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Jean Buridan
Jean Buridan, en latin Joannes Buridanus (1292 - 1363), philosophe français, docteur scolastique, fut l’instigateur du scepticisme religieux en Europe. Il fut, en Occident, le redécouvreur de la théorie de l'impetus, vers 1340[1]. Son nom est plus fréquemment connu par l'expérience de pensée dite de l’âne de Buridan.
Sommaire
Biographie
Né probablement à Béthune (Pas-de-Calais) il étudia à l’université de Paris sous la direction du philosophe scolastique Guillaume d'Occam et fut un ardent nominaliste.
Il enseigna la philosophie à Paris et fut élu deux fois recteur de l'Université de cette ville en 1328 et 1340 . Comme philosophe, Buridan a enseigné le plus pur nominalisme et s'est confiné dans les études philosophiques.
Contrairement au cursus ordinaire pour une carrière en philosophie, il choisit d’étudier les arts libéraux plutôt que la théologie. Il maintient d’autant plus son indépendance en demeurant un clerc séculier plutôt qu’en rejoignant un ordre religieux. À partir de 1340, il s’oppose à son mentor Guillaume d’Occam. Cet acte a été interprété comme le début du scepticisme religieux et l’aube de la révolution scientifique.
Persécuté par les réalistes, il se retira en Allemagne, où il fonda une école, et enseigna à Vienne. Buridan, en tant que nominaliste, ne pouvait admettre l'existence de la liberté humaine, et il a longuement discuté la question du libre arbitre dans ses commentaires sur l'Éthique d'Aristote.
Buridan lui-même prépara la voie pour Galilée à travers la théorie de l'impetus. Une campagne posthume par des Occamistes réussit à faire placer les écrits de Buridan sur l’Index Librorum Prohibitorum de 1474 à 1481.
Buridan a aussi énoncé une théorie sur la répartition des terres et des océans sur le globe qui a rompu avec les conceptions théologiques de son époque.[réf. nécessaire]
Albert de Saxe est parmi les plus célèbres de ses disciples, reconnu comme un logicien.
De nombreuses histoires apocryphes à propos de ses aventures amoureuses montrent qu’il avait la réputation d’être une figure brillante et mystérieuse à Paris. Il avait aussi un charisme inhabituel pour attirer des subventions académiques. Suivant une tradition plus légendaire qu'historique, Buridan aurait dans sa jeunesse été introduit dans la tour de Nesle, où la reine Jeanne II de Bourgogne, femme de Philippe V de France, aurait eu avec lui un commerce coupable, et il aurait failli être victime de son imprudence.
Paradoxe de l’âne de Buridan
Le paradoxe de l’âne de Buridan est la légende selon laquelle un âne est mort de faim et de soif entre son picotin d'avoine et son seau d'eau, faute de choisir par quoi commencer.
On ne peut, à proprement parler, faire de ce cas de figure un paradoxe logique ; Il s'agit plutôt d'un cas d'école de dilemme poussé à l'absurde.
Le paradoxe de l’âne de Buridan n'apparaît dans aucune des œuvres connues de Jean Buridan, bien qu'il soit tout à fait cohérent avec la théorie buridanienne de la liberté et de l'animal. En revanche, cette thématique apparaît dans De Caelo (295b32), Aristote se demandait comment un chien qui doit choisir entre deux nourritures également attirantes choisit entre elles.
Buridan ne discute pas du problème particulier mais son apport est qu’il plaida pour un déterminisme moral où, sauf pour l’ignorance ou l’embarras, un humain qui fait face à des comportements possibles doit toujours choisir le plus grand bien. Buridan considère que la volonté peut retarder le choix pour déterminer plus complètement les résultats possibles de l’option. Des présentateurs ultérieurs ont satirisé cette vue en un âne assoiffé et affamé, positionné à égale distance entre un seau d'eau et un seau d'avoine. L’âne meurt de faim et de soif alors qu’il hésite entre ses deux désirs.
L'argument est très proche de celui d'Aristote perplexe au sujet de ce qui arriverait en cas de tension excessive d'une corde parfaitement homogène et "ne sachant donc pas" en quel point se rompre.
Il semble que Spinoza soit le premier à parler de l'« ânesse de Buridan » (« Buridani asina »). Dans le scolie de la proposition 49 de la deuxième partie de l'Éthique, Spinoza répond à une objection possible contre son propre système :
- « On peut [...] objecter que, si l'homme n'opère pas par la liberté de la volonté, qu'arrivera-t-il donc s'il est en équilibre, comme l'ânesse de Buridan ? Mourra-t-il de faim et de soif ? Que si je l'accorde, j'aurai l'air de concevoir une ânesse, ou une statue d'homme, non un homme ; et si je le nie, c'est donc qu'il se déterminera lui-même, et par conséquent c'est qu'il a la faculté d'aller, et de faire tout ce qu'il veut. [...] J'accorde tout à fait qu'un homme placé dans un tel équilibre (j'entends, qui ne perçoit rien d'autre que la soif et la faim, tel aliment et telle boisson à égale distance de lui) mourra de faim et de soif. S'ils me demandent s'il ne faut pas tenir un tel homme pour un âne plutôt que pour un homme ? je dis que je ne sais pas, pas plus que je ne sais à combien estimer celui qui se pend, et à combien les enfants, les sots, les déments, etc. » (tr. fr. Bernard Pautrat, p. 191 et 195.)
