- Bataille de Loigny
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La bataille de Loigny-Poupry est livrée le 2 décembre 1870 pendant la campagne de la Loire, lors de la guerre franco-prussienne de 1870-1871. L'armée allemande commandée par le Grand Duc de Mecklembourg y remporte une victoire sur l'armée de la Loire du général d'Aurelles de Paladines.
Détails des opérations
Ordre de la division : « L’objectif est Toury. La 1er brigade, rangée entre Terminier et Gommiers, ayant pour centre Touriette, marchera sur Loigny, en passant par Faverolles et Villours. La cavalerie marchera sur Orgères et la Maladrerie pour reconnaître ces villages, qui peuvent être occupés. S’il n’y a rien, on s’avancera par Bazoches-les-Hautes et Tillay-le-Péneux jusqu’à Janville et Toury. La 3e division (général Maurandy) appuie sur Terminiers et Lumeau. La 1re est en réserve. Le général Chanzy sera à Guillonville ; le grand quartier général à Chevilly. Le 17e corps s’établit à Patay, le 15e à Artenay. »
A sept heures du matin, le bataillon se met en mouvement. Il est flanqué de deux batteries et demie d’artillerie, entre le 31e de marche à gauche et le 37e à droite. On avance régulièrement, sous un beau soleil et par un froid des plus vifs. La plaine, devant nous, s’étend au loin, coupée seulement de rares bouquets d’arbres. A Faverolles et près des fermes que nous traversons, les paysans paraissent terrorisés. L’ennemi, disent-ils, leur a tout enlevé. Cela est triste, mais on va vers Paris. On évoque le soleil d’Austerlitz, et l’espérance est au cœur de tous. A hauteur de la ferme de Fougeu, vers neuf heures du matin, nos tirailleurs commencent le feu et, tout de suite, la bataille devient générale. On distingue très nettement, à douze ou quinze cent mètres de nous, de grands mouvements de troupes. Le bataillon oblique légèrement et, sous un feu d’enfer, attaque la ferme de Beauvilliers, qu’ils enlèvent dans un irrésistible assaut. Sur notre droite, nos troupes ont rapidement traversé Loigny pour attaquer le château de Goury, où l’ennemi s’est fortement retranché. De même que pour la ferme, un irrésistible élan nous rend maître du château, et les Bavarois battent rapidement en retraite.
"Mais déjà mes brancardiers ont groupé de nombreux blessés. Et je suis obligé de planter mon fanion de la Croix-Rouge à l’abri d’un fossé, en avant de la ferme de Fougeu." Pendant plus d’une heure, et malgré l’acharnement des Prussiens qui font rage de toute leur artillerie, la lutte se poursuit à notre avantage. Cependant, vers midi, le château de Goury et la ferme de Beauvilliers deviennent intenables. Quelques affolés s’en vont, la crosse en l’air, au devant de l’ennemi et se constituent misérablement prisonniers. Et ma brigade, très cruellement éprouvée par le feu, est obligée de se replier sur Loigny, pour s’y reformer. Bientôt, en effet, me disent des blessés, de nouvelles troupes reviennent à l’assaut de Goury, mais se heurtent, sans succès, à l’opiniâtre résistance de l’ennemi, soutenu par une formidable artillerie. Hélas ! partout elles fléchissent, abandonnant même Loigny, où mon bataillon et le 37e d’infanterie résistent seuls avec acharnement. Voici que le général Barry, obligé lui-même de se retirer, passe devant moi, immédiatement suivi d’un bataillon bavarois qui, le fusil haut, se précipite sur la ferme de Fougeu et l’envahit. J’étais entouré déjà de plus de deux cent blessés, parmi lesquels trois officiers et quarante hommes de mon bataillon. « La position n’est pas tenable », me dit alors un collègue dont je veux oublier le nom, puis il se retire, nous laissant seuls, le docteur Barraud, des mobiles de la Dordogne, et moi, au milieu de nos blessés. Alors me revient le souvenir de mon ancien, le docteur Thomas, à la ferme de la Hanoterie. Et je n’ai plus un instant d’hésitation. Le devoir s’impose, d’autant plus précis que, malgré le fanion d’ambulance, malgré nos protestations, malgré les cris des blessés, l’ennemi s’abrite derrière les murs de la ferme pour continuer la lutte. En vérité, nos blessés sont cruellement exposés. Voici, en effet, que les obus français nous accablent à leur tour ; et l’incendie, tout autour de nous, fait rapidement des progrès. Sous une pluie de fer et de feu, nous sommes, le docteur Barraud et moi, appelés