Campagne franco-americaine aux Etats-Unis en aout-septembre 1781

Campagne franco-americaine aux Etats-Unis en aout-septembre 1781

Campagne franco-américaine aux États-Unis en août-septembre 1781

Campagne franco-américaine aux États-Unis (août-septembre 1781)

Sommaire

Arrivée de de Grasse dans la baie de Chesapeak

Le 14 août, M. de Rochambeau reçut de Newport une lettre par laquelle on lui annonçait que la Concorde était de retour depuis le 5 de son voyage auprès de l'amiral de Grasse. Elle l'avait rejoint à Saint-Domingue après la prise de Tabago, lui avait communiqué les instructions de M. de Rochambeau et était repartie le 26 juillet. M. de Grasse faisait savoir à M. de Rochambeau qu'il partirait le 3 août avec toute sa flotte, forte de vingt-six vaisseaux, pour se rendre dans la baie de Chesapeak.[1]

On apprit aussi que les troupes britanniques qui étaient entrées quelques jours avant dans New York n'étaient pas celles de Cornwallis, comme M. de La Fayette l'avait écrit lui-même, mais la garnison de Pensacola dans la Floride que le général espagnol, Don Galvez, avait laissée sortir sans conditions après la prise de cette ville. Le général Clinton avait aussi reçu du Royaume-Uni un convoi portant trois mille recrues, ce qui montait en tout ses forces à douze mille hommes. Les alliés ne pouvaient lui en opposer que neuf mille.

De Williamsbourg, lord Cornwallis se retira sur Portsmouth, près de l'embouchure de la James River et par conséquent de la baie Chesapeak. La mer était libre pour lui et cette suite de mouvements rétrogrades semblait indiquer le projet d'évacuer la Virginie. La Fayette avait montré la plus grande habileté dans cette campagne, où, avec quinze cents miliciens seulement, il sut forcer à battre en retraite le général Cornwallis qui était à la tête de plus de quatre mille hommes.[2]

Les Britanniques s'embarquèrent à Portsmouth et La Fayette crut un instant qu'ils abandonnaient complètement la Virginie pour aller renforcer la garnison de New-York. Il l'écrivit même à Washington. Mais il apprit bientôt que leur seul but était de prendre une forte position à York et à Gloucester pour attendre des renforts qui devaient leur arriver. C'est là que La Fayette voulait les amener. [3].

Aussitôt que M. de Rochambeau eut reçu les dépêches apportées par la Concorde, il se concerta avec le général Washington, qui renonça définitivement au projet qu'il avait toujours formé de faire une attaque générale contre New-York. Les généraux alliés furent d'accord qu'ils devaient diriger leurs forces sur la Virginie, et il ne restait plus qu'à organiser les moyens d'exécution du nouveau plan de campagne. Pendant que M. de Rochambeau envoyait, le 15 août, Fersen auprès du comte de Barras pour lui donner avis de l'expédition projetée, Washington écrivait à La Fayette de garder ses positions devant York et d'attendre l'arrivée de la flotte de M. de Grasse, des troupes qu'il amènerait aux ordres de M. de Saint-Simon et des armées coalisées.

Tous les efforts de La Fayette eurent alors pour but d'empêcher que Cornwallis ne gagnât la Caroline et ne fît ainsi échouer la campagne des alliés. [4].

Sitôt le projet de la campagne arrêté, les généraux alliés le mirent à exécution. De la célérité de leur marche dépendait en grande partie le succès, qui était certain s'ils pouvaient rejoindre La Fayette avant le départ de M. de Grasse.[5] De son côté, le général Washington déterminait 2 000 hommes des États du Nord à le suivre en Virginie pour rejoindre La Fayette. Enfin 100 000 écus qui restaient dans la caisse du corps français furent partagés entre les deux armées.

Les alliés passent l'Hudson

Les troupes se mirent en mouvement le 19 août pour aller passer l'Hudson à Kingsferry. Les Américains suivirent la route le long du fleuve, tandis que les Français rétrogradaient sur leurs marches précédentes.

La première journée, de Philipsburg à Northcastle (18 milles), fut très-pénible. [6]

Dans ces conditions, qui auraient été désastreuses pour l'armée si la garnison de New-York eût fait une sortie, l'arrière-garde ne pouvait ni ne devait avancer beaucoup.[7]

Le gros de l'armée avait quitté Northcastle le 21, de grand matin. A deux milles de là elle passa la petite rivière qui porte ce nom ; puis, deux milles plus loin, le Croton-river à Pensbridge, où il y avait un pont de bois.[8]

Le 22 août, l'armée quitta Hun's Tavern et passa, après une marche de neuf milles, à Peekskill, village qui comptait à peine une vingtaine de maisons et qui est situé sur la rivière du Nord. Enfin elle arriva, quatre milles plus loin, à King's Ferry, et prit position sur le rideau qui domine la rivière du Nord. [9]

Pendant cette même journée les équipages et la légion de Lauzun traversèrent l'Hudson et vinrent s'établir à Haverstraw, près de la maison de Smith, dans laquelle Arnold avait eu sa dernière conférence avec le major André. D'un autre côté, Guillaule de Deux-Ponts protégeait l'embarquement avec la brigade de Bourbonnais qu'il avait fait avancer jusqu'à Verplank's-Point. Cette brigade passa à son tour le 24, et le reste de l'armée le 25.

Tous les officiers supérieurs de l'armée s'accordent à dire que le général britannique fit preuve pendant tous ces mouvements d'une maladresse singulière, et ils ne peuvent s'expliquer son inaction. [10]

L'Hudson étant traversé, Washington organise la marche de ses troupes

Lorsque toute l'armée eut franchi l'Hudson, le général Washington organisa comme il suit la marche de ses troupes. Il se tenait en avant à une journée de distance, à la tête de trois mille hommes; la légion de Lauzun et la brigade de Bourbonnais suivaient le lendemain; enfin, le troisième jour, la brigade de Soissonnais venait occuper les campements abandonnés par la précédente. Avant de partir, le général Washington laissa au camp de Verplanck's-Point un corps de trois mille miliciens, sous le commandement du général Heath, pour défendre l'État de New-York et le cours de la rivière du Nord.

