- Philosophie de Ghost in the Shell
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La série des Ghost in the Shell (anime et manga) se situe dans un univers cyberpunk japonais qui offre beaucoup d'implications sur la philosophie actuelle et sur les spéculations d’une philosophie future.
Sommaire
Contexte
Ghost in the Shell se situe en l’an 2029, alors que les humains sont devenus interconnectés par un vaste réseau informatique imprégnant chaque aspect de la vie. Les individus ont de plus en plus tendance à se fier aux implants cybernétiques, et les premières intelligences artificielles dépassant les capacités humaines font leur apparition. L’institution présentée dans les différents supports est la Section 9, chargée d’enquêter sur des cas tels que le « Marionnettiste » (Puppet Master) et le Rieur.
Pourtant, comme ces criminels se révèlent avoir plus de profondeur qu’ils n’en ont de prime abord, les différents personnages sont confrontés à des questions troublantes : « Quelle est la définition exacte d’un être humain dans une société où l’esprit peut être copié et le corps remplacé par une forme de synthèse ? », « Qu’est véritablement le ghost — l’essence — dans une coquille cybernétique ? », « Où est la frontière entre l’être humain et la machine lorsque les différences entre les deux deviennent plus philosophiques que physiques ? », etc.
Éléments philosophiques
Ghosts
Dans Ghost in the Shell, le mot ghost est un terme d’argot désignant une conscience individuelle. Dans la société futuriste du manga, la science a redéfinie le ghost en tant que ce qui différencie un être humain d’un robot biologique. Quelle que soit la quantité de matériel biologique remplacé par des substituts électroniques ou mécaniques, tant que les individus conservent leur ghost, ils conservent leur humanité et leur individualité.
Le concept de ghost a été emprunté par Masamune Shirow à un essai sur le structuralisme de Arthur Koestler, Le Cheval dans la locomotive (titre original : The Ghost in the Machine). Le titre lui-même était à l’origine utilisé par le philosophe anglais Gilbert Ryle, dans l’intention de se moquer du paradoxe constitué par le dualisme cartésien et par le dualisme en général. Koestler, comme Ryle, refuse le dualisme cartésien et place l’origine de l’esprit humain dans les conditions physiques de son cerveau. Il fait valoir que le cerveau humain s’est développé et s’est construit sur des structures plus primitives, le « cheval dans la locomotive » (« ghost in the machine »), qui dominent les fonctions logiques et sont responsables de la haine, de la colère et d’autres pulsions destructrices. Shirow refuse aussi le dualisme, mais définit le ghost de façon plus générale comme étant non seulement une particularité physique mais aussi une phase ou un phénomène qui apparait dans un système à un certain niveau de complexité. Le cerveau lui-même n’est seulement qu’une partie du réseau neuronal dans son ensemble ; si, par exemple, un organe est enlevé du corps, son système nerveux autonome (et, de fait, son ghost), disparaitra, à moins qu’un stimulus d’existence soit parfaitement reproduit par un substitut mécanique. On peut comparer cela, par analogie, à une personne née avec une surdité innée qui serait incapable de comprendre le concept d’« écoute », à moins qu’on le lui enseigne.
La duplication d’un ghost, est une opération quasi-impossible dans l’univers de Ghost in the Shell. Quand elle est réalisée, comme substitut bon marché d’intelligence artificielle dans Innocence et plus tôt dans le manga, le résultat est toujours inférieur à l’original — qui meurt pendant le processus. Dans l’épisode 7 de Stand Alone Complex, des criminels utilisent un appareil de duplication du ghost pour créer de nombreuses copies du baron de la drogue sud-américain Marcelo Jarti ; après que l’original soit mort, l’appareil continuait de le dupliquer dans une quasi-infitié de corps avec des personnalités et des souvenirs identiques, l’immortalisant.
