Charles Desteuque

Charles Desteuque

à Reims, le 9 septembre 1851, décédé à Prémontré (Aisne) le 18 février 1897. Il repose à Reims au Cimetière du Nord.

Charles Desteuque, dit l'Intrépide Vide-Bouteilles est passé à la postérité grâce aux vers de Raoul Ponchon (1848-1937), dédiés à Jean-Louis Forain, autre compatriote illustre, que celui-ci écrivit en guise d'oraison funèbre, deux ans après sa mort, et publiés en 1920 dans La Muse au Cabaret, seule œuvre parue du vivant de Ponchon. Cependant dès 1888, le Courrier français avait publié « La Légende de lintrépide vide-bouteille ».

Charles Desteuque, journaliste, tenait, dans le Gil Blas, une rubrique réservée à la promotion de demi-mondaines. C'est ainsi qu'il découvrit La Goulue (1866-1929) au Moulin de la Galette et qu'il lui procura son engagement au Moulin rouge, en la présentant à Charles Zidler, lors d'une mémorable soirée au Grand Véfour.

Coïncidence étrange, – mais est-ce vraiment une coïncidence ? – le propre neveu et filleul de Joseph Oller, le fondateur et propriétaire du Moulin rouge, épousa la fille de Céleste Godbert (1857-1913). On se souvient que Céleste Godbert (cf. Regards sur notre Patrimoine, n° 9, juin 2001 : Lhôtel Godbert et ses hôtes) avait été décoré, en 1908, des Palmes académiques en qualité de critique dramatique, et à ce titre il ne pouvait que fréquenter les théâtres[1].

Joseph Oller (1839-1922), avait deux passions : les chevaux et le spectacle. Il fut linventeur, en 1867, du Pari Mutuel, avec la complicité du Charles de Morny. Il fut aussi le fondateur des « Fantaisies Oller », créa le « Théâtre des Nouveautés », la piscine Rochechouart, le « Nouveau Cirque », qui fera place à la Salle Pleyel, puis plus tard les « Jardins de Paris ». Il avait installé, en 1888, des « Montagnes russes » et à la place desquelles il fit construire : l'Olympia. Cette salle mythique fut inaugurée, le 12 avril 1893, par Loïe Fuller et La Goulue

Joseph Oller, propriétaire et aménageur des champs de courses de Maisons-Laffitte, fit aussi lacquisition du célèbre Bal Mabille à lemplacement duquel on construisit le Grand Palais, fleuron de l'Exposition universelle de 1900. En 1905, le ministre de lIntérieur le désigna pour faire visiter la capitale au roi dEspagne Alphonse XIII.

Son neveu, Henry Oller (1872-1950), propriétaire dune importante imprimerie à Puteaux, était responsable de lorganisation du PMU, avenue de la Grande-Armée à Paris. Par sa femme, il hérita de la Villa Godbert, magnifique propriété à Villers-Allerand, Eugène Desteuque, le père de Charles, y était propriétaire et maire de la commune

Si le « père du music-hall » repose au Père Lachaise, près de la tombe de Gilles Margaritis (1912-1965), le créateur de la Piste aux Étoiles, Henry François Joseph Oller et son épouse Hermine Céleste Godbert (1880-1950), prénommée comme son père, reposent en ce paisible cimetière de Villers-Allerand. La petite place Henry-Oller de ce village, dont ils furent les bienfaiteurs, rappelle leur souvenir.

Toulouse-Lautrec aurait-il représenté lIntrépide, en 1891-1892, dans le Danseur accompagnant La Goulue, « Charlot D… » avec un chapeau ? Mais il sagit plus vraisemblablement de Charlot le Déménageur que certains auteurs ont déjà confondu avec Charles Desteuque ? Ces auteurs lappellent dailleurs Desteuques, Desterque, Despocque, DestauquesCe Charlot, issu de lorphelinat, navait pas reçu la même éducation que notre Charles, il battait La Goulue

Cest encore dans lentresol quil occupait rue de Laval, face au cabaret du Chat noir, queut lieu le baptême par Laure de Chiffreville dÉmilienne d'Alençon (1869-1946).

Lorsque la grande courtisane publia ses mémoires, en 1940, Auriant, le critique du Mercure de France, reprocha à celle-ci son manque de mémoire ! et surtout son ingratitude envers Charles Desteuque, en racontant, par le menu, cette soirée, dans Le Mercure de France du 1er avril 1940.

On sait que cette croqueuse de diamants ruinera, entre autres, le jeune duc Jacques d'Uzès (1868-1893), arrière arrière-petit-fils de la veuve Clicquot. Il lui procura grand train de vie : appartement aux Champs-Élysées, attelage, domestiques et même quelques-uns des bijoux de sa mère la célèbre duchesse. Cette dernière lenvoya au Congo pour léloigner d'Émilienne. Il y mourut des fièvres, en 1895, et la duchesse, sans doute prise de remords, publia chez Plon « Le Voyage de mon fils au Congo » et lui fit élever, dans la ville dUzès, un magnifique monument par le sculpteur René de Saint-Marceaux (1845-1915), un autre Rémois illustre. Ce monument en bronze, Jacques de Crussol d'Uzès était représenté debout dans une pirogue au milieu de noirs pagayant, a disparu durant lOccupation allemande.