Récit des mouvements du 25 août au 3 septembre

Le 25, la première brigade (Deux-Ponts et Bourbonnais) se rendit à Suffren's en passant par Hackensack, au milieu d'une magnifique vallée. La route fut de quinze milles.

Le 26 on alla de Suffren's à Pompton.[11]

À Pompton, le corps du général Washington se dirigea vers Staten Island. En même temps M. de Rochambeau envoyait en avant de Chatham le commissaire des guerres, de Villemanzy, pour établir des fours et faire des démonstrations d'approvisionnements qui devaient entretenir les ennemis dans l'idée qu'on allait faire une attaque de ce côté. M de Villemanzy s'acquitta heureusement de cette commission[12].

Le 27, après seize milles de marche, l'armée vint camper à Hanover ou Vibani, entre Wipanny et Morristown. La première division séjourna à ce camp le 28, pendant que la seconde la rejoignait.

C'est à ce moment que les généraux alliés cessèrent toute feinte vis-à-vis de leurs aides de camp et de leurs officiers généraux.[13]

Le 29, la première brigade, aux ordres du baron de Vioménil, se rendit, après seize milles de marche, à Bullion's Tavern.[14]

Le 30, on fut à Sommerset Court-House, après douze milles de marche; le 31, à Princeton (dix milles), le 1er septembre à Trenton sur la Delaware (douze milles).[15]

La légion de Lauzun veillait toujours avec un zèle infatigable au salut de l'armée, soit pour éclairer la route, soit pour protéger les flancs, soit à l'arrière-garde.[16]

L'armée marcha, le 3 septembre, de Red-Lion's Tavern à Philadelphie, où la première division pénétra en grande tenue à onze heures du matin.

L'armée défile le 4 septembre à Philadelphie, devant le Congrès

Le 4, la seconde brigade arriva à peu près à la même heure que la première la veille, et elle ne produisit pas moins d'effet.[17] M. de Rochambeau alla au-devant avec son état-major; et cette brigade défila devant le Congrès aux acclamations de la population, qui était charmée de sa belle tenue.

Au moment où les troupes défilèrent devant le Congrès, ayant à leur tête leurs officiers généraux respectifs, le président demanda à M. de Rochambeau s'il devait saluer ou non; le général lui répondit que quand les troupes défilaient devant le Roi, Sa Majesté daignait les saluer avec bonté. [18]

Les généraux alliés apprennent que les amiraux britannique Hood et Graves ont fait leur jonction

Ce fut à Philadelphie que les généraux alliés apprirent que l'amiral britannique Hood était arrivé devant New-York, où il s'était réuni à l'amiral Graves, et que leurs flottes combinées faisaient force de voiles vers la baie de Chesapeak. Cette nouvelle les inquiéta pendant deux jours, car ils n'avaient encore rien appris des mouvements du comte de Grasse[19].

Néanmoins les alliés continuent leur marche

Les troupes n'en continuaient pas moins leur marche. Du camp, sur les bords de la Schuylkill, à un mille de Philadelphie, qu'elles avaient occupé le 3 et le 4, elles se portèrent le 5 sur Chester, à seize milles de là. La seconde division ne quitta pourtant Philadelphie que le 6.[20]

En arrivant à Chester, Rochambeau apprend de Washington que de Grasse est arrivé dans la baie de Chesapeak avec 28 vaisseaux et 3 000 hommes

En arrivant à Chester Page d'aide sur l'homonymie, M. de Rochambeau aperçut sur le rivage le général Washington qui agitait son chapeau avec des démonstrations de la joie la plus vive. Il dit qu'il venait d'apprendre de Baltimore que M. de Grasse était arrivé à la baie de Chesapeak avec vingt-huit vaisseaux de ligne et trois mille hommes qu'il avait déjà mis à terre et qui étaient allés joindre M. de La Fayette.[21]

Joie que cette nouvelle répand partout

La joie ne fut pas moindre à Philadelphie quand on apprit cette nouvelle. M. de Damas, qui y était resté après le départ des troupes, raconta à son retour qu'il était difficile d'imaginer l'effet qu'elle y avait produit. L'enthousiasme était tel que la population s'était portée à l'hôtel du ministre de France et que M. de la Luzerne avait été obligé de se montrer à son balcon aux acclamations de la foule.

La Fayette marche sur Williamsburg, où il se fait joindre par Saint-Simon

Au moment où le comte de Grasse arriva dans la baie de Chesapeak La Fayette marcha rapidement sur Williamsburg, se fit joindre par le corps du marquis de Saint-Simon, fort de trois mille deux cents hommes et d'un corps de hussards d'environ trois cents hommes. Dès qu'il fut débarqué à Jamestown, il fit repasser la rivière au corps du général Wayne et le réunit au sien; puis il plaça un corps de milices de l'autre côté de York River, en face de Glocester.

Cornwallis se trouve serré de toutes parts

L'armée britannique se trouva ainsi serrée à la fois de tous les côtés, et lord Cornwallis n'eut plus de salut possible que dans une entreprise très-hasardeuse. Il reconnut cependant la position de Williamsburg avec dessein de l'attaquer; mais cette position était solidement établie.[22] Lord Cornwallis ne crut pas devoir risquer l'attaque. Il aurait pu passer à Gloucester ou remonter York-River, le comte de Grasse ayant négligé d'envoyer des vaisseaux au-dessus; mais il eût fallu abandonner artillerie, magasins et malades.

Mesures que La Fayette prend pour lui couper la retraite

La Fayette avait du reste pris des mesures pour lui couper la retraite en quelques marches. Il se décida donc à attendre l'attaque. Il aurait pu trouver encore une chance de salut dans une attaque précipitée, si La Fayette eût cédé à une sollicitation bien tentante.

Malgré de pressantes sollicitations La Fayette préfère attendre

Le comte de Grasse était pressé de s'en retourner; l'idée d'attendre les généraux et les troupes du Nord le contrariait beaucoup. Il pressait vivement La Fayette d'attaquer l'armée britannique avec les troupes américaines et françaises à ses ordres, lui offrant pour ce coup de main non-seulement les détachements qui formaient la garnison des vaisseaux, mais autant de matelots qu'il en demanderait.[23]

Mouvements du 6 au 13 septembre

De leur côté, les généraux Washington et Rochambeau hâtèrent la marche de leurs troupes.

