- Colonies grecques
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Colonisation grecque
Sommaire
Causes générales
La sténochôria
Les textes grecs évoquent la sténochôria comme cause principale de la colonisation. Le mot grec sténochôria vient de "sténochoréo": « être à l'étroit ». Toujours est-il que grâce à l'amélioration du climat au milieu du premier millénaire avant notre ère (plus chaud et plus humide, attesté par la palynologie et la sédimentologie[1]), la surpopulation sur les rives de la Méditerranée a dû se faire sentir, comme le confirment d'ailleurs de nombreux textes anciens. Aussi, une des solutions agréées par les Grecs fut le départ vers de nouvelles terres. C'est d'ailleurs un phénomène qui affecta aussi les Phéniciens et, en Asie, les Austronésiens.
Les conflits internes, staseis
Par stasis on désigne toute crise intérieure, allant jusqu'à la guerre civile. La colonisation est une façon d'éviter une guerre civile, le groupe s'étant retrouvé en minorité partant pour fonder une nouvelle cité. Il ne s'agit pas forcément d'un conflit entre aristocratie et peuple, mais surtout des débats pour le pouvoir entre groupes aristocratiques et leurs clientèles respectives (vieille tradition méditerranéenne), ou d'une opposition à l'intérieur du groupe dirigeant, comme par exemple à Corinthe (voir Bacchiades).
Les colons manifestent souvent le désir de fonder une cité meilleure, voire idéale. Cette décision n'est prise que lors d'une situation d'extrême gravité.
Les motivations commerciales
L'approvisionnement de la cité est une nécessité vitale, néanmoins, la réalité sur les motivations commerciales est assez complexe. Aristote signale que le fondateur de Marseille était un marchand, mais il note bien qu'il s'agit d'une exception. Les colons avaient plutôt tendance à reproduire le modèle social de la cité grecque archaïque, caractérisé par la domination de la noblesse terrienne [2].
Les marchands (mais aussi les pirates) étaient sans doute les premiers Grecs à prendre contact avec les régions colonisables, mais il n'est pas du tout évident qu'ils aient eu un rôle moteur dans la colonisation. Rien n'indique non plus que la métropole ait bénéficié, même dans les débuts, d'un monopole commercial.
De plus, le volume des échanges entre la colonie et la métropole était le plus souvent insuffisant pour faire vivre la colonie. Les colonies grecques fondées pour des raisons commerciales sont rares sinon introuvables : Naucratis en Egypte n'est pas une "oikeia" au sens plein, puisqu'elle dépend de l'Etat égyptien puis perse et n'est pas indépendante. Les clérouquies d'Athènes ou les comptoirs de Marseille restent aussi des annexes de la métropole, et non des cités-filles.
Les connaissances maritimes s'affermissant, des progrès importants sont faits en matière de navigation, cela permet par exemple de charger plus les navires. Cela contribue également à rassurer les individus et à les inciter à partir puisqu'ils n'ont plus à tous laisser derrière eux.
Conditions et moments de départs
Le départ des colons est toujours un moment de déchirement. La colonie étant fondée pour éviter à la cité une famine, il est entendu qu'à partir du moment où les colons quittaient la cité, ils perdaient tout droit au retour. La métropole ne leur apporterait aucune assistance. Le corps civique subissait une véritable amputation : entre un dixième et un quart de la population partait, sans espoir de retour.
La décision et les acteurs
Une colonie ne se fonde pas à titre privé (sauf exceptions rares), mais résulte d'une décision prise par la cité, bien que celle-ci se mette rarement en avant.
Pour la fondation d'une colonie, on présente d'abord un projet à l'assemblée qui l'approuve ou le rejette. En cas d'accord, le conseil aristocratique prend en charge le choix des modalités et les mesures concrètes pour désigner qui va partir.
Il faut alors désigner un chef de l'expédition, nommé oikiste, le plus souvent choisi dans le milieu aristocratique. Cet oikiste choisit le nom et le lieu précis du nouvel établissement. Une fois arrivé, il établit et dote la colonie d'un système défensif. Après sa mort, il fait généralement l'objet d'un culte héroïque.
Dans le cadre de la pensée mythique où l'on accorde une part importante aux dieux, les cités ont besoin d'une caution divine qui sert à conforter les décisions humaines ; la fondation d'une colonie était risquée et suscitait des déchirements entre ceux qui devaient partir, sans espoir de retour et ceux qui restaient. On prend donc très vite l'habitude d'aller consulter l'oracle d'Apollon à Delphes. L'oracle propose une orientation géographique générale et donne son avis sur un projet élaboré par la cité.
Les critères de choix
Ils sont fixés par l'oracle. Cependant, on observe généralement un bon sens : il évite des pays trop structurés sur le plan politique comme l'Égypte ou la côte syro-palestinienne (Assyriens et Phéniciens), en conseillant de partir vers l'ouest ou vers l'est.
Il décrit également l'endroit où la cité-fille sera établie. Certains éléments se retrouvent dans tous les oracles, qui décrivent tous un site qui sera à même de garantir la souveraineté et l'autonomie de la colonie :
- le site sera facile d'accès par la mer ;
- le site sera facile à défendre (sur une île proche de la côte, sur un promontoire ou une colline) ;
- le site sera entouré d'un terroir riche ;
- le site disposera en outre d'une approvisionnement en eau permanent.
