Bizutage

Bizutage
Page d'aide sur les redirections Pour le peintre belge connu sous le pseudonyme de Bizuth, voir Hubert Olyff.

Le bizutage (Europe) ou initiation (Amérique du Nord) est un ensemble de pratiques, épreuves, traitements ritualisés et imposés, destiné à symboliser l'intégration d'une personne au sein d'un groupe social particulier : étudiants, militaires, professionnels, etc. Ce genre de pratiques a souvent fait l'objet de l'attention des médias, suite à des incidents, ou plus simplement de par la nature dégradante et humiliante de nombreux bizutages.

Bizutage militaire d'un officier pilote - Compiègne, France - 1997

Sommaire

Europe

France

La définition donnée du bizutage, provenant de l'article 14 de la loi du 17 juin 1998, est : « Le fait pour une personne, d'amener autrui, contre son gré ou non, à subir ou à commettre des actes humiliants ou dégradants lors de manifestations, ou de réunions liées aux milieux scolaires et socio-éducatif. »[1]. Ainsi, contrairement à l'idée répandue, cette interdiction s'applique également « en cas de consentement de la personne »[2].

Le Code pénal français punit les actes de bizutage de six mois de prison et 7 500 euros d'amende. Les peines sont doublées lorsqu'ils affectent une personne fragile physiquement et mentalement[3].

Ces rites en sont parfois arrivés aux limites de la brimade, voire du racket (« taxe » des 3/2 par les 5/2 en taupe dans les années 1960). Pour désigner le bizutage, les termes d'usinage (École nationale supérieure d’arts et métiers), bahutage (Saint-Cyr ou absorption École polytechnique sont également employés.

Certains établissements, comme par exemple l'École des mines de Nancy, avaient aboli le bizutage-brimade dès 1957, et l'avaient remplacé par une série d'« exploits » que les nouveaux devaient accomplir pour prouver leur esprit débrouillard ou farceur (faire sonner à minuit les cloches de la cathédrale, par exemple).[réf. nécessaire]

Les filières concernées par le bizutage sont principalement les écoles d'ingénieurs, écoles de commerce, écoles militaires, facultés de médecine, pharmacie et classes préparatoires[4].

Historique

Depuis 1928, les gouvernements successifs ont vainement tenté de mettre fin au bizutage à travers plusieurs circulaires :

« Il y aurait des établissements, particulièrement ceux qui préparent aux grandes écoles, dans lesquels se seraient constituées des associations plus ou moins occultes d'élèves, ayant institué des règles ou des pratiques qu’elles s'efforcent d'imposer aux nouveaux venus. Je ne saurais tolérer ces abus »[5].

« Je suis saisi de nombreuses plaintes concernant les brimades exercées dans certains établissements, en particulier dans les classes préparatoires aux grandes écoles, par les Anciens à l'égard des plus jeunes. Je suis décidé à mettre fin à ces pratiques révoltantes. Il est inadmissible que certains jeunes Français exercent sur leurs camarades des violences qui évoquent irrésistiblement les mœurs du nazisme par la prétention d’imposer par la force une volonté capricieuse et même de porter atteinte à la conscience »[6].

« J'ai été amené à constater qu’en dépit des nombreuses instructions et mises en garde diffusées par mes prédécesseurs, la pratique des brimades envers les nouveaux élèves subsistait dans certains établissements, notamment dans ceux qui comptent des classes préparatoires aux grandes écoles. De tels abus sont inadmissibles. Je vous demande donc de rappeler une fois encore, aux différentes classes de votre établissement, les peines extrêmement graves auxquelles s’exposeraient les élèves qui croiraient pouvoir passer outre aux avertissements qui, à maintes reprises, leur ont été donnés »[7].

Par la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs, créée par Ségolène Royal, Ministre déléguée à l'Enseignement scolaire du Gouvernement Jospin, Le bizutage devient un délit[8].

Malgré cela, le bizutage reste toujours présent dans une majorité d'écoles sous la forme de « week-ends d'intégration » (WEI) fortement alcoolisés. En 2010, le Ministère de l’Éducation nationale adresse une lettre de rappel à l'ordre à l'ensemble des représentants d'établissement du supérieur[4].