de tous les côtés, tant par nos propres blessés que par les Prussiens, eux-mêmes très éprouvés. Dieu, qui nous a permis que nous fussions épargnés l’un et l’autre, nous a, ce jour-là, donné quelque courage. L’officier bavarois qui parait commander dans la ferme est lui-même légèrement atteint par un éclat d’obus. Il réclame mon assistance. Il parle correctement le français. J’en profite, tout en le pansant, pour renouveler ma protestation. « Il y a ici de nombreux blessés couverts par le drapeau international ; l’occupation de la ferme par des combattants les expose cruellement à de nombreux dangers… » Est-il ébranlé ? Peut-être. De fait, le feu cesse autour de la ferme. Mais à côté de nous, vers Loigny, il redouble d’intensité. Le canon gronde incessant, mêlant ses terribles éclats au crépitement de la fusillade. Il est quatre heures du soir. C’est évidemment un retour offensif. De temps à autre, d’effroyables clameurs révèlent l’acharnement de la lutte. Cela dure depuis plus d’une heure. Puis la nuit vient, coupée des lueurs sinistres de l’incendie qui dévore Loigny. Et vers six heures, le feu cesse. Dans la ferme de Fougeu, il y a plus de cinq cent blessés ; et bien nombreux encore sont ceux qui ; tout autour, attendent anxieusement quelques secours. Accompagné de deux de mes brancardiers, Gouland et Bristiel, d’un homme du 31e, Husson, et de deux mobiles, Jeandot et Deserol, le docteur Barraud s’en charge, pendant que je continue les pansements urgents et l’installation des blessés. A neuf heures seulement, je peux me rendre à Loigny. C’est épouvantable. L’église est encombrée déjà, et des malheureux se traînent péniblement pour y trouver un refuge. J’y rencontre un jeune aide-major du 38e de marche, M. Babaud, et l’abbé Le Bastard, aumônier des mobiles de la Mayenne, l’un et l’autre complètement dépourvus de ressources, n’ayant même plus un morceau de linge et, disent-ils, absolument impuissant à mettre au moins un peu d’ordre dans cet entassement d’horreurs. Il y a sûrement encore plus de deux mille blessés autour de Loigny. La bataille a grondé surtout autour du village, entre Faverolles, Lumeau, Bazoches-les-Hautes, la Maladrerie, Orgères et Mérouville. D’abord la division Barry, appuyée à courte distance en arrière et à gauche par la division Jauréguiberry, en arrière et à droite par la division Maurandy, a pu, dans un superbe élan, gagner rapidement du terrain. Mais, vers midi, de formidables batteries ont dominé les positions du château de Goury et de Loigny. Et déjà nos troupes se repliaient, lorsqu’un nouvel effort du 7e bataillon de chasseurs et du 37e, sous l’énergique impulsion du colonel Baille, reprit l’offensive et réussit à cerner complètement le parc de Goury, que venait de réoccuper toute une brigade bavaroise. Mais alors le commandant Gariod, prenant pour un régiment français tout un régiment bavarois envoyé en renfort, fit cesser le feu ; et, victime de sa déplorable erreur, il fut lui-même mortellement atteint. Ce fut le commencement de la déroute. Cependant le 37e et les chasseurs tenaient toujours dans Loigny. Alors que le général de Sonis, appelé en toute hâte, vers midi, par le général Chanzy, mais encore aux environs de Patay, réussit, malgré la fatigue, à entraîner une partie de sa 2e division. A trois heures, il se trouvait à hauteur du château de Villepion. Il y avait la toute une brigade d’infanterie qui paraissait attendre des ordres. La bataille n’était pas encore complètement perdue. Le général en fut convaincu. Il s’efforça de rallier les fuyards. Puis se portant vivement au-devant de la brigade de réserve qui depuis longtemps demeurait immobile devant Villepion. -Debout ! s’écria-t-il, mes enfants, c’est pour la France ; en avant ! Le 17e corps arrive, c’est la victoire assurée ! Mais vainement il se multiplie, vainement des officiers le secondent de tous leurs efforts. Nos malheureux soldats, démoralisés autant par la vue des fuyards que par le feu qu’ils ont longuement subi sans pouvoir y répondre, sont dorénavant incapables d’un élan. Ils demeurent inertes. Alors, n’ayant sous la main qu’une poignée de braves avec deux batteries d’artillerie, il court au régiment des zouaves pontificaux. -Charrette, dit-il, j’ai besoin de vous ; coûte que coûte, il faut reprendre Loigny.
