- Avance sur recettes
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L'avance sur recettes est une aide financière délivrée par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) à des projets de longs-métrages de nationalité française, ou de nationalité majoritairement française. Créée en 1959 par André Malraux, elle est l'un des maillons essentiels de la politique culturelle française en matière de cinéma.
Sommaire
Présentation
Le système d'avance sur recettes a été créée par André Malraux, alors ministre des Affaires culturelles, par deux décrets datant de juin 1959[1]. Pièce maîtresse du fond de soutien du CNC et symbole de l'exception culturelle française[2],[3], elle est destinée à encourager la création dans le domaine cinématographique et à soutenir des projets originaux et de qualité, dont on considère qu'ils ont peu de chance de profiter de financements classiques et/ou élevés de la part d'autres acteurs économiques. L'avance sur recette est accordée par le président du CNC après avis d'une commission (un comité de lecture), où siègent des personnalités du secteur (réalisateurs, scénaristes, producteurs, techniciens). Il existe trois collèges : l'un s'occupe des premiers longs-métrages, l'autre des films dont le réalisateur a déjà au moins un long-métrage à son actif, et le dernier collège juge les films après leur réalisation. Chaque commission est composée d'un président, de trois vice-présidents et de vingt-cinq membres et suppléants.
Le total des aides accordées par l'avance sur recette s'élève à 25 millions d’euros par an. Une soixantaine de films en bénéficie chaque année[4]. Un film ayant obtenu cette aide reçoit en moyenne 400 000 €. L'enveloppe maximale accordée à un film est de 450.000 € (et de 480.000 € dans les cas exceptionnels)[5].
L'enveloppe provient de 3 taxes : la première est prélevée sur la vente des billets dans les salles de cinéma, la deuxième est versée par les diffuseurs TV et la dernière provient du marché vidéo[6], représentant respectivement en 2009 120, 390 et 29 millions d'euros[7].
Controverses
Les avis délivrés lors de ces commissions sont suivis de près par les professionnels du cinéma. Les enjeux sont conséquents, car le choix d'accorder ou non l'avance sur recette à un projet conditionne pour beaucoup son existence. Le financement des premiers films dépend en grande partie de cette aide, puisqu'elle détermine bien souvent l'engagement ou non des diffuseurs TV, des distributeurs et des autres aides[8],[9]. Certains choix de la commission ont été durement critiqués.
Choix des films
En 1995, l'avance sur recettes est accordé au Hussard sur le toit de Jean-Paul Rappeneau. Cette aide fait grincer des dents dans le secteur : le film est alors le plus gros budget de toute l'histoire du cinéma français, produit par un grand groupe (Hachette), dont le financement, juge-t-on, n'avait pas nécessairement besoin du soutien du CNC[10]. La même année, l'avance sur recette est refusée à La Haine de Mathieu Kassovitz (film en noir et blanc au sujet difficile, sans vedette et signé d'un jeune réalisateur) à qui sera attribué quelques mois plus tard le César du meilleur film et le prix de la mise en scène au Festival de Cannes[11].
Dix ans plus tard, beaucoup de cinéastes s'étaient émus que Les Amants réguliers de Philippe Garrel ou que des projets signés d'Alain Resnais et de Jacques Rivette n'aient pas obtenu l'avance sur recette, alors que ces œuvres exigeantes devinrent des succès critiques et, dans le cas de certains films réalisés par Alain Resnais, publics.
Dans Le Parisien, un membre de la commission, resté anonyme, conteste en 2010, les 500 000 euros remis au premier film de Fanny Ardant, Cendres et sang : « Le scénario était assez faible. Je ne pense pas qu’il aurait dû avoir l’avance. La notoriété de Fanny Ardant l’a servie. C’est emblématique des dérives de l’avance sur recettes, où l’on aide surtout les grands noms »[12]. De nombreux réalisateurs et syndicalistes du milieu critiqueront vertement la manière dont est accordée l’avance sur recettes[4]. Le cinéaste Paul Vecchiali, quant à lui, regrette que le choix des films retenus ne se fasse pas sur « le seul scénario, à l'aveugle, sur la seule qualité littéraire du travail »[13]. Ayant souvent échoué à obtenir l'avance sur recettes, le cinéaste réalisera À vot'bon cœur, une farce musicale ou les membres du comité sont assassinés les uns après les autres.
Le cinéaste Bruno Dumont dénonce la frilosité des choix, contraire aux principes même de l'aide : « Je suis à l’avance sur recettes et je peux vous dire que l’originalité est pénalisée. Surtout pas de trucs originaux, c’est un peu le mot d’ordre »[14].
Constitution des commissions
La nomination des membres de la commission fait souvent l'objet de débats et de suspicion : certains regrettent que ces jurés ne soient pas plus diversifiés[15]. Le cinéaste Jean-Paul Salomé, qui a été membre de la commission de l'avance sur recettes, reconnaît l'utilité de ces aides mais juge avec sévérité le système de camaraderie et de favoritisme qui influe sur la prise de décision : « Tout se complique lorsqu’arrive un projet porté par un auteur de renom, dont le scénario se révèle nettement moins réussi que ses œuvres précédentes. Il n’est pas facile de l’éliminer. Ces réalisateurs ont souvent de bons défenseurs dans les jurys, car ils connaissent beaucoup de monde, avec qui ils ont eu l’occasion de travailler sur les plateaux, en tant que comédiens, techniciens ou producteurs... Cela finit pas être un monde en vase clos (...) Car on assiste souvent à des bizarreries : certains réalisateurs ont systématiquement l’avance sur recettes, trois ou quatre fois de suite. C’est trop, ils prennent la place de jeunes talents »[15]. Et Jacques Bral de renchérir : « on a souvent une impression de trop grande proximité entre ceux [dans les commissions] qui partent et ceux qui les remplacent »[16].
