent également sur le tambour du dôme central. Les doubles grilles qui meublent toutes ces ouvertures, tant sur le mur extérieur que sur la façade du tambour, datent de la période ottomane. Les fenêtres devaient être originelles en dentelle de marbre à l'intérieur et en fer forgé à l'extérieur.
Couvrement
Deux types de couvrement se combinent dans le monument. Au centre, une coupole surmonte le Rocher, située sur un haut tambour à deux étages, un plein en partie inférieure et un percé de seize fenêtres dans la zone supérieure. Elle s'élève à 25 m de hauteur pour un diamètre de 20 m et est constituée de deux coques de bois, dont l'extérieur est doré par un alliage. Selon Al-Muqaddasi (vers 985) et al-Wasiti un peu plus tard[15], la coupole avait originellement été dorée avec l'or qui restait en surplus après la construction, mais il y a tout lieu de croire que ce récit n'est qu'une légende. Dans la peinture d'Auguste de Forbin, Vue de Jérusalem, prise de la vallée de Josaphat, présentée au selon de 1831, le dôme est nettement doré[16] ; cependant, des photos datant de la première moitié du XXe siècle le montrent sans dorure[17], comme le sont encore actuellement les dômes d'al-Aqsa ou du Saint-Sépulcre. Il aurait été doré en 1965[réf. nécessaire] , mais la toiture actuelle, qu'il s'agisse de celle des toits du déambulatoire ou de la coupole elle-même date de la restauration de 1994[18].
Au-dessus des déambulatoires, c'est un toit en pente qui assure le couvrement. Il est caché à la vue par un haut parapet qui surmonte la façade extérieure. Contigu au tambour du dôme, il s'attache juste au-dessous des fenêtres à claustra dont celui-ci est percé. À l'intérieur, le plafond est daté du XIIIe siècle. La couverture des toits pentus à l'origine en plomb[19], est désormais en aluminium[20].
Décor
Le décor intérieur du dôme du Rocher est de trois types : des tirants de bois couverts de bronze, des placages de marbres sur les murs et les piliers et des mosaïques à fond d'or dans les parties hautes (écoinçons, soffits), que les restaurations n'ont visiblement pas altéré et qui s'étalent sur plus de 280 m². Le décor devait d'ailleurs être plus ou moins identique à l'extérieur[21], mais a été remplacé par des céramiques polychromes de très belle qualité à la période ottomane[22]. On ne sait pas si les mosaïques recouvraient toute la surface ou étaient organisées en bandeaux ou en panneaux. Par contre, le revêtement de marbre extérieur est resté intact[23].
Du point de vue de l'iconographie, on note l'absence totale de représentations figurées : ni humains, ni animaux ne sont représentés dans les mosaïques. On trouve par contre de nombreux motifs végétaux (guirlandes, feuilles d'acanthe, rinceaux de vigne, arbres réels et imaginaires, rosettes), et, à l'intérieur des arcades circulaires et octogonales et du tambour du dôme, des bijoux sous la forme de couronnes sassanides et byzantines, de pectoraux et autres joyaux.
La symbolique du décor du dôme a soulevé bien des questions et interprétations ; il semble en effet, étant donné son agencement et son iconographie, que celui-ci n'avait par pour seule vocation d'être ornemental et chatoyant. Oleg Grabar pense que les bijoux peuvent être interprétés comme des symboles de nations défaites suspendus comme des trophées sur les murs (spolia) [24], ainsi qu'on en trouvait à la kaaba, mais beaucoup d'autres lectures, contradictoires ou complémentaires, ont été apportées.
