- Canular de Taxil
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Le canular de Taxil est un canular littéraire antimaçonnique français, sans doute le plus célèbre. Son auteur, Marie Joseph Gabriel Antoine Jogand-Pagès alias Léo Taxil, entouré de quelques collaborateurs restés dans l'ombre (Paul Rosen, Louis LeChartier etc.) conçut une mystification qui visait d'une part à discréditer la Franc-Maçonnerie (en la déclarant comme satanique) et d'autre part à humilier l'Église catholique romaine.
Sommaire
Histoire
Ayant commencé à accuser la franc-maçonnerie de dissimuler les pires bassesses morales et d'encourager ses adeptes au vice quand ce n'est pas au meurtre, Taxil l'assimile ensuite à une secte satanique vouant un culte à Baphomet, ceci dans des loges dont le chef suprême Albert Pike recevait ses ordres de Lucifer en personne.
Taxil mélangeait des éléments réellement tirés de rituels maçonniques avec des déformations de son invention. En particulier, sur plusieurs images désormais célèbres, il réutilisa des symboles du 18e degré du Rite écossais ancien et accepté en y remplaçant l'agneau pascal[1] par un bouc inspiré du « Baphomet » imaginé en 1854 par l'occultiste français Éliphas Lévi[2].
La prétendue conversion de Diana Vaughan, jeune et belle Américaine, supposée Grande Maîtresse du Rite Palladique Rectifié, convertie à la suite d’une prière à Jeanne d’Arc (pas encore canonisée à l’époque) représente un élément important de la mystification de Léo Taxil.
Taxil affirmait qu'Albert Pike, Grand Commandeur du Suprême Conseil de la Juridiction Sud du Rite écossais ancien et accepté, était également un pape luciférien et le chef suprême de tous les francs-maçons du globe, et qu'il était admis tous les vendredis à trois heures à conférer avec Satan en personne. l'affaire prit une telle ampleur dans les milieux catholique que Mgr Northrop, évêque de Charleston (Caroline du Sud), alla spécialement à Rome à ce propos pour assurer Léon XIII que les francs-maçons de sa ville épiscopale étaient de gens normaux, dignes et que leur temple ne s'ornait d'aucune statue de Satan[3].
Bien que Léo Taxil ait persuadé nombre de catholiques de son incroyable histoire — il entretenait une correspondance avec le pape Léon XIII où il l'informa des sombres menées du Palladisme – ses affirmations furent de plus en plus dénoncées comme une imposture, y compris par Léon XIII.
Au congrès antimaçonnique de Trente de 1893, un des points évoqués fut la réalité de l'existence de Diana Vaughan[4].
En 1895, Charles Hacks collabore au canular de Taxil en rédigeant avec celui-ci l'ouvrage qu'ils écriront sous le pseudonyme collectif de Dr Bataille: Le Diable au XIXe siècle. L'ouvrage rassemble 240 brochures publiées sous forme de périodique entre 1892 et 1895[5].
Deux jésuites, le père Grüber et le père E. Portalié, dénonceront l'imposture mais ne seront pas entendus[6].
Mais Abel Clarin de La Rive mena une enquête qui finit par confondre Léo Taxil. Celui-ci préfera alors prendre les devants et monter un dernier "coup" en annonçant lui-même et publiquement son imposture.
Léo Taxil déclara ainsi que tout ceci n'était qu'une « aimable plaisanterie » le 19 avril 1897. Ce jour-là, dans une conférence organisée à la Société de géographie devant des journalistes français et étrangers médusés, des délégués de la nonciature et de l'archevêché, des francs-maçons et des libres-penseurs, il appliqua la maxime qui avait fait son succès du temps de la libre-pensée: Tuons-les par le Rire. Ce qui suscita un tel scandale que la police dut intervenir pour calmer l'assistance et protéger l'auteur.
