- Chasse fantastique
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La chasse fantastique, chasse aérienne, chasse sauvage dans la désignation générique, est une légende présente dans un grand nombre de pays, le Centre et le Nord de l'Europe, et dans la plupart des régions de France, principalement de l'Ouest, du Centre et de l'Est. C'est le nom qu'on donnait au fracas d'une tempête nocturne, d'un grand vent, parfois d'un vol d'oiseaux migrateurs, assimilé au passage de cavaliers en chasse et de meutes de chiens emportés dans les airs à la suite d'une malédiction. Ces légendes, basées sur un fond commun, portent des noms très variés.
Sommaire
Thématique
Contrairement à la plupart des légendes, qui n'ont pas besoin d'avoir un point de départ réel et « rationnel », la chasse fantastique trouve sans ambiguïté son origine dans la frayeur causée par le vacarme de tempêtes nocturnes. Ce thème est donc très ancien et ses développements d'autant plus diversifiés.
Chasse volante
Dans la majorité des cas, un personnage enfreint une loi sacrée : grand chasseur, il assiste à la messe, lorsqu'il entend un signal, ses valets ont levé un gibier. Le personnage n'écoutant que son instinct de chasseur quitte la messe, suivi de tout son entourage, pour sauter sur son cheval et partir à la chasse. Le punition du sacrilège ne se fait pas attendre : le personnage, ses compagnons, leurs valets, chevaux et chiens, sont emportés par une puissante tempête qui ne prend jamais fin, souvent à la poursuite d'un gibier qu'ils n'atteignent jamais, dans un supplice semblable à celui de Tantale. C'est cette chasse hurlante que l'on entend passer, la nuit, quand se déchaîne la tempête. Chaque version développe ensuite des détails différents.
On évoque parfois le sort des personnes qui se trouvent présentes lors du passage de la chasse, et des moyens d'échapper à une mort certaine : en faisant des moulinets au-dessus de sa tête avec un bâton ou avec son bras, en traçant un cercle sur le sol, en présentant une croix, etc. Les imprudents qui réclament une part du gibier (Part à la chasse !) voient tomber des cadavres humains, entiers ou en morceaux.
En Bretagne bretonnante, la légende est peu présente, c'est parfois le passage de l'Ankou et de son char qui est aérien[réf. nécessaire], ou bien, près de la baie des Trépassés, les chiens des équinoxes (chas an Geidell)[1], qui de l'enfer tentent vainement d'atteindre le ciel. Les chasses constituées uniquement de chiens sont fréquentes (la chasse à Briquet, Poitou) : en ce cas il faut attacher le chien de la maison, sinon il rejoindrait ses congénères. En dehors d'une chasse proprement dite (poursuite d'un gibier), on a alors un cortège de damnés errants, ou conduits en enfer ; ou des enfants morts sans baptême, à qui le Paradis a été refusé, et qui errent sans fin en gémissant.
Chasse terrestre
Il existe un autre thème de chasse maudite. Celle-ci n'est pas « volante », mais se fait dans les bois et les forêts, toujours à grand bruit, et sans qu'on la voie. Il n'est jamais souhaitable de se trouver sur le passage de cette chasse. Elle est en général le fait d'un pacte passé avec le Diable, qui condamne l'imprudent à parcourir la forêt en chassant, à certaines heures et dates fixées. Ce sont souvent des prêtres ou des moines qui sont tombés dans ce piège : ainsi, un moine de l'abbaye de Laval Dieu, qui aimait la chasse, voit une bête et s'écrie : « Le Diable m'emporte si ce n'est pas un loup ! » Or, c'était un renard. Le Diable surgit et menace d'emporter le moine, puis lui offre de ne prendre son âme qu'au jour de sa mort, mais en contrepartie il devra faire treize fois le tour des bois en criant « Taïaut ! », comme s'il chassait. C'est donc ce qu'il fait. Dans le pays, on l'entend, mais on ne le voit jamais. On lui a donné le nom d'Ouyeu : « le Crieur[2] ». En Espagne, la Santa Compaña est une procession de morts.
Noms des chasses fantastiques
Selon la région, le nom de la légende change, la plupart des noms commençant par le mot chasse suivi d'un nom de personnage (la Chasse Hennequin), d'un roi (la Chasse du roi Salomon, la Chasse du roi Artus), plus rarement d'un saint (la Chasse Saint-Hubert, Saint-Eustache...), d'un qualificatif (la Chasse sauvage, la Chasse galopine, la Chasse volante) ; mais on trouve aussi Menée (la Menée Hellequin) ou Mesnie, voire Mesnieye, désignant la « maisonnée »...