On a souvent rapproché les mosaïques du dôme de mosaïques chrétiennes, comme celles de l'Église de la Nativité à Bethléem, par exemple. En effet, il est assez probable que leurs réalisateurs soient des artistes chrétiens ou musulmans récemment convertis, et formés dans des traditions chrétiennes ou juives. Les mosaïques tirent d'ailleurs leurs motifs de l'antiquité tardive. Toutefois, on remarque une adaptation au modèle musulman, notamment dans la disparition de la figuration, ce que l'on retrouvera quelques années plus tard à la Grande mosquée des Omeyyades de Damas[25]. Oleg Grabar note par ailleurs la naissance dans le dôme du Rocher de deux grands principes spécifiques à l'art islamique : l'utilisation de formes réalistes à des fins non-réalistes - incrustations de joyaux dans le tronc d'un arbre, par exemple - et la variation infinie sur un même thème, en arrangeant différemment des motifs semblables. De plus, contrairement aux bâtiments de l'antiquité classique, le décor du dôme n'est pas subordonné à l'architecture et ne cherche pas à mettre en valeur la structure du bâtiment, mais au contraire couvre tout le bâtiment, comme pour créer une atmosphère particulière, un lieu unifié sans architecture réellement tangible[26].
Inscriptions
Le dôme du Rocher constitue le premier bâtiment où se déploie un programme d'inscriptions mûrement réfléchi. Trois sont umayyades : une, longue de 240 m, se situe au-dessus des arches de l'arcade octogonale extérieure, les deux autres se trouvant sur les portes est et nord. Il s'agit à chaque fois d'inscriptions religieuses issues du Coran, mis à part le nom du commanditaire, Abd al-malik (qu'Al-Mamun a tenté de remplacer par son nom) et la date. Lues depuis 1900[27], elles font principalement référence à la grandeur et à l'unicité de Dieu, s'attardent sur les missions prophétiques et notamment le rôle de Jésus comme prophète, font allusion au paradis. On peut y voir une affirmation de la grandeur de l'islam à la fois en direction des nouveaux convertis, des musulmans hésitants et des non-musulmans[28], mais Myriam Rosen-Ayalon en a montré aussi les tenants eschatologiques afin d'appuyer sa thèse selon laquelle le dôme du Rocher est une préfiguration de la Jérusalem céleste[29].
Sources et innovations
Architecture et décor puisent grandement dans le vocabulaire de l'Antiquité tardive, méditerranéenne notamment, quoiqu'on trouve des éléments plus iraniens, comme les palmettes ailées des mosaïques. Plan, matériaux (les colonnes, avec leurs chapiteaux et leurs bases, sont récupérés des ruines de l'esplanade), méthodes de construction et techniques de décor sont empruntées à Byzance et à Rome.
Néanmoins, on remarque qu'aucun bâtiment paléochrétien ni byzantin ne ressemble formellement au dôme du Rocher. Celui-ci puise certes son inspiration dans la tradition préislamique, mais la sublime pour arriver à un monument typique de l'islam. Ceci se remarque tout d'abord dans la géométrisation parfaite de l'édifice : les côtés mesurent autant que le diamètre de la coupole, et chaque point de l'édifice dérive du rocher central. Quelques éloignements sont à noter, notamment dans la disposition des colonnes, mais ils obéissent à une considération visuelle : l'observateur peut voir le Rocher à quelque endroit qu'il se trouve, son regard n'étant jamais bloqué par une colonne ni un pilier. La conception du décor, aniconique, avec de longues inscriptions arabes et des bijoux est aussi entièrement nouvelle, même si elle s'appuie sur des éléments anciens tels que les rinceaux d'acanthe, par exemple. Enfin, il faut noter la grande richesse dans les coloris, très rarement égalée dans un bâtiment de l'antiquité tardive, hormis sans doute les mausolées de Salonique et de Gala Placidia.
Les raisons de la construction
Il est difficile à l'heure actuelle de connaître précisément les facteurs qui poussèrent le calife omeyyade Abd al-Malik à commander la construction du dôme du Rocher, dont la fonction précise n'est pas déterminée par sa forme ni par ses inscriptions. Plusieurs facteurs, à la fois politiques et symboliques, peuvent être cités.