Trois producteurs (Gemini Films, Agat Films et Les Films d'ici) se sont vu accorder un tiers des avances, et des cinéastes se voient régulièrement accordés l'avance sur recette, comme Benoît Jacquot (7 fois), Catherine Breillat, Raoul Ruiz (5 fois chacun), Olivier Assayas, Jean-Claude Brisseau, Tony Gatlif, François Ozon et Hiner Saleem (4 fois chacun)[6]. Cette répartition de l'aide apparaît, pour certains, comme contraires aux principes mêmes de l'avance sur recette (création, renouvellement, émergence de nouveaux talents)[17].
Le choix de donner la présidence de l'avance sur recettes à des personnalités quelquefois extérieures au cinéma, ainsi que la supposée impartialité de leurs décisions font débat. En 1991, le travail de Bernard-Henri Lévy à la tête des commissions est contesté par diverses personnalités[18]. L'écrivain bénéficiera quelques années plus tard de l'avance sur recette pour le tournage de son premier long-métrage, Le Jour et la nuit, à hauteur de 3,5 millions de francs. Le film sera un énorme échec public et critique, ce qui relança les accusions de complaisance à son égard.[réf. nécessaire]
En 2009, Iradj Azimi dépose plainte auprès du procureur de la République de Paris pour « faux, usage de faux et détournement de fonds publics ». Le cinéaste estime que le comité de lecture, auquel son projet de film avait été présenté, n’était pas « légalement constitué » lorsque l'aide lui a été refusé[19].
Montants accordés
L'enveloppe accordée à un long-métrage n'a pas augmenté depuis une quinzaine d'années, alors qu'il est de plus en plus cher de faire un film de fiction commercialement viable (le budget d'un film dit "moyen" a presque doublé en vingt ans). Le montant de cette aide, ajoutée au fait que son obtention n'est plus forcément gage de qualité, ne permet plus de convaincre les producteurs, diffuseurs ou distributeurs de financer le projet[20]. Le prestige de l'avance sur recette s'est donc terni au fils des années, affaiblissant par conséquence le financement de projets ambitieux ou économiquement précaires[21],[22].
En 2004, le producteur Humbert Balsan regrettait un éparpillement des subventions : « L'avance sur recettes du CNC devrait doter beaucoup plus fortement certains films. Une grosse partie du financement des films est télévisuelle, et les chaînes publiques sont trop frileuses. Chacun des interlocuteurs d'un film exige des concessions différentes si bien que, souvent, la singularité des projets est un handicap. Plus il y a d'intervenants dans le montage financier d'un film, plus ses chances artistiques sont réduites, plus l'élan est brisé »[23].
Articles connexes
Liens externes
Notes et références
- http://www.cnc.fr/Site/Template/T3.aspx?SELECTID=3474&ID=2437&t=2
- http://www.culture.gouv.fr/mcc/Espace-Presse/Discours/Discours-de-Frederic-Mitterrand-prononce-a-l-occasion-de-la-seance-d-installation-de-la-Commission-d-avance-sur-recettes-apres-realisation-presidee-par-Florence-Malraux
- http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/levy_exception_culturelleFR290506-2.pdf
- http://www.leparisien.fr/cinema/actualite-cinema/plongee-dans-les-comptes-du-cinema-francais-23-01-2010-788285.php
- Le milieu n’est plus un pont mais une faille, Le Club des 13, rapport de synthèse (rédigé par Cécile Vargaftig, Jacques Audiard, Pascale Ferran, Claude Miller, Denis Freyd, Arnaud Louvet, Patrick Sobelman, Edouard Weil, Fabienne Vonier, Stéphane Goudet, Claude-Eric Poiroux et Jean-Jacques Ruttner, François Yon, p. 33
- http://www.leparisien.fr/cinema/actualite-cinema/570-millions-de-budget-23-01-2010-788283.php
- http://www.senat.fr/rap/a09-104-3-2/a09-104-3-219.html
- Le milieu n’est plus un pont mais une faille, Le Club des 13, rapport de synthèse, op. cit, p. 27
- http://www.senat.fr/rap/r98-011/r98-01143.html
- http://www.lesinrocks.com/cine/cinema-article/article/le-hussard-sur-le-toit/
- La Haine (Mathieu Kassovitz, 1995), Ginette Vincendeau, French film guides series, University of Illinois Press, 2005, p. 14
- http://www.leparisien.fr/cinema/actualite-cinema/polemique-sur-l-avance-a-fanny-ardant-23-01-2010-788280.php
- http://www.liberation.fr/cinema/0101540013-l-avance-sur-recettes-c-est-le-jugement-dernier
- http://www.lesinrocks.com/cine/cinema-article/t/1259146140/article/bruno-dumont-mystique-ou-profane/
- http://www.leparisien.fr/cinema/actualite-cinema/certains-realisateurs-ont-trop-beneficie-du-systeme-23-01-2010-788278.php
- Merci l'avance ! par Guillemette Odicino sur telerama.fr du 23 avril 2010
- http://www.leparisien.fr/cinema/actualite-cinema/questions-sur-un-pactole-23-01-2010-788279.php
- http://www.monde-diplomatique.fr/2003/12/BEAU/10586
- http://www.leparisien.fr/cinema/actualite-cinema/deux-procedures-judiciaires-23-01-2010-788282.php
- Le milieu n’est plus un pont mais une faille, Le Club des 13, rapport de synthèse, op. cit, p. 33
- http://www.lesinrocks.com/cine/cinema-article/article/le-retour-des-13/
- http://www.cahiersducinema.com/article1548.html
- http://www.liberation.fr/cinema/0101486162-la-crise-se-manifeste-par-le-formatage-des-projets
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