Dissonance cognitive

Dissonance cognitive
Le Renard et les Raisins, d'après la fable d'Ésope : lorsque le renard tente d'attraper les raisins et qu'il échoue, il décide qu'il ne les voulait pas après tout, un exemple de comportement pour réduire la dissonance cognitive[1].

La dissonance cognitive est un concept de psychologie élaboré par Leon Festinger et présenté dans le livre L'Échec d'une prophétie publié en 1956 en collaboration avec Henry Riecken et Stanley Schachter.

Selon cette théorie, l'individu en présence de cognitions (« connaissances, opinions ou croyances sur l’environnement, sur soi ou sur son propre comportement » [2]) incompatibles entre elles, éprouve un état de tension désagréable : c'est l'état de « dissonance cognitive ». Dès lors, cet individu mettra en œuvre des stratégies inconscientes visant à restaurer un équilibre cognitif. Ces stratégies sont appelées « modes de réduction de la dissonance cognitive ». L'une des stratégies pour réduire la dissonance cognitive consiste à modifier ses croyances, attitudes et connaissance pour les accorder avec la nouvelle cognition ; elle est appelée « processus de rationalisation ». En 2007, ce processus a été mis en évidence chez des singes capucins[3],[4].

Sommaire

Exemples

La version classique de cette idée est illustrée par la fable d'Esope « le Renard et les Raisins ». Un renard affamé aperçut une grappe de raisins qui pendait d'une vigne grimpante et voulut la cueillir, mais n'y parvint pas car elle était trop haute perchée. Il s'éloigna donc en se disant : « De toutes façons, ces raisins étaient trop verts ». De même certains hommes, quand leur propre faiblesse les empêche d'arriver à leurs fins, se consolent en s'en prenant aux circonstances.

Le concept de Festinger s'appuie notamment sur l'étude[5] d'une secte millénariste dont les membres prévoyaient la fin du monde pour une date donnée. Lorsque cette date arriva et que rien ne se passa, les membres de la secte ne se remirent nullement en question et transformèrent leur croyance en considérant que la Terre avait été sauvée grâce à leurs prières et qu'il fallait donc continuer.

De même, les fumeurs relativisent souvent leur dépendance par le fait qu'« il faut bien mourir de quelque chose », ce qui leur permet d'accepter plus facilement le fait de savoir que le tabac est nuisible pour eux et leur entourage.

Principes fondamentaux

Apprentissage contre rééducation

La rectification d'idées acquises est plus pénible pour un individu que l'apprentissage d'idées nouvelles pour lesquelles il ne possède pas encore de modèle. Ce phénomène avait déjà été signalé par Jean Piaget dans ses travaux. Carl Rogers l'admettait également. Les exemples abondent dans l'histoire : héliocentrisme contre géocentrisme, darwinisme contre créationnisme, etc. Les religions et les systèmes totalitaires (sans qu'il soit question ici de les comparer directement) marquent une préférence pour enseigner leurs points de vue dès la prime jeunesse, en tant que modèle primal.

Les fournisseurs d'équipements consentent également des réductions importantes aux écoles professionnelles car leurs élèves seront enclins à privilégier dans la vie professionnelle un matériel qu'ils connaissent déjà par rapport à un autre même moins cher ou plus riche en fonctionnalités. Des formations gratuites sont parfois proposées par des éditeurs de logiciels ou des fabricants de matériel, afin de mettre en place leur discours dans l'esprit du client qui sera ainsi moins réceptif aux arguments, différents, de la concurrence.