Puis, s’adressant directement au premier bataillon : -Mes enfants, il y a devant nous, dans le village de Loigny, un régiment qui résiste à tous les assauts de l’ennemi. Des lâches l’abandonnent, ils refusent de me suivre. En avant ! montrez à ces fuyards comment doivent combattre des soldats. Et tous aussitôt sont prêts. Groupés autour d’une blanche bannière dont le général a fait son fanion, accompagné de francs-tireurs de Tours et de Blidah, ainsi que d’un bataillon des mobiles des Côtes-du-Nord, ils se portent fièrement en avant, ne doutant pas qu’ils seront immédiatement suivis. Hélas ! quelques hommes à peine se décident à se détacher des rangs qu’ils ont franchi, la masse demeure complètement inerte. Eux n’hésitent pas, cependant. L’arme sur l’épaule, la tête haute, sous les éclats de l’artillerie, ils franchissent, sans tirer un coup de fusil, douze à quinze cent mètres en avant de Villepion, enlèvent la ferme de Villours, et tout à coup se trouvent à cent mètres d’un petit bois d’acacias, dans lequel se sont abrités deux régiments bavarois qui les criblent de balles. Alors, et comme pris de vertige, sous une pluie de fer, ils s’élancent à la baïonnette. Et leur élan est irrésistible. C’est l’ouragan qui passe. Rien ne l’arrête. Et les bavarois, poussés l’épée dans les reins, jettent leurs armes, se constituent prisonniers ou s’enfuient en déroute. Un pas encore. Trois cent mètres peut-être. Le village est là. Le 37e et les chasseurs y résistent toujours. La charge se fait plus terrible encore. Vainement plusieurs batteries crachent la mort. Elles enfonce murs et clôtures et s’empare d’une vingtaine de maisons. Mais de nouvelles masses ennemies, ramenées par le général de Treskow, débordent de tous les côtés. Il y a dix mille hommes, peut-être, soutenus par une formidable artillerie, contre une poignée de héros. Vingt contre un ! On refuse de se rendre. Mais il faut battre en retraite, combattre toujours et semer le sol de morts et de blessés qui demeurent là, comme autant de témoins de l’héroïsme du sacrifice. Dans l’acharnement de la lutte, trois fois le glorieux fanion s’est affaissé, trois fois il a été fièrement relevé, couvrant de sa surnaturelle blancheur ces rudes croyants qui, pour le salut de la patrie, offrent virilement tout leur sang au cœur même du divin Rédempteur. « Cœur de Jésus, sauvez la France ! » C’est le cri suprême ; et le sacrifice est consommé. L’honneur est satisfait ! Puis, c’est la nuit, l’ennemi ose à peine une courte poursuite ; le feu cesse ; le champ de bataille s’éclaire seulement des lueurs de l’incendie qui dévore le village. Et la neige tombe glaciale, contrastant horriblement avec ces gerbes de feu qui s’élancent au ciel, dans une inconsciente protestation. Et sous cette neige, gisent pêle-mêle, à côté des plus obscurs de nos soldats, les fiers représentants de la noblesse de France, les uns et les autres enveloppés du même linceul, tous tombés pour la patrie ! Huit cents hommes, trois cent zouaves avec le colonel de Charrette, cent cinquante francs-tireurs et trois cent cinquante mobiles avec le capitaine Hildebrand ont, ainsi qu’un ouragan, passé sur une armée soutenue par une formidable artillerie. Ils ont, pendant une heure, forcé la victoire, et ne l’ont définitivement perdue qu’avec la dernière goutte de leur sang, dans l’abandon de ceux qui devaient au moins les soutenir. Huit cents soldats ont battu la charge. Quatre cent dix-huit zouaves, parmi lesquels dix officiers, cent quarante mobiles et soixante et un francs-tireurs, sont demeurés sur le terrain. Et parmi eux, le héros, le général de Sonis. L’un des premiers, presque certainement à bout portant, il est atteint d’une balle qui lui brise horriblement la cuisse. Il tombe et demeure là, sur le sol glacé, refusant tout secours avant l’issue du combat ; puis il est forcément délaissé et soutenu seulement, ainsi qu’il l’a lui-même écrit sur mon carnet, par sa confiance en Dieu.-Je n’ai pas perdu connaissance, dit-il ; j’ai, pendant toute la nuit, conservé le plus grand calme, ce que j’attribue à un secours particulier de la sainte Vierge que je n’ai pas cessé de prier. Une telle confiance, une si parfaite résignation ont fait reculer la mort. Mais combien, hélas ! qu’une rapide intervention eut pû lui arracher, et qui la subirent là, sous les tortures du froid et de l’abandon, autant sans doute que leurs blessures ! Il y a là aussi, tout près de lui, son second, le colonel de Charrette, que la chute de son cheval a pu seule arrêter dans la charge qu’il a conduite malgré sa blessure ; le commandant de Troussure, que de misérables rôdeurs achèvent tardivement à coups de crosse ; le sergent de Verthamont, le comte de Bouillé, le caporal de Cazenove, qui successivement sont tombés sous le glorieux étendard ; les capitaines Vetch, de Boischevalier, de Gastebois, de Ferron, le duc de Luynes, les lieutenants de Charrette, de Vogüe, de Mauduit, Garnier et quatre cents autres dont le souvenir demeure impérissable de gloire et d’espérance. De fait, l’ennemi avait, lui aussi, subi des pertes énormes, plus considérables peut-être que les nôtres : quatre mille hommes, disait la rumeur, parmi lesquels deux généraux et de nombreux officiers.
(Texte extrait de Carnet de campagne d’un aide-major par le docteur Challan de Belval édité chez Plon en 1902.
Bibliographie
- Colonel Rousset, Histoire générale de la Guerre franco-allemande, tome 2, Tallandier, Paris, 1911.
- Challan de Belval, Carnet de campagne d’un aide-major, Plon, Paris, 1902
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