Ces critères appellent quelques commentaires. Tout d'abord, la facilité d'accès par la mer est indispensable quand on part en fonder une en partant par mer. Il s'agit donc d'un truisme. Étant donné les facteurs poussant à la fondation d'une colonie (la nécessité d'alléger la pression démographique sur le territoire de la métropole), les autres critères sont tout autant indispensables. Ces oracles sont donc un rappel de ce qui sera nécessaire à la colonie. De plus, l'état du peuplement autour de la Méditerranée au VIIIe siècle av. J.-C. rend la disponibilité d'un tel site illusoire : la réunion au même endroit de tant de facteurs favorables sur un site qui n'est pas occupé est impossible. Donc, quand les colons débarquent, ils doivent forcément expulser les prédécesseurs. Et bien que les récits de fondation n'évoquent jamais un épisode violent à l'origine de la cité, les fouilles montrent, à chaque fois que l'on descend au-dessous du niveau grec, un niveau d'incendie prouvant que l'installation de la colonie ne s'est pas faite pacifiquement.
Les étapes du mouvement
En général, on distingue deux phases du mouvement colonial grec :
- Première phase (775-675) :
- métropoles peu nombreuses (Chalcis, Érétrie, Corinthe, Mégare, Sparte, Rhodes),
- quelques fondations isolées,
- zones concernées réduites (Sicile, golfe de Tarente, détroit de Messine) ;
- Deuxième phase (625-510) :
- amplification et généralisation de la démarche,
- installations nombreuses,
- développement du commerce qui permet un enrichissement exceptionnel.
Caractères spécifiques des nouveaux établissements
Les relations des colonies avec la Grèce
Les colons emportent tout un bagage affectif et religieux : on part avec le feu sacré de la métropole, la colonie conserve le même panthéon et souvent la même divinité poliade.
Les liens sont concrétisés par les déplacements de métropole en colonie et vice versa lors des grandes fêtes religieuses.
Sur le plan politique, on conserve généralement les institutions de la métropole, au moins au début. L'évolution ne se fait que dans la longue durée.
Au début, les échanges commerciaux sont assez modestes. Peu de temps après, on assiste néanmoins à une véritable explosion. Ainsi, la richesse des gens de Sybaris est légendaire. Il n'y a cependant aucun lien politique entre la colonie et sa métropole : la nouvelle cité est complètement indépendante. Il arrivait qu'une colonie se retrouve opposée au cours d'une guerre à sa métropole : par exemple le conflit entre Corcyre et sa métropole Corinthe fut à l'origine de la guerre du Péloponnèse.
Les relations avec les peuples barbares
Après une phase de conflit initiale, brève en Méditerranée occidentale, plus longue en Thrace, les Grecs établissent des échanges réguliers avec les autochtones. Certaines colonies, Syracuse, Héraclée Pontique, Olbia à l'embouchure du Dniepr, finissent par asservir des communautés rurales proches (périèques) et leur font payer un tribut en grains.
Les relations avec les grands Etats "barbares" sont plus complexes. Si la conquête perse en Thrace semble avoir favorisé l'implantation des Grecs, la concurrence avec les Etrusques et les Carthaginois a limité leur expansion vers l'ouest.
Perceptions nouvelles
On remarque une résistance des colons grecs à toute imprégnation culturelle extérieure, même en Égypte. Sous le pharaon Psammétique Ier, il fallut des interprètes pour discuter avec les habitants de Naucratis.
On note un peu plus de receptivité dans le domaine religieux. Le syncrétisme leur apparaît comme moyen de se faire accepter sur les nouvelles terres.En revanche, la colonisation a un impact assez fort sur la perception des colons eux-mêmes. On constate ainsi un développement des écoles de philosophie à partir du VIe siècle av. J.-C. La confrontation avec d'autres cultures stimule une réflexion philosophique, mais l'autre ne sert que de détonateur par son existence, il n'est pas un interlocuteur.
À l'époque archaïque, le monde grec traditionnel n'est pourtant pas imprégné par cette nouvelle pensée philosophique, il faut attendre l'époque classique.La colonisation hellenistique
La période hellénistique est marquée par une nouvelle vague de colonisation. Cependant, à la différence de la colonisation archaïque, celle-ci se fait sous l'impulsion des monarchies gréco-macédoniennes. Alexandre le Grand, les Séleucides, les Lagides en particulier multiplient les fondations de villes, qui portent souvent leurs noms ou ceux de leurs proches: Alexandrie, Séleucie, Antioche, Ptolémaïs. Elles ne sont pas indépendantes, mais elles ont des institutions autonomes et contribuent à introduire les lois et usages grecs parmi les populations orientales.
Notes et références
- ↑ Sté. Géol. de France, Les Climats passés de la Terre, Vuibert, 2006, ISBN 978-2-7117-5394-9, et Jean-Claude Gall, Paléoécologie : paysages et environnements disparus, Masson, Paris 1994
- ↑ Moses I. Finley, Les Premiers Temps de la Grèce, Maspero, 1973. Jean Huré, Histoire de la Sicile, PUF Que Sais-je? 1975
Voir aussi
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