Ces gens-là

Ces gens-là

Ces gens-là est une chanson écrite et interprétée par Jacques Brel, produite par Barclay et publiée en 1966 par les éditions Pouchenel de Bruxelles, dont le thème est le désespoir d'un amour impossible. C'est une chanson très sombre, dont la musique est un trois temps lent à thème répétitif, et dont le texte est composé de façon provocante.

Sommaire

Narration

Le narrateur prend à témoin un tiers (un certain « Monsieur ») et lui décrit les différents membres d'une famille, dont l'existence est particulièrement médiocre et désespérée. Il fustige en particulier leur immobilisme (ce qui contraste d'ailleurs avec le mouvement qu'il crée en les éloignant de lui)[1].

L'énumération se termine par la fille, la belle Frida qu'il aime éperdument, et dont l'amour est réciproque, mais dont la famille n'autorise pas le mariage, estimant que le prétendant n'en est pas digne, ce qui explique peut-être enfin pourquoi il les hait tellement.

Cette subjectivité du narrateur, qui pourrait entacher son jugement, a d'ailleurs été confirmée par Brel, qui l'a qualifié de « faux témoin » dans une entrevue avec Dominique Arban, sans pour autant rejeter la justesse de la critique qu'il porte sur la petite bourgeoisie[2]. D'autre part, bien qu'il dénonce ce milieu tout au long de la chanson, le narrateur conclut en prenant congé de son interlocuteur et en lui disant qu'il doit rentrer chez lui, ce qui peut être interprété comme un aveu du fait qu'il appartient lui-même à ce milieu, ou du moins en est proche[1].

Du point de vue vocal, l'interprétation commence de manière modérée mais s'amplifie progressivement, pour finir par exploser lorsque le narrateur évoque Frida, traduisant ainsi sa passion pour elle, ce qui tranche avec le volume presque inaudible de la phase de résignation qui suit immédiatement et sur laquelle s'achève la chanson[3].

Histoire de la chanson

Cette chanson reprend le principe brélien de la vérité progressive que l'on trouve dans plusieurs de ses œuvres comme Les Bourgeois, Mathilde ou Regarde bien petit. En l'écrivant, Brel a d'abord pensé qu'il s'agissait de l'histoire d'un juge de paix, un homme neutre, passant en revue toute une famille. Mais avec Frida, il devient « faux témoin » et d'un coup acteur de cette histoire, avec son propre parti pris, ce qui donne toute sa force au récit.

Selon son accordéoniste Jean Corti, Brel s'est sans doute inspiré d'une famille réelle pour dépeindre les personnages de cette chanson[4].

La chanson a été enregistrée pour Barclay le 6 novembre 1965[5]. Cet enregistrement dure 4 minutes et 38 secondes[6].

Le manuscrit des paroles de la chanson a été mis aux enchères à Paris le 8 octobre 2008 par Sotheby's à l'occasion du 30e anniversaire de la mort du chanteur ; estimé entre 6 000 et 8 000 euros, il a été vendu 60 750 euros[7],[8].

Reprises et détournements

Reprises

La chanson a été reprise par plusieurs artistes.

C'est ainsi qu'Ange l'a interprète en 1973 sur l'album Le Cimetière des Arlequins ; le groupe n'en chante cependant que les trois premiers couplets : le quatrième, celui évoquant Frida, est remplacé par un solo instrumental, et la pochette du disque mentionne « À Jacques Brel, nous n'avons pas osé te prendre Frida ».

La chanson a également été reprise dans plusieurs compilations réunissant des artistes rendant hommage à Brel : French B. en 1993 dans Brel, Québec, Noir Désir en 1998 dans Aux suivants, Michel Delpech en 1998 également dans Hommage : Ils chantent Brel.

De même, Florent Pagny en a enregistré une version en 2007 pour son album de reprises de Brel, Pagny chante Brel.