Dans Ghost in the Shell, Kusanagi reproduit entièrement les stimuli de tous ses organes dans le but de conserver son ghost. Si une erreur technique survient pendant le transfert du ghost d’un corps à l’autre, le transfert se traduit normalement par un échec, du fait que le ghost tend à se détériorer à cause de la différence du système au niveau matériel ou à la déficience du protocol de transfert. Le Marionnettiste gère le processus pour ne pas déteriorer son ghost quand il fusionne avec Kusanagi car son système est le corps de l’information lui-même, évitant ainsi une déterioration due à une déficience au niveau matériel.
Le paradoxe du bateau de Thésée est un paradoxe similaire. Le concept d’Hegel du Geist peut aussi être mis en relation.
L’intelligence artificielle en tant qu’étape de l’évolution
Un concept important dans Ghost in the Shell est que l’évolution est un processus de fusion entre deux ensembles de données (ADN) dans le but de créer un troisième ensemble de données contenant les éléments les plus essentiels des organismes d’origine avec quelque peu de hasard. Le Marionnettiste a évolué en-dehors de l’ADN comme un ensemble de référence, et donc, pour procréer (son désir de sortir du réseau en premier lieu), ce nouvel organisme (un esprit qui n’est pas né à partir d’ADN) a besoin d’un nouveau paradigme de fusion de données, d’où sa demande à Kusanagi. Il s’agit alors de la fusion de deux « esprits » ou ghost dans un seul esprit, ce qui est spécifiquement différent de la naissance tout en étant simultanément analogue.
Les tachikomas et les fuchikomas sont des mini-tanks (mechas) munis d’intelligence artificielle et employés par la Section 9. En raison des exigences du terrain, ces robots ont été construits avec des intelligences artificielles extrèmement flexible et adaptable où n’existe pas le concept de la protection de leur existence (troisième loi de la robotique) présent dans les autres intelligences artificielles de robots par ailleurs. Bien que cela leur permet de se comporter de façon imprévisible et flexible, quelques difficultés se présentent à la Section 9, qui doit surveiller les tachikomas de près afin de détecter le développement d’émotions indésirables.
Les tachikomas posent souvent des questions auxquelles la plupart des personnes ne penseraient même pas, un peu comme des enfants qui essayent de comprendre le monde, mais avec des capacités cognitives supérieures. Quelques clips de tachikomas les montrent en train de discuter de problèmes philosophiques complexes et de la façon dont ils comprennent l’existence. Ils ont bien plus qu’un regard innocent sur le monde qui les entoure. Les tachikomas sont également utilisés pour comprendre si une individualité peut résister à une parallélisation de l’information (c’est-à-dire le traitement simultané d’une donnée identique par deux processus cognitifs, mathématiques ou informatiques différents).
Stand Alone Complex (complexe de la solitude)
Utilisé au départ dans l’intention de « souligner les dilemmes et les préoccupations auxquels les gens devraient faire face s’ils étaient reliés trop lourdement dans la nouvelle infrastructure de communications »[1], le terme de Stand Alone Complex (littéralement : « complexe de la solitude ») peut éventuellement représenter un phénomène où les actions, sans lien mais pourtant très similaires, d’individus parviennent à créer un effort apparemment concerté.
Un complexe de la solitude peut être comparé à l’émergence du comportement d’imitateur qui se produit souvent après des incidents comme des crimes en série ou des attentats terroristes. Un incident attire l’attention du public et certains types de personnes « se joignent au mouvement », pour ainsi dire. Ce comportement est particulièrement évident lors d’incidents résultants de convictions politiques ou religieuses, mais il peut aussi apparaître en réponse à l’attention énorme que portent les média sur l’incident même. Par exemple, un simple incendie, quel que soit le nombre de morts qu’il induit, est juste une tragédie quelconque. Toutefois, si certaines personnes commencent à croire qu’il est d’origine criminelle, ou du moins volontaire, la menace que d’autres incendies du même type surviennent augmente considérablement.