Le 6 elles partirent de Chester pour Wilmington (11 milles), où elles arrivèrent après avoir laissé à leur droite le champ de bataille de Brandywine. Le 7 au soir elles étaient à Elk-Town, où les attendait un officier porteur des dépêches de M. de Grasse. Le 8 on s'occupait de trouver des bâtiments de transport pour en embarquer le plus possible. [24]

Or, la plus courte voie en même temps que la moins fatigante pour les troupes était la mer. Mais les Britanniques dans leurs différentes incursions avaient tellement détruit toutes les barques américaines qu'il fut impossible d'en rassembler assez pour embarquer plus de deux mille hommes. C'était à peine suffisant pour convoyer les deux avant-gardes des deux armées. On les fit monter sur toutes sortes de bateaux. M. de Custine eut le commandement de l'avant-garde française, qui se composait des grenadiers, des chasseurs et de l'infanterie de Lauzun, en tout douze cents hommes. Le général Lincoln suivait à petite distance avec les huit cents hommes de son avant-garde[25]. Le duc de Lauzun, qui était impatient d'arriver des premiers sur le champ de bataille, demanda à partir avec son infanterie, et il laissa sa cavalerie suivre la voie de terre avec l'artillerie et le gros de l'armée aux ordres des deux Vioménil. Le même jour les généraux Washington et Rochambeau prirent les devants pour rejoindre La Fayette par terre. Ils n'emmenèrent chacun que deux aides de camp. Ceux du général français étaient MM. de Damas et Fersen. M. de Rochambeau permit du reste aux autres de prendre la voie qu'ils voudraient. MM. de Vauban et Lauberdières s'embarquèrent avec M. de Custine, tandis que Closen et du Bourg prenaient des chemins de traverse avec la cavalerie de Lauzun et que Dumas continuait les fonctions d'aide-major auprès de l'armée.

Le 9, tandis que les avant-gardes embarquées quittaient par mer Head-of-Elk, les troupes restées à terre se remettaient en marche. La colonne des équipages dut être séparée de celle des troupes, à cause de la difficulté du passage du Ferry de la Susquehanna. [26]

Le 10 septembre on campa à Burch Hartford ou Burch-Tavern et le 11 à Whitemarsh, où les chariots et les tentes rejoignirent l'armée. Le 12 on était à Baltimore.

Le baron de Vioménil chargea aussitôt le colonel de Deux-Ponts et le comte de Laval de vérifier et de faire l'estimation exacte des hommes que chacun des bateaux mis à sa disposition pouvait contenir.[27] Le baron de Vioménil se détermina donc à reprendre sa marche par terre.

Le 13 seulement, les équipages, partis avec Dumas au passage de la Schuylkill, rejoignirent cette division. Le 15 on apprit que les grenadiers et les chasseurs embarqués à Head-of-Elk avaient été forcés par le mauvais temps de relâcher à Annapolis après un voyage de trois jours.[28] Néanmoins tout ce convoi allait remettre à la voile lorsque M. de Lauzun reçut un courrier du général Washington qui lui recommandait de faire débarquer les troupes et de ne repartir que sur de nouveaux ordres. C'est que l'escadre britannique avait paru devant la baie de Chesapeak le 8 septembre et que le comte de Grasse, parti pour la combattre, n'était pas encore rentré.

Article détaillé : Bataille de la baie de Chesapeake.

De Grasse attaque et rejette l'escadre britannique

Bien que l'amiral français eût détaché à ce moment quinze cents de ses matelots pour le débarquement des troupes de M. de Saint-Simon dans la James River, il n'hésita pas à couper ses câbles et à s'avancer au-devant de la flotte britannique avec vingt-quatre vaisseaux. L'amiral britannique s'élevant au vent, l'avant-garde française, commandée par de Bougainville, atteignit l'ennemi, qui fut très-mal-traité. M. de Grasse le poursuivit au large pendant trois jours sans l'atteindre et trouva, en rentrant dans la baie, l'escadre de M. de Barras qui, à la faveur de cet engagement, avait gagné le mouillage, après avoir habilement convoyé les dix bâtiments qui portaient l'artillerie de siège. M. de Barras avait même poursuivi et capturé, à l'entrée de la baie, deux frégates britanniques, l'Isis, et le Richmond, et quelques petits bâtiments qui furent immédiatement envoyés à Annapolis avec les transports venus de Rhode Island[29].

Les succès de de Grasse permettent à Lauzun de rembarquer ses troupes

Aussitôt après la réception de la nouvelle du succès de M. de Grasse, Lauzun fit remonter ses troupes sur leurs bâtiments et continua sa route. Les vents lui furent peu favorables et il ne fut pas moins de dix jours à se rendre à l'entrée de la James River.

Mouvement du corps de M. de Vioménil

Quant au corps resté à terre aux ordres de MM. de Vioménil, il repartit de Baltimore le 16 septembre et alla camper à Spurer's Tavern[30]. Là, M. de Vioménil reçut une lettre de M. de la Villebrune, capitaine du Romulus, qui lui annonçait son arrivée à Annapolis avec les moyens nécessaires au transport de l'armée. En conséquence, le 17 septembre, on prit la route d'Annapolis et on vint camper à Scots Plantation. Pendant les journées du 18, du 19 et du 20, que l'on passa à Annapolis, on opéra l'embarquement du matériel de guerre et des troupes. La petite escadre que dirigeait M. de la Villebrune se composait du vaisseau le Romulus et des frégates la Gentille, la Diligente, l'Aigrette, l'Iris et le Richmond. Il y avait, en outre, neuf bâtiments de transport. Sur la Diligente, où monta Guillaume de Deux-Ponts, se trouvaient prisonniers lord Rawdon, le colonel britannique Doyle et le lieutenant de vaisseau Clark, ces deux derniers avec leurs femmes. Ils avaient été pris par M. de Barras sur la frégate le Richmond, et on n'avait pas eu le temps de les mettre à terre avant de quitter le cap Charles. Cette escadre fut plus heureuse que le convoi du duc de Lauzun, car elle partit le 21 septembre au soir et entra dans la James River le 23, à cinq heures du matin.