Investissement et engagement personnels

Plus l'investissement et l'engagement de la personne lui ont coûté, moins elle est prête à y renoncer. Selon Gregory Bateson[6] :

  • Plus un apprentissage a été difficile, malaisé, douloureux ou même humiliant, moins l'individu est prêt à remettre en cause la valeur de ce qui lui a été enseigné. Cela signifierait en effet qu'il a investi et souffert pour rien. Les exemples sont légion, surtout en informatique : attachement presque affectif à un système d'exploitation ou à un éditeur de texte, par exemple, en dépit de leurs défauts manifestes[citation nécessaire] ;
  • Le bizutage, à l'époque où il était toléré, s'associait par la suite à un tel attachement à une institution que dès l'année suivante le bizuté devenait bizuteur à son tour[7].
  • Lors d'enquêtes, on observe que plus un choix s'est montré difficile et engagé (d'une grande école, d'un appartement, voire d'un conjoint), plus on a tendance ensuite à estimer avoir effectué le bon, et donc à oublier certains éléments de l'environnement ayant peu de rapport avec ce choix. Le choix d'une grande école peut impliquer certaines positions philosophiques qui entraînent ce type de biais cognitif. Par exemple, une formation scientifique peut dans certains cas faire sous-estimer les phénomènes culturels ou les aspects juridiques.
  • Les mécanismes des ventes pyramidales s'appuient fortement sur le refus irrationnel de faire marche arrière alors qu'on s'est sûrement fourvoyé.

Ces phénomènes rejoignent aussi celui de doigt dans l'engrenage.

Applications

Communication

Un message visant à modifier le comportement d'un grand nombre de personnes (la cible) ne peut être accepté que lorsque toute dissonance cognitive a disparu chez les éléments de la cible. Il est fréquent qu'un risque de rejet subsiste par dissonance cognitive, lorsqu'une contradiction existe entre le message et des convictions ou des habitudes fortement ancrées chez des individus. Dans le cas du message « l'alcool au volant est un danger mortel », utilisé en prévention et sécurité routières, il y a dissonance cognitive si le sujet comprend le message tout en étant dépendant de l'alcool et s'il ne désire pas se défaire de cette dépendance.

Pour réduire cette dissonance, la cible peut soit éviter le message, soit l'interpréter pour diminuer la portée du message, jusqu'à remettre en cause sa crédibilité.

Pour faire accepter le message, la solution peut être de crédibiliser le message en s'appuyant sur des personnes de confiance (médecins, experts…) ou sur des faits avérés.

Pédagogie

Des faits contredisant l'opinion qu'un enfant a sur lui-même le placent devant une dissonance cognitive : selon que l'enfant a une bonne ou mauvaise image de lui-même, il pourra attribuer un échec ou une réussite à l'environnement extérieur au lieu de s'attribuer le résultat. Pour réduire la dissonance cognitive, l'enfant va ainsi chercher des excuses plutôt que remettre en cause ses convictions.

Robert Rosenthal et Lenore Jacobson[8] ont aussi mis au jour un phénomène qui peut trouver sens dans le cadre de la dissonance cognitive. Ils ont fait une expérience en utilisant deux groupes de rats équivalents. Au moment où on remet les rats aux étudiants chargés de les dresser, une remarque indique que le premier groupe est composé d'animaux doués, alors que le second est de pauvre qualité. Les résultats du dressage confirment ce pronostic fantaisiste. Des expériences en milieu scolaire vont dans le même sens. Les dresseurs adaptent les résultats aux attentes pour réduire la dissonance. Plus surprenant, en milieu scolaire le groupe d'enfants valorisé obtient objectivement de meilleurs résultats.

Article détaillé : Effet Pygmalion.

Voir aussi

Articles connexes

Références

  1. Elster, Jon. Sour Grapes: Studies in the Subversion of Rationality. Cambridge 1983, p. 123ff.
  2. Festinger 1957, p. 9.
  3. Egan, L.C., Santos, L.R. et Bloom, P., 2007 « The Origins of Cognitive Dissonance, Evidence From Children and Monkeys, Psychological Science, vol. 18, n° 11, pp. 978-983.
  4. Go Ahead, Rationalize. Monkeys Do It, Too., John Tierney, 6 novembre 2007, nytimes.com
  5. Festinger et al. 1956.
  6. Vers une écologie de l'esprit, tomes I et II.
  7. Voir aussi l'article « Retournement ».
  8. Pygmalion à l'école, 1968.

Bibliographie

Lien externe


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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Dissonance cognitive de Wikipédia en français (auteurs)

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