Oxmo Puccino, surnommé pour l'occasion « Black Jack Brel »[9], a rappé cette chanson en 2000 sur la compilation L'Hip-hopée : La Grande Épopée du rap français ; il y interprète les paroles fidèlement (contrairement à certains autres artistes ayant participé à cette compilation, dont l'objet est de reprendre des standards de la chanson française sur des rythmes urbains), se démarquant néanmoins de l'original dans le phrasé du dialogue avec Frida[10]. Abd al Malik l'a également revisitée en 2006 à la mode du slam dans son titre Les Autres, sur l'album Gibraltar[11].

Elle a été interprétée le 19 mai 2009 par Soan Faya lors de la saison 7 de Nouvelle Star.

Détournements

En 1985, l'humoriste Thierry Le Luron détourna cette chanson sous le titre Chez les Fafa, en référence au Premier ministre de l'époque Laurent Fabius.

Dans l'édition 1997 du spectacle humoristique Sois Belge et tais-toi, les paroles de la chanson sont modifiées pour les faire coller à l'affaire Dassault et Agusta[12].

Jean-Pierre Gauffre, chroniqueur à France Info, l'a également détournée le 9 octobre 2008, le jour du 30e anniversaire de la mort de Brel, sur le thème de la crise financière, le premier membre de la famille devenant l'Oncle Sam (les États-Unis)[13].

Voir aussi

Références

  1. a et b (fr) Pierre Halen, « Primitifs en marche : Sur les échanges intercollectifs à partir d'espaces mineurs » dans Bogumil Jewsiewicki (dir.) et Jocelyn Létourneau (dir.), Identités en mutation, socialités en germination, Septentrion, 1998 (ISBN 2-89448-126-8), p. 148 .
  2. (fr) Amina El Fassi, Brel et l'ironie, L'Harmattan, coll. « Espaces littéraires », 2006, 272 p. (ISBN 2-296-01095-4), p. 236–241 .
  3. (fr) Daniela Battaglia Damiani (trad. de l'italien par Brigitte Pargny), Comment percer dans la chanson et passer les auditions avec succès, Gremese, 139 p. (ISBN 88-7301-564-6), p. 74 .
  4. (en) Sara Poole, Brel and Chanson : A Critical Appreciation, University Press of America, 2004, 117 p. (ISBN 0-7618-2919-9), p. xvi .
  5. (fr) Biographie 1962-1965, sur le site des éditions Jacques Brel. Consulté le 23 janvier 2009.
  6. (fr) ISRC FR-Z01-66-00100, dans la base « Phonogrammes », SCPP. Consulté le 3 juillet 2009.
  7. (fr) « Lot 19 : "Ces gens-là", manuscrit de travail sur la chanson complète (1965) », sur le site de Sotheby's. Consulté le 22 octobre 2008.
  8. (fr) Jean-Louis Legalery, « Parce que, chez ces gens-là, monsieur, on compte... » sur Mediapart, 10 octobre 2008. Consulté le 22 octobre 2008.
  9. (fr) Pierre-Antoine Marti, Rap 2 France : Les Mots d'une rupture identitaire, L'Harmattan, 2005, 265 p. (ISBN 2-7475-9576-5), p. 46 .
  10. (fr) Anthony Pecqueux, Voix du rap : Essai de sociologie de l'action musicale, L'Harmattan, coll. « Anthropologie du monde occidental », 2007, 268 p. (ISBN 978-2-296-04463-0), p. 54 et 55 .
  11. (fr) Biographie d'Abd al Malik, sur le site de RFI Musique, juin 2007. Consulté le 23 janvier 2009.
  12. (fr) André Rémy et Baudouin Rémy, Sois Belge et tais-toi, Racine, 2006 (ISBN 2-87386-484-2), p. 46–47 .
  13. (fr) « Chroniques : Il était une mauvaise foi », 9 octobre 2008, sur le site de France Info. Consulté le 21 octobre 2008.

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