Lauzun se rend auprès de Washington

Les équipages qui ne purent être embarqués et tout ce qui tenait à l'administration continua de suivre la route de terre et fit un grand détour pour arriver à Williamsburg.

La navigation dans la James River était très pénible, et l'on ne pouvait la remonter que la sonde à la main; encore plusieurs bâtiments échouèrent-ils et ne purent-ils être relevés que par le flot.

Ce corps d'armée débarqua le 24 au soir à Hog's-Ferry et alla camper le 26 à Williamsbourg. Washington et Rochambeau, accompagnés de M. de Chastellux et de deux aides de camp chacun, étaient arrivés dans cette ville depuis le 14 septembre, après des marches forcées de soixante milles par jour. Quant à l'infanterie de Lauzun, elle était débarquée depuis le 23. La cavalerie avait suivi la voie de terre et était depuis plusieurs jours à Williamsbourg.

Celui-ci l'informe que Cornwallis a envoyé sa cavalerie à Gloucester

En arrivant, le duc de Lauzun trouva M. de Custine qui aurait dû diriger ce convoi au lieu de prendre les devants. Pendant qu'il lui rendait compte de ce qui s'était passé, les généraux Washington et Rochambeau, qui étaient à peu de distance sur une corvette, lui firent dire d'aller à leur bord. Le général Washington dit alors au duc que lord Cornwallis avait envoyé toute sa cavalerie et un corps de troupes assez, considérable à Glocester.

Le général américain Weedon est posté pour le surveiller

Il craignait qu'il ne fît de ce côté une tentative de fuite et, pour prévenir cette retraite qui aurait fait perdre le fruit de toute la campagne, il y avait posté, pour observer les Britanniques, un corps de trois mille miliciens commandés par le brigadier-général Weedon.[31] Le général Washington, qui savait à quoi s'en tenir sous ce rapport, aurait voulu que Lauzun, dont il estimait le mérite et appréciait le courage, prît le commandement des milices réunies à sa légion de ce côté. [32]

M. de Lauzun proposa à Weedon de se rapprocher de Glocester et d'aller le lendemain faire une reconnaissance près des postes britanniques. Ils partirent en effet avec cinquante hussards. Lauzun s'approcha suffisamment pour prendre une idée juste de la position des ennemis, mais le général Weedon, tout en le suivant, ne cessait de répéter qu'il n'irait plus avec lui.

Lauzun rendit aussitôt compte à M. de Rochambeau de ce qu'il avait vu. Il lui fit savoir qu'il ne devait pas compter sur la milice américaine et qu'il était indispensable d'envoyer au moins deux bataillons d'infanterie française de plus. Il lui demanda en outre de l'artillerie, de la poudre et des vivres, dont il manquait absolument[33].

Sans plus tarder, M. de Rochambeau fit passer, le 27, du côté de Glocester de l'artillerie et huit cents hommes tirés de la garnison des vaisseaux, sous le commandement de M. de Choisy. Celui-ci, par son ancienneté de grade, commandait le général Weedon et Lauzun.

De Grasse et Barras bloquent la baie de Chesapeak

Ainsi, le 28, tandis que les amiraux de Grasse et de Barras bloquaient la baie de Chesapeak, M. de Choisy prenait du côté de Glocester d'énergiques dispositions offensives, et l'armée combinée des Américains et des Français était massée à Williamsbourg.[34]

Le 28 septembre l'armée se met en mouvement pour investir Yorktown

Le 28 septembre, toute l'armée combinée se mit en mouvement de bonne heure pour faire l'investissement d'York. Elle marcha sur une seule colonne jusqu'à cinq milles de Williamsbourg, où se trouve un embranchement de deux routes. L'armée américaine prit celle de droite, tandis que l'armée française s'avançait par l'autre. Celle-ci était composée:

  1. des volontaires, aux ordres du baron de Saint-Simon, frère du général[35];
  2. des grenadiers et chasseurs des sept régiments de l'armée, sous les ordres du baron de Vioménil;
  3. des brigades d'Agenais, de Soissonnais et de Bourbonnais.[36]

A peine la brigade de Bourbonnais était-elle arrivée à là place qu'elle devait occuper qu'on donna avis de l'approche d'un corps ennemi. M. le comte de Rochambeau envoya aussitôt l'ordre à M. de Laval de prendre les piquets de l'artillerie de la brigade pour les chasser. Cinq ou six coups de canon suffirent pour disperser cette troupe.

Soit que lord Cornwallis ne s'attendît pas à un mouvement si prompt, soit qu'il eût jugé inutile de pousser des postes en avant des redoutes qui formaient son camp retranché, les avant-gardes ne rencontrèrent que ce faible obstacle.[37]

De son côté, le général Washington, à la tête du corps américain, était obligé de s'arrêter devant des marais dont tous les ponts étaient rompus. Tout le jour et une partie de la nuit furent employés à les rétablir.

Le 29, les troupes américaines purent avancer sur les ponts rétablis. Les Britanniques qui leur faisaient face se replièrent de leur côté, mais non sans tirer quelques coups de canon qui tuèrent trois soldats et en blessèrent trois autres. Du côté des Français on fit quelques reconnaissances qui furent peu inquiétées par les ennemis. Un seul homme fut blessé.

Dans la nuit du 29 au 30, les Britanniques, dont les postes avancés touchaient à ceux des Français, évacuèrent deux redoutes de leur côté et une du côté des Américains, ainsi que toutes les petites batteries qu'ils avaient établies pour la défense d'une crique a la droite de ces ouvrages.[38]

M. de Rochambeau envoya de suite, le 30 au matin, ses aides de camp Charles de Lameth et Dumas, à la tête de cent grenadiers et chasseurs de Bourbonnais, pour occuper la plus forte de ces redoutes, nommée Pigeon-Hill.[39]

M. de Rochambeau fit alors une reconnaissance de la ligne abandonnée. Il était accompagné de Guillaume de Deux-Ponts. [40] Cinquante chasseurs du régiment de Deux-Ponts vinrent occuper la seconde redoute, tandis que les Américains s'établissaient dans la troisième et la fortifiaient. Ils en construisirent même une quatrième pour relier cette dernière aux deux autres. Pendant qu'ils exécutaient ce travail, le canon de l'ennemi leur tua quatre ou cinq hommes.