Affaires récentes

  • Fin septembre 2008 : Faculté de médecine d'Amiens, Université de Picardie. A la suite de la révélation d'un bizutage obligeant des jeunes filles à mimer des positions sexuelles et devant l'absence de réaction de la direction, le recteur de l'académie d'Amiens, Ahmed Charai est démis de ses fonctions par Valérie Pécresse, Ministre de l'Enseignement supérieur[9],[10],[4].
  • Septembre 2009 : Un étudiant est forcé de boire de l'alcool au cours d'une soirée d'intégration de l'ENSAM d'Angers. A la suite du scandale, le directeur de l'établissement, Bernard Moreira-Miguel, est renvoyé par la ministre, Valérie Pécresse[11],[4].
  • Octobre 2009 : Agressions sexuelles lors d'un bizutage dans un lycée de Poitiers[12].
  • Juillet 2010 : Un pompier volontaire est brûlé sur tout le corps au cours d'un bizutage[13].
  • Septembre 2010 : Plaintes pour viol de deux étudiantes au cours des week-ends d'intégration de l'Institut commercial de Nancy[14] et de l'ESC Grenoble[15].
  • Janvier 2011 : Un père de famille porte plainte après des faits de bizutage au lycée naval de Brest[16].
  • Septembre 2011 : Des photos choquantes de filles nues et d'un pogrom prises lors d'un week-end d'intégration très alcoolisé de l'Inseec Bordeaux sont mises sur les réseaux sociaux[17].
  • Septembre 2011 : Renvois de six élèves après un bizutage dans le lycée privé Saint-Jean Lectoure[18].
  • Novembre 2011 : Université Paris-Dauphine. Victime de scarification, un étudiant de première année porte plainte, soutenu par le président de l'université[19].

Le bizutage vu par des personnalités

  • Saint Augustin écrit dans ses Confessions qu'il avait en « horreur leurs méfaits, ces brimades dont ils accablaient insolemment la timidité des nouveaux venus, qu'ils effrayaient et insultaient sans raison, pour nourrir leurs joies si méchantes. Rien ne ressemble davantage aux actes des démons. »[20]
  • Dans sa préface du livre Bizut : de l'humiliation dans les grandes écoles d'Aude Wacziarg, Pierre-Gilles de Gennes « compare explicitement les bizuteurs aux miliciens serbes »[21].
  • Valérie Pécresse, victime d'un bizutage lorsqu'elle était étudiante : « J'en garde le souvenir de rites humiliants, moralement et psychologiquement, qu'on peut supporter quand on est soi-même très solide mais qui peuvent briser des jeunes, et pour toute l'année »[10].

Belgique

Article détaillé : Baptême (folklore étudiant).

États-Unis

L'une des traditions annuelles les plus célèbres est le Ditch day du California Institute of Technology (Caltech), pour ainsi dire un bizutage inversé : les anciens quittent le campus pendant vingt-quatre heures, et les nouveaux disposent de ce laps de temps (mais se sont souvent préparés pendant des mois) pour « piéger » leurs chambres par tous les moyens possibles et imaginables (on en vit parfois certaines transformées en piscines, ou leurs portes murées de façon totalement indécelable). Il appartient aux anciens, guidés eux-mêmes par les enseignements anciens de leurs aînés, de prévenir ces pièges ou à défaut, au moyen de leur seule sagacité, de les déjouer.

Les controverses autour du bizutage

Affiche contre le bizutage dans l'Université fédérale du Minas Gerais, située à Belo Horizonte, Brésil.