Postérité antimaçonnique
En dépit de la conférence de presse du 19 avril 1897, l'œuvre antimaçonnique de Taxil a continué d'exercer son influence dans certains milieux (catholiques traditionalistes, nationalistes, antidreyfusards). Ceux-ci n'ont jamais véritablement admis qu'il y ait eu mystification, refusant par conséquent de se reconnaître dupes. Alec Mellor explique également cette persistance par « ce phénomène fréquent dans la psychologie religieuse qu'est une certaine angoisse du sacrilège ; d'autant plus propre à prendre corps en pseudo-révélations fantastiques qu'elle est imprécise » [7].
Durant l'affaire Dreyfus, les antidreyfusards reprendront à leur compte certaines affabulations antimaçonniques de Léo Taxil, bien que ce dernier ait pris soin de se démarquer des antisémites en publiant notamment le pamphlet Monsieur Drumont (1890)[8].
Un ouvrage marginal, Le Mystère de Léo Taxil et la vraie Diana Vaughan, publié en 1930 aux éditions RISS sous le pseudonyme de « Spectator », prétend que Taxil avait été manipulé par les Francs-maçons[9] pour discréditer l'antimaçonnisme.
En 1934, Paquita de Shishmareff (sous le pseudonyme de Leslie Fry) publie Léo Taxil et la franc-maçonnerie. Lettres inédites publiées par les amis de Monseigneur Jouin (Chatou, British American Press). Antimaçonnique et antisémite, proche de l'extrême-droite, l'auteur prétend qu'un « fonds de vérité d'une importance incalculable [était] contenu dans les oeuvres attribuées à Léo Taxil [...]. Que pour en déguiser la source et la portée, il eût, avec son cerveau de Méridional et son amour des tréteaux, inventé la mise en scène, cela n'enlèverait rien à l'authenticité de certaines révélations » [10].
En 2002, un ou plusieurs auteur(s) anonyme(s) renoue(nt) avec ces thèses antimaçonniques (défendues par « une poignée d’irréductibles dont nous sommes les héritiers », dixit) en affirmant dans L'affaire Diana Vaughan - Léo Taxil au scanner (ouvrage paru aux éditions Les sources retrouvées), que c'est l'« aveu » de Léo Taxil du 19 avril 1897 qui est faux et que le Palladisme tout comme Diana Vaughan auraient bien existé[11].
André de La Franquerie a défendu l'hypothèse que Diana Vaughan avait bel et bien existé mais qu'elle aurait été enlevée au moment de révéler son existence[12].
La conférence du 19 avril 1897 vue par Le Figaro
Julien de Narfon écrit dans Le Figaro :
- LEO TAXIL dévoilé par lui-même
- – Vous n'avez pas l'air de vous douter que vous êtes une immonde fripouille !
- Cette interruption, absolument dénuée d'amabilité sinon de vérité, est la première qui ait coupé, hier soir, à la salle de la Société de géographie, les fort instructives déclarations de M. Léo Taxil.
- Il m'a bien semblé, d'ailleurs, qu'elle répondait assez exactement aux sentiments de l'auditoire, en dehors des rares amis – peu dégoûtés – dont l'orateur avait composé sa claque.
- Mais M. Léo Taxil ne paraissait pas le moins du monde se rendre compte de l'impression d'écœurement qu'il produisait sur une assemblée où les libres penseurs étaient cependant aussi nombreux que les catholiques. Et pendant près de deux heures il s'est vanté, le sourire aux lèvres, d'avoir joué, pendant les douze années qu'il vient de passer « sous la bannière de l'Église », la comédie de la conversion, et d'avoir mystifié sans mesure les catholiques, les prêtres, les évêques, les cardinaux et le Pape lui-même. Peut-être a-t-il fait toutefois moins de dupes qu'il ne se l'imagine.
- M. Léo Taxil a résumé en trois mots ce qu'il appelle « la plus colossale mystification des temps modernes » ; « Ma conversion au catholicisme a d'abord été un simple bateau. La collaboration de mon compère le docteur Bataille en a fait une escadre. Enfin, elle est devenue une véritable flotte grâce à Diana Vaughan. »
- Diana Vaughan a joué effectivement le rôle principal dans la grande mystification dont il se flatte aujourd'hui. Ce rôle était celui d'une ex-luciférienne convertie au catholicisme, et dont les abracadabrantes révélations sur les mystères du Palladisme et de la franc-maçonnerie étonnent depuis plusieurs années le monde religieux. Naturellement, toutes ces prétendues révélations émanaient de Léo Taxil en personne, dont le but, avoué aujourd'hui, était de gagner le plus d'argent possible en exploitant la crédulité des catholiques.