Des raisons politiques
Dès le IXe siècle, on trouve dans les sources l'idée que le calife souhaitait détourner le hajj, pèlerinage rituel de La Mecque, alors occupée par un rival, vers Jérusalem. Cette hypothèse est mentionnée par l'historien 'abbasside Yaʿqūbī vers 874 et par un prêtre orthodoxe d'Alexandrie, Eutychius (mort en 940), qui s'appuient sur des sources visiblement différentes. Néanmoins, la plupart des chercheurs actuels tombent d'accord pour dire que cette explication est fausse, et donnent à cela plusieurs raisons : l'absence de mention d'un détournement du pèlerinage dans la plupart des sources historique (notamment Tabari, Baladhuri et Maqadasi), et le « suicide politique » que ce changement radical dans le dogme musulman aurait constitué pour Abd al-Malik, déjà mal considéré sur le plan religieux par son appartenance à la famille umayyade. De plus, on trouve, dans un texte de Baladhuri, la preuve que le pèlerinage s'est poursuivi visiblement sans problèmes durant les problèmes politiques qui avaient alors lieu. Autre élément important, la pratique du pèlerinage à Jérusalem semble assez difficile pour des raisons d'espace[30]. Enfin, si l'on accepte la thèse de Sheila Blair selon laquelle le dôme a été construit dans la seconde partie de l'année 692, les dates ne concordent plus, et l'empire se trouvait alors dans un moment d'apaisement après la victoire du général al-Hajjaj.
Ce dernier fait peut nous offrir une seconde lecture du bâtiment, monument de victoire de la dynastie umayyade[31]. Par la même occasion, le dôme célèbre aussi l'Islam triomphant, au centre d'une ville majoritairement chrétienne et à forte communauté juive. Le dôme aurait ainsi mis en valeur la victoire de l'Islam, complétant la révélation des deux autres religions monothéistes, et aurait permis à l'état nouveau de rivaliser en magnificence avec les grands sanctuaires chrétiens de Jérusalem et de Syrie. Plusieurs arguments appuient cette interprétation : la taille du dôme, sa position théâtrale dans la ville et son ancien revêtement brillant, de céramiques à fond d'or prouvent qu'il était fait pour être vu de loin. De plus, son plan centré, donne l'impression que le monument irradie dans toutes les directions, concourant également à un effet scénique[26]. Toujours selon Oleg Grabar, le programme d'inscriptions peut être lu comme un manifeste de la supériorité de l'islam sur le christianisme, quoique tous les chercheurs, notamment Myriam Rosen-Ayalon, ne soient pas tout à fait d'accord avec cette interprétation. Les bijoux et les couronnes ornant l'intérieur du bâtiment seraient alors des trophées, peut-être en référence à ceux accrochés autour de la Kaaba. Cet usage serait corroboré par les poésies et les déclarations officielles contemporaines[26]
Le choix du lieu lui-même est extrêmement symbolique : lieu sacré juif, où restent encore des ruines des temples hérodiens, laissé à l'abandon par les chrétiens pour marquer leur triomphe sur cette religion, il est à nouveau utilisé sous l'Islam, marquant alors la victoire sur les Chrétiens et, éventuellement, une continuité avec le judaïsme. D'ailleurs, comme l'a montré Priscila Soucek, le lieu est associé à David et à Salomon, deux souverains exceptionnels dans la tradition biblique, dont le prestige est censé rejaillir sur le calife qui s'installe sur leurs traces. Enfin, l'historien Al-Maqdisi, au Xe siècle, écrit que le dôme a été réalisé dans la but de dépasser le Saint-Sépulcre, d'où un plan similaire, mais magnifié.De cette analyse on a pu conclure que le dôme du Rocher peut être considéré comme un message de l'Islam et des Umayyades en direction des chrétiens, des Juifs, mais également des musulmans récemment convertis (attirés par les déploiements de luxe des églises chrétiennes) pour marquer le triomphe de l'Islam. Mais ce n'est pas la seule hypothèse…
Des raisons religieuses
D'autres explications, plus symboliques et pas forcément contradictoires, ont été avancées après l'analyse des traditions liées à l'emplacement.
Dans les coutumes juives, le mont Moriah est désigné comme le site du temple de Salomon, et le Haram al-Sharif aurait été érigé dans les temps Hérodiens, lors de la reconstruction du temple et son extension, à la fin du VIe siècle av. J.‑C.. Des restes archéologiques assez important, en particulier le mur des Lamentations témoignent encore de ce passé. Néanmoins, dans la Bible, le Rocher appelé aussi « Rocher de la Fondation » n'est jamais mentionné, et ne semble pas jouer un rôle prépondérant.