Dans le Centre, on trouve la chasse à Bôdet, ou le mulet-odet, ce qui ramène à l'âne et à la chasse à baudet : Une des scènes de la nuit dont la croyance est la plus répandue, c'est la chasse fantastique : elle a autant de noms qu'il y a de cantons dans l'univers. Chez nous, elle s'appelle la chasse à baudet, et affecte les bruits aigres et grotesques d'une incommensurable troupe d'ânes qui braient[3].
Hellequin, Hennequin et leurs variantes désignent un diable médiéval français, probablement issu du folklore germanique via Herla (Herla King en anglais, Erlkönig en allemand). Le personnage lui-même existait sous la Rome antique, avec un visage typiquement noirci au noir de fumée et déjà vêtu d'un costume étrange fait de cent pièces assemblées, le centiculus : on reconnaît là Arlequin, personnage de la Commedia dell'arte.
La Chasse-galerie et ses variantes (chasse Galery, chasse Galère, etc.), possiblement nommée d'après un seigneur nommé Gallery, de la Vendée et du Poitou, s'est répandue au Canada, où les chevaux ont été remplacés par un canoé volant déjà présent dans les mythes amérindiens. Les personnages bibliques abondent : Caïn, David, Hérode, Holopherne, Salomon.
Le roi Arthur (Artur, Artus) occupe aussi une place de choix. Les chasses sont rarement, du moins en France, conduites par une femme, qui est alors généralement anonyme (Dame blanche).
Sous le titre L’armée furieuse, Fred Vargas utilise le thème de la Mesnie Hellequin dans un roman policier paru en 2011[4].
Versions
France
- Alsace
- Chasse volante, Haute Chasse,
- Huperi
- Hüstscher
- Hubi
- Freischütz. L'opéra de Carl Maria von Weber, Der Freischütz, fait une référence à la chasse sauvage.
- Der Nachtsgœger (le chasseur de la nuit)
- Wilde Jäger
- Anjou
- Chasse Helquin
- Berry
- Chasse à Bôdet. Menée par le diable, qui emportait les damnés en enfer.
- Chasse à baudet
- Mulet-odet
- Chasse à Rigaud
- Chasse à Ribaut
- Bourgogne
- Le chasseur des Avents, et son chien Gavelo
- Bresse
- Chasse du roi Hérode
- Bretagne
- Chasse Arthur
- Chariot de David (Ille-et-Vilaine)
- Centre
- Chasse Macchabée, menée par Thibault le Tricheur, comte de Blois
- Chasseur noir (surnom du comte Thibault)
- Chasse macâbre (Blois)
- Chasse Malé
- Chasse Mare
- Chasse Maro
- Forez, Bourbonnais
- Chasse Maligne. Elle était menée par le diable.
- Chasse Gayère
- Franche-Comté
- Haute-chasse
- Chasse de la Dame de Moissey
- Chasse d'Oliferme (Holopherne ?)
- Gascogne
- Chasse Artus[5]
- Lorraine
- Le chasseur du bois de Krombesch
- Chasse de la bête du Rondet
- Le Mouni Hennequin
- La Mégnéye Hennequin
- Grande Chasse
- Chasse de Jean des Baumes
- Normandie
- Chasse Saint-Hubert
- Chasse Saint-Eustache
- Chasse de Caïn, Cache de Caïn
- Chasse Artus
- Chassartue (Fougères)
- Chasse Hennequin
- Chasse Annequin
- Chasse Proserpine
- Chasse céserquine ou chéserquine
- Chasse Mère Harpine
- Chasse du Diable
- Pays basque
- Mateo txistu. Au Pays basque, le meneur de la chasse est souvent un curé qui a abandonné sa messe pour aller à la chasse. De nombreux noms sont attribués à la chasse maudite.
- Chasse du roi Salomon. Parfois, il s'agit de l'abbé Salomon.
- Périgord
- Chasse Hérode. Son passage annonce une catastrophe prochaine.
- Picardie
- Chasse aérienne des quatre fils Aymon (Thiérache)
- Poitou, Saintonge
- Chasse Galerie, chasse Galery. Elle annonçait de grands événements. En Poitou, le seigneur Gallery était cruel et impie. Voulant poursuivre un cerf réfugié dans la grotte d'un ermite, celui-ci le maudit et condamna Gallery à une chasse éternelle.
- Chasse galopine
- Chasse à Caillau
- Chasse-Briquette, Chasse à Briquet (Vienne), constituées de chiens[6]
- Vosges
- Mesnieye Hennequin : troupe de musiciens invisibles.