- Mais tout finit, et l'on s'est aperçu un beau jour que Diana Vaughan était un mythe et Léo Taxil un simple farceur. On le lui a dit sur tous les tons. C'est alors qu'il s'est décidé à brûler ses vaisseaux, j'allais dire ses bateaux.
- Il est douteux que les francs-maçons tuent le veau gras en l'honneur de ce singulier transfuge. Hier soir, il a été hué dans les grands prix. Mais le clergé, qui trop facilement lui ouvrit ses bras, fera bien de se montrer à l'avenir moins crédule et moins confiant. C'est la seule moralité à tirer de l'aventure[13].
Notes
- Irène Manguy, De la symbolique des chapitres en franc-maçonnerie, Dervy, 2005 (ISBN 2-84454-363-4), p.471
- Baphomet Voir l'illustration à l'article
- Encyclopédie de la Franc-maçonnerie, La Pochothèque, France, 2000, Albert Pike, page 666.
- Éric Saunier (dir.), Encyclopédie de la Franc-Maçonnerie, Paris, Livre de poche, « La Pochothèque », 2000.
- Yves Déloye, Le geste parlementaire, Charles Hacks ou la sémiologie du geste politique au XIXème siècle, Politix, n°20, 1992, p.129 Texte en ligne
- Histoire de la franc-maçonnerie en France, J-A Faucher et A. Ricker, p.372
- Alec Mellor, Dictionnaire de la franc-maçonnerie et des francs-maçons, Paris, Belfond, 1979, p.311.
- Fabrice Hervieu, Catholiques contre francs-maçons : l'affaire Léo Taxil in L'Histoire, n°145, juin 1991, p.37.
- Jack Chaboud, La Franc-maçonnerie, Librio, p.36
- Leslie Fry, op. cit., p.10 et 14.
- L'affaire Diana Vaughan - Léo Taxil au scanner
- André de La Franquerie, Lucifer & le pouvoir occulte : la judéo-maçonnerie, les sectes, le marxisme, la démocratie : synagogue de Lucifer & Contre-Église, p. 151-152-153 Texte en ligne
- Léo Taxil dévoilé par lui-même, Le Figaro, 20 avril 1897, page 3, 4e colonne. Julien de Narfon,
Bibliographie
- Eugen Weber, Satan Franc-Maçon. La mystification de Leo Taxil, Paris, Julliard, collection « Archives », 1964.
- Thérèse de Lisieux, « Le Triomphe de l'humilité » suivi de « Thérèse mystifiée » (1896-1897) : l'affaire Léo Taxil et le manuscrit B, Paris, Éditions du Cerf, 1975, 144 p.
- Jean-Pierre Laurant, « Le Dossier Léo Taxil du fonds Jean Baylot de la Bibliothèque Nationale » in Politica Hermetica, n°4, 1990.
- Fabrice Hervieu, « Catholiques contre francs-maçons : l'affaire Léo Taxil » in L'Histoire, n°145, juin 1991, p.32-39.
- Jacques Van Herp, « Une source de Lovecraft, Le Diable au XIXe siècle » in Lovecraft. Cahiers de l'Herne, n°12, Éditions de l'Herne, Paris, 1969, p. 141-146.
- L'affaire Diana Vaughan - Léo Taxil au scanner, 2002. Une interprétation antimaconnique de l'affaire, par un ou plusieurs auteur(s) anonyme(s) se présentant comme un « collectif de chercheurs indépendants, membres de l'Observatoire de la Haute-Maçonnerie et en collaboration avec la William Morgan Association ».
- Umberto Eco dans Le Cimetière de Prague raconte la mystification de Taxil et sa conversion « par le rire ».
- Thierry Rouault, Léo Taxil et la franc-maçonnerie satanique : analyse d'une mystification littéraire, Camion Noir, 2011
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