Dans la même matinée du 30, le baron de Vioménil, voulant reconnaître les ouvrages ennemis qui étaient à la gauche des Français, fit avancer les volontaires de Saint-Simon. [41]

Notes

  1. Il devait emmener trois mille cinq cents hommes de la garnison de Saint-Domingue, où M. de Lillencourt était gouverneur, et emporter les 1 200 000 livres fournies par Don Solano, qui lui avaient été demandées; mais il ajoutait que ses instructions ne lui permettraient pas de rester au delà du 15 octobre.
  2. C'est en évitant d'en venir à une action générale, en trompant constamment l'ennemi sur l'effectif réel de ses forces, en opérant des manoeuvres habiles ou prenant des dispositions pleines à la fois d'audace et de prudence, que La Fayette obtint ce résultat inespéré. «L'enfant ne saurait m'échapper» avait écrit Cornwallis au début de la campagne, en parlant de ce général dont il méprisait la jeunesse et dont il méconnaissait l'habileté. A son tour, il allait tomber dans le piège où le menait peu à peu La Fayette.
  3. Le 6 août, en annonçant ses succès au général Washington, il lui disait: «Dans l'état présent des affaires, j'espère, mon cher général, que vous viendrez en Virginie, et que si l'armée française prend aussi cette route, j'aurai la satisfaction de vous voir de mes yeux à la tête des armées combinées; mais si une flotte française prend possession de la baie et des rivières et que nous ayons formé une force de terre supérieure à celle de l'ennemi, son armée doit tôt ou tard être contrainte à se rendre.» Mémoires de La Fayette. De son côté, le général Washington écrivait une lettre tout amicale et toute confidentielle à La Fayette pour le féliciter de ses succès antérieurs, et il ajoutait qu'il lui permettait, maintenant qu'il avait sauvé la Virginie, de venir prendre part à l'attaque projetée contre New-York. Il reconnaissait toutefois la nécessité de la présence de La Fayette à la tête de l'armée de Virginie. Ces deux missives eurent un sort tout différent et, par un de ces hasards dont nous avons eu un précédent exemple après la conférence d'Hartford, la lettre du général Washington fut interceptée par James Moody dans les Jerseys, tandis que celle de La Fayette arrivait à destination. Le général Clinton crut plus que jamais qu'il allait être attaqué. Cette illusion dura encore quelque temps après que les troupes combinées eurent commencé leur marche vers le Sud. Cette circonstance servit si bien les Américains et trompa si complètement les généraux britanniques, que l'on est porté à croire que ce ne fut pas tout à fait par un hasard heureux, mais par suite d'une habile manoeuvre de Washington, que sa lettre, écrite avec intentions tomba entre les mains de James Moody. Telle était l'opinion de lord Cornwallis, qui ne pouvait se pardonner après sa défaite d'avoir été ainsi joué. (Voir Mercure de France, 1781.)--Sparks, VIII, 144, raconte aussi comment un faux ordre signé de La Fayette et enjoignant au général Morgan de faire avancer Ses troupes fut saisi par Cornwallis sur un vieux nègre envoyé à dessein de son côté, ce qui le détermina à rétrograder.
  4. C'est pourquoi il envoya des troupes au sud de la James River, sous prétexte de déloger les Britanniques de Portsmouth, ce qui eut encore l'effet de faire réunir au corps de l'armée les troupes et l'artillerie qui se seraient échappées par Albermale-Sound à l'arrivée du comte de Grasse. C'est dans la même vue qu'il retint d'autres troupes, du même côté, sous prétexte de faire passer le général Wayne et ses Pensylvaniens à l'armée du Sud pour renforcer le général Green. En même temps il envoyait auprès de Cornwallis le soldat Morgan, qui resta quelque temps comme déserteur au milieu des ennemis, et qui ne voulut accepter, au retour de sa difficile et dangereuse mission, d'autre récompense que la restitution d'un fusil auquel il tenait beaucoup (Voir Mémoires de La Fayette pour la conduite de Morgan.-- Sparks, VIII, 152.)
  5. M. de Barras persistait dans sa détermination de se joindre à l'amiral de Grasse, bien qu'il fût autorisé par une lettre particulière du ministre de la marine, M. de Castries, à croiser devant Boston, s'il lui répugnait de servir sous les ordres d'un amiral moins ancien que lui. M. de Rochambeau l'avait donc chargé de transporter dans la baie de Chesapeak toute l'artillerie de siège restée à Newport avec le corps de M. de Choisy.
  6. Dès quatre heures du matin on battit la générale, et à cinq heures et demie M. de Rochambeau, en visitant le camp, s'aperçut que les voitures de vivres manquaient et qu'il ne restait plus au camp que 500 ou 600 rations. Il en envoya chercher et dut remettre le départ à midi. En attendant il donna le commandement du bataillon des grenadiers et chasseurs de Bourbonnais à M. Guillaume de Deux-Ponts ; celui du bataillon de Soissonnais à M. de La Valette, lieutenant-colonel de Saintonge, et il les joignit à la légion de Lauzun pour former l'arrière-garde, qui, placée tout entière sous les ordres du baron de Vioménil (G. de Deux-Ponts, dit le Vicomte, mais il est probable que ce poste important, qui donnait la supériorité sur de Lauzun, ne pouvait être confié qu'à un général tel que celui que l'on nomme le baron.--Son frère avait pourtant rang de maréchal de camp), fut chargée de garder les avenues pendant qu'on faisait partir l'artillerie et les bagages. Il ne leva ses postes qu'à deux heures. Mais les équipages étaient trop chargés, et les routes accidentées ou défoncées par les pluies. Les fourgons se brisaient ou s'embourbaient, de telle sorte qu'à huit heures du soir on n'avait encore fait que quatre milles et que les régiments ne purent arriver à Northcastle que le 20, à quatre heures du matin. M. de Custine avait été obligé de laisser le vicomte de Rochambeau avec toute l'artillerie et 200 hommes à 12 milles de Northcastle.
  7. Le baron de Vioménil s'arrêta à la maison d'Alexander Lark, où il bivouaqua et où lui et ses officiers purent se sécher et se reposer. Il reçut ordre de se rendre directement à King's-ferry en passant par Leguid's Tavern, où il arriva le 20, à onze heures du soir, et par Pensbridge, sur le Croton, où il rejoignit le gros de l'armée.