Ce qui sépare le complexe de la solitude d’un comportement normal d’imitateur est qu’il n’y a pas de véritable initiateur de l’action copiée, mais simplement une rumeur ou une illusion qui est supposée avoir accomplie l’action. Il peut y avoir des personnes réelles étiquetées en tant qu’initiateur, mais en réalité, personne n’a commencé le comportement original. De plus, dans le complexe de la solitude, l’illusion initiatrice a juste besoin d’être présente dans l’esprit du public. En d’autres termes, un imitateur potentiel a juste à croire que le comportement copié provient d’un initiateur — alors qu’il n’y en avait vraiment aucun. Le résultat est une épidémie du comportement copié ayant un effet de proposition assez net pour d’autres imitateurs. On pourrait dire que le complexe de la solitude est une hystérie collective qui n’est basée sur rien, mais provoquant tout de même un changement global dans la structure sociale.
Ce n’est pas sans rappeler les concepts de mème (en référence à la conversation entre Kusanagi et le Marionnettiste dans le manga) et de simulacre tel que défini par Jean Baudrillard. Il y a aussi des liens avec des théories sociologiques, comme l’illustrent les références du Rieur aux travaux de Fredric Jameson et Masachi Osawa sur la régulation sociale.
Il est même possible de considérer le choix des scénaristes de Ghost in the Shell : Stand Alone Complex d’utiliser la nouvelle de J. D. Salinger L’Homme hilare comme élément clé de l’histoire, en tant qu’un exemple de simulacre lui-même ; la nouvelle de Salinger pouvant elle aussi être considérée comme un simulacre, de par sa popularité éclipsant son original, L’Homme qui rit de Victor Hugo. Cela crée un autre exemple de la notion de complexe de la solitude : en misant sur la popularité de Ghost in the Shell, ses personnages et l’icône utilisé pour représenté le Rieur, cette histoire supplante celle de Salinger, qui elle-même supplantait celle de Victor Hugo.
Dans Ghost in the Shell : Stand Alone Complex, il est fait référence au cas du Rieur. Il est présenté comme l’émergence d’un phénomène catalysé par la parallélisation de la psyché humaine à travers le réseau des cybercerveaux[2]. Un point important est qu’à cause du réseau de communications informatique qui imprègne la société, de plus en plus de personnes sont exposés aux mêmes informations et stimuli, ce qui rend la psyché globale et les réactions de grands groupes d’individus fortement similaires, le résultat étant que la potentialité d’un comportement imitateur augmente exponentiellement, ce qui forme un complexe de la solitude. Il n’y a pas de Rieur initial, pas de chef. Chacun agit de son propre chef, mais un ensemble cohérent émerge. Il y a bien des individus qui ont commencé le travail d’imitateur avant les autres, mais ce qui a lancé l’ensemble est indéfini.
Dans Ghost in the Shell : Stand Alone Complex 2nd GIG, cette théorie du complexe de la solitude est étendue au domaine politique. Un des personnages principaux de cette saison, Gouda, tente de déclencher une révolution par ce qu’il appele une « manipulation de données », autrement dit, en complétant les conditions requises à un complexe de la solitude. En manipulant la peur et la frustration des réfugiés chinois refoulés par la société japonaise, et en créant de fausses informations transmises à la police et à la Section 9, une organisation terroriste appelée les « Onze Individuels » émerge. Cependant, avec chaque incident terroriste, comportant l’assassinat manqué du Premier Ministre, il apparaît clair que rien ne connecte les évènements ensemble, hormis un logo, qui a été lancé par Gouda. En d’autres termes, les « Onze Individuels » est une organisation construite par un complexe de la solitude, un groupe d’individus agissant pour leur propre intérêt, sans lien entre eux mais dont les actions établies de manière inconsciente et collective, vont dans le sens d’une révolution. Gouda constate qu’il existe une tendance dans un complexe de la solitude : les masses projettent inconsciemment leurs insuffisances et leurs désirs sur un chef de file. Dans la première saison de Ghost in the Shell : Stand Alone Complex, il s’agissait du Rieur, et dans la seconde Hideo Kuze.
Références
Liens externes
- Production I.G — Site officiel de la Production I.G (en)
- Masachi Osawa (Japonais)
- Masahiro Morioka
- Sur la traduction et les références marxistes dans Ghost in the Shell
- Portail de l’animation et de la bande dessinée asiatiques
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