Des traditions situent aussi à cet endroit la Ligature d'Isaac par Abraham, et au début de l'islam, des hadiths[32] auraient situé sur le Rocher le lieu depuis lequel Dieu quitta la Terre après sa création pour retourner au ciel[33]. Une coutume plus tardive associe aussi le Rocher à l'isra, le voyage nocturne de Mahomet, et au miraj, son ascension, durant laquelle il aurait visité les sept cieux et reçu de Dieu les cinq prières journalières de l'islam. Le rattachement de ces évènements à Jérusalem apparaît assez tôt, dès le VIIIe siècle dans les textes, mais ce n'est que vers le XIIe - XIIIe siècle que les sources islamiques mentionnent réellement le Rocher comme point de départ du miraj. Cet amalgame n'existait probablement pas au temps de la construction du dôme, quoiqu'il ait pu être ancré bien plus tôt dans les récits populaires.
Une autre analyse a été fournie par Myriam Rosen Ayalon[34] qui, après avoir étudié de manière détaillée les inscriptions coraniques et les décors de mosaïque, estime que le dôme avait une vocation paradisiaque et eschatologique, et devait être considéré comme une sorte de préfiguration de la Jérusalem céleste. Cette thèse, existe déjà chez al-Watisi au XIe siècle, qui, dans sa description du dôme, fait usage de métaphores bibliques à vocation apocalyptique. Plusieurs parallèles ont été établis, dont un avec le saint-Sépulcre de plan semblable, et qui possède en son centre, outre le tombeau du Christ, un rocher, comme le dôme. L'eau représentée dans les mosaïques et dans les veines du marbre, la forme octogonale du bâtiment, le rocher qui pourrait rappeler le tombeau du Saint-Sépulcre par sa disposition, les quatre portes constitueraient ainsi autant de références au paradis. Oleg Grabar note d'ailleurs que, dès 70, c’est-à-dire juste après la destruction du temple d'Hérode, s'était développé un pèlerinage à vocation eschatologique. Priscilla Soucek, quant à elle, associe le dôme au temple et surtout au palais de Salomon, réputé dans la tradition coranique pour ses richesses (d'où les bijoux et les couronnes). Elle estime que, dans une vision plus large de la lecture coranique du mythe de Salomon, on peut identifier ce palais au Paradis[35].
La grotte
Le Rocher abrite une grotte, à laquelle on accède par un escalier. Attestée comme mosquée en 902-903, elle est pourvue d'un mihrab dont la datation fait débat : K.A.C. Creswell, suivi par Klaus Brisch et Géza Féhévari estime qu'il est contemporain du dôme, mais Eva Baer, sur des critères stylistiques, a remis en cause cette datation, estimant que l'œuvre ne peut dater d'avant le IXe siècle, et qu'elle aurait été commandée par un membre de la famille Ikhshidide ou Fatimide[36] .
En 1911, le capitaine Montague Parker, jeune officier britannique animée par la recherche du « trésor de Salomon », entreprit de creuser clandestinement dans cette grotte après avoir tenté durant deux ans d'atteindre le dôme par un système de souterrains ; mais rapidement découvert, il dut s'enfuir. Cet incident donna lieu à une véritable crise diplomatique[37], et plus tard, à de nombreuses interprétations « New Age ».
Restriction d'accès
- Le dôme
Son accès est interdit aux non-musulmans alors que jusqu'en 1998, il leur était autorisé s'ils étaient munis d'un billet d'entrée.
Le 12 mai 2009, Benoît XVI se rend au Dôme du Rocher[38], devenant ainsi le premier pape à y pénétrer.
Depuis ces dernières années, Israël autorise l'accès au Dôme du Rocher uniquement aux hommes et aux femmes mariés, respectivement âgés d'au moins 50 et 45 ans.
- L'esplanade
Jusqu'au milieu du XIXe siècle, l'accès à la zone était également interdit aux non-musulmans. À partir de 1967, ceux-ci se sont vu accorder un droit d'accès restreint, mais les prières non musulmanes restent interdites sur le Mont du Temple.
En 2000, la visite considérée comme provocatrice du Premier Ministre israélien Ariel Sharon au Mont du Temple déclencha la Seconde Intifada. Cet évènement entraîna le retour de l'interdiction d'accès aux non-musulmans.