Le bizutage, pratique sociale répandue et ritualisée, a donné lieu à une multitude d’analyses, parfois très divergentes. Ainsi, certains[Qui ?] psychologues parlent de traumatismes, de régression infantile et bestiale, de défoulement collectif. D’autres, comme Michael Houseman, ont mis en avant le rôle social du bizutage, qui établit les nouvelles hiérarchies à l’intérieur de l’école et entre l’école et l’extérieur. Certains[Qui ?] voient dans le bizutage un moyen pour le groupe de se protéger et/ou de se constituer. D’autres[Qui ?] y voient un rite d’initiation, de passage, au terme duquel le nouvel arrivant acquiert le statut de membre de la communauté étudiante. Ainsi, selon l’interlocuteur, le bizutage peut être un rituel, certes un peu bizarre, mais néanmoins indispensable pour éviter l’anomie et l’effritement de la société, alors que pour d’autres[Qui ?] c’est un fléau à combattre.

Le bizutage: un rite de passage ?

Article détaillé : Rite de passage.

Le bizutage peut être assimilé à un rite de passage dans la mesure où il permet, croient les bizutés et les bizuteurs, d'accéder à un nouveau statut et de faire partie d'un groupe. On le retrouve selon les mêmes règles dans des établissements différents à des époques différentes. La première phase est celle de la séparation, de la coupure des attaches. Dans les cas les plus clairs, le futur initié n'a plus ni nom, ni passé, ni droit. Il est réduit à l'état de chose. Son apparence physique change, il porte une parure imposée, souvent ridicule. Il doit perdre tout signe extérieur distinctif rappelant son ancien statut et sa personnalité. Cette négation est renforcée par la perte de patronyme. Le nouveau est affecté d'un sobriquet dévalorisant, voire d'un numéro.

Ensuite, succède à cette phase une période décisive, celle du rite de marge, de la vie marginale. Elle permet la « mise à plat » des personnalités et l'apprentissage de la culture propre à l'école, de ses coutumes et de son langage. Cette prise en main est le plus souvent brutale et sans appel. Les anciens créent un climat de panique, mettent en place une mise en scène impressionnante, multiplient les insultes et les punitions. Calqué sur une symbolique militaire, le dressage va tenter de fondre chaque individu dans le groupe et ne lui laisser comme alternative que la soumission ou l'exclusion.

Enfin, survient la sortie de l’initié, son agrégation au groupe. Elle est le plus souvent symbolisée par une fête générale. Anciens et nouveaux sont alors sur un pied d'égalité. L'administration y participe généralement[réf. nécessaire]. Ce rituel permet l’intégration des nouveaux au groupe.

Martine Segalen, dans « Rites et rituels contemporains » (1998), complète ce point de vue. Pour elle, dans les bizutages comme dans les rites d’initiation africains, le rituel vise à façonner un homme nouveau. Il constitue un groupe de pairs, une communauté soudée. Le bizutage permet au groupe de sélectionner et de reconnaître les plus aptes, il teste l’endurance physique et psychologique des nouveaux. Ainsi, le bizutage est bénéfique ; pour l’administration, car il met en place une communauté d’élèves avec laquelle elle pourra dialoguer, mais aussi pour la société car elle met en place des solidarités intermédiaires entre les individus et l’Etat et évite une trop grande individuation.

Ces arguments sont souvent repris par les bizuteurs. Ceux-ci, surtout quand le bizutage existe depuis longtemps, défendent le sens de cette manifestation, ainsi que les valeurs et les traditions qu’il perpétue. Pour eux, le bizutage crée une communauté fraternelle et il perpétue l’esprit de l’école. Ceux-ci mettent aussi l’accent sur les relations chaleureuses entre étudiants qu’il crée, ce qui permet de compenser un esprit de compétition trop vif.

Les différences entre bizutage et rite d'initiation

Les adversaires des explications anthropologiques du bizutage font remarquer les nombreuses différences importantes entre les rites d’initiation des sociétés pré-modernes et les bizutages modernes. Tout d’abord, dans le déroulement : ce sont non pas des adultes qui donnent l’initiation aux jeunes, mais des jeunes qui forcent des plus jeunes à leur obéir. Dans les cérémonies traditionnelles, le but est de transmettre une mythologie, des enseignements, ce qui souvent n’est pas le cas dans le bizutage. De plus, le bizutage ne fait pas passer l’enfant au statut d’adulte. Le nouveau obtient seulement un statut transitoire d’étudiant. La différence est que nous sommes aujourd’hui dans des sociétés de l’écrit, ou le vrai rite de passage est l’examen.