  8. Le Croton n'est pas navigable, mais n'est pourtant guéable qu'à certaines époques. Le soir les troupes campèrent à Hun's Tavern, qui forme un faubourg de Crampond. Dès ce moment, la légion de Lauzun marcha à l'avant-garde, tandis que le bataillon des grenadiers et chasseurs de Bourbonnais formait l'arrière-garde immédiate de l'armée et que celui de Soissonnais restait sur les bords du Croton jusqu'à ce que tous les équipages fussent passés.
  9. Comme il n'y avait en cet endroit que la maison de l'homme à qui appartenait le bac, le quartier général resta établi à Peekskill. M. de Rochambeau ne voulut pas passer si près de West Point sans aller visiter cette place forte. Il y employa la journée du 23 et s'y rendit en bateau avec le général Washington et plusieurs officiers. A son retour il reçut des lettres de M. de Choisy qui lui annonçait qu'il s'était embarqué le 21 sur l'escadre de M. de Barras avec toute l'artillerie et les cinq cents hommes de troupes françaises dont il avait le commandement. Il en laissait cent à Providence, sous le commandement de M. Desprez, major de Deux-Ponts, pour la garde des magasins et de l'hôpital.
  10. Il n'est pas douteux que les nombreuses démonstrations faites devant New-York et surtout les lettres interceptées, comme nous l'avons dit, ne l'aient complètement trompé sur les intentions véritables des généraux alliés. Du reste, le plus grand secret fut gardé sur le but des mouvements des armées, au point que les généraux ignoraient, aussi bien que les colonels et les aides de camp, le point sur lequel on voulait diriger une attaque. L'opinion générale était, là comme dans le camp britannique, que l'on voulait tourner la place et attaquer New-York par Paulus-Hook ou Staten Island.
  11. La route, longue de quinze milles, était superbe; le pays, découvert et bien cultivé, était habité par des Hollandais généralement fort riches. La petite rivière de Pompton, que l'armée dut traverser trois fois à quatre milles de distance de la ville du même nom, était munie de ponts à chaque passage. Quand les troupes furent installées dans leur camp, plusieurs généraux et officiers profitèrent du voisinage de Totohaw Fall pour aller voir cette curieuse cataracte que M. de Chastellux décrit dans ses Voyages.
  12. Il mourut pair de France sous Charles X.
  13. Ils partirent en avant pour Philadelphie et firent brusquement tourner leurs troupes sur le revers des montagnes qui séparent l'intérieur de l'État de Jersey de ses districts, situés sur les bords de la mer. M. de Rochambeau emmenait avec lui Fersen, de Vauban et de Closen comme aides de camp.
  14. Elle dut traverser Morristown, ville assez jolie dans laquelle on comptait de soixante à quatre-vingts maisons bien bâties. L'armée américaine y avait campé en 1776 et 1779. On sait que, à la première date, le général Lee, qui s'était imprudemment séparé de son armée, fut enlevé par un corps britannique, mais que la seconde fois le général Washington avait pris une belle position sur la hauteur entre Menden et Baskeridge pour garder le passage de la Delaware. Il y conserva ainsi la tête de toutes les routes par lesquelles l'ennemi pouvait passer.
  15. La rivière était guéable. Les équipages la franchirent de suite; mais les troupes s'arrêtèrent et ne la franchirent à leur tour que le lendemain, pour aller camper à Red Lion's Tavern, à dix huit milles du camp précédent qui était Sommerset Court-House.
  16. Lorsque les généraux firent faire à l'armée une brusque conversion pour la diriger sur la Delaware, M. le baron de Vioménil reçut avis que mille hommes de la garnison de New-York avaient eu ordre de se tenir prêts à marcher et que les troupes légères n'étaient pas à plus d'un mille. Ce général, qu'un coup de pied de cheval obligeait d'aller en voiture, ne savait quel parti prendre: il était, en effet, presque sans ressources s'il eût été attaqué. Lauzun quitta alors son campement de Sommerset et marcha au-devant de l'ennemi, le plus loin possible, afin de donner à M. de Vioménil le temps de se retirer dans les bois. Il envoya de fortes patrouilles sur tous les chemins par où les Britanniques pouvaient arriver. Il se mit lui-même à la tête de cinquante hussards bien montés, et il s'avança a plus de dix milles sur le chemin de Brunswick, par lequel les ennemis devaient le plus probablement s'avancer. Il rencontra trois fortes patrouilles de troupes légères qui se retirèrent après un échange de quelques coups de pistolet, et, convaincu que les troupes britanniques ne s'avançaient pas, il retourna rassurer le baron de Vioménil.
  17. «Le régiment de Soissonnais, qui a des parements couleur de rosé, avait en outre ses bonnets de grenadiers, avec la plume blanche et rose, ce qui frappa d'étonnement les beautés de la ville (Cromot du Bourg).»
  18. Comme on rendit au Congrès les mêmes honneurs qu'au Roi, «les treize membres qui le composaient ont été leurs treize chapeaux à chaque salut de drapeau et d'officier (Deux-Ponts).» Cromot du Bourg découvrit à Philadelphie bien des choses honnêtes et remarquables (Voir aussi, pour ce même sujet, les Voyages de Chastellux, les Mémoires de Pontgibaud et la partie des Mémoires du prince de Broglie). Sur le premier point, il vante l'accueil généreux et bienveillant qu'il reçut chez le ministre de France, M. de la Luzerne, dont tous les écrivains de cette époque citent l'affabilité et le mérite. Il rappelle, dans son journal, le dîner britannique qu'il prit avec les généraux français et leur famille (c'est ainsi que les Américains nommaient les aides de camp) chez le président des États. «Il y avait, dit-il, une tortue que je trouvai parfaite et qui pouvait peser de 60 à 80 livres. On porta au dessert toutes les santés possibles.» Il cite aussi M. Benezet (On a une Vie de cet éminent philanthrope qui éleva le premier la voix contre la traite des