En 2006, la zone fut rouverte aux visiteurs non musulmans, sauf le vendredi et pendant les jours fériés pour les musulmans.
En 2009, la zone est toujours ouverte aux non musulmans, mais l'accès aux mosquées ne leur est pas permis.
Notes, références et bibliographie
- « [...]en dépit du nom de "mosquée d'Omar" qui lui est souvent attribuée, il ne s'agit pas d'une mosquée et on ne peut, en aucune façon, l'attribuer au calife Omar ou plutôt 'Umar (634-644), qui fut le deuxième des califes ayant succédé à Muhammad comme ses remplaçants à la tête de la plus ancienne communauté musulmane. » Rosen-Ayalon, Myriam. Art et archéologie islamiques en Palestine. Paris : PUF, "Islamiques", 2002, p. 27
- Oleg Grabar, La formation de l'art islamique, Paris : Flammarion, "Champs", 2000 (2de ed.), p. 72
- Joseph van Ess, « ‘Abd al-Malik and the Dome of the Rock »,in Julian Raby, Jeremy Johns (eds.) Bayt al-Maqdis: `Abd al-Malik's Jerusalem, vol. 1, Oxford: Oxford University Press, 1992.
- carte des lieux saints de l'islam sur le dite de la documentation française
- Jusqu'en 1999, la datation de 691, appuyée sur l'inscription du dôme, était couramment admise. En étudiant le contexte de création du dôme, S. Blair a repoussé cette date à la deuxième moitié de l'année 692. S. Blair, « What is the date of the Dome of the Rock ? », in Bayt al-Maqdis, 'Abd al-Malik's Jerusalem, Oxford studies in islamic art, IX, 1999
- cf. note supra
- Oleg Grabar, La formation de l'art islamique, Paris : Flammarion, "Champs", p. 78
- copie de l'inscription et bibliographie. L'inscription a été copiée, transcrite et traduite dans Combe, É., Sauvaget, J., Wiet, G., Répertoire chronologique d’épigraphie arabe, I, Le Caire, 1931, Imprimerie de l’Institut Français d’Archéologie Orientale, année 72, n° 9 et 10, p. 8-11. « Furthermore, the later caliph al-Ma'mum fit to substitute his own name for that to the founder, 'Abd al-Malik, thus showing his acceptance of the aims and purposes of the building » : Grabar, O, Ettinghausen, R. Islamic art and architecture, 650-250, New Haven & London : Yales University Press, 2001 (2de ed.), p. 19.
- « Fait rarissime pour le Moyen Âge et pour la Palestine, cet édifice prestigieux n'a subi aucune transformation essentielle. En dépit d'une série de restaurations, il conserve son plan d'origine et ses proportions intactes » Rosen-Ayalon, Myriam. Art et archéologie islamiques en Palestine. Paris : PUF, "Islamiques", 2002, p. 26
- « Quant à la coupole du rocher, les Francs en avaient fait une église (templum domini), ornant ses murs de peintures et de statues, et construisant une coupole soutenue par des colonnes de marbre à l'intérieur de l'édifice, au dessus du rocher. [...] Avec la reconquête de Jérusalem, la Coupole du Rocher retrouva sa fonction et son allure d'antan ». Anne-Marie Eddé, Saladin, Paris : Flammarion, 2008. p. 265
- Quelques éléments des mosaïques extérieures sont conservés dans des endroits inaccessibles.
- St. Laurent, Beatrice ; Riedlmayer, András. 1993. « Restorations of Jerusalem and the Dome of the Rock and Their Political Significance ». In Muqarnas X, 1993. p. 76-84
- Max van Berchem, Matériaux pour un Corpus Inscriptionum Arabicarum, t. 2 Syrie du Sud, Jérusalem, Le Caire : Imprimerie de l'Institut français d'archéologie orientale, 1927, n°215, p. 228-246
- Marguerite van Berchem, « The mosaics of the dome of the rock in Jérusalem and of the great mosque in Damascus », in CReswell, KAC, Early muslim architecture, t. 1, Oxford : Oxford University Press, 1932
- Rabbat, Nasser. « The Dome of the Rock Revisited: Some Remarks on al-Wasiti's Accounts ». In Muqarnas X, 1993. p. 67-75. Voir p. 68 pour la traduction du passage d'al-Wasiti dans le Fadâ'il al-Bayt al-Muqqadas.