Canada
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- Chasse-galerie
- The bewitched canoe
- The flying Canoe
USA
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- Wild Hunt
- Woden's Hunt
- Herod's Hunt
- Gabriel's Hounds
- Cain's Hunt
- Devil's Dandy Dogs
- Ghost Riders
Allemagne
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- Wotan. Les frères Grimm l'appellent Wutendes Heer, « l'armée furieuse », qu'ils font venir de Wotans Heer, « l'armée de Wotan ».
- Perchta, déesse germanique, équivalente à la nordique Freya.
- Berchtold, personnage masculin indéterminé, probablement dérivé de Perchta.
- Holda
- Dietrich de Berne
Espagne
- Galice
- Santa Compaña, ou estadea, estantiga, rolda, as da noite, pantalia, avisóns, pantaruxada... Procession de morts, ou d'âmes, conduite par un vivant portant une croix ou un chaudron rempli d'eau bénite. Il ne peut échapper à cette obligation que s'il rencontre un autre vivant qui prendra sa place. Pour éviter ce risque, il faut soit s'enfermer dans un cercle tracé sur le sol, soit se coucher face contre terre, ou d'autres gestes conjuratoires. Ce n'est pas une « chasse volante ».
- Asturies
- Güestia, identique à la Santa Compaña.
- Catalogne
- El conde Arnau (le comte Arnau), Ripollès.
Royaume-Uni
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- King Arthur
- Sir Francis Drake (Dartmoor)
- Wild Edric, nom d'un rebelle saxon
- Yeth (Heath), Wisht hounds (Devon) : chiens de l'enfer chassant les pécheurs.
- Dando and his dogs, The Devil and his Dandy Dogs (Kernow, Cornouaille)
- Cwn Annwn, The Hounds of Hell (les chiens de l'enfer), Pays de Galles.
- Gabriel Ratchets, Retchets (Somerset) : chiens.
- Arawn, ou Gwyn ap Nudd (dieu gallois du monde souterrain), Pays de Galles.
- Fionn mac Cumhaill et Fianna (Irlande)
- Manannan (Irlande)
- Herodias (Hérodiade), Guernesey. Chevauche accompagnée de sorcières. À noter qu'une tradition de chevauchée nocturne d'Hérodiade existe aussi dans les Pyrénées[7] françaises.
Pays-Bas
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- Wodan (Wotan)
- Gait met de hunties / hondjes (Gait avec ses chiens)
- Derk met de hunties / hondjes (Derk avec ses chiens), Derk met de beer (Derk avec l'ours)
- Henske met de hondjes / Hänske mit de Hond (Henske avec son chien)
- Het glujende Peerd (le cheval lumineux)
- Ronnekemere
- Berend van Galen
Suède
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- Chasse d'Odin
Danemark
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- Odin
- King Vold
- Valdemar Atterdag
Notes et références
- En breton, chas (prononc. "chass") est le pluriel du mot ki, chien.
- Claude Seignolle, Les Évangiles du Diable, chap. DCLXXV, Le Moine chasseur, p. 614
- George Sand, Promenade dans le Berry, mœurs, coutumes, légendes, Bruxelles, Complexes, 1992
- Fred Vargas, L’Armée furieuse, Viviane Hamy, 2011.
- Jean-François Bladé, Contes populaires de Gascogne, Paris, Maisonneuve, 1886 La chasse du roi Artus, in
- Claude Seignolle, Les Évangiles du Diable, chap. DCLXXIII, p. 610
- Bernard Duhourcau, Guide des Pyrénées mystérieuses, Tchou, éd. 1985.
Annexes
Bibliographie
- Paul Sébillot, Le Folklore de France : Le ciel, la nuit et les esprits de l'air, Paris, Imago, 1982 (réédition).
- Arnold Van Gennep, Manuel de folklore français contemporain, Paris, Maisonneuve et Larose.
- Claude Seignolle, Les Évangiles du Diable selon la croyance populaire, Paris, Maisonneuve, 1994 (1e édition 1964).
- Bertrand Hell, Le sang noir. Chasse et mythe du Sauvage en Europe, Paris, Flammarion, 1994, 382 pages.
- Claude Lecouteux, Chasses fantastiques et cohortes de la nuit au Moyen Âge, Paris, Imago, 1999. ISBN 2-911416-17-1
- Marylène Possamaï-Pérez, « La figure du roi dans le De Nugis Curialium de Gautier Map », in Et c'est la fin pour quoy sommes ensemble. Hommage à Jean Dufournet, Tome III, Paris, Honoré Champion éditeur, 1993, p. 1155-1170.
- Jean-Claude Schmitt, Les revenants. Les vivants et les morts dans la société médiévale, Paris, Gallimard, collection « Bibliothèque des histoires », 1994, 306 pages. Compte rendu de Didier Lett dans Médiévales, Vol. 13, n° 27, 1994, p. 147-149.
Articles connexes
- Alsace
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