Le bizutage ressemblerait donc plus à un simulacre d’initiation, à une cérémonie qui n’aurait pas, loin de là, le sens et l’importance d’un rite de passage. Le bizutage ne serait donc, au sens de ses détracteurs, rien d’autre que ce qu’il semble être à première vue, c'est-à-dire une humiliation publique.

Notes et références

  1. Livre II, titre II, Chapitre V, Section 3 bis, Article 225-16-1 du code pénal
  2. Bizutage : Pécresse adresse un courrier aux doyens des facs de médecine sur RTL, 27 septembre 2008. Consulté le 8 novembre 2011
  3. Article 225-16-2 du code pénal
  4. a, b, c et d Julia Zimmerlich, « Week-ends d’intégration, élections de BDE : les nouveaux rendez-vous pour bizuter “en loucedé” » sur L'Étudiant. Consulté le 8 novembre 2011
  5. Circulaire du 20 octobre 1928 du Ministre de l'Instruction publique
  6. Circulaire du 8 décembre 1944 du Ministre de l'Éducation nationale
  7. Circulaire du 1 septembre 1962 du Ministre de l’Éducation nationale
  8. Ministère de l’Éducation nationale, « Instruction concernant le bizutage » sur Education.gouv.fr. Consulté le 8 novembre 2011
  9. Enquête sur du bizutage à la faculté de médecine d'Amiens, Le Point, 25 septembre 2008
  10. a et b Enquête sur une affaire de bizutage dans la fac d'Amiens sur Le Figaro, 25 septembre 2009. Consulté le 8 novembre 2011
  11. Arnaud Wajdzik, « Le directeur de l'Ensam « viré » par la ministre » sur Ouest-France, 27 janvier 2010. Consulté le 8 novembre 2011
  12. Mikaël Roparz, « Un bizutage dérape en agression sexuelle » sur France info, 15 octobre 2009. Consulté le 8 novembre 2011
  13. Cinq pompiers jugés pour un bizutage qui tourne mal sur Tf1, 21 septembre 2010. Consulté le 8 novembre 2011
  14. Bizutage: une étudiante violée durant un week-end d'intégration à Grasse sur Libération, 28 septembre 2010. Consulté le 8 novembre 2011
  15. Jérémy Maccaud, « Soupçon de viol lors du week-end d'intégration » sur L'Express, 24 septembre 2010. Consulté le 8 novembre 2011
  16. Bizutage au lycée naval de Brest : une plainte déposée sur RTL, 18 janvier 2011. Consulté le 8 novembre 2011
  17. Caroline Politi, « Bordeaux: un week-end d'intégration dérape » sur L'Express, 20 septembre 2011. Consulté le 8 novembre 2011
  18. Jean-Charles Galiacy, « Bizutage dans un lycée privé du Gers : six élèves renvoyés après le "jeu du string" » sur Sud Ouest, 27 septembre 2011. Consulté le 8 novembre 2011
  19. Bizutage présumé à Paris-Dauphine: la police judiciaire enquête sur Le Nouvel observateur, 8 novembre 2011. Consulté le 8 novembre 2011
  20. Saint Augustin, Les Confessions, chapitre III, Garnier-Flammarion, p. 52.
  21. Jean-François Forges, Éduquer contre Auschwitz, Esf Editeur, 1997, p. 144


Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

  • Martine Corbière, Le bizutage dans les écoles d'ingénieurs, Editions L'Harmattan, 2003
  • Pascal Junghans, Emmanuel Davidenkoff, Du bizutage et de l'élite des grandes écoles, Plon, 1993
  • Bernard Lempert, Bizutage et barbarie, Bartholomé, 1998
  • René De Vos, Le Bizutage, Presses Universitaires de France, 1999
  • Solenn Colleter, Je suis morte et je n'ai rien appris, Albin Michel, 2007

Wikimedia Foundation. 2010.

Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Bizutage de Wikipédia en français (auteurs)

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