- Notice de l'oeuvre sur la base de donnée Atlas du musée du Louvre Auguste de Forbin (1777 - 1841), Vue de Jérusalem, prise de la vallée de Josaphat, présenté au salon de 1831, huile sur toile, 97 x 128 cm, Paris, musée du Louvre, Département des Peintures, INV. 4491.
- [1] ; [2] Deux photos non datées montrant la coupole du Dôme du Rocher sans dorure
- http://archnet.org/library/sites/one-site.jsp?site_id=1419
- [3]
- note sur archnet.org
- « Des témoignages historiques, confirmés par l'archéologie, permettent d'affirmer que toute la façade, au moment de sa construction, était recouverte de mosaïques » Myriam Rosen-Ayalon, Art et archéologie islamiques en Palestine. Paris : PUF, "Islamiques", 2002, p. 29
- Sur la restauration à l'époque de Soliman le Magnifique : Sheila Blair, Jonathan Bloom, The art and architecture of Islam, 1250-1800, New-Haven et Londres : Yale University Press, 1994, p. 220
- Oleg Grabar, Richard Ettinghausen et Marilyn Jenkins-Madina, Islamic art and architecture 650 - 1250, New-Haven, Londres : Yale University Press, 2001 (2de ed.), p. 16.
- « Their position, added to the fact that no traditionnally trained artist would willingly mix royal symbols with vegetal designs, indicates that these are regalia of the princes defeated by Islam, suspended like trophies on the walls of a strictly Muslim building ». Oleg Grabar, Richard Ettinghausen et Marilyn Jenkins-Madina, Islamic art and architecture 650 - 1250, Yale University Press, 2001, p. 19
- Oleg Grabar, Richard Ettinghausen et Marilyn Jenkins-Madina, Islamic art and architecture 650 - 1250, Yale University Press, 2001, p. 19
- O. Grabar, Le dôme du Rocher, joyau de Jérusalem, 1997
- Elles sont notamment recensées par Oleg Grabar dans La formation de l'art islamique, Champs-Flammarion, Paris, 2000, p. 87-89
- Oleg Grabar La formation de l'art islamique, Champs-Flammarion, Paris, 2000, p. 87-89
- Myriam Rosen-Ayalon, « The Early Islamic Monuments of al-Haram al-Sharif. an iconographic study », Qedem, 28, Jerusalem, Hebrew University, 1989
- Oleg Grabar, La formation de l'art islamique Champs-Flammarion, 2000 : p. 74
- pour Nasser Rabat, qui privilégiait une datation plus précoce (691), il s'agirait d'affirmer la puissance de la dynastie dans une période de troubles. Nasser Rabat, « The meaning of the umayyad dome of the rock », Muqarnas VI, 1989. (cet article fut publié avant l'analyse de Sheila Blair)
- Traditions rattachées à la vie du Prophète
- Oleg Grabar, Richard Ettinghausen et Marilyn Jenkins-Madina, Islamic art and architecture 650 - 1250, Yale Univeristy Press, 2001
- M. Rosen Ayalon, « The early monuments of Haram al-Sharif, an iconographic study », Qedem 28, 1989
- Priscilla Soucek, « The temple of Solomon in islamic legend and art », in J. Gutmann (ed.) The temple of Solomon, Missoula, 1976, p. 73-123
- Baer, Eva. « The Mihrab in the Cave of the Dome of the Rock ». Muqarnas, vol. 2, 1985, p. 8 – 19.
- Fishman, Louis. « The 1911 Haram al-Sharif Incident: Palestinian Notables Versus the Ottoman Administration ». Journal of Plestine Studies, Printemps 2005, Vol. 34, 3, p. 6–22.
- www.eglise.catholique.fr du 12 mai 2009
Voir aussi
Liens externes
- Visite virtuelle 180° du Dôme du Rocher (extérieur) : Visite virtuelle 360° du Dôme du Rocher
Catégories :- Religion à Jérusalem
- Lieu saint de l'islam
- Construction octogonale
Wikimedia Foundation. 2010.