nègres, Watson, Annals, II, 209.) comme le quaker le plus zélé de Philadelphie. «Je causai avec lui quelque temps; il me parut pénétré de l'excellence de sa morale; il est petit, vieux et laid, mais c'est réellement un galant homme, et sa figure porte l'empreinte d'une âme tranquille et d'une conscience calme.» En fait de choses remarquables, Cromot du Bourg note d'abord la ville elle-même; «Elle est grande et assez bien bâtie; les rues sont fort larges et tirées au cordeau; elles ont des deux côtés des trottoirs pour les piétons; il y a un grand nombre de boutiques richement garnies et la ville est fort vivante, car il y au moins quarante mille habitants. On trouve dans la rue du Marché deux halles immenses bâties en briques, dont une est consacrée à la boucherie. Je ne leur ai trouvé d'autre défaut que d'être au milieu d'une rue superbe qu'elles déparent tout à fait. Le port peut avoir deux milles de long. C'est tout simplement un quai qui n'a de beau que sa longueur. Il y a plusieurs temples fort beaux et un collège considérable qui a le titre d'Université.» Cet aide de camp de M. de Rochambeau fit, comme Chastellux et bien d'autres, une visite au cabinet de curiosités de M. Cimetierre, le Genevois, et à celui d'histoire naturelle du savant docteur Chauvel (Watson, Annals.). Dans le premier, il fut étonné d'apercevoir au milieu d'une foule de choses intéressantes une mauvaise paire de bottes fortes, et il ne put s'empêcher de demander en riant à M. Cimetierre si c'était là un objet de curiosité. Celui-ci lui répondit qu'elles avaient toujours fixé l'attention des Américains parce qu'ils n'avaient encore jamais vu que celles-là et que, vu leur étonnement, il s'était permis de les faire passer pour les bottes de Charles XII. Mais il est probable qu'après le passage de l'armée française les bottes fortes cessèrent d'être un objet extraordinaire pour les Américains.»
  19. M. Laurens revint au commencement de septembre 1781 sur la frégate la Résolue, qui apportait de l'argent pour les Français et pour les Américains. (Journal de Blanchard.)
  20. Le général Washington suivit la route de terre; mais M. de Rochambeau voulut visiter les défenses de Philadelphie sur la Delaware, et il monta sur un bateau avec MM. de Mauduit-Duplessis et un aide de camp (Cromot du Bourg.). Ils abordèrent d'abord à Mud-Island, où était le fort inachevé de Miflin; ils passèrent ensuite sur la rive gauche, à Redbank, où M. de Mauduit ne trouva plus que les ruines du fort qu'il avait si vaillamment défendu le 22 octobre 1777 contre la troupe de Hessois du colonel Donop. Ils arrivèrent enfin à Billing's Fort, qui avait été construit pour soutenir les chevaux de frise qui sont plantés dans la rivière et défendent le passage contre les vaisseaux ennemis qui tenteraient de la remonter. Ce dernier seul était en bon état et pourvu d'une batterie très-bien placée et très-solidement construite.
  21. «J'ai été aussi surpris que j'ai été touché, dit Guillaume de Deux-Ponts, de la joie bien vraie et bien pure du général Washington. D'un naturel froid et d'un abord grave et noble qui chez lui n'est que véritable dignité et qui sied si bien au chef de toute une nation, ses traits, sa physionomie, son maintien, tout a changé en un instant; il s'est dépouillé de sa qualité d'arbitre de l'Amérique septentrionale et s'est contenté pendant un moment de celle du citoyen heureux du bonheur de son pays. Un enfant dont tous les voeux eussent été comblés n'eût pas éprouvé une sensation plus vive, et je crois faire honneur aux sentiments de cet homme rare en cherchant à en exprimer toute la vivacité.»
  22. Deux criques se jetant, l'une dans la James River, l'autre dans la York River resserrent beaucoup la péninsule en cet endroit. Il eût fallu forcer ces deux passages bien défendus. Deux maisons et deux bâtiments publics de Williamsburg, en pierres, étaient bien placés pour défendre le front. Il y avait cinq mille hommes de troupes américaines et françaises, un gros corps de milices et une artillerie de campagne bien servie.
  23. Le marquis de Saint-Simon, qui, quoique subordonné à La Fayette par la date de sa commission, était bien plus ancien que lui d'âge et de service, réunit ses instances à celles de l'amiral. Il représenta que les ouvrages de lord Cornwallis n'étant pas achevés, une attaque de forces supérieures enlèverait suivant toute apparence York-Town, ensuite Glocester. La tentation était grande pour le jeune général de l'armée combinée, qui avait à peine vingt-quatre ans. Il avait un prétexte irrécusable pour faire cette attaque, dans la déclaration que lui faisait M. de Grasse qu'il ne pouvait attendre les généraux et les forces venant du Nord. Mais il pensa que si cette attaque pouvait avoir un succès brillant et glorieux pour lui, elle coûterait nécessairement beaucoup de sang. Il ne voulut pas sacrifier à sa gloire personnelle, les soldats qui lui étaient confiés. Non-seulement il refusa de suivre les conseils du comte de Grasse, mais il chercha à lui persuader d'attendre l'arrivée des généraux Washington, Rochambeau et Lincoln, tous ses chefs ou ses anciens. Il y perdrait le commandement en chef, mais la réduction de Cornwallis deviendrait une opération certaine et peu coûteuse. L'amiral de Grasse se rendit quoique à regret à ces raisons.
  24. On était encore en effet à plus de cent lieues du point où l'on devait se réunir à M. de La Fayette, et il était important de ne pas le laisser dans une position critique.
  25. Toutes les provisions que l'on put se procurer à grande peine dans ce pays, qui ressemble plutôt à un désert qu'à une contrée faite pour l'habitation de l'homme, furent quelques bœufs dont on fit cuire la moitié et saler le reste; il y en avait pour quatre jours. Pour suppléer aux vivres du reste de cette traversée, il fut donné à chaque homme, officier comme soldat, une livre de fromage; cela était accompagné d'un peu de rhum et de biscuits pour dix-sept jours. (Mercure de France, sept. 1781.)