Un peu plus tard, Charles Desteuque devint secrétaire des Folies Bergère et cest lui qui fournira un énorme diamant, entouré de saphirs, La Belle Jacqueline, rival du Régent, le clou de la parure de Liane de Pougy (1869-1950) pour ses débuts sur la scène parisienne en avril 1894.

Ainsi devons-nous à Charles Desteuque davoir lancé dans le demi-monde, deux des Trois Grandes de la Belle Époque qui étaient connues pour être « la Belle Otéro » (1868-1965), Émilienne d'Alençon et Liane de Pougy. Ces trois égéries qui incarnèrent le triomphe de la femme, sa puissance sur la raison des hommes. Sans elles, a-t-on dit, la Belle Époque ne porterait pas son nom.

En 1994, lors de la publication de la biographie dAlphonse Allais, François Caradec, reparla du personnage, avec cette anecdote relatée par Adrien Berheim :

"Cest à cette joyeuse époque que nous nous réunissions lété à Trouville, en cette villa des Cèdres. Gandillot était le propriétaire de cette maison normande : Henri Fouquier, Alfred Capus, Coquelin cadet, Thérésa, Grosclaude et Allais en étaient les hôtes les plus illustres. Le boulangisme triomphait alors, et Charles Desteuque, lIntrépide Vide-Bouteilles, arborait une chemise sur laquelle apparaissait superbe la tête du général. Allais avait naturellement suivi lexemple : il avait décrété que tous les familiers de la villa des Cèdres iraient aux courses en bras de chemises boulangistesCette chemise fit merveille, comme tant de ces inventions drolatiques dont Allais passait toujours pour léditeur responsable…"

Ajoutons que le boulangisme fut soutenu financièrement par la duchesse d'Uzès, Anne de Rochechouart-Mortemart (1847-1933), mère du jeune duc déjà cité, qui fut propriétaire de lhôtel Ponsardin. On prétendit quelle y dépensa le montant de sa part dans la maison Clicquot quelle avait vendue, en 1888, à Alfred Werlé pour un montant de 2 800 000 F. Une autre Rémoise, tout aussi célèbre, la comtesse de Loynes, [Jeanne de Tourbet, alias Marie-Anne Detourbey (1837-1908)], aux origines plus obscures, plus connue sous le nom de Dame aux Violettes, soutint également le général Boulanger, par son salon politique et littéraire de lavenue des Champs-Élysées.

Cest aussi à Courcelles-Sapicourt, dans la propriété du Dr Auguste Lüling (1859-1950), des champagnes Heidsieck & Cie, queut lieu, en 1906, le mariage de la veuve Alphonse Allais avec le fameux Maurice Bertrand, en présence de Georges Victor-Hugo et dAlfred Capus, directeur du Figaro. encore, celui quon appelait le Monsieur de chez Maxim's, ce fils de notaire, représentant en vins de Champagne, nous a laissé de nombreuses anecdotes, dont celle-ci, particulièrement savoureuse : Un soir, on le trouva, pris de boisson comme souvent, appuyé à un réverbère de lavenue de lOpéra. On lui demanda ce quil attendait et il répondit : Jattends ! oui jattends ! Je vois les maisons qui passent et jattends la mienne pour sauter dedans ! On lappelait également le gentilhomme champagnard.

Si lon en croit Eugène Dupont, Charles Desteuque, tout comme Clémence de Pibrac, aurait contribué au lancement dune marque spéciale de champagne, quavait créée la firme Mumm, le « Cordon rouge ». Celui-ci se fabriquait avec les cuvées ratées. Cette marque, bien lancée, obtint un franc succès parmi les clients des cabarets nocturnes. Cétait le champagne qui se boit quand on nest plus à même dapprécier sainement les qualités dun vin mousseux. Après avoir été lune des Reines de Paris, étoile du Casino de Paris, Clémence de Pibrac (1869-1938), qui se produisait également dans la revue de fin dannée des Folies Bergère, redevint Clémence Procureur et se retira en son château de Cormontreuil. Elle repose au Cimetière du Sud sous un lourd et riche tombeau.

Raoul Ponchon ne fut pas le seul à sintéresser à ce fantoche montmartrois, comme lappelait Eugène Dupont, pendant dAchille Laviarde, roi d'Araucanie, beau comme un dieu, insolent comme un page. Alexandre Hepp écrivit à son propos : « Teint blême, yeux dun bleu malade, sourire crispé, cheveux drus et grisonnants »[1].

Enfin ce dernier écho, relatait dans La Vie Rémoise , de lintarissable Eugène Dupont : « La dernière fois que Charles Desteuque a été vu sur le Boulevard, cétait dans un équipage attelé de rennes[2]. Un traîneau à roulettes, emprunté aux accessoires dune troupe russe venue à Paris en représentations. LIntrépide, ayant à ses côtés un moujik à longue barbe, en touloupe et bonnet en peau de mouton, une belle fille, coiffée du kakochnick national, et dont le corselet pailleté dor était radieux, – semblait triomphant. Il trimballait à travers Paris, de rédaction en rédaction, ce nouveau numéro sensationnel des Folies Bergère, dont il était secrétaire ; et il y raconta avoir fait engager ces gens, par Marchand, à raison de 500 fr. par mois.

Vide-Bouteilles mourut à lasile psychiatrique de Prémontré le 18 février 1897, dans sa 46e année, et le service de son enterrement fut célébré discrètement à Reims en la chapelle du Cimetière du Nord le 20 suivant.

Source

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