Spinoza procède à une généralisation que Buridan aurait refusée. Selon Buridan, en effet, l'âne mourrait de faim et de soif, mais un homme placé dans la même situation serait capable de choisir arbitrairement : c'est la « liberté d'indifférence ». Spinoza, en revanche, estime que sur ce point il n'y a pas de différence entre l'homme et l'animal : même l'homme mourrait de faim et de soif.
Résolution du paradoxe : Sachant que l'on meurt plus rapidement de soif que de faim et qu'en outre la soif est toujours vécue comme plus terrible et plus pressante que la faim, même lorsque ces deux affres sont ressentis de façon concurrente un individu choisira en toute logique d'étancher sa soif. En résolvant d'abord le problème de la soif l'individu s'accorde un sursis de vie qu'il pourra mettre à profit pour résoudre le problème de la faim. Dans la théorie de l'âne de Buridan, il existe une concurrence des contraintes (faim et soif) mais ces contraintes sont asymétriques et cette asymétrie entraîne par conséquent une hiérarchisation des contraintes.
L'impetus
Traitant du problème de la dynamique d'un projectile, Jean Buridan montre que la théorie d'Aristote de la cause motrice disant que « Tout ce qui est mû est mû par autre chose... » est prise à défaut ; y compris les palliatifs divers tels l'antiperistasis (le mouvement violent crée un vide, ou une raréfaction de l'air qui continue de propulser le projectile dans les airs) ou l'opinion disant que l'air, ébranlé par le mouvement violent, acquiert puissance pour pousser le projectile.
- Citation de Jean Buridan : « Voici donc, ce me semble, ce que l'on peut dire : tandis que le moteur meut le mobile, il lui imprime un certain impetus, une certaine puissance capable de mouvoir le mobile dans la direction même où le moteur meut le mobile, que ce soit vers le haut, ou vers le bas, ou de côté, ou circulairement. Plus grande est la vitesse avec laquelle le moteur meut le mobile, plus puissant est l'impetus qu'il imprime en lui...mais par la résistance de l'air, et aussi par la pesanteur qui incline la pierre à se mouvoir en sens contraire...cet impetus s'affaiblit continuellement [...] Toutes les formes et dispositions naturelles sont reçues en la matière et en proportion de la matière; partant plus un corps contient de matière, plus il peut recevoir de cet impetus; or dans un corps dense et grave [ie : pesant], il y a, toutes choses égales d'ailleurs, plus de matière qu'en un corps rare et léger. Une plume reçoit un impetus si faible que cet impetus se trouve détruit aussitôt par la résistance de l'air »[2]
Une idée proche, mais moins développée, se trouvait déjà clairement chez Jean Philopon, commentateur byzantin du Ve siècle, et Guillaume d'Ockham avait aussi émis l'hypothèse, imprécise, qu'il se transmet quelque chose du corps « agent » au corps « patient ».[2] L'impetus, notion floue, qualitative, née avant la notion de vitesse, évoque la quantité de mouvement. Elle ne pourra pas s'appuyer sur des mathématiques algébriquement performantes (qui viendront avec René Descartes) ni sur des expérimentations la quantifiant et la précisant (les expérimentations viendront avec Galilée) et ne sera presque plus employée après Galilée et René Descartes qui auront su s'en inspirer pour construire une théorie (l'inertie) où le mouvement n'a pas besoin de moteur pour durer, et une notion quantitative (la quantité de mouvement).[2]
Bibliographie
Œuvres de Jean Buridan
- Commentaires sur Aristote, comme en témoignent les titres de ses écrits :
- Summula de dialectica (Paris, 1487, in-folio) ;
- Compendium Logicae (Venise, 1487, in-folio) ;
- Sophismata (in-8) ;
- Quaestiones in X libros Ethicorum Aristotelis (Paris. 1489, in-fol., et Oxford, 1637, in-4) ; réimpression de l'édi. de Paris 1513, Francfort 1968 ;
- Quaestiones in VIll libros Physicorum Aristotelis, in libros de Physica et in parva naturalia (Paris, 1516, in-4) ; réimpression de l'édi. de Paris 1509, Francfort, 1964 ;
- In Aristotelis Metaphysica (Métaphyique) (Paris, 1516-1518, 17 volumes in-folio).
Études sur Jean Buridan
- (it) Marcello Landi, Un contributo allo studio della scienza nel Medio Evo. Il trattato Il cielo e il mondo di Giovanni Buridano e un confronto con alcune posizioni di Tommaso d'Aquino, in Divus Thomas 110/2 (2007) 151-185
Notes
- ↑ Dictionnaire d'histoire et philosophie des sciences sous la direction de Dominique Lecourt, PUF éditeur, 2006 (4ème édition), article Impetus rédigé par Christiane Vilain, et article Inertie rédigé par François De Gandt
- ↑ a , b et c Dictionnaire d'histoire et philosophie des sciences sous la direction de Dominique Lecourt, PUF éditeur, 2006 (4ème édition), article Impetus rédigé par Christiane Vilain
Liens externes
Source partielle
- Dictionnaire d'histoire et philosophie des sciences sous la direction de Dominique Lecourt, PUF éditeur, 2006 (4ème édition), article Impetus rédigé par Christiane Vilain, et article Inertie rédigé par François De Gandt.
- « Jean Buridan », dans Marie-Nicolas Bouillet et Alexis Chassang [sous la dir. de], Dictionnaire universel d’histoire et de géographie, 1878 [détail des éditions] (Wikisource)
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