  26. Dumas, était chargé de diriger ce passage. Ayant appris par les gens du pays que cette large rivière était guéable dans la belle saison un peu au-dessous des chutes, il remonta à sept milles au-dessus de Lower-Ferry, où les bacs transportaient lentement les hommes et les chevaux, et, ayant sondé le fond de la rivière avec beaucoup de précaution, il n'hésita pas à conseiller aux généraux d'y faire passer les chariots et l'artillerie, ce qui s'exécuta sans trop de pertes. Les soldats, privés de leurs bagages pendant plusieurs jours par suite de cette séparation, durent se passer de tentes et acceptèrent gaiement leur situation provisoire.
  27. On reconnut bien vite que l'embarquement de toute l'armée était impossible. On fit même un essai le 13 septembre, et les généraux se convainquirent qu'ils ne pouvaient pas exposer les troupes à la position gênante et périlleuse dans laquelle elles seraient obligées de se tenir pendant plusieurs jours sur de petits bateaux très-mal équipés.
  28. M. de Custine, pressé d'arriver le premier, prit un sloop bon voilier et navigua sans s'arrêter jusqu'à la James River. Il laissait ainsi sans direction le convoi dont il avait le commandement. Il est vrai que le duc de Lauzun pouvait l'y suppléer; mais rien n'avait été convenu entre ces officiers, et Lauzun se trouvait sans ordres ni instructions. Les bateaux étaient en si mauvais état que deux ou trois chavirèrent et qu'il y eut sept ou huit hommes de noyés.
  29. Il semble résulter pour Thomas Balch de divers documents, que l'amiral britannique fut dérouté par l'apparition de l'escadre aux ordres de M. de Barras.
  30. Quiconque voyagerait dans ce pays dans dix ans, dit Cromot du Bourg, ou même dans un an, et voudrait se servir de mon journal pour se guider, serait fort étonné de ne point trouver le même nom aux tavernes et aux ferries; c'est la chose la plus commune dans ce pays que le changement à cet égard, car ces endroits prennent toujours le nom du propriétaire.
  31. Ce général était un ancien aubergiste que les événements avaient rapidement fait parvenir à son grade; mais, s'il faut en croire Lauzun, c'était un excellent homme, qui n'aimait pas la guerre. «La manière dont il bloquait Glocester était bizarre. Il s'était placé à plus de quinze milles des ennemis et n'osait pas envoyer une patrouille à plus d'un demi-mille du camp.»
  32. Il offrit au duc d'écrire à Weedon pour qu'il ne se mêlât plus de rien, tout en conservant son rang aux yeux de l'armée. M. de Lauzun ne voulut pas accepter cette situation équivoque, et, le 25, il se rendit par terré avec son infanterie auprès du général Weedon pour servir sous ses ordres. Sa cavalerie, envoyée par M. de Rochambeau, était déjà devant Glocester.
  33. Ni Lauzun, ni Choisy, ne rendirent justice au général Weedon, que son inexpérience des choses de la guerre fit tourner en ridicule par les officiers français. On peut trouver dans les Maryland Papers quelques lettres de Weedon à La Fayette, au général britannique Philips et à d'autres, qui témoignent de l'honorabilité de son caractère et de sa dignité. La conduite des milices à Camden, où elles abandonnèrent de Kalb et les troupes régulières ou Maryland Line, inspira aux Français ce mépris qu'ils exprimaient en toute occasion
  34. Cette dernière ville, capitale de la Virginie, avait eu une grande importance avant la guerre. Elle se composait de deux grandes rues parallèles coupées par trois ou quatre autres. Le collège, le gouvernement et le capitole étaient encore de beaux édifices, quoiqu'ils fussent dégradés depuis qu'ils étaient en partie abandonnés. Les temples n'y servaient plus que de magasins et d'hôpitaux. Les habitants avaient déserté la ville. La campagne avait été dévastée par les Britanniques au point qu'on ne trouvait plus ni foin ni avoine pour les chevaux et qu'on était obligé de les laisser paître dans les champs.
  35. Au retour de cette campagne, il fut nommé colonel en France; il n'avait que vingt-trois ans. Mais il donna sa démission et se livra, à des études économiques. C'est le chef de la fameuse école Saint-Simonienne.
  36. A un mille de la place, les trois brigades se séparèrent et s'avancèrent jusqu'à portée de pistolet en profitant des rideaux des bois et des criques marécageuses pour former une enceinte continue depuis la rivière d'York, à gauche, jusqu'au marais, près de la maison du gouverneur Nelson.
  37. Les bois favorisaient du reste leur approche. Ce déploiement successif des colonnes pour occuper le terrain inégal, et coupé par des haies se fit avec la plus grande célérité.
  38. Ils jugèrent sans doute que cette ligne de défense était beaucoup trop étendue. Il n'en est pas moins vrai qu'en livrant aux alliés, sans coup férir, ces importantes positions, ils leur facilitèrent le succès en leur évitant bien des hésitations et des embarras.
  39. Le guide qui conduisait ces officiers les assurait qu'ils n'étaient pas à une demi-portée de fusil de la redoute, et ceux-ci ne la voyaient pas encore. Cela tenait à sa position au milieu des bois. On s'attendait au moins à des combats partiels très-vifs. Le terrain aurait été très-favorable à cette sorte de défense. Mais la place était tout à fait déserte, et l'on n'eut qu'à s'y établir.
  40. À trois cents pas des redoutes, vers la ville, ils virent un ravin profond de vingt-cinq pieds qui n'était plus défendu, bien qu'il formât autour de la ville une circonvallation naturelle.
  41. Ils se rendirent aisément maîtres du bois placé devant eux. Pourtant les postes qu'ils avaient forcés à se replier sur une redoute firent diriger contre eux un feu assez vif de boulets et de mitraille qui tua un hussard, cassa le bras à un autre et brisa la cuisse à M. de Bouillet, officier d'Agenais. A la suite de cette reconnaissance, M. de Rochambeau fit avancer d'un demi-mille le camp occupé par la brigade de Bourbonnais.

Source

Thomas Balch, Les Français en Amérique pendant la guerre de l’Indépendance des États-Unis 1777-1783, 1872 